NETTALI.COM - Crise de la presse ou problèmes dans la presse ? C’est la question que l’on est raisonnablement en droit de se poser au regard de certaines prises de position que l’on note de plus en plus dans le débat public et sur les réseaux sociaux.

Que la presse connaisse des problèmes, comme beaucoup de secteurs de ce pays, est un fait. Mais vouloir lui attribuer la responsabilité des maux d’une société parce qu’un problème juridique sur fond politique divise profondément la société sénégalaise, ne paraît pas juste. Ceux qui s'adonnent à ce jeu, doivent, se doivent de relativiser leurs jugements en tenant compte du contexte tendu et violent marqué par des intimidations de journalistes, d'attaques contre des sièges de médias (ce fut le cas en mars), de véhicules de journalistes, etc.

La presse se retrouve ainsi piégé au milieu de ce brouhaha sans fin. Qu’un organe donné ne prenne pas position et choisit de traiter les faits, il qualifié sans ménagement d’être partisan ou hostile, selon...  Parfois même d’être corrompu. La vérité est que beaucoup, selon leurs sensibilités, veulent en effet la voir mener leur combat par procuration.

C’est la raison pour laquelle, des journalistes en arrivent même à être considérés comme des héros par ceux-là même que leurs sorties arrangent, tant ils surfent sur cette vague et affichent sans masque leur appartenance à un camp. Ils s'apparentent à partir de ce moment aux activistes et sortent de leur rôle de journaliste car, être journaliste implique de n’être habité que par la religion des faits et d’être équilibré dans le traitement de l’info. Le journaliste ne devrait nullement tomber dans le versant inverse de l’opinion voire de la subjectivité.

Lorsque les réseaux sociaux polluent

Des accusations en tout cas bien trop faciles pour ceux-là qui ont décrété  cette crise de la presse, car ils choisissent également de volontairement occulter l’impact négatif des réseaux sociaux qui polluent l’information. Les échos en provenance des réseaux sociaux eux, n’éclairent pourtant point le débat. Ils rajoutent à la confusion. Les RS ne sont à l'heure actuelle qu'une sorte d’armée mexicaine de diffusion de messages en marche et où se rencontrent différents acteurs aux objectifs divers et variés, déversant des torrents d’opinion  : youtubeurs obnubilés par le nombre de vus, influenceurs, chroniqueurs d’un nouveau genre, animateurs, « ex- animateurs/journalistes stars » en manque point de chute, nouveaux spéculateurs essaimant certains plateaux du net, activistes, prêcheurs en quête de popularité et rappeurs en quête de buzz. Un vrai bazar en somme.

Que peut-on y faire lorsqu’un Sénégalais choisit de s’informer sur les réseaux sociaux ? C’est son choix et sa liberté, avec le risque se retrouver avec parfois avec 1000 vérités, 1000 mensonges. Les fake news et la manipulation, on n'en parle même pas. D’ailleurs d’aucuns vont jusqu’à affirmer, et ce de manière prémonitoire que les RS vont supplanter les médias classiques.  Ce qui est totalement de l’ordre du fantasme car les deux ne procèdent même de la même logique. La presse a cette crédibilité qu’elle tire de sa légitimité, composée qu’elle est de personnes formées dans la collecte, le traitement et la diffusion de l’information. Elle est en ce sens même un pouvoir, certes pas institué, mais reconnu comme un secteur nécessaire à l’approfondissement de la démocratie, de par ses rôles d’éveil, d’éducation entre autres des populations.

Rien de nouveau sous le soleil, l’effet amplificateur joue

Qu’on ne s’y trompe point, la presse a des problèmes, c’est sûr. Ils ont traversé tous les régimes dans des contextes d’apprentissage pas simple de la démocratie. Des problèmes qui se sont accentués sous l’ère Wade qui a d’ailleurs bien contribué à la déstructuration de celle-ci. Lorsqu’on se penche en effet sur les problèmes de la presse, l’on se rend en effet bien compte que le paysage médiatique n’a pas vraiment changé en dehors des réseaux sociaux qui sont venus brouiller l’info, car étant aussi un lieu de désinformation et de propagande.

Rien de bien nouveau donc sous le ciel sénégalais. Il existe toujours une presse gouvernementale gérée par des personnes affiliées au pouvoir en place, comme cela a d’ailleurs existé du temps du Parti socialiste avec un certain Bara Diouf, membre du PS et qui dirigeait "Le Soleil". Aujourd’hui, trône à la tête de la RTS, Racine Talla et à celle du Soleil, Yakham Mbaye, tous les deux du parti au pouvoir. Sous Wade, la RTS et "Le Soleil" étaient aussi des organes pro gouvernementaux.

De même, côté opposition, des journaux  tels que Sopi ont existé sous l’ère Wade, alors opposant charismatique et populaire. On le classait volontairement dans le lot des journaux d’opinion, alors que l’on sait bien qu’il était un journal de propagande pour le Pds. Il y a eu dans la foulée, des journaux tels que « Le Pays au quotidien » de Karim Wade ou « Il est midi » de Ndiogou Wak Seck, affilié au régime libéral.

De nos jours, de nouveaux journaux sont nés si subitement et l’on voit bien suivant l’orientation de leurs titres au quotidien, teintés d'une bonne dose tendancieuse et de radicalité qu’ils sont affiliés à l’opposition radicale actuelle. L’exemple est le journal « Yoor yoor », dirigé jusqu’ici par Serigne Saliou Guèye.

Lorsqu’on se fie quotidiennement à la titraille des journaux, l’on se rend compte qu’il y a des journaux dont les titres sont souvent axés sous l’angle d’une dénonciation favorable à l’opposition ; et d’autres avec une titraille favorable au pouvoir. Et entre les deux, une presse avec des titres toujours neutres et factuels.

Qui n’a pas par exemple remarqué la titraille quotidienne du journal « La Tribune », journal de Bougane Guèye Dany, politicien affirmé et ancré à l’opposition radicale ? Il ne rate jamais l’occasion de s’en prendre au gouvernement avec sa titraille bien orientée et hostile.

Qu’il y ait aussi d’autres groupes de la presse privée que l’on qualifie de pro tel ou d’anti tel, cela n’est pas nouveau surtout avec cette fâcheuse propension des sénégalais à déclarer que tel journal est acheté ou que « les journalistes sont corrompus »,  comme s’ils étaient un bloc homogène de personnes qui s’entendent pour écrire, et sans le moindre mec honnête.

Qu’on en arrive par exemple à décréter que Walf est « la télé du peuple » et que « Futurs médias » est un groupe affilié au régime actuel du fait de la proximité de son propriétaire Youssou Ndour avec le pouvoir, est tout simplement injuste. Il semble bien que GFM invite des acteurs divers, opposition comme pouvoir, tous challengés de la même manière, lors des émissions, avec des plateaux équilibrés. « Fou malade » ne disait-il pas récemment lors d’une émission « Jakarloo » qu’à suivre les positions de Bouba Ndour, l’on peut être amené à penser qu’il défend de plus en plus le Pastef. Le rappeur-chroniqueur de préciser par la suite que que celui-ci donne pourtant toujours son opinion en son âme et conscience.

Il semble à la vérité que toutes ces accusations ne sont au fond qu’un faux procès destiné à anesthésier une certaine presse que l’on veut voir pencher pour soi, alors qu’elle a choisi de s’inscrire dans une logique d’équilibre de l’information.

 La nécessité d’être techniquement armé

Pour pouvoir juger la presse, ces prétendus « juges » doivent pourtant pouvoir le faire avec rigueur en tenant compte de son évolution historique, de son environnement, de son modèle économique, des conditions d’accès à la presse, de la spécificité et la sensibilité du métier de journaliste, de la formation, de la réglementation en vigueur, etc Autant de facteurs qui peuvent permettre de relativiser leurs jugements. Car disons-le clairement, un environnement plus assaini de la presse, ne dépend pas que des journalistes. Comment par exemple comprendre qu’un code de la presse voté sous l’ère Wade et qui aurait dû faire l’objet de décrets d’application depuis belle lurette, se retrouve en certains de ses aspects à devoir encore dépendre d’une volonté gouvernementale ?

L'autre problème vient de certains journalistes eux-mêmes censés plaider pour l'instauration de la carte de la presse et qui se mettent à la chahuter parce que soit, ils n’ont pas les diplômes requis ou ont tout simplement honte de passer en commission de validation des acquis, parce qu’ils se considéreraient comme célèbres ou « journalistes  stars ». Ce qui est tout simplement dommage.

Les conditions d’accès perméables dans un corps où des personnes sans diplômes, ni formation que l’on cherche à résoudre avec cette nouvelle carte de la presse commune à tous, ont été bien trop faciles pour beaucoup qui ont pu entrer par effraction : greffiers, instituteurs, professeurs de philo, de français etc,  les desk dédiés aux langues nationales pour beaucoup d’acteurs pas lettrés en français, animateurs, prêcheurs, « revueurs de presse » sans niveau d’éducation acceptable, animateurs, tradipraticiens, etc.

Dans ce lot, ce sont surtout les patrons des chaînes de télé et de radio qui ont laissé s’installer ces chroniqueurs ou ces commerciales à la bonne plastique, qui ont causé beaucoup de torts à la presse. Sur les plateaux télé, ils sont nombreux à déverser des torrents d’opinions. Un chroniqueur, eh bien, en dehors d’être un journaliste expérimenté, est un spécialiste du domaine qu’il aborde. Mais en tout cas, pas ces personnages tels qu’on les voit à longueur d’émissions : Cheikh Oumar Talla, Pa Matar Diallo, Ba Diakhaté, Pouye ou encore Oumar Faye, Birima Ndiaye, Bouba Ndour, etc. Si certains sont ouvertement partisans, d’autres ne sont que des politiciens encagoulés, voire des personnes qui gèrent des agendas pour leur groupe de médias. Ils ne font à la vérité qu’obscurcir davantage les esprits.

Il est tout aussi hilarant de noter qu'on peut passer de tradipraticien à « analyste politique ». On se moque de qui ? C’est comme passer de commerçant de Sandaga à cardiologue ! Certains animateurs et téléspectateurs ou internautes attribuent par exemple à Serigne Bara Ndiaye ce statut sans pour autant savoir ce qu’il signifie dans le métier de journaliste.

Ce qui est surtout sidérant à voir de nos jours, ce sont ces émissions de débats des sites d’information peuplés de chroniqueurs. L’indigence du niveau des analyses dans ce qu'on peut appeler des "grand-place" télévisuels d'internet, est telle que l’on peut s’interroger sur l’origine de certaines révélations qui s’y font. Entre spéculations et scenarii abracadabrantesques, tout y passe. Les choses finissent par ressembler à de la prestidigitation. Un supposé analyste qui a l’habitude d’officier sur Seneweb, s’est fait prendre à ce jeu sur CNM. Interrogé par le journaliste Bachir Fofana, il a par exemple été bien surpris de se voir poser la question de savoir d’où est-ce qu’il tenait certaines révélations s’appuyant sur des sondages commanditées par Macky Sall auprès de Cheikh Yérim Secket Moubarack Lo. On aurait d’ailleurs aimé savoir depuis quand le journaliste est aussi sondeur pour que Macky Sall lui confie un tel travail ? La suite est connue, il a été démenti par l’animateur de l’émission qui lui a fait vertement savoir qu’il a appelé sur le champ Moubarack Lo qui a répondu n’avoir fait de sondage. Bref, c’est souvent le règne de la spéculation et de la révélation version Selbé Ndome.

Le monde médiatique est aujourd’hui peuplé de jeunes pressés qui se voient déjà comme des stars, reléguant l’info au second plan. Ils aiment les titres ceux-là et dans la presse écrite, ils aiment voir leurs signatures. Si seulement on publiait leurs textes bruts ! Ils n’osent aborder ceux-là que les sujets politiques, de société, l’info people et ceux de sport. Quatre domaines qui paraissent plus à leur portée que l’économie, le droit ou l’international. Mais qu’est-ce qu’ils se trompent ! Traiter les sujets d’ordre politique, nécessite aussi de connaître les faits historiques, avoir une bonne culture politique, d'être informé et surtout d'avoir un bon et solide background. Le déficit d’encadrement dans les rédactions et une certaine formation privée bien approximative, ne sont d’ailleurs pas étrangers à l’indigence du niveau actuel des journalistes qui ont érigé en règles l’opinion.

Mais quel désastre que ces émissions télévisuelles ! L’indigence de leurs prestations sur les sujets techniques, n’en parlons même pas. A l’heure où le droit est sur la place publique dans ce contexte de 3ème mandat et de dossiers juridico-politiques, ce phénomène devient bien visible, puisqu’auparavant, c’était politique, politique et politique avec beaucoup d’opinions dans le relai des nouvelles. En somme du brouillard à tous les niveaux, de la météo politique en somme. Que peut faire un journaliste face à un expert de la science juridique lorsqu’il ne connaît même pas des rudiments de droit ?

Comment des journalistes peuvent-ils réussir à animer correctement des émissions avec des sujets aussi techniques que le droit sans faire appel à des spécialistes du droit qui vont débattre et les édifier ? Une matière qui regroupe d’ailleurs tant de spécialités qu’elle paraît même assez ésotériques pour les non-initiés. Certains journalistes confondent parfois constitutionnalistes et pénalistes, les interrogeant sur tous sujets alors que le constitutionnaliste n’est pas le plus apte à parler de procédure pénale et vice-versa. Le résultat est un débat axé sur des généralités du droit alors que le sujet peut recueillir un approfondissement que ne peut faire qu’un spécialiste. Mais heureusement que dans cette brume, l'on a un Daouda Mine qui sort du lot. Il est le prototype du journaliste qu'on aimerait avoir sur nos plateaux. Titulaire d'une maîtrise en droit d'abord, il a fait le Cesti par la suite capitalisant une expérience de 20 ans chronique judiciaire. Pondéré, mesuré et honnête, il reste très factuel en toutes circonstances, même s'il est arrivé que des internautes hostiles aient cherché un moment à le cibler parce qu'il disait, ne leur convenait pas.

Le journalisme : un métier exigeant et difficile

Produire de l’information s’apprend. Le journalisme est en effet un métier qu’il n’est pas donné à n’importe qui d’exercer. Mais l’évolution du paysage médiatique et les lacunes constatées dans le traitement de certaines questions techniques, montre que les formations, même si elles sont axées sur les sciences et techniques de l’information et une spécialisation en radio, télé, presse écrite, etc doivent davantage s’orienter et s’ouvrir vers une spécialisation digne de ce nom. Soit en recrutant au niveau de la licence ou alors en intégrant des matières techniques, notamment les sciences juridiques, économiques, les finances et bien d’autres domaines. De même un renforcement des capacités des journalistes dans ces domaines-là, doit être envisagé, comme cela se fait dans les entreprises.

A la vérité, le journaliste n’est pas n’importe qui. Il doit toujours être attaché aux faits. Qu’il soit en train de faire une analyse, un commentaire ou un billet d’humeur, etc il part toujours des faits. Il doit aussi connaître un peu de tout parce qu’il est un élément essentiel du développement du jeu démocratie. Il est de plus celui qui est censé informer ceux qui le sont en général, c’est à dire ses confrères et d’autres personnes qui œuvrent dans la collecte de l’info.

Bref, c’est en soi un métier exigeant qui demande de la transpiration, des sources crédibles, de l’éthique et surtout de la responsabilité qui impliquent que le journaliste ne puisse pas relayer tout et n’importe quoi. En ce sens, le traitement avant diffusion, est crucial dans son métier.

Suivant le nouveau code de la presse, à l’heure où l’on parle beaucoup d’assises de la presse, l’on se doit de revenir à l’orthodoxie. Les pouvoirs du Cored doivent être renforcés dans une logique d’auto-saisine plus diligente. C’est connu que les journalistes n’aiment pas être jugés par leurs pairs. Les émissions informatives ne doivent, à la vérité, être conduites que par les seuls détenteurs de la carte nationale de presse. Ce qui veut dire en d’autres termes que les animateurs doivent être cantonnés aux émissions de divertissement. De même, il serait de plus en plus indiqué, avec toutes ces dérives constatées de n’inviter, en dehors des journalistes qui traitent de sujets, que des chroniqueurs experts dans leur domaine. Le pays regorge pourtant d’économistes, d’historiens, de sociologues, etc.

L’aspect le plus crucial de cet univers, est sans aucun doute, le modèle économique de la presse qui est à revoir. L’Etat doit désormais ouvrir l’accès à la publicité sur laquelle la part belle revient aux organes gouvernementaux. Aux journalistes enfin de s’organiser et de prendre en charge leur secteur en réclamant des redevances à tous ces acteurs économiques qui utilisent leurs contenus sans rien débourser : Senelec, Sonatel, les entreprises du secteur numérique, les fabricants de téléviseurs, les vendeurs de papier, et tous ceux-là qui profitent de leur travail. décrété qu’il y a une crise dans la presse.