NETTALI.COM - Comment faut-il analyser les actes posés par le nouveau gouvernement après un mois d’exercice du pouvoir ? Sinon que ce dernier s’oriente vers la bonne direction, mais avec toutefois des actes sur lesquels, on peut se poser des questions.

D'aucuns prédisaient une dualité à venir entre Ousmane Sonko et Diomaye Faye. Mais à l’épreuve du pouvoir, ce qui se donne à voir, est une alchimie qui semble bien fonctionner entre les deux. Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye qui use de ses prérogatives constitutionnelles et assume sa fonction de représentation ; et le Premier ministre, Ousmane Sonko, chef du gouvernement qui met en musique les directives du président. Un chef de gouvernement en tout cas bien présent, qui assume son rôle, même si des observateurs de la scène politique estiment qu’il est en réalité le vrai président de la république. Toujours est-il que le couple fonctionne et a si souvent été vu, recevant le secteur privé et les représentants des syndicats représentatifs. Tout comme lors du séminaire gouvernemental, ils étaient comme deux chefs d’orchestre fonctionnant en parfaite symbiose.

De bonnes décisions à mettre à l’actif du couple, on peut en citer quelques-unes sans toutefois être exhaustif. Celle par exemple d’avoir réservé les premières visites officielles du président de la république, aux pays voisins que sont la Mauritanie, la Gambie et la Guinée Bissau. L’on peut aussi relever la subvention de 120 milliards dans le cadre de la campagne agricole 2024, avec la mise à contribution de l’armée dans une logique de transparence dans le futur acheminement des intrants vers les ayants droit. Rappelons au passage que 310 milliards avaient été injectés sur 4 ans dans l’agriculture par la gouvernance sortante sans que cela n’ait profité aux véritables bénéficiaires. Dans la même logique de régler les problèmes du secteur, le premier ministre a ordonné que l’Etat solde sa dette vis-à-vis des opérateurs pour les campagnes 2021, 2022 et 2023, au plus tard au cours de la semaine du 6 au 10 mai 2024, non sans demander de procéder à un audit de la dette au titre de la campagne agricole 2023-2024.

La décision d’assujettir les fonctionnaires à un système de pointage biométrique en vue de contrôler les présences pour une certaine catégorie d’agents de l’Etat, est aussi une mesure à saluer. Celle de se débarrasser du cumul des mandats également qui commence avec Ousmane Sonko pour l'exemple.

La liste des bonnes mesures n’est certes pas exhaustive, mais difficile de ne pas se poser de questions par rapport à certains actes posés par les nouveaux tenants du pouvoir.

L'appel à candidatures : reniement ou réalisme ?

Comme cette bonne vieille promesse d’appel à candidatures. A l’épreuve du pouvoir, alors que les nouvelles nominations sont vues par d’aucuns comme un reniement, il y a une certaine opinion au sein de Pastef qui plaide pour la récompense de ceux qui se sont battus pour la conquête du pouvoir, invoquant des prétextes bien fallacieux comme l’équation du contexte et des urgences pour justifier les changements à rapidement opérer à la tête des directions générales.

Certains membres de la majorité n’ont pas manqué d’inviter le régime à assumer ce qui pourrait être considéré comme un reniement. Parmi eux, Dame Mbodj : "Il faut gouverner avec tes compagnons de lutte, c’est ce qui existe partout, même aux États-Unis. Au nom de quoi on va organiser des concours et laisser en rade ceux qui ont toujours cru au Projet et qui ont lutté pour son triomphe ? Cela n’existe nulle part au monde. Il faut qu’on se dise la vérité. Il ne faut pas céder à cette pression”. De même que Mimi Touré. Elle ne cessera d'étonner son monde, celle-là !

Mais en tenant compte du fait que les Sénégalais qui constituent la très grande majorité de ceux-là qui ont voté pour la victoire de la "Coalition Diomaye 2024", ne sont pas membre de cette dite coalition, cet argument de récompense s'écroule très vite.

Au-delà se pose désormais la question du profil des hommes et des femmes nommés. Et l'on ne peut manquer de se demander si certaines entreprises très stratégiques pour le pays, n'auraient pas dû faire l’objet d’un traitement spécifique : Le Port, la Poste, l’AIBD, l’ARTP, la Société des Mines du Sénégal (Somisen), la Sar etc. Pour les Sénégalais avertis, la concurrence qui règne dans la sous-région - avec le fulgurant essor du Port en eaux profondes de Lomé, le Port d'Abidjan qui a initié des travaux d’extension, ainsi que celui de la Guinée,.. - impose que le Port de Dakar avec son congestionnement (qui contribue aux embouteillages de Dakar), puisse bénéficier d'un management plus avisé avec un profil plus aguerri, dans le but de le rendre plus compétitif. Il est après tout question de l'image du Sénégal qui est une porte d'entrée de l'Afrique.

Même cas de figure pour La Poste, cette société pillée et conduite à la faillite par les libéraux et qui a raté le virage de la modernité et du changement de cap. Il s'agit pourtant, soit de tenter de rattraper un retard quasi difficile, voire de réorienter le modèle vers un positionnement plus approprié, tout en apportant de l'innovation.

L'autre question est de savoir comment on a pu par exemple parachuter à la tête de la Société des Mines du Sénégal (Somisen), Ngagne Demba Touré, le jeune greffier de 32 ans qui venait d’être affecté, il y a à peine quelques mois à son premier poste de fonctionnaire à Matam ? Titulaire d'un Master II en Droit et Gouvernance des Energies et des Mines obtenu à l’Ism et sans expérience dans ce domaine, il aurait pu être nommé ailleurs.

Ousmane Sonko lui-même ne dissertait-il pas dans une vidéo sur la nécessité de nommer suite à des appel d’offres ? Sur les critères devant servir de base à la nomination de certains responsables, il s’était pourtant voulu très clair : « si on doit nommer un directeur général, expliquait-il à Karim Xrum Xax, on va demander à toutes les personnes intéressées de déposer leurs dossiers. On mettra une commission mixte spécialisée qui va examiner les dossiers sur la base de critères objectifs et clairs. Il s’agit de la compétence, de l’ancienneté, de l’intégrité... Sur la base de ces critères, on va choisir trois dossiers qu’on va soumettre au président de la République. Et c’est lui qui va choisir. »

La question que l’on peut se poser, une fois ce constat fait, c'est celle du rapport de ces personnes nommées à la politique ? De même que ce qu'il faut faire de cette phrase écrite noir sur blanc dans le programme présidentiel de Bassirou DiomayeFaye. « Nous renforcerons la neutralité de l’Administration publique en interdisant le militantisme politique aux directeurs de certains départements ministériels (par exemple les régies financières) et les sociétés d’État... », indique le Projet, alors qu’au même moment, il est demandé à ces personnes nommées de cotiser pour l’érection du siège du parti. Quel signal cherche-t-on à donner en procédant autrement ?

En fait de "Projet" d’ailleurs, soulignons qu'il naîtra au troisième trimestre 2024, si l'on en croit le Premier ministre  qui l’a révélé en conseil des ministres. Et il découle de la mission du FMI au Sénégal (du 25 avril et 5 mai 2024) les objectifs stratégiques du "Projet" s’alignent sur les piliers du Programme Sénégal Emergent (PSE). Ce qui donne l'impression, selon certains observateurs, qu'avec le fameux "Projet", c'est du vent qui a été vendu aux Sénégalais. L'on note aussi, dans le même temps, que c'est le programme de financement du Sénégal par le FMI qui va se  poursuivre jusqu’en 2026. L'institution financière a d’ailleurs salué au passage le travail du gouvernement sortant en 2023, relevant une résilience de l’économie sénégalaise malgré un contexte difficile (tensions politiques autour de la présidentielle, chocs extérieurs,…), une croissance ayant dépassé les attentes (4,6%) et une inflation qui a connu une baisse plus rapide.

Toujours est-il que sur les nominations, l’empreinte du Premier ministre est bien ressentie. Des ministères bien juteux comme cela se dit dans le jargon, sont confiés à ses proches. Par exemple, le ministère des infrastructures, des transports terrestres et aériens confié à El Malick Ndiaye. Un ministère si balèze qu'il n’est pas loin de faire penser à celui qu’occupait de Karim Wade, l'alors Ministre d'État, ministre de la Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures de 2009 à 2012, surnommé à juste raison à l’époque, « ministre du Ciel et de la Terre ». Mais, au-delà de la nomination, c’est l’équation de la place d’Air Sénégal dans le concert des compagnies aériennes sous régionales (avant même le stade régional) et l’image du Sénégal qui sont les enjeux, alors que les différentes managements de la compagnie depuis l’érection de celle-ci, ne cessent d'envoyer des signaux loin d’être rassurants (développement hasardeux, choix douteux, nombreux problèmes de retards, oublis de de bagages, mauvaises pratiques commerciales etc ).

Dans le transport terrestre également, l’enjeu qui se dessine, c’est l’organisation d’un secteur en quête de modernité face à des acteurs informels qui refusent de changer leurs vieilles mauvaises habitudes avec les conséquences que l’on connaît : l’insécurité routière (nombreux accidents mortels aux bilans très importants) dont les causes sont l’indiscipline des chauffeurs, le non-respect du code de la route, les contrôles techniques laxistes et à deux vitesses, un parc vétuste,... Un véritable désastre que ce secteur avec ses nombreux problèmes d’intrusion et d’organisation : taxis clandos, war gaïndé, les taxis jaunes noirs, les minibus, les tatas et les motos, un cocktail explosif où l’indiscipline, le défaut de papiers, de licence, qui sont les choses les mieux partagées. Il est aussi question de faire revivre les rails qui renaissent insuffisamment de leurs cendres, mais qui gagnerait à être généralisé sur les différents axes du pays dans une logique de maillage.

 Le Gouvernement doit davantage organiser sa communication

S’il y a en tout une chose dont le gouvernement doit se méfier, ce sont surtout les effets d’annonce et  leurs conséquences. Sur des mesures comme celle de stopper les travaux sur le littoral à moins de 100 mètres, elles sont à priori salutaires. Mais l’on n’attendait pas de l’architecte Pierre Goudiaby, qu’il soit celui qui nous annonçât cette mesure. L’architecte est connu pour s’être toujours intéressé à ces questions liées au domaine maritime, mais également pour avoir été conseiller des présidents Wade et Sall. Considéré comme un lobbyiste très près de ses intérêts, celui qui est décrit comme un proche d’Ousmane Sonko pour s’être impliqué dans les négociations Macky-Sonko, mais aussi pour avoir prêté au Pastef un immeuble sur la VDN, pour en faire un siège, il est vu par certains observateurs comme un instigateur dans cette affaire. Il est d'ailleurs cité par Madiambal Diagne oeuvrant également dans le domaine du foncier, d'être concerné par des dossiers tels que l’érection du Radisson et de l’hôtel Azalaï. Ce que l'architecte a toutefois contesté dans le cas du Radisson, ou plus exactement la vente du terrain du Radisson à 3 milliards.

Comment décrypter cette visite inopinée du président de la république à Mbour 4 et ces révélations sur les superficies importantes détenues par des hommes politiques et des privés ? Une sortie qui s’est faite à grand renfort médiatique. C'était aussi pour la consommation populaire. Mais plus on avance dans cette nébuleuse, plus on découvre avec stupeur des révélations dans les réseaux sociaux, selon lesquelles, les supposées surfaces octroyées à la mairie de Thiès, le seraient plutôt à des maires et des membres des conseils municipaux. Le président Diomaye Faye, rappelons-le, avait déclaré détenir dans son patrimoine 4,3 hectares à Sandiara.

Ouvrir autant de fronts, en plus de celui des rapports d’audit (pas achevés dans certains cas et causant par la même occasion du tort) qui ont provoqué des levées de boucliers, ne fait que compliquer la tâche du gouvernement, car le risque d’être submergé par les dossiers et les équations à résoudre, est réel ; les retours de flammes aussi, étant entendu que ceux qui sont mis en cause, sont tentés de se défendre. Et l’on peut, dans la foulée s’étonner que l'on veuille démarrer l’audit du foncier à partir de 2022. Chercherait-on à camoufler des choses ou à protéger des intérêts. Des questions que l’on peut légitimement se poser. Ne serait-il pas d'ailleurs plus logique de débuter par la gouvernance Wade, en 2000 ? Qu'on le dise ou pas, la responsabilité des Impôts et domaines qui est en charge des attributions foncières, est fortement engagée dans ces affaire.

Il y a d’autres sujets comme celui de la loi sur la protection des lanceurs d’alerte annoncée à grands  coups de communication avec la crainte de dérives qui ont pour nom dénonciations fantaisistes, cabales, diffamation et dénigrement et des craintes d'infraction par rapport à l'article 363 du code pénal qui interdit la divulgation du secret professionnel qui stipule que nul ne doit divulguer des informations dont il a connaissance dans le milieu professionnel, sauf en cas d’infraction (délit ou crime). Rappelons tout de même que Julian Assange, pourtant protégé par une loi similaire, est poursuivi depuis plus de dix ans par la justice américaine (pays démocratique par excellence) au point que le Premier ministre australien a désormais fait de sa libération une priorité.

Ce à quoi la gouvernance de Diomaye Faye doit surtout  faire attention, ce sont surtout les signaux qu’ils laissent entrevoir. Il s’agit pour les nouveaux tenants du pouvoir d’organiser et de tenter de maitriser la communication gouvernementale. Car ce qui doit ressembler  à une communication organisée, est en train de glisser vers une communication avec plusieurs acteurs. Comme ce besoin des deux ministres Cheikh Tidiane Dièye et Abdourakhmane Diouf de communiquer sur des audits à lancer ! Comment occulter cette sortie de route de Moustapha Sarré qui a tenté de menacer les députés de la majorité de Benno contre toute tentation d’user d’une motion de censure après la déclaration de politique générale du Premier ministre ? Il ne doit pas avoir bien compris ce qu’est la séparation des pouvoirs. Et Abdou Mbow le lui a rappelé.

Communiquer en tant qu’opposant est en réalité de très loin facile. Car il s'agit ni plus, ni moins que de s’inscrire dans une logique de déconstruction de  la gouvernance de Macky Sall, très facile à attaquer parce que gangrenée par le manque de transparence et l'impunité. Avec l'appui des réseaux sociaux, c'était une mission d'une extrême facilité.

Communiquer dans la posture d'un gouvernant est une autre mission. Une loin d'être aisée qui ne saurait se suffire des seuls supports des réseaux sociaux. Cette communication doit non seulement être organisée car l’initiative vient désormais du pouvoir qui doit à la fois émettre des messages et réagir à des interpellations, accusations, attaques et gérer des crises. Cela ne peut plus se suffire d'une communication improvisée et de dérision. Il y a beaucoup de choix à faire : choix des messages et de ceux qui doivent les porter suivant les circonstances, les domaines et les niveaux de communication ; choix des supports et des actions en tenant compte des contraintes et des bons moments (plannings).  Ce qui veut dire qu’il faille changer de paradigmes dans ce domaine, de postures, d’attitudes. L’on ne peut plus tout dire et dire les choses n’importe comment.

L’arrivée au pouvoir du couple Diomaye-Sonko s'est vite accélérée et il est compréhensible que la communication s'accélère pour accompagner le mouvement. D'où des couacs qui ne manqueront pas. De même exercer le pouvoir depuis seulement un mois, est sans doute un temps très court pour se faire une vraie religion sur la gouvernance actuelle. Les deux ont donc le droit à l’erreur du fait de leur inexpérience de la gestion du pouvoir. Une gestion du pouvoir qui ne sera certainement consolidée qu'au bout certainement de six mois d'exercice.