NETTALI.COM - En fonction de la position ou du camp dans lequel, ils se trouvent, les convictions des politiciens peuvent fluctuer. Une versatilité qui semble inhérente à la pratique de la politique. Pour ne pas dire politique politicienne.  

Ce qui s’est passé ces derniers jours avec la vérification des parrainages, prouve encore une fois, si besoin en était, qu’en politique, les convictions changent au gré des situations et circonstances.

Le parrainage, hier système efficace et transparent de vérification, est devenu aujourd’hui pour certains, un instrument d’élimination de candidats. En effet, les mêmes personnes qui magnifiaient hier le parrainage, le vouent aujourd’hui aux gémonies. Laudateurs hier, détracteurs aujourd’hui, des candidats à la candidature pour la présidentielle du 25 février prochain, parmi lesquels des transfuges du parti au pouvoir, se sont érigés contre le système de parrainage, allant même jusqu’à déposer un recours auprès du Conseil constitutionnel pour dénoncer la fiabilité du contrôle des parrainages et exiger des mesures rectificatives. Et pourtant, ces mêmes acteurs sont ceux qui, il n’y a pas si longtemps, applaudissaient et se félicitaient du système.

L’exemple d’Aminata Touré est le plus curieux. Tête de liste nationale de la coalition Benno Bokk Yaakar (Bby) lors des élections législatives de juin 2022, l’ancienne Pm raillait ses adversaires de l’opposition en ces termes : «On leur demande de collecter au maximum 55.000 parrains, pour un parti ou un candidat sérieux, ce n’est quand même pas la mer à boire, franchement. Le parrainage n’est pas un système d’élimination, mais évidemment tout le monde ne peut pas être candidat, c’est une sélection à minima pour pouvoir organiser les élections dans des conditions acceptables. Tous les acteurs qui s’érigent contre le parrainage et appellent à sa suppression sont quand même aller collecter des parrains pour la présidentielle de 2019, ce qui veut dire qu’ils reconnaissent et acceptent la loi.»

C’est également Mimi Touré qui déclarait ceci : «Dans notre système électoral actuel, je ne vois pas comment on pourrait tricher ou truquer des élections. Le fichier électoral a été déclaré fiable à 98% par l'UE qui avait commis des experts indépendants. (…) Ces allégations de l’opposition n’existent pas, la vérité c’est que l’opposition a confondu les médias et le terrain, et ils iront vers de grandes déceptions.» Mais ça, c’est lorsqu’elle était du côté du pouvoir.

Aujourd’hui, le discours est tout autre. Aujourd’hui, Mimi Touré estime que le pouvoir a utilisé le parrainage pour l’éliminer en trichant.

L’ancien Pm Mahammad Boun Abdallah Dionne a aussi constaté pour s’en désoler, que les pratiques actuelles du système de parrainage balafrent hideusement notre démocratie, d’où «l’exigence d’un nouvel examen du système de parrainages par le Conseil Constitutionnel pour renforcer l’intégrité et la sincérité de l’élection présidentielle à venir». A

ly Ngouille Ndiaye, qui, en tant que ministre de l’Intérieur, a pourtant été aux manettes des dernières élections (présidentielle, locales et législatives), avec ce même système de parrainage, est également aujourd’hui dans le même ordre d’idées que les précités. Une preuve parmi d’autres de la versatilité des hommes politiques sénégalais.

«Nos acteurs politiques ne défendent pas des positions de principe »

Pour le journaliste et analyste politique Momar Diongue, cela est intimement lié à la démarche de la classe politique sénégalaise de manière générale. «On peut même dire que c’est le pêché mignon de la classe politique. Si on remonte un peu l’histoire, on peut se souvenir du cas d’Abdoulaye Wade qui a toujours reproché à Abdou Diouf d’être en même temps chef de l’Etat et chef de parti. Mais, quand il est arrivé au pouvoir et qu’on lui a rappelé ses propos, il a dit qu’il ne sciera pas la branche sur laquelle il était assis, donc qu’il n’allait pas se défaire de la présidence du Pds parce qu’il est tenu par son parti. Il y a aussi le cas du Président Macky Sall qui a toujours revendiqué le fait que le ministre de l’Intérieur ne soit pas un acteur politique, il était de ceux qui étaient à l’avant-garde de ce combat contre Abdoulaye Wade, jusqu’à le contraindre à nommer Cheikh Guèye Directeur des élections. Mais quand le même Macky Sall est arrivé au pouvoir et qu’on lui a rappelé ce principe qu’il défendait quand il était dans l’opposition, d’abord il a nié l’avoir dit, ensuite a déclaré qu’il ne le ferait jamais. On retient également que tous les acteurs politiques sans distinction, du temps où ils ont été dans l’opposition, ont remis en cause le mode d’élection des députés, en dénonçant le scrutin majoritaire qui favorise tout parti au pouvoir. Mais une fois au pouvoir, personne n’a respecté cela. Et dans le cas d’espèce, avec Mimi Touré, Aly Ngouille Ndiaye, Mahammad Boun Dionne…, c’est exactement la même chose.»

Et selon Momar Diongue, tout cela montre simplement que nos acteurs politiques ne défendent pas des positions de principe. «Parce que quand on défend une position de principe, on n’y déroge pas quelque soit la position où on se trouve. En réalité, ils promeuvent tous le changement quand ils sont dans l’opposition, mais une fois au pouvoir, ce sont eux-mêmes qui changent.»

«C’est le paradigme machiavélique qui caractérise nos systèmes politiques »

Pour Dr en Sciences politiques, Alassane Ndao, c’est là le paradigme machiavélique dans toute sa splendeur qui caractérise nos systèmes politiques. «Il y a une approche sociale qui identifie la politique à un champ arrimé à des logiques et valeurs sociales, ce qui fait qu’on s’attend à ce que les hommes politiques puissent avoir des positions de principe basées sur des valeurs qui permettent d’avoir une certaine stabilité dans les prises de position. Mais il y a une autre version de la politique, qui est la version machiavélique, qui met davantage l’accent sur le côté cynique et égoïste de la politique et sur le pragmatisme politique. Ici ce qui est recherché c’est l’efficacité à court terme dans l’action politique. Et la conséquence en est le côté versatile des hommes politiques qui fait qu’en fonction du contexte et des contingences du moment, on peut avoir des positions très variables ou même contradictoires.»

Enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Dr Ndao indique qu’il suffit de retracer la trajectoire de nos hommes politiques pour se rendre compte que les positions évoluent au gré des statures, des positions politiques ou des alliances du moment. «Il n’y a pas que le parrainage, on voit souvent des adversaires féroces d’aujourd’hui devenir des alliés demain au gré des circonstances. C’est le paradigme machiavélique qui caractérise nos systèmes politiques. C’est parce qu’ils ont changé de position et de camp que leur discours a changé, ils tiennent un discours d’opposition de circonstance, et tout cela entre dans le cadre du pragmatisme et de l’égoïsme politique, les calculs d’intérêt.»

«Ils renvoient une piètre image auprès de la population »

Cette versatilité et l'inconstance dans les positions des hommes politiques, n’est pas sans conséquences, leur image en est bafouée et leur crédibilité atteinte. «Les positions de nos acteurs politiques sont fluctuantes en fonction de la position où ils se trouvent, déplore Momar Diongue, et de ce fait, ils renvoient une piètre image auprès de la population. Et c’est ça le problème au Sénégal. Abdoulaye Wade disait bien que les promesses politiques n’engagent que ceux qui y croient, et nos acteurs politiques le prouvent malheureusement. Ils donnent l’image de personnes dont la parole ne vaut pas un clou.»

Mais à en croire le Dr Alassane Ndao, la population sénégalaise s’est fait depuis longtemps une idée de la chose politique. «Les gens ne sont pas aussi naïfs qu’on le pense, et ils savent que le champ politique est autonome du champ social, et obéit à ses propres règles en termes d’attitudes, de logique et de comportement, et que fatalement, la politique ne peut fonctionner que de cette façon. Et le comportement de ces hommes politiques ne fait que consolider les perceptions sociales que la population a de la politique. Aujourd’hui, la population sénégalaise a une certaine culture politique et comprend que notre système politique fonctionne ainsi, donc ces agissements ne vont pas les surprendre outre mesure. Ces changements de position ne vont qu’ancrer les perceptions déjà acquises.»