NETTALI.COM - Emmanuel Macron a de quoi s’inquiéter, c’est sûr. Sa victoire est en effet loin d’être acquise, malgré son avance au 1er tour sur Marine Le Pen. Et malgré les nombreux appels à voter pour lui, comme celui de Melenchon à «ne donner aucune voix à Marine Le Pen », le président sortant va devoir batailler ferme s’il ne veut pas se faire déloger de la présidence de la république par la candidate du Rassemblement national.

L’affaire est tellement sérieuse et l’issue tout aussi incertaine que le président sortant ne peut se permettre de compter sur une stratégie de la diabolisation de Marine Le Pen, dans un contexte d’essoufflement du front républicain pour faire barrage à l’extrême droite. Bien au contraire, il s’agit aujourd'hui pour lui de démolir le projet de Marine Le Pen « point par point ». «Un des enjeux de ce second tour est de mettre en lumière la vérité du projet de la candidate d’extrême droite. Projet de soumission à l’étranger, projet de sortie de l’Europe, projet de division des Français, projet de régression climatique, projet qui menacerait nos retraites, notre épargne, nos emplois. J’y mettrai toute mon énergie », a déclaré Emmanuel Macron, dans un entretien avec le « Point », mardi 12 avril.

A un peu plus d’une semaine du second tour, l’heure est désormais à la pêche aux voix des abstentionnistes et celles d’une bonne partie des 21,95 % des électeurs ayant voté en faveur de Jean Luc Melenchon. Aussi, dans une logique de ne pas s’aliéner son électorat, tout en puisant dans les voix de l’extrême gauche, Emmanuel Macron joue le grand écart, mais avec le risque de perdre en route, une partie de son électorat s’il réaménage trop son programme. Ce qui pourrait d’ailleurs aux yeux de certains, apparaître comme un manque de crédibilité de son projet initial ainsi qu'une émission de signaux de reniement de son projet pour le futur quinquennat.

D’ailleurs, en fait de soutien des insoumis, François Hollande a son idée là-dessus, en tout cas sur la forme. Présent au 20 H de TF1, jeudi 14 avril, il a, pour sa part, indiqué à l’endroit de Jean Luc Melenchon que « dire simplement "pas une seule voix à Marine" , est insuffisant » Ajoutant que « quelles que soient les colères et les réserves que beaucoup peuvent avoir, c’est le vote Macron qui permet que Marine Le Pen ne gagne pas ». Mais l’ancien président a toutefois estimé qu’à destination de l’électorat de gauche, des gestes (ndlr- de la part du président sortant) sont attendus : « Le premier, c’est une attitude, un comportement, le sens du dialogue, de l’apaisement, de la considération », a réclamé Hollande.

« Et sur la question de la retraite, comme pour mettre de l’eau dans le moulin de M. Macron, de savoir qu’il n y a pas de projet qui est ficelé d’avance, qu’il y aura la rencontre avec les partenaires sociaux, une consultation des forces vives, des citoyens s’il le faut », a conseillé François Hollande.

Pour Emmanuel Macron, il s’agit aussi de rattraper une campagne entamée bien après ses adversaires du fait de la guerre en Ukraine qui avait fini de lui faire faire un bond dans les sondages. Maintenant face à la réalité du danger du second tour, Macron cherche à rendre son projet plus audible en donnant une coloration plus sociale à son programme. Ainsi au cœur de son offensive, c’est la question du pouvoir d’achat, de l’inflation mais aussi de la retraite et des salaires qui est mise au premier plan. Il y a aussi la promesse du chèque alimentaire pour répondre à la flambée des prix ou encore le versement des aides à la source.

Sur la question de la retraite, Emmanuel Macron s’est employé mercredi 13 avril sur France 2 à se montrer plus précis sur la retraite à 65 ans en montrant que ce n’est pas « un dogme » et qu’il tiendrait compte de la pénibilité. Ce qui permettrait de relever le seuil minimal des pensions tout en indexant les retraites sur l’inflation dès le 1er juillet. Une question des retraites qu’il n’exclut d’ailleurs pas de soumettre au référendum.

Marine Le Pen, pendant ce temps, ne s’est pas démarquée de sa ligne originelle. Elle s’est plutôt concentrée sur le fait de continuer à marteler les mesures phares en faveur du pouvoir d’achat des Français.

Emmanuel Macron dans sa stratégie, cherche en même temps qu’il fait preuve de pédagogie et d’ouverture sur certains aspects de son projet, à démonter de manière « factuelle et précise », qu'il est à tout point de vue opposé à celui de Le Pen. Sur plusieurs points, notamment en matière économique, le camp de Macron s’est attaché à mettre en lumière les failles du programme de Marine Le Pen. Il a par exemple jugé peu crédibles les promesses de la candidate du RN, de baisse de la TVA à 5,5% sur l’énergie (électricité, gaz, etc) et à O% sur une centaine de produits de première nécessité. L’argument est simple, elle n’explique pas comment elle va financer tout cela. De même sur la réforme des retraites de Marine Le Pen, les macronistes ne l’épargnent pas, estimant qu’il serait illusoire de financer le modèle social français basé sur la répartition, si on n’allonge pas la date de départ à la retraite. Marine Le Pen a d’ailleurs dû renoncer à sa promesse d’un âge de départ ramené à 60 ans, faute de pouvoir la financer.

Dans son nouveau dispositif, elle entend instaurer un âge qui varie entre 60 et 62 ans en fonction de l’entrée dans la vie active. Pour financer ces mesures, elle compte ainsi réaliser des économies en opérant un coup d’arrêt sur l’immigration et grâce à la lutte contre les fraudes. Un contenu des réformes qui n’a absolument pas convaincu le patronat.

Au-delà du programme du Rassemblement national qui ne semble pas tenir compte du réel, notamment le financement des réformes et les contraintes que sont les règles européennes et le financement de la dette, le programme anti républicain et anti démocratique de Marine Le Pen ne trouve pas grâce aux yeux du président sortant qui ne manque pas de le dézinguer.

Même François Hollande est du même avis et ne se gêne pas de critiquer le programme de Marine Le Pen. Celui-ci pense tout simplement qu’il remettrait en cause les valeurs françaises puisqu’elle envisage de « changer le quart de la constitution française » sur les questions de « nationalité, de discrimination et d’identité ». Même posture, estime-t-il, de la candidate du RN sur l’Europe, où elle ne cherche qu’à pousser la France à sortir de l’Europe avec des conséquences sur l’Euro. François Hollande ne s’en est pas arrêté là puisqu’il a aussi estimé que Le Pen chercherait au finish à « remettre en cause le système d’alliances de la France dans l’Otan » et « le lien très fort avec nos partenaires », ajoutant que Mme Le Pen considère que « la Russie de Vladimir Poutine , celui qui massacre en ce moment en Ukraine, est un allié possible »

A la vérité, cette dernière s’inscrit dans une logique de gouvernance autoritaire caractérisée par un mépris des institutions en ne faisant nullement mention au respect de l’Etat de droit ou des libertés fondamentales.  Elle souhaiterait par exemple s’affranchir du contrôle de constitutionnalité des lois, du Parlement. A ce titre, elle plébiscite le référendum d’initiative citoyenne, y compris pour modifier la Constitution, en introduisant la préférence nationale et en instaurant la fin du droit du sol. Ces référendums, qui pourront être proposés par au moins 500 000 électeurs, s’imposeront « sur les actes des pouvoirs publics » : une loi votée par le Parlement pourra être abrogée, et, si le peuple rejette un texte, il ne pourra pas être proposé à nouveau pendant quinze ans. Elle se réserve cependant le droit de bloquer, après une décision conjointe avec le Parlement, un référendum qui porterait « une atteinte particulièrement grave aux intérêts nationaux ».

De même, Marine Le Pen ne démissionnerait pas en cas d’échec d’un référendum : « En cas d’échec, eh bien c’est un échec, on ne met pas en place la loi qu’on a soumise au peuple», répond-elle. Elle envisage même de sortir si besoin de l’Union européenne après un vote populaire, ce qui ne lui semble pas contraire « aux intérêts vitaux du pays ». Déjà, elle a apporté la preuve, au regard de son comportement qu'une certaine presse supposée hostile, serait victime d'ostracisme.

De quoi faire hurler son rival de candidat sortant qui n’a pas manqué de l’attaquer au cours d’un récent meeting sur une volonté de « dégradation méthodique et progressive des droits »

Il n y a pas que sur ce front que Mme Le Pen est attaquée. Sa volonté de s’éloigner de l’Europe, sa complaisance vis-à-vis de Poutine qui risque de voir la France basculer dans le camp russe et d’avoir « pour seuls alliés (…) l’internationale des populistes et des xénophobes » dont la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, est tout aussi crainte et décriée.

Mais dans le fond, le discours de Marine Le Pen n’a pas vraiment changé, il a tout simplement été adouci dans un but de le rendre plus digeste, plus acceptable de manière à ratisser plus large au moment où un Eric Zemmour se radicalisait, lors du 1er tour en jetant toutes ses forces sur l’immigration et so anti islam primaire.

Emmanuel Macron, il est vrai, engrange sans cesse des soutiens (celui de Nicolas Sarkozy, mardi). Marine Le Pen, pendant ce temps, semble bien seule, ne comptant pas dans ses rangs des personnages d’envergure et même beaucoup de ministrables. Un domaine dans lequel la presse l’a d’ailleurs questionnée au point de susciter son exaspération. Tout au plus, elle compterait sur des gens qui viendraient de la droite comme de la gauche, en excluant toutefois Eric Zemmour et Marion Maréchal Le Pen.

Mais dans ce duel qui est loin d’avoir livré tous ses secrets, Marine Le Pen compte sur les 7% de Zemmour dont elle pourrait grignoter une bonne partie, les voix des abstentionnistes et ceux du vote des insoumis. Macron lui ne compterait que sur les deux dernières catégories citées. Difficile en tout cas de savoir quelle va être l’issue de cette élection. Toujours est-il que les sondages restent favorables à Emmanuel Macron.

Selon, en effet, un sondage BVA pour RTL et Orange publié vendredi 15 avril, Emmanuel Macron gagne ainsi un point au détriment de sa rivale d'extrême droite, par rapport au sondage réalisé par le même institut une semaine plus tôt, avant le premier tour. Le président sortant Emmanuel Macron l'emporterait au second tour de la présidentielle avec un score de 54% contre 46% pour la candidate du RN,

De même, à 9 jours du 2nd tour, l'écart reste serré dans les intentions de vote entre le président-candidat et la candidate du Rassemblement National, mais l'actuel chef de l'État conserve son léger avantage, selon notre baromètre quotidien Ifop-Fiducial pour LCI, Paris Match, Sud Radio. 53,5% contre 46,5%.
Pour ce qui est du vote des insoumis, le dernier sondage Ipso au 15 avril, annonce, parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, 37 % d'intention de vote en faveur d'Emmanuel Macron, contre 18 % pour Marine Le Pen, les 45 % restants n'étant pas exprimés.

Interrogé sur le sujet, Erwan Lecoeur, sociologue, politologue, spécialiste de l'extrême droite et chargé de cours (Sciences Po), directeur d'études, pense que ces 18 % qui seraient prêts à donner leurs voix au Rassemblement national « correspondent essentiellement à des catégories plutôt populaires et dépolitisées qui estiment que le clivage entre la gauche et la droite n'explique plus la chose publique d'aujourd'hui, comme d'ailleurs 40 % de l'ensemble des Français » « Ces 18 % sont avant tout des "fâchés pas fachos", pour reprendre une formule de Jean-Luc Mélenchon. Comme au Brésil, en Italie ou aux États-Unis, une portion de plus en plus importante des populations se sent lésée et ne vit la politique qu'au travers de ses multiples colères. Ces populations ne raisonnent plus en termes de partis politiques, mais au travers du prisme de frustrations auxquelles les politiques ne répondent plus. Ils ont voté Mélenchon parce qu'ils sont fâchés, mais ce ressentiment est d'abord dirigé contre Emmanuel Macron, et non prioritairement contre Marine Le Pen, puisqu'elle n'était pas dans les sphères du pouvoir. La colère de ces 18 %, s'ils votent au second tour, se portera donc logiquement d'abord contre le responsable politique coupable, selon eux, de leur situation : Emmanuel Macron. », ajouté M. Lecoeur.

Une situation en tout cas teintée d’incertitude. Mais à voir les deux candidats modifier leurs programmes et nuancer de discours dans une logique de produire plus de clarté, l'on comprend bien pourquoi il y a eu une 3ème voie avec Melenchon. Les Français doivent en avoir eu marre des chocs pouvoir sortant contre extrême droite. Un changement raté de justesse avec l'insoumis qui a talonné Marine Le Pen. Mais, de là à élire Marine Le Pen, il y a un pas que les Français, quoique déçus des politiques, ne devraient pas franchir. Et comme disait Voltaire : « la politique, ce sont des gens sans principe qui gouvernent des gens sans mémoire »