NETTALI.COM - Quel est cet animal de la famille des sauriens, à la langue protractile, qui lui permet d'attraper ses proies à distance ? Il a, figurez-vous en plus, les doigts groupés en deux blocs opposables lui assurant une bonne prise sur les branches, une grande capacité à changer de couleur et une queue qui lui sert à se stabiliser. Si l’on s’attarde sur ce reptile si particulier, ce n’est juste par amour pour ce lézard, mais plus pour mettre l’accent sur ses qualités principales que sont l’agilité, cette capacité à brouiller les pistes et à s’adapter à son environnement. 

Avec ce changement de régime, eh bien la RadiodiffusionTélévision Sénégalaise (RTS) nous a encore et encore montré sa vraie nature de caméléon en changeant encore une fois de peau ; pire qu’elle est une vraie girouette. Elle accompagne en effet sans scrupule aucun, l’installation progressive des nouveaux maîtres du pays. Non pas qu’elle n’ait pas le droit de traiter l'information relative aux activités du gouvernement, mais plus parce qu'elle le fait avec un zèle et dans une logique propagandiste comme toujours, à tel point qu’on a du mal à croire qu'on a affaire à la même Rts.

Exit donc Macky Sall et son gouvernement, depuis qu’il était monté à bord de cet avion de commandement direction la Mecque, puis le Maroc. Autre époque, autres comportements, la Rts n’a désormais d’yeux que pour le président Bassirou Diomaye Faye, le Premier ministre Ousmane Sonko, leur entourage et tout ce qui tourne autour. Plus d'opposants à l'écran et encore moins de voix discordantes.

A voir ce reportage sur la terre natale du nouveau président, cette contrée anonyme qu’est Ndiaganiao ou ces portraits ô combien dithyrambiques d’Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye,  ou encore cette interview de Birame Soulèye Diop face au journaliste Oumar Gning. Avec ce côté impulsif qu’on lui connaît, à la limite de l'arrogance, le nouveau ministre de l’Energie, du pétrole et des Mines, bien lancé dans une émission qui ressemblait fort à un monologue, s’est littéralement posé en donneur de leçons, face au journaliste qui semblait bien désarmé. Il est certes poli et calme ce cher Oumar Gning, mais de là à avoir une attitude aussi docile et passive, il y a une posture qu’un journaliste ne devrait point avoir quelle que soit par ailleurs la personne en face.

Difficile en effet de ne pas constater en effet que la page libérale est tournée et qu'une nouvelle époque est en train de s’ouvrir à la Rts. C'est à une RTS bien différente de celle d’il y’a quelques temps. Ou plux exactement celle d'avant la campagne et durant la campagne au cours de laquelle, le directeur de campagne du candidat de la « Coalition Diomaye président » (encore en prison à l’époque), Moustapha Guirassy, ministre de l’éducation nationale, avait été éconduit et son enregistrement zappé.

Ainsi fonctionne la chaîne publique dénommée de manière caricaturale « Rien tous les soirs », suivant son sigle avec ses contenus new look qui tombent comme un cheveu sur la soupe, dans son programme resté hermétique, 12 ans durant, à l’opposition. C’est comme si elle se livrait tout d’un coup à un rattrapage face au black-out subi par Ousmane Sonko, Diomaye Faye et Cie, si souvent au cœur de l’actualité de 2021 à 2024, mais toujours zappés. Ce sont en effet 12 années de gouvernance Macky Sall pendant lesquelles les Sénégalais n’auront eu d’autre choix que d’admirer les réalisations du chef de l’Etat Macky Sall, de se farcir les communiqués du conseil des ministres et d’écouter la lecture de ses fiches d’audience. Il en a été ainsi sous Me Abdoulaye Wade et Abdou Diouf. Donc rien de bien nouveau sous le soleil. Elle est constante dans sa nature de caméléon, cette Rts.

Il y a finalement vraiment de quoi se poser des questions sur sa vocation réelle et celle qu’elle se donne. En effet, à une époque où le nouveau régime qui, pour arriver au pouvoir, a usé des médias privés, d’internet et des réseaux sociaux, pour mener une communication aussi efficace et entendue par les Sénégalais, la Rts peut-elle encore lui être utile puisqu’il l'a toujours contournée ?  Nous osons juste espérer que cette nouvelle gouvernance qui a su appeler de ses vœux la rupture tant annoncée, n’a juste pas pris goût à cette médiatisation quasi complaisante de la Rts qui, à force de tresser des lauriers au pouvoir, risque purement et simplement de desservir son action, de créer un effet de saturation et de la rendre moins attractive au fil du temps.

Elle gagnerait elle-même à sortir de ce jeu malsain fait de zèle mal placé et ouvrir ses écrans à des débats pluriels et à l’opposition, si elle veut gagner en audience, en capital sympathie et continuer à exister. Elle est en plus financée grâce aux deniers du contribuable. A ce titre, son rôle est d’aider à l’approfondissement de la démocratie et non de servir les intérêts des pouvoirs qui se succèdent.

Difficile aussi de savoir l’intérêt de la Rts à avoir le monopole sur un signal lors des évènements officiels, qu'elle se propose par la suite de partager, avec les médias privés ? N’est-ce pas une manière de contrôler l’information ? Les nouvelles autorités du pays ne doivent nullement rentrer dans ce jeu trouble. Un contrôle du signal qui n’empêche pas d’ailleurs, une fois les cérémonies officielles terminées, les médias privés d’organiser des plateaux spéciaux, d'inviter des analystes pour commenter librement l’info. C’est la Rts qui sort d’ailleurs perdante de ce jeu pervers où les audiences sont finalement pour les chaînes privées, au moment où elle est littéralement désertée. Qui ne fait pas de service public aujourd’hui ? Tous les médias dignes de ce nom. Pas que la Rts. Ce qui interpelle sur le bien fondé d’ailleurs du traitement de faveur dont elle jouit à travers la publicité et les subventions que ne peuvent avoir les médias privés qui reçoivent juste des miettes liées grâce à l'aide à la presse.

Une propagande des chaînes publiques qui n’a plus finalement droit de cité que dans les pays africains et les régimes totalitaires.

Elle est en tout cas bien révolue cette époque des médias de propagande dans les démocraties. En occident par exemple, les états ne managent plus que des chaînes internationales pour communiquer sur l’international (France 24, TV5, I 24, Al Jazeera, BBC, RFI, etc). Mais rarement l’on verra, comme cela se fait sous nos cieux, afficher un Emmanuel Macron sur les chaînes publiques françaises. Les émissions d'investigations les plus courues en France, ne sont-elles pas diffusées sur France 2 qui appartient à France Télévision ? Chaîne publique par excellence, elle met en scène ces émissions qui ne font pas forcément les affaires des pouvoirs en place et traitent de tous sujets sujets à caractère politique, économique, culturel, social, etc : "Cash investigation", "Envoyé spécial" et "Compléments d'enquête". C'est vers cela qu'on devrait aller puisque la Rts regorge de ressources compétentes qui peuvent être professionnelles si d'aventure la direction venait à avoir une nouvelle orientation éditoriale en laissant aux journalistes, la liberté d'exercer librement leur métier. Une situation à laquelle, on ne parviendra pas tant que le régime en place ne posera pas d'actes dans ce sens. Comme par exemple, dans le cadre d'un appel à candidatures, nommer un dirigeant et un rédacteur en chef indépendants de toute officine politique.

La Rts ne peut pas continuellement afficher ces visages que l'on voit tous les jours sur ses écrans, alors que d'autres journalistes qui ont du talent et du métier sont cachés dans quelques placards. L’inféodation de la RTS aux pouvoirs en place dans le temps est telle que certains visages de la RTS sont assimilés au palais. Avec la gouvernance passée, la fin d’année portait l’empreinte d’Arame Ndao, qui, telle une MC, animait les interviews d’après discours de fin d’année du président de la république. Elle introduisait ce moment solennel et distribuait la parole. Tout comme Ibrahima Diédhiou qui poursuit sous le même registre et qui est finalement plus dans un rôle de communicant pour le palais que de journaliste, en ne couvrant plus que les cérémonies officielles locales comme internationales. Il prête même désormais sa voix pour de la pub ! Récemment, Mariama Dramé a rejoint la cohorte. L’on peut aussi relever cette équipe dédiée au palais : Oumar Gning, Ibrahima Kane et Birame Bigué Ndiaye et le caméraman Billy Sy affectés au palais. Sous Wade, on avait eu droit à une autre équipe, celle de Samba Mangane, Mouhamed Gassama et Khaly Seck.

A l’heure de l’alternance, époque de lanceurs d’alerte, c’est la dénonciation qui se met en branle au triangle sud. Des langues commencent à se délier. Comme cette info qui a circulé sur la toile et qui relaie le déballage d’une journaliste Rouguiatou Ba, mise au frigo selon elle, depuis belle lurette et reprise par beaucoup de sites d’infos en ligne.

"Le 28 juillet 2023, vers 17h30, alors que je préparais le JT de 20h, une des rédactrices en chef avec qui j’étais dans la salle de rédaction m’a demandé de présenter un breaking news pour annoncer l’arrestation du président du PASTEF, Ousmane Sonko. C’est au service maquillage qu’elle m’a retrouvée pour me remettre la dépêche. Après avoir parcouru la brève, j’ai constaté qu’il n’y avait aucune source. J’ai alors pris sur moi la responsabilité de ne pas diffuser une dépêche sans source. Un autre journaliste, Mama Moussa Niang, est allé à l’antenne pour donner l’information suivante : « Nous venons d’apprendre l’arrestation de monsieur Ousmane Sonkocet après-midi par la gendarmerie nationale » (Voir Vidéo). C’est ainsi que le chef du département, Ousmane Ngary Faye, qui était absent, m’a retirée de la présentation du JT et a directement demandé au DG que je sois démise de mes fonctions de rédactrice en chef et affectée à la radio sans m’avoir au préalable donné de demande d’explication. J’ai ainsi adressé deux correspondances au DG pour relever le caractère illégal et arbitraire de ces sanctions.Racine Talla a catégoriquement refusé de répondre. Pour être rétablie dans mes droits, j’ai saisi le tribunal du travail. En représailles, Racine Talla a suspendu mon salaire depuis octobre 2023 sans préavis ni notification. Depuis lors, la RTS fait du dilatoire."

Que les faits se soient déroulés comme tels ou pas, rien ne doit plus étonner dans la gestion de l’information et des ressources humaines à la Rts. Elle gagnerait bien à changer de pratiques et à jouer la carte de la pluralité.

Les nouveaux maîtres du pays ont cette responsabilité, celle de ne pas laisser prospérer ces pratiques d’une autre époque, au risque de subir les retours de flamme. Heureusement qu'un membre de Pastef bien lucide, Lansana Gagna Sakho, cité par un quotidien de la place, ce lundi 15 avril recommande de ne pas réveiller "les mêmes pratiques d'une Rts honteuse" et d'éviter "le paradoxe du pouvoir", estimant qu'ils sont "les seuls à passer en boucle sur toutes les émissions de la Rts". Celui-ci, de conclure en ces termes : " nous nous sommes inscrits dans une logique de rupture, nous devons continuer à nous battre jusqu'à la dernière énergie contre ces pratiques et pas les encourager". Il y a au moins quelqu'un pour constater cette dérive et rappeler cette promesse de rupture. Moustapha Diop, le directeur de Walf TV/FM rappelait d'ailleurs récemment dans une de ses tribunes, qu'"on risque d'avoir une radiotélévision Sonko" Une affaire donc à suivre.