NETTALI.COM - Quand deux états-majors politiques ont pris l’habitude de s’affronter en usant de la violence verbale, peut-on s’attendre à autre chose que de la violence physique, lorsque leurs convois se croisent ? Tant qu’ils s'échangeaient des propos insultants à distance, leur affrontement n'avait qu'un seul inconvénient, celui de faire siffler nos pauvres oreilles innocentes. Ceux qui s’émeuvent aujourd'hui d’un tel niveau de violence, doivent juste se rendre à l'évidence que les germes étaient semés depuis 2021, l'époque des affrontements entre Ousmane Sonko et le régime de Macky Sall.
Des événements encore frais dans les mémoires marqués par le saccage de biens publics (bus Dakar Dem Dikk, édifices publics, BRT, etc), de biens privés (stations d’essence, stations Total, agences de banques, magasins Auchan etc), par des attaques de domiciles de dignitaires de l’ancien régime et surtout celle d’un bus Tata au cocktail molotov, entraînant la mort de deux personnes de la même famille.
Il est certainement bien trop tard pour s’émouvoir puisque c’est désormais le paradigme musculaire, la calomnie et le dénigrement qui structurent le débat public, en lieu et place des programmes et projets de société chez les jeunes loups de la politique.
Si l’on considère les forces les plus représentatives du champ politique, l'on se rendra compte que deux catégories d’hommes politiques émergent : celle des anciens tenanciers du pouvoir composée de « Jamm ak Ndjerin » d’Amadou Ba et « Takku Wallu » de Macky Sall et du Pds qui sont dans des règlements de comptes feutrés, faits uniquement d’accusations de trahisons et de jeux de couloirs sur fond de recrutement de tel ou tel autre maire ou responsable politique d’envergure. Il y a à côté, le camp de « Sénégal Kessé » d’Abdoul Mbaye et de Thierno Alassane Sall tout aussi policé et modéré qui se contente de critiquer et de lancer quelques petites piques pas trop méchantes, mais sans jamais aller sur le terrain de la vulgarité ou de l’insolence.
Une culture de la haine et de la violence bien semée
A l’opposée, les coalitions « Samm Sa Kaddu » et « Pastef » abritent en leur sein, les jeunes loups de la politique. De la même génération, très viriles, avec une armée de "combattants", ceux-là n'hésitent jamais à bander leurs muscles, soit en se dénigrant ou en se lançant dans des combats de rue. Résultat des courses, ils ont installé un niveau de violence sans bornes, faite d'attaques de convois avec armes à l'appui ( machettes, couteaux, bombes a gaz, etc) et un cortège de blessés.
L'exemple de cette photo insoutenable d’un jeune homme qui a reçu un coup de machette publiée sur la page facebook d’Ousmane Sonko, comme pour accabler le camp de Barthélémy Dias quant au degré de violence. Le constat est que malheureusement dans ces affrontements violents, ce sont toujours les militants ou les nervis qui trinquent et jamais les leaders politiques qui eux, sont protégés.
Qu’on n’oublie surtout pas que ce sont ces deux mêmes camps qui faisaient la pluie et le beau temps à l’Assemblée nationale, lors de la 14ème législature, semant le désordre dans ce lieu de représentation, arrachant les urnes, faisant du boucan et contestant les décisions de manière véhémente. L’on se rappelle aussi de l’épisode des députés du Pur emprisonnés pour avoir donné un coup au ventre, à la députée de Benno, Amy Ndiaye Gniby, en état de grossesse au moment des faits. Bref.
Entre Ousmane Sonko et Barthélémy Dias, le différend date de la période du Dialogue national organisé par l’ancien président Macky Sall, en mai 2023. Les deux n’avaient cessé de s’accuser mutuellement de trahison. Entre Abasse Fall et Barthélémy Dias, les hostilités remontent à l’éviction du premier du poste de premier adjoint au maire de Dakar, Barthélémy Dias. Au nom de la parité, le premier avait été remplacé par Ngoné Mbengue de Taxawu Sénégal, suite à un vote qui l’avait opposée à Marie Rose Faye de Pastef.
Mais comment oublier les récents appels d’Abass Fall du Pastef à ses militants à prendre leur revanche, avec armes, couteaux, machettes etc pour se venger. Une sortie qui en avait choqué plus d’un. A 4 heures dans la même nuit, le siège du parti "Taxawu Sénégal" avait été pris d’assaut et incendié par plus d’une vingtaine de personnes, armées de coupe-coupe, d'armes à feu, de cocktails molotov, causant beaucoup de dégâts matériels déplorés tels que des véhicules de Taxawu saccagés, des vitres brisées, des tee-shirts stockés endommagés, des locaux incendiés, sans oublier d'autres dégâts matériels. Cela ne méritait-il pas une convocation devant la justice ? Alors que des médias avaient fait état de la convocation de Fall, celui-ci avait démenti et poursuivi tranquillement sa campagne.
Et même s’il avait fini par s’excuser après les sévères critiques contre son appel à la violence, lui et son camp s’étaient défendus, accusant celui de Barth d’avoir attaqué son convoi et d’avoir délesté des femmes de leurs téléphones et autres. Par la suite, les appels à la prise de responsabilités du ministre de l’Intérieur avaient fusé. La justice s’en était mêlée et il avait été question d’enquêtes. Mais depuis lors, silence radio. Du moins de ce qu’on en sait jusqu’ici.
Le convoi de Pastef avait été par la suite attaqué à Koungheul, et l’on a pu voir dans ces images de l’attaque qui avaient circulé sur les réseaux sociaux, cet agent de sécurité dans le convoi de Pastef, tirer un coupe-coupe de son fourreau avant de poursuivre les assaillants.
Pendant ce temps, le lundi 11 novembre, au moins 81 individus ont été interpellés par la police, suite aux violents affrontements lors du passage de la caravane de la coalition « Samm sa kaddu » conduite par sa tête de liste, Barthélemy Dias, à Saint-Louis et le convoi fouillé. 80 sur les 81 ont été placés sous mandat de dépôt, si on en croit les journaux du vendredi 15 novembre.
Les pressions d’Ousmane Sonko, ont-elles eu raison de la réaction des autorités policières ? Eh bien, elles n'ont en tout cas pas perdu de temps. Plusieurs interpellations (77 sur les 81 interpellés) ont été ainsi notées dans les rangs de la coalition "Samm sa kaddu", notamment parmi les éléments de la sécurité de Barthélemy Dias et de Bougane Guèye Dani. Mieux, c’est la Brigade d’intervention polyvalente, l’unité d’élite de la police, qui a été requis pour intercepter le convoi à hauteur de la forêt de "Allou Kagne", entre Thiès et Pout.
Ce qui a poussé le journal « La Tribune » du jeudi 14novembre, à barrer à sa Une : "Fouille contre la violence politique - Pourquoi uniquement le convoi de Samm Sa Kaddu ? ", ajoutant en sous-titre "les autres convois doivent être fouillés pour la sécurité des personnes et des biens – la vérification de tous les convois, permet de traiter les candidats au même pied – Des véhicules de Barth confisqués "
Après avoir, selon lui, "interpellé le président de la République Bassirou Diomaye Faye pour lui signaler que le fait qu’il soit au-dessus de la mêlée, ne lui permet pas de laisser faire", Ousmane Sonko s’est, semble-t-il, remémoré, lors de cette sortie musclée, de ces instants d’opposition à Macky Sall et a remis "le gatsa gatsa " au goût du jour.
Un appel à se venger, lancé à ses militants, largement repris par la presse internationale. De France 24, Reuters, Médiapart en passant par "Le monde Afrique", RFI, Voice of America, etc les titres sont guère élogieux pour son image : "Ousmane Sonko souffle sur les braises au Sénégal", "Le premier ministre appelle à venger ses militants « agressés »" " Senegal PM Calls for vengeance after election campaign clashes ", etc.
Après avoir suscité un tollé général, rétropédalage, Ousmane Sonko appelle, le mardi 12 novembre, ses militants au calme et à rester pacifiques. "Tout ce que j’avais déclaré, je vous demande de le désactiver", a dit Ousmane Sonko aux milliers de sympathisants rassemblés près de l’École normale supérieure de Dakar. "Ne provoquez pas, n’insultez pas et ne frappez personne, l’État fera le travail ", a ajouté Ousmane Sonko, dans un appel au calme bien éloigné du "droit à la riposte " qu’il revendiquait sur Facebook quelques heures plus tôt.
Un arrêt des hostilités ordonné, comme s'il avait affaire à des boutons sur lesquels, il suffit d'appuyer à sa guise pour stopper l'appel à la machine de la violence.
Des déclarations bizarres, le leader du Pastef en a aussi faites, après avoir fait savoir qu'il a "donné des ordres aux ministres de la Justice et de l’Intérieur parce qu’ils sont des autorités politiques avant tout". Auparavant, il se plaignait en tant que candidat.
Avec Ousmane Sonko, c’est à ne rien comprendre, le mélange des genres est à son comble. Tantôt, il parle en tant que candidat, tantôt en tant que Premier ministre. Une sorte de jeu déroutant auquel il se livre selon ses objectifs du moment. Comme lorsqu’il parle de « faillite de l’Etat ». Difficile en effet de savoir à qui il fait allusion. A lui-même en tant que Premier ministre du gouvernement ? Ou à Bassirou Diomaye Faye ?
La vérité, c'est qu'Ousmane Sonko fait feu de tout bois, même si dans ce débat avec Tahirou Sarr, ce qu'il dit ne manque pas de sens. Récemment, à Guédiawaye et á Keur Massar, il s’est efforcé de faire une distinction claire entre patriotisme et nationalisme, estimant que "cette idéologie, lorsqu’elle est poussée à l’extrême, cause plus de tort que de bien dans un pays", ajoutant qu'ils ne sont " pas nationalistes, mais patriotes." Une charge que Tahirou Sarr n'a pas beaucoup gouttée, exhortant Sonko à faire preuve de courage et à cesser de "dire des contre-vérités aux Sénégalais". Un terrain sur lequel beaucoup de leaders politiques ont d'ailleurs attaqué Sonko. Selon Sarr, son refus de soutenir le Pastef, pourrait être à l’origine de la frustration de Sonko. Pour clore sa réplique, Tahirou Sarr a proposé un débat public à la tête de liste de Pastef, affirmant qu’il était prêt à se joindre à son meeting pour affronter ses idées.
Il y a en tout cas chez Ousmane Sonko, certains attitudes, postures et propos qui sont tout simplement indignes de l'homme politique et de surcroît du Premier ministre qu'il est. Comme a-t-il pu appeler à la violence. Sans doute n’a-t-il pas encore pris la pleine mesure de sa fonction ? Ou ignore-t-il juste ce qu’est être un homme d’Etat ? Cette propension à vouloir se substituer à la justice, promettant la prison à certains, ou accusant de détournements d’autres ou encore en s’en prenant sans gants au ministre de l’Intérieur, de la justice et au président de la république, ne le grandit point et n’aura comme conséquence à terme, que de davantage discréditer et désacraliser les institutions déjà bien torturées.
L’affaissement du niveau des politiques
La politique en tout cas, telle qu’elle se mène sous nos cieux, n’est pas productrice de progrès démocratique et encore moins de renforcement des institutions. Cela est sans doute lié à l’affaissement du niveau des politiques (comme des autres secteurs d’ailleurs de la vie nationale) au point que le seul génie déployé est de type musculaire. Il y a comme une sorte de carence qu’on cherche à camoufler avec la poussière de la meute. Disons que la politique s’est gravement dépréciée sous nos Tropiques.
Il y a aujourd’hui comme une sorte de « rachitisation » continue des us et codes. La culture tik-tok ou fast-food empêche les jeunes loups de la politique de proposer à leurs cibles, en majorité des jeunes, d’ailleurs de moins en moins cultivés avec un niveau d’études qui se déprécie de plus en plus, des contenus structurés qui vont leur permettre d’avoir plus de lisibilité sur la gestion de la cite et sur l’avenir qu’on leur propose.
De ce point de vue, il y a une nette différence entre les hommes politiques actuels et leurs aînés, ceux-là qui avaient produit ce document synthétique de référence, à travers une approche inclusive de tous les pans de la société sénégalais, les Assises nationales ou plus exactement le projet de réforme des institutions d’ailleurs toujours d’actualité. Ce sont des hommes à l’intégrité reconnue : Amadou Makhtar Mbow, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Mamadou Lamine Loum, etc qui avaient réfléchi à cela, non pas en bandant leurs muscles, mais dans la transpiration et l’éthique discursive.
On oublie souvent que la politique n’a pas commencé dans ce pays en 2012, ni en 2019 et encore moins en 2024. Et qu’à des moments déterminés de la vie de cette jeune nation, les vertus de la discussion et l’intelligence consensuelle ont régulièrement pris le dessus sur les instincts basiques, guerriers, fermés et souvent suicidaires.
Il est d’ailleurs bien incompréhensible, avec toute l’expérience politique acquise par notre pays, depuis plus d’un siècle, qu’on en arrive là. Et que nos hommes politiques se prennent encore et toujours pour des demi-dieux sortis de la cuisse de Jupiter ou des messies sans qui le Sénégal ne sera pas sauvé de la pauvreté.
La vraie question, au-delà du vote en leur faveur, est de savoir si les Sénégalais peuvent encore espérer quelque chose de leurs députés ? Au regard du mode de scrutin et de cette fameuse liste nationale dressée par les chefs de file, ils risquent de n’être encore une fois de plus, que les caisses de résonance de ceux qui les ont placés sur telle ou telle autre position, dans telle ou telle autre liste. Une assemblée qui ne demande pas des députés sous la forme actuelle, mais une vraie réforme pour être une vraie représentation du peuple. Un contre pouvoir en somme.