NETTALI.COM – Acheter ou ne pas acheter un nouvel avion, c’est le sujet qui a occupé le débat une semaine durant ! La commande a déjà eu lieu et des versements effectués. Il ne reste pratiquement plus grand-chose à payer sur le montant global de 57 milliards et demi qu’a coûté l’avion, si l’on en croit aux chiffres annoncés par le ministre des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo, ce vendredi 29 mai à l’Assemblée nationale.

Les avis sont en effet partagés sur l’opportunité d’acquérir un nouvel avion ou pas. Mais ce qui semble le plus poser problème, c’est plutôt la manière et la justification de l’acquisition de cet avion. En somme des interrogations à tous les niveaux. Dans cette affaire d’achat d’avion, il était plutôt question, d’expliquer et sans équivoque aucun et d’ailleurs bien avant la commande, le bien-fondé et la justification de l’acquisition. L’avion actuel, était-il sujet à des pannes fréquentes au point de devoir y renoncer ? Coûte-t-il si cher au contribuable en termes de maintenance et consommation, au point de nécessiter l’achat d’un nouvel avion ? Le président aurait-il pu acquérir un autre avion de moindre standing qui aurait fait l’affaire et épargner les maigres deniers de ce pays si endetté au point de demander l’annulation de sa dette, y compris ceux des autres pays africains ? Autant de questions évidentes auxquelles les Sénégalais sont en droit d’attendre des réponses ?

Et même si Abdoulaye Daouda Diallo a pu finalement donner ses chiffres, les quotidiens du week-end étaient visiblement dans l'ironie en écrivant : "Abdoulaye Daouda Diallo lève le secret défense", "vend la mèche", etc. Mais est-ce pour autant que le chiffre annoncé de 57 447 235 356 F CFA doive être forcément considéré comme le bon ? Une affaire manifestement mal menée qui laisse planer un vrai doute. La conséquence est que la polémique s'est poursuivie notamment ce week-end du 29-30 mai sur les plateaux-télé notamment à Ndoumbélane de la sen TV et "Jakarloo" de la TFM.

Dans cette affaire toujours pas claire, des sources ont même fait valoir que la décision d’acheter l’avion était prise dans un contexte de pré-campagne, c’est à dire juste avant 2019 et que la crainte d’être attaqué sur son acquisition, planait.

S’il n’ y avait pas ce couac du point de vue de la communication, on n’en serait peut-être pas là. «Après deux décennies d’opérations, l’A-319 est devenu vétuste, nécessitant de fréquentes et onéreuses visites techniques, et par conséquent, de longues périodes d’immobilisation et des dépenses de location d’aéronefs pour assurer les missions présidentielles.». Dès lors, affirme le gouvernement, «il est apparu judicieux de mettre en vente l’ancien aéronef et d’acquérir un appareil neuf, plus économe en carburant et plus performant par son rayon d’action. Ce qui réduit considérablement les charges de maintenance et d’exploitation ainsi les dépenses liées aux escales techniques», avait souligné le communiqué gouvernemental.

Les sites d’infos ont été les premiers à se jeter sur l’info avant que mardi 25 mai, jour de retour de long week-end, les quotidiens ne prennent le relai en rivalisant de chiffres et d’interrogations. Un prix de l’avion qui oscille entre 59 et 60 milliards est annoncé dans la majorité des quotidiens de ce jour-là, là où certains se sont posés des questions sur l’omerta relatif au prix ; un journal s’est même risqué à user du jargon aéronautique pour écrire : «Macky vole à 100 milliards pied». Voulait-il estimer le coût à plus de 60 milliards, comme l’ a fait la plupart des journaux ?

La notion de « secret défense » voilà ce qui a jeté le feu au poudre et poussé Abdoulaye Daouda Diallo à tenter de sauver les meubles. Sauf que lorsque subsiste un doute sur une première information émanant d’une source officielle en plus, tout ce qui suit devient suspect, même si une nouvelle info venant d’une autre source officielle, vient contredire la 1ère en paraissant vraisemblable, parce que le prix serait moins élevé et proche en plus de celui des journaux. Ce qui ne s’apparente qu’à du rétropédalage. Au-delà se pose même la question du choix du porte-parole en la personne d’Oumar Guèye, politicien pur jus, présent au gouvernement grâce à la baraka d’Idrissa Seck et maintenu dans l’attelage puisqu’il n’ avait pas voulu suivre son patron qui se retirait de la coalition avec Macky Sall.  Une sortie catastrophique mais pas surprenante pour un ministre qui n’a ni l’épaisseur et encore moins l’envergure pour ce rôle. La posture d’Oumar Guèye en tant que porte-parole engage sans doute aucun, le gouvernement et laisse penser à une volonté de cacher quelque chose ; ou alors qu’elle relève juste de son  incompétence puisqu’il avait pris la décision de ne pas répondre à cette question à laquelle, elle aurait dû penser. Des carences notoires en communication sont à chaque fois notées avec la gouvernance Sall, c’est sûr. Il reste dès lors évident que des doutes même sur le prix fourni par le ministre des finances, vont subsister car aucune volonté de transparence n’est notée dans cette affaire.

Ancien président du groupe parlementaire de la majorité, Moustapha Diakhaté nous a fait savoir à Jakarloo ce vendredi 28 mai que « le budget de la défense qu'il soit discuté en plénière ou pas, ne peut être classé « secret défense. », ajoutant que « c'est un document que l'on remet à tous les députés. Le budget du ministère de la défense n'a pas de débat pour la bonne et simple raison que tous les députés sont prêts à accompagner l'armée dans ses missions. Donc il n' y a pas de secret, tout député peut savoir le contenu du budget. Ce budget n'est rien d'autre que tout ce que l'armée prévoit en terme de salaire et ou d'acquisition dans l'année budgétaire ».

A la même émission, le député Seydou Diouf, président de la commission des lois, a expliqué que la commande pour l’acquisition pour le nouvel avion présidentiel a été faite en 2019. Comme l’Assemblée nationale avait déjà voté une rubrique «achat d’aéronefs» pour le compte de l’armée, les premiers versements ont été tirés de ces affectations.  Celui-ci ajoutera que dans les budgets de 2020 et 2021, il a bien été mis une rubrique «achat et équipement d’aéronef». Elle concerne selon lui, l’acquisition du nouvel avion. Une manière pour de confirmer les propos du ministre des Finances, Abdoulaye Daouda Diallo.

Sauf que la notion d’ « achats d’aéronefs » mentionné dans le budget et en plus d’être celui du ministère des Forces armées, laisse plutôt penser à l’achat d’avions militaires que d’un avion de commandement, même si ce dernier est conduit par des pilotes militaires. Et si l’on prend en plus en compte la logique de soutien à l’armée et d’une certaine courtoisie qui empêche que les éléments du budget du ministère des forces armées ne sont pas étalés sur la place publique, il n y a guère à reprocher quoi ce soit aux députés. Comment pouvaient-ils savoir que l’avion de commandement en ferait partie ?  Dire aussi qu’ils pouvaient évoquer le sujet dans les médias, paraît être un faux argument. C’est leur faire fausse querelle que d’incriminer les parlementaires de l’opposition sur leurs « carences politiques » comme a voulu du reste le faire Gabrielle kane, cette jeune femme présente à l’émission « Jakarloo » que l’on présente comme « Communicante-féministe ». On aurait d’ailleurs aimé bien savoir ce que cela veut dire. Elle est certainement communicante, mais avouons que pour une discussion qui visait l’éclairage des télespectateurs sur un sujet relatif à leurs deniers, elle était plutôt acerbe et agressive dans ses propos. Défendre ses opinions nécessite un peu plus de calme, de sérénité et de maîtrise du sujet en question. Et là où elle se trompe, c’est que la responsabilité d’exercer le contrôle sur l’exécutif, n’incombe pas qu’aux députés de l’opposition, elle incombe également à ceux de la majorité.  Bouba Ndour le lui a d’ailleurs fait remarquer.

Sont généralement considérés comme relevant du « secret défense », les informations ayant trait à la défense nationale, aux renseignements, modes opératoires, objets, documents, données informatiques ou fichiers intéressant la Défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de protection destinées à restreindre leur diffusion. Sont également considérés comme «secret défense» les renseignements, procédés, objets, documents, données informatiques de fichiers dont la divulgation est de nature à nuire à la Défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret de la Défense nationale.
Le prix d’achat d’avion présidentiel ne peut donc en aucun cas, relever du «secret défense», même si cet aéronef de commandement est géré par l’armée.

L’avis de techniciens sur la question

Thierno Alassane Sall de la « République des valeurs » a réagi tout de go pour dire que  «l’achat d’un avion n’est ni nécessaire, ni prioritaire»,  «Macky Sall n’aurait pas pu choisir pire moment pour, encore, décevoir les Sénégalais. Le pays est gangrené par la violence ; la jeunesse est désemparée ; les litiges fonciers se multiplient, la dette publique flambe ; l’insécurité et le vol de bétail sont insupportables dans certaines zones du pays», a poursuivi l’ancien ministre de l’Energie, selon qui, «l’argument de la vétusté est fallacieux». Avant de pester : «C’est encore une dépense de prestige engagée sans transparence, sur le dos du peuple sénégalais. Tout cela est profondément indécent.»

Mais au-delà de cette notion de « secret défense » qui est rejeté en bloc, que pensent les spécialistes de l’acquisition de cet aéronef ?

Le journal d’investigation «EnQuête», dans un article intitulé «Tout sur le nouvel avion de commandement »,  a donné la parole à un ancien pilote, ancien contrôleur de circulation aérienne, Moctar Ndiaye. Ce dernier a estimé qu’il est erroné de tout mettre sur le compte de la politique. «La question est essentiellement technique. Il faut savoir qu’un avion a un cycle de vie étroitement contrôlé par le Bureau Veritas qui peut ordonner son arrêt de vol. Ce n’est pas comme un camion qu’on trimbale chez le mécano du coin, quand on veut. Si le “Pointe Sarène” était inapte de vol, il serait immédiatement immobilisé», a déclaré le pilote à la retraite. Avant de préciser : «Parler de 20 ans pour justifier l’abandon de la Pointe Sarène, c’est trop léger.» «Actuellement, il y a des DC 3 Dacota, des C47 et autres avions qui ont fait la deuxième guerre mondiale et qui sont toujours utilisées. J’ai volé dessus, de 1979 à 1983. C’est une question de maintenance et l’état de la cellule (carrosserie en auto). Sur un avion, chaque pièce a une durée de vie et doit être remplacée, même si elle est en bon état.» Sur le cas de la Pointe de Sarène, il se veut par contre prudent : «Je ne connais pas le dossier technique de cet avion, mais des aéronefs de même type et de même âge ou plus, sont dans les cieux du monde.» Avant de s’interroger : «La pointe de Sarène fait-elle exception ?».

L’expert aéronautique Al Hassane Hanne, interrogé par le même journal, semble abonder dans le mêmes sens : «L’aptitude opérationnelle d’un aéronef se définit à partir de l’état de sa cellule (charpente-revêtement) entretenue et suivie de façon horaire ou calendaire suivant le type d’exploitation. Dans ce cas d’espèce, il s’agit d’un suivi calendaire, vu la faible fréquence et l’irrégularité de l’utilisation. 20 ans, c’est l’âge optimal d’un module A 319 utilisé d’abord par le commandement français avant de passer sous tutelle présidentielle sénégalaise

Et le spécialiste, d’ajouter comme pour mettre du bémol dans l’argumentaire de ceux qui ne voient pas d’inconvénients à l’achat de cet aéronef : «A défaut d’avoir subi des incidents majeurs (crashs, collisions, sorties fréquentes de pistes, graves anomalies en inspections NDI, contrôles non destructifs…), une telle cellule devrait être encore utilisable, si les cycles de maintenances préventives sont respectés. Dans le cas d’espèce, rien à dire, car il s’agit d’un avion présidentiel

Hanne s’est toutefois empressé d’argumenter : «il faudrait un rapport d’expertise attestant de la vétusté de l’A319 présidentiel, pour trancher.» Le spécialiste de faire des recommandations : «Ma propre conviction est que le Sénégal doit désormais rompre avec la tradition. L’Etat doit acquérir un module de type Jet pour les déplacements fréquents de l’autorité, et rentabiliser ce nouvel appareil, en l’affectant à la compagnie nationale et en lui réservant des missions spécifiques génératrices de revenus pour permettre un meilleur suivi et surtout adapter la vie de la cellule à la fréquence d’utilisation.» Le Sénégal, souligne-t-il, n’a pas les moyens financiers pour l’entretien de tels appareils. «Il faut adopter le style marocain ou d’autres grands pays d’aviation où les gros modules présidentiels font partie de la flotte nationale et bénéficient d’un traitement spécial. Nous ne pouvons pas continuer à entretenir de façon sédentaire, un avion non productif. Cela doit être révolu», conclut celui-ci.

L’équation de l’image et des symboles !

Présent à l’émission « Jakarloo » sur la TFM, Cheikh Yérim Seck, visiblement dans ses délires, a tenté d’expliquer qu’il « est contre le misérabilisme » et « croit plus aux symboles ». Il s’est lancé dans des explications à savoir que l'avion n'appartient pas à Macky Sall et que le Niger est le pays le plus pauvre au monde, mais dispose d’un avion présidentiel. Il a également essayer d’informer que certains voyages sont nécessaires et qu’il faille être présent au G8, que c’est important. Et tutti quanti. A vrai dire, il ne nous a rien dit que l’on ne sache pas, et certains points sont même discutables. Le Sénégal d’un point symbolique et diplomatique, doit pouvoir exister dans le concert des nations, c’est vrai, mais de là à le comparer aux Etats-Unis, en les prenant comme référence et en nous parlant d’attraction dont fait l’objet « Air Force One », l’argumentaire semble un peu exagéré.

Il est juste question d’être raisonnable et ne pas avoir plus de prétentions qu’il ne faudrait. Les Américains sont la première puissance du monde et cette démonstration de force procède de leur stratégie de domination du monde et de son incarnation. Ce n’est nullement un hasard si un film a été dédié à cet avion. Ce fait découle de la même logique qui est de vendre le rêve américain et qui passe par l’image, le cinéma, dans le seul but de créer une fascination pour l’Amérique et de foutre des complexes aux autres. Cheikh Yérim Seck sache doit savoir raison garder, car vouloir nous faire comprendre que c’est le ballet des avions qui permet de savoir les pays qui sont venus à des sommets importants, relève juste d’une vue de l’esprit. Là où le journaliste s’enfonce, c’est lorsqu’il tend à faire accréditer l’idée que « c’est la manière dont ils (ndlr- les bailleurs er pays qui aident) vont vous voir qu’ils vont vous accueillir et vous accorder des crédits.. ».

Ces états là et leurs chefs savent bien que le Sénégal fait partie des pays les moins nantis au monde. Vouloir donc faire croire que Macky Sall sera bien reçu parce qu’il possède un avion de standing élevé, ne va pas apporter grand-chose, surtout que les occidentaux savent bien que les chefs d’Etat africains vivent globalement au-dessus de leurs moyens. Que l’on ne s’y trompe point.  « On doit acheter de beaux avions. », a même dit celui qui s’offusquait en 2011  de l’achat d’un avion par Me Wade. « Les autorités doivent avoir le sens des priorités. Elles doivent ériger la question de la Senelec en priorité absolue. », avait dit le journaliste, invité de l’émission "Remue-ménage" de la Radio Futurs médias (Rfm) en compagnie de Samba Sy, philosophe et analyste politique. Il pensait même que l’acquisition d’un nouvel avion présidentiel par le président Wade, est tout simplement indécent, surtout qu’elle est faite juste « pour faire plaisir au prince ». Une réaction de l’époque largement reprise et partagée façon Var, à la suite de l’émission par les internautes.

Bouba Ndour, même s’il est en phase avec l’achat d’un avion qui doit toutefois être justifié, est d’un avis différent du journaliste : «  On est au Sénégal le train de vie doit baisser. Les moyens qu’on donne à nos ministres et DG dépassé nos possibilités. Il ne faut pas faire rêver. Vous ne pouvez pas être sénégalais et avoir le même avion que la France. Donner un V8 à nos ministres ce n’est pas la question, c’est la consommation qui est un problème. L'avion présidentiel que le Sénégal doit acheter , doit être en adéquation avec nos moyens. Le député par exemple doit se poser la question de savoir si la voiture qu’il conduit n’est pas supérieur à son statut. Les pays qui nous accueillent et à qui on va demander de l’aide, ; vont dire « regardez ces gens-là, ils n'ont rien et ils ont des avions plus luxueux que nous. »

Ainsi va la gouvernance Sall. Sa communication ne sera jamais efficace sans une volonté affichée de transparence sur certains dossiers, pour une information de surcroît due aux gouvernés. Dans la réalité, le gouvernement semble agir avec une logique selon laquelle, les médias évoqueront les sujets polémiques quelques temps avant que la bulle ne se dégonfle comme un ballon de baudruche. Il est vrai qu’au rythme où s’enchaînent les polémiques, difficile de se focaliser sur une affaire précise. Une nébuleuse en chasse forcément une autre, au moment où il est question de polémiques sur le découpage des territoires à l’approche des locales, alors que de sérieuses réserves sont relevées sur l’audit du fichier, etc. Et si le gouvernement testait la capacité d’indignation des Sénégalais ?