NETTALI.COM - Elle a finalement démarré cette campagne électorale, le dimanche 10 mars, raccourcie qu’elle est dans ses 21 jours. Un démarrage timide, au moment où la Coalition Benno Book Yaakaar et celle de « Diomaye président », favorites dans cette élection, ont tenu à étaler leur force de frappe. Ils n’ont d’ailleurs pas manqué de se croiser à Pikine. Et dans une logique de la rivalité, ils se sont affrontés avec la conséquence du saccage des locaux de l’Apr.

Elle est en tout cas bien agitée, dans cette campagne, la coalition Diomaye. Elle enregistre sans cesse des soutiens, même s’ils ne sont pas vraiment de taille, composés pour l’essentiel de leaders de partis recalés et d’anciens compagnons et alliés de Macky Sall. Dans le lot, certains se sont inscrits dans une logique de règlement de comptes du fait de frustrations mal contenues : Aminata Touré, Mary Teuw Niane et Lansana Gagny Sakho, l’ancien DG de l’Onase sous Macky, limogé, Birima Mangara, Samba Ndiaye du Mdis, Serigne Guèye Diop, Me Moussa Diop,  Il y a aussi d’anciens du système Wade tels que Cheikh Dieng, Aïda Mbodji et Pape Samba Mboup ! Qui l'aurait cru de ce dernier ? Avouons que pour quelqu'un qui avait quitté le bateau Wade...

Des soutiens en somme qui ne pèsent pas lourd, mais significatifs du point de vue du symbole.

Habib Sy en mode délire

Le cas le plus surprenant dans ce lot, eh bien c'est celui de Habib Sy, cet ancien du système Wade, candidat au même titre que Diomaye Faye qui, lors d’un Journal de la campagne, diffusé tous les soirs sur les antennes de la RTS, a mis à profit ses trois minutes d’exposition médiatique pour promouvoir la candidature de Bassirou Diomaye Faye. En effet, au cours d’un autre meeting de la Coalition Diomaye, il nous a appris, dans une de ses envolées, dont il est l’un des rares à avoir le secret,  que s’il est candidat, c’est grâce à Ousmane Sonko qui est un homme très intelligent, un fin stratège pour avoir aussi choisi Cheikh Tidiane Dièye. Il a aussi abordé la question du système que veut démolir le Pastef. Et tout en revendiquant le rôle qu’il a joué dans le système, l’ancien ministre d’État et directeur de cabinet d’Abdoulaye Wade a dit d'autres choses. Pour déconstruire le système, il faut à son avis, des gens qui connaissent le système. Ne devrait-il pas ajouter dans toute sa splendeur et toute ses laideurs ? Une manière de valider sa présence auprès des candidats de l’anti-système.

Sacré Habib Sy, un vrai renard de la politique qui s’est forgé sous Wade de qui il a hérité ses railleries. Comme lorsqu’il a traité Amadou Bâ de « bébé à peine sevré par Macky qui ignore tout du Sénégal, de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche » et qu’il qualifie au passage de bourgeois, mimant sa manière de s’exprimer.

Des délires qui ont poussé le chroniqueur d’I-Radio Ibou Fall, à dire que le Pastef est entouré de quelques gens du système, des "vautours", rappelant qu’il faisait allusion à cette délégation qui avait rendu visite à Sonko à Ziguinchor, au moment où il s’y était retranché,  faisant savoir qu’ils n'attendent que la 'mort' de Sonko pour manger ses restes. Ce sont les mêmes, selon lui, qu’on retrouve autour de Bassirou Diomaye Faye. De même fait-il savoir que, quand il voit Habib Sy, ministre depuis la période de Wade, se décrire comme le "maçon démolisseur" derrière "les architectes du Sénégal du futur" que sont Sonko et Diomaye qui n'ont jamais été directeurs, l’on a tout simplement affaire à de l'escroquerie politique. "Lorsqu’il dit qu'il veut détruire le système et qu'il n'en fait plus partie, il essaye de nous tromper", ajoute Ibou Fall au sujet du candidat à la Présidentielle qui considère que le bonhomme s'est aplati avec une formule bien à lui : "lorsqu'on est assis par terre, on ne peut plus tomber." 

Une débandade vers la "Coalition Diomaye" qui sonne finalement comme de l'opportunisme pur et simple pour beaucoup qui espèrent, une fois cette coalition arrive au pouvoir, profiter de largesses. A la condition qu'il y en ait évidemment.

Quid de Benno et d'Amadou Ba, l'autre favori de la campagne ? Quoique favori, l'ancien Premier ministre est bien à l’étroit dans son camp, où le manque d’investissement de plusieurs responsables de la majorité commençait à peser sur l’ambiance de ce début de campagne. Le lundi 11 mars, à l’occasion du meeting de Mbacké, certains lieutenants d’Amadou Ba ont d’ailleurs été très critiques envers leurs camarades, accusés de ne pas mouiller le maillot dans cette campagne, la plupart des ténors de Benno étant aux abonnés absents. Une situation qui semble s'être arrangée, au moment où Amadou Ba est reçu en grande pompe à Saint-Louis où il a entamé une offensive contre la Coalition Diomaye, brocardant le programme économique de l’ex-parti Pastef du candidat Bassirou Diomaye Faye, surtout dans sa volonté de battre une monnaie nationale. “La monnaie, c’est une chose sérieuse et on ne joue pas avec. La volonté d’avoir sa propre monnaie, alors que la CEDEAO est dans une logique de monnaie commune. À mon avis, cette pro- position est un non-sens économique et qu’aucun des pays qui nous entourent et qui disposent de sa propre monnaie n'est plus développé que le Sénégal”, crie-t-il à l’endroit de la foule.

Sur le plan politique, l’ancien chef de la diplomatie sénégalaise n'hésite pas à démonter l’ex-Pastef sa proposition de création d'un poste de vice- président. “Quand on aspire à gouverner un pays, il faudra être compétent. Mais inventer un poste de vice-présidence taillé sur mesure pour quelqu'un d'autre afin de diriger par procuration... C’est inacceptable !”, affirme l'ancien grand argentier de l’État.

Idrissa Seck, alors que les caravanes sont privilégiées dans cette campagne, a choisi les visites de proximité (dans sa ville à Thies) qui lui ont permis d'avoir la faveur des religieux et des leaders d'opinion et des groupements tels que celui des pêcheurs. Sans oublier Mbour qu'il a aussi sillonné.

Khalifa Sall, de son côté, a lui obtenu une recrue de taille, l’homme de Grand Dakar Jean Baptiste Diouf, un ex-socialiste comme lui. Tandis que, dans l'optique de ratisser le plus large possible, le Pur a pu attirer dans son escarcelle plus 80 mouvements et partis politiques.

Une campagne au finish, en tout cas pas être très aisée pour les candidats, surtout en cette période de carême et de Ramadan, où il est bien difficile de mobiliser les foules, d’avoir toute leur attention pendant la journée comme après la rupture du jeûne, mais surtout d’avoir suffisamment d’énergie pour s’adresser aux populations.

Entre vœux pieux, professions de foi et généralités

Pour l’heure, ils rivalisent tous d’ardeur dans l’exposition de leurs programmes. Des programmes aux contenus idylliques remplis de vœux pieux. Mais surtout de généralités. C’est la réforme des institutions, cet aspect qui a tant manqué à Macky Sall dans sa gouvernance, qui reçoit la palme d’or des changements à opérer. Avec au centre, une réforme de la justice (largement partagée par tous les candidats qu’elle en devient même banale) à commencer par un Conseil supérieur de la magistrature d’où sera absent le Président de la république, l’introduction d’un juge des libertés ; une assemblée nationale qui représente plutôt le peuple et non les majorités parlementaires. Dans le lot des institutions, il est même prévu dans certains programmes, de créer une sorte de Conseil supérieur du culte où seront logés les religieux et qu’on retrouve dans certains programmes. La Coalition Diomaye prévoit même la création d’un poste de vice-président. Ce qui veut dire en d’autres termes un changement de régimes, mais aussi un poste éventuellement taillé sur mesure pour Ousmane Sonko !

Toujours dans le cadre des institutions, c’est l’appel à candidatures pour les postes de direction des sociétés publiques qui est aussi beaucoup appelé des vœux des candidats, au moment où nos administrations sont envahies par des politiciens surtout les agents des impôts et domaines et les Dages, sans oublier les DG des sociétés publiques qui y sont présents en grand nombre.

La question de la souveraineté, avec en toile de fond, l’objectif d’avoir un contrôle sur nos ressources marines, minières et énergétiques et un secteur privé national à protéger et à bien servir sur les marchés publics, avec à la clef, la renégociation de certains contrats, est aussi beaucoup agitée par les candidats. Le candidat de la coalition « Dionne 2024 », par exemple, a pris un fort engagement avec les acteurs de la pêche. Lors de ce 4ème jour de campagne, le candidat à l’élection présidentielle a signé la charte pour une pêche durable avec la commission nationale pour une pêche durable «(CONAPED). Non sans promettre d’annuler tous les accords de pêche qui sont signé par le Sénégal.

Ce sont les jeunes très ciblés dans cette campagne qui doivent en avoir bien marre, au rythme où les programmes sont exposés. Les solutions pour résoudre la question de l’emploi font en tout cas légion. C’est sûr.  Corrélée avec la question de la formation, une orientation vers les filières techniques et scientifiques, sans oublier le service civique national, le service militaire obligatoire chez certains candidats, la résolution des problèmes de l’emploi des jeunes appelle une réforme de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la politique de formation aux yeux de beaucoup de candidats. Mais sur quel temps et quelle durée et avec quels mécanismes ? Ils sont tellement en attente de solutions que l’on peut se demander s’ils seront assez patients.

D’autres questions telles que celle de l’autosuffisance alimentaire, la transformation des produits issus de l’agriculture, sans oublier la modernisation du transport et son organisation, de manière générale, avec à la clef la résurrection du train et la fin des transports clandestins, interpelle fortement les candidats. La réforme du secteur informel dans une logique de professionnalisation et d’accroissement de l’assiette fiscale également.

Au finish, autant de thèmes que l’on trouve dans les différents programmes qui se ressemblent à bien des égards, mais ô combien agréables à lire et à entendre, tant ils promettent des lendemains meilleurs, qui chantent.

Tout cela pour dire que ces programmes qui ne sont que des synthèses de vœux pieux concoctés par des spécialistes des différents secteurs, pour ne pas dire beaucoup de littérature, sont formidables déclinés sur le papier. Mais encore, faudrait-il qu’ils puissent être réalisables. L’on sait bien que face à cette jeunesse qu’on fait tant rêver et à qui l’on promet monts et merveilles, les questions d’emploi fortement liées à la capacité d’absorption d’une main d’œuvre qui a besoin d’être qualifiée. Elle ne peut être possible que soutenue par une industrialisation du pays, plus à même d’absorber des quantités importantes de main d’œuvre qualifiée. De même que par une agriculture moderne et des services. Cela requiert donc une politique ardue nécessitant la conjonction de beaucoup de facteurs tels qu’une politique de formation adaptée, la réforme de l’éducation et de l’enseignement supérieur.

 La nécessité d’un débat entre candidats

Pourquoi devrions-nous faire confiance aux hommes politiques sur la foi juste de leurs déclarations, aussi charmantes soient-elles ? Pourquoi leur donner carte sous le feu de l’euphorie ? Les expériences avec les gouvernements précédents, doivent à la vérité nous réveiller pour des Sénégalais hélas passés maîtres dans l’art du "dégagisme", pêchant souvent aux moments de faire des choix.

Ce qui veut dire que les candidats, au-delà de leurs vœux pieux et de leurs ambitions démesurées parfois, doivent pouvoir, après avoir proposé leurs programmes, nous expliquer comment y parvenir avec des chiffres à l’appui. Tout cela nécessite évidemment, pour être expliqué, l’organisation de débats au cours desquels les candidats pourront se faire face et s’affronter. Et cela, c’est sur ce terrain que l’on attend la presse. Des tentatives pourtant maintes fois agitées par la presse et toujours rejetées par les hommes politiques. On aurait par exemple aimé entendre un Bassirou Diomaye Faye pour savoir ce qu’il a à dire, au lieu de le découvrir une fois au pouvoir. Au cas où il viendrait à être élu pour le favori qu’il est.

Boubacar Kamara dont on ne peut douter de sa tête bien faite et de son expérience de la gestion publique, a lui mis au défi les différents candidats et les invite à un débat. Recevra-t-il des avis favorables ? Une bonne question surtout que la plupart des hommes politiques préfèrent ont le folklore des caravanes et meetings où ils peuvent raconter tout et n’importe quoi sans contradiction.

Etre en dehors du pouvoir et annoncer toutes sortes de réalisations à venir, est bien trop facile. La réalité du pouvoir est hélas bien différente au regard de toutes les urgences auxquelles, il faut faire face. C’est la raison pour laquelle n’importe qui ne devrait pas être président. Au-delà de l’expérience dans la gestion publique, la sociologie du pays qu’il faut connaître et la lucidité à avoir, le président qui aspire à prendre en charge la destinée des Sénégalais, doit surtout avoir une vision. Ce qui veut dire une capacité à projeter le Sénégal dans le temps et l’espace, avec l’objectif de préparer l’avenir des générations futures. Le roi Mouhamed VI est à ce titre un bel exemple, lui qui a réussi à mettre en place une stratégie pour l’expansion du Maroc et de son économie en Afrique subsaharienne. Ne vient-elle pas de sceller une autre alliance avec l’Alliance des états du Sahel ?

Il ne s’agit pas de préjuger des capacités de l’un ou l’autre des candidats, il s’agit au contraire d’éviter d’avoir des regrets et de nous réveiller 5 ans après, avec la gueule de bois.

L’on ne doit point se laisser émerveiller par les foules. Cela n’est pas forcément gage de succès. Car entre le bétail électoral, les « perdiemisés » et la masse de personnes non détentrices de cartes d’électeurs et les curieux, il faut faire attention à ne pas trop vite s’enflammer et se laisser influencer. En dehors de certaines coalitions dont on ne peut douter de la popularité, nous devons être vigilants. Rappelons-nous qu’au moment où Wade a été battu par Macky Sall, l’on épiloguait sur les millions de personnes massés entre l’ancienne piste et la Vdn. Le nombre avancé était certes impossible, mais visiblement la foule était impressionnante.

Mais en attendant, l’on en est à se poser la question de savoir si l’élection aura lieu ou pas, au moment où la décision de la Cour suprême est attendue au sujet du recours déposé contre les décrets fixant la présidentielle au 24 mars 2024 et convoquant le corps électoral à cette date. Ce qui supposerait une reprise du processus ou l'impasse. Une situation politique qui risque de changer surtout qu'Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye sont libérés de prison depuis le jeudi 14 mars. Des affaires évidemment à suivre.