NETTALI.COM - Au moment où en France, les idées s’entrechoquaient au cours d’un débat programmatique de la présidentielle, au Sénégal la coalition au pouvoir trouvait le énième subterfuge pour obtenir une majorité plus confortable aux législatives. Le procédé est simple : un parrainage contestée, une caution élevée de 15 millions de F Cfa, recours au débauchage de maires de l’opposition et réduction du nombre de députés sur la liste nationale. Des actes qui n'auraient qu'un objectif, favoriser la majorité au regard de la réalité du terrain.     

Le chahut dont a fait l'objet la décision rendue par la Haute cour de justice de la Cedeao de supprimer le parrainage, avait déjà donné le ton du refus manifeste et futur de Macky Sall d'obtempérer. Le parrainage n'a pas été appliqué aux locales, mais en direction des élections législatives du 31 juillet 2022 prochain, Macky Sall l'a reconduit. Une manière d'imposer un double filtre, en même temps que la caution portée à 15 millions. De quoi faire hurler des coalitions au moment de la prise de décision par le ministre de l'intérieur, malgré la consultation des parties prenantes.

And Jeef/Pads, le parti dirigé par Mamadou Diop Decroix qui a déjà mobilisé près de 60 000 parrainages et les 15 millions de francs Cfa  de caution, a d'ailleurs vigoureusement dénoncé ce double filtrage (parrainage, caution) qui, selon lui, est une mesure discriminatoire. « Le parrainage et la caution sont des moyens d’exclusion. Il n’y a pas lieu de créer une redondance dans le filtrage. Soit on fait le parrainage et on ne met pas la caution ou vice-versa. Mais mettre et la caution de 15 millions et le parrainage, nous estimons que c’est une mesure discriminatoire que nous dénonçons. Cette caution est trop onéreuse. J’ai l’impression qu’on veut créer une démocratie de riches », a déploré Mamadou Diop Decroix au cours d’une conférence de presse tenue à Dakar ce mardi 26 avril.

Dans la même veine, le PDS  a "appelé" dans un communiqué, tous les acteurs politiques "à s’unir pour rejeter énergiquement le système de parrainage anti-démocratique imposé par le pouvoir en place, en violation de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO n°ECW/ CCJJUD/10/21 du 28 avril 2021", considérant que "les actes successifs du régime démontrent que les conditions pour des élections législatives ouvertes, libres et transparentes au mois de juillet ne sont pas réunies”.

Il s’y ajoute la volonté affichée de ce régime en place d’empêcher « près d’un million de jeunes » de s’inscrire sur les listes électorales, par l’utilisation de « plusieurs filtres » dont notamment l’obtention préalable de la carte nationale d’identité et la courte période réservée aux inscriptions sur les listes.

Le curieux débauchage des maires de l'opposition

Il y a décidément de quoi se poser des questions sur la gloire qu’il y aurait à débaucher des maires de l’opposition de la part de la majorité ? L’acte en lui-même, est non seulement pas honorable, mais elle n’est que la confirmation de l’idée selon laquelle, ce que l’on ne peut obtenir par les urnes, il vaut mieux l’arracher par la force. En somme, une usurpation du suffrage des citoyens.

La vérité est que  Macky Sall ne cherche qu’une chose : limiter la percée de l’opposition dans les grandes villes ; faire en sorte que l'opposition ne se consolide pas et ne gagne pas du terrain dans le pays profond. Mais sa hantise du moment, sa vraie crainte, c’est de se voir imposer une cohabitation. Il ne veut tellement pas prendre ce risque qu’il ne néglige rien, allant même jusqu’à pousser un peu plus loin dans la violation des règles du jeu démocratique.

Entre autres actes posés par la majorité, la reconduction de cette bonne vieille recette bien connue au Sénégal qui consiste à recevoir des maires de l'opposition et à tenter de les débaucher. Bamba Fall est ainsi tombé dans les filets de Macky Sall, suivi de Djibril Wade de Biscuiterie, du maire de Ouakam Abdoul Aziz Guèye. D'autres ne vont certainement pas tarder à suivre.

Avouons tout de même que pour un président qui a toujours prétendu ne pas avoir perdu les élections locales et qui expliquait récemment qu'il serait, dans un contexte d’élections législatives, majoritaire, le procédé est quand même curieux. Il devait pourtant pouvoir compter sur ses propres forces, surtout qu’il avait estimé avoir remporté la majorité des départements ; et au-delà de tenter d’augmenter son score à la régulière, en opérant de meilleurs choix et en effectuant des investitures plus consensuelles.

Aujourd'hui, c'est avec la même ardeur qu'aux locales, sinon plus, que Macky Sall s'est impliqué dans ces législatives au point de débaucher dans les rangs des maires de l’opposition. Il ne pense en réalité qu’à une chose, bénéficier d’un report de suffrages des votants de ces maires. Mais ce qu’il semble oublier, c’est que les choses ne sont pas aussi simples et automatiques qu'elles paraissent. Et même si d’aventure ces maires transhumants venaient à garder des fidèles, l'exemple d’Idrissa Seck est là pour nous apprendre que les électeurs ne sont pas du bétail qui suit, tel un aveugle, le berger. Des Thiessois n’ont pas en effet pardonné à Idrissa Seck son alliance avec Macky Sall. Aussi, l'ont-ils tout simplement sanctionné, lors des locales. L’ancien Premier ministre qui croyait tenir Thiès entre ses mains, au point de mettre en avant son lieutenant Yankhoba Diattara, a dû se rendre à l’évidence qu’on ne se moque pas impunément de ses administrés Thiessois qui l’avaient adulé pour son opposition face à Macky Sall.

Les sénégalais ont suffisamment apporté la preuve qu'ils n'aiment pas les politiciens qui les trompent. L'injustice non plus ; les victimes encore moins. Les cas Moussa Sy aux Parcelles Assainies et Abdoulaye Baldé à Ziguinchor sont assez édifiants de ce point de vue-là. De même que celui du ministre Oumar Guèye qui n’a pas bénéficié du découpage de Sangalkam dont il pensait qu’il allait lui être favorable. Comme du reste Aminata Assome Diatta n’a pu profiter de la départementalisation de Keur Massar. Il convient aussi de souligner que les anciennes mairies de Khalifa Sall ont été reconquises par sa coalition, à l’exception de Grand Dakar et Cambérène.

Des preuves suffisantes qui montrent que le recours aux transhumants peut ne pas être d'un grand apport. A moins de miracles, ou la résistance de militants loyaux à toute épreuve, les populations ne cautionnent guère ce genre de subterfuges.

Le subterfuge des listes 

Macky Sall n’a pas fait que procéder à du débauchage de transhumants. Sa majorité a aussi voté la loi n°04/2022 modifiant celle n°2021-35 du 23 juillet 2021 et portant Code électoral, le vendredi 15 avril 2022. Celle-ci a été attaquée par 17 députés issus des groupes de la majorité, de l'opposition et des non-inscrits au niveau du Conseil constitutionnel pour son annulation. A leurs yeux, « la liste nationale proportionnelle est une garantie d'une représentation plurielle et de la diversité du débat parlementaire. »

Une utilisation de la majorité mécanique pour « poser à l’Assemblée nationale un acte purement politicien en direction des élections législatives » par la coalition BBY, dénoncée via un communiqué de presse par le même Parti démocratique sénégalais. En effet, selon les libéraux, la décision « unilatérale du gouvernement » de diminuer le nombre de députés sur la liste nationale, ne serait rien d’autre qu’un choix clair de « rupture de consensus » de plus à travers l’Assemblée nationale. À en croire le PDS, cette décision foule aux pieds le protocole additionnel de la CEDEAO qui interdit toute modification dans le processus électoral, à « six mois des élections sans un consensus acté par les parties prenantes », tout en étant une « tentative indigne » de rester au pouvoir en dehors de la volonté du peuple, après s’être assuré une majorité à l’Assemblée nationale.

En réduisant le nombre de députés de la liste proportionnelle, source de pluralité à l’hémicycle et en augmentant la liste majoritaire et les sièges de certains départements, l’objectif est clair. Causer de grandes difficultés à l’opposition qui espère mettre la coalition au pouvoir dans une posture de cohabitation.

En effet, lors des élections législatives de juillet, certains départements vont voir leur nombre de députés augmenter. Médina Yoro Foulah (166 042) et Bounkiling (177 706) vont ainsi se retrouver avec deux députés chacun, au même titre que des départements comme Rufisque (583 774), Keur Massar (593 000), Guédiawaye (392 190), Kaolack (587 530)… Mbour et Thiès passent de deux à quatre députés, entre 2017 et 2022. Un acte loin d’être fortuit car tous ces départements ont un point commun, celui d’être tombé dans la besace de la coalition Benno Bokk Yaakaar aux dernières élections locales.

Avec la nature du scrutin législatif qui est une élection uninominale à un tour dans les 46 départements et dans la diaspora, l’opposition devrait chercher à miser sur des leaders solides capables d’enclencher une forte mobilisation dans les zones rurales, afin de faire chuter le parti au pouvoir, bien ancré localement. Si dans les grandes villes, Yeewi askan wi a pu faire une percée, les échecs des lieutenants d’Ousmane Sonko, El Hadj Malick Ndiaye (Linguère), Bassirou Diomaye Faye (Ndiagagnao) qui n’ont pas réussi à surfer sur la vague Yewwi askan wi, prouvent les difficultés de l’opposition à s’implanter localement. Beaucoup de bastions dans les régions restent solidement ancrés dans les mains de BBY qui contrôle plus de 438 communes sur 553 que compte le pays.

Il convient donc de garder à l'esprit que pour les prochaines élections législatives, ce seront 112 députés qui seront élus sur la liste majoritaire des départements, contre 53 seulement sur la liste nationale. Et si l’on se fie aux dernières élections, la coalition présidentielle peut remporter très facilement l’écrasante majorité des départements, si l’opposition y va de manière dispersée. Autant de facteurs qui condamnent les camarades d’Ousmane Sonko à faire un bloc pour ne pas ouvrir un boulevard à Macky Sall. Qui pour l’instant œuvre pour des investitures les plus consensuelles possibles.

L'équation de l'unité de l'opposition

L’opposition cherche à s'inscrire dans une logique d’unité. Mais pour l’heure, rien n’est encore acté. Mais Mamadou Diop Decroix a son idée sur la question. Au cours d'une conférence de presse du mardi 26 Avril, il a dévoilé les manœuvres d'AJ en vue  d'une large coalition de l’opposition aux législatives.  « Nous estimons que l’unité la plus large, sincère, patriotique est nécessaire pour changer le rapport de force au parlement. C’est la raison pour laquelle nous sommes dans un processus de discussion avec d’autres forces politiques et sociales pour voir les conditions et modalités pouvant nous permettre d’asseoir une coalition solide capable de renverser le rapport de force à l’Assemblée nationale. Nous allons dans les jours à venir présenter cette nouvelle coalition», éclaire l’ancien ministre du Commerce.

Opérer une nouvelle percée pour l’opposition, en plus de celle faite lors des locales, ne sera pas une chose aisée. L’option qui lui reste, pourrait être de s’appuyer sur des personnalités connues localement, pour réussir à mettre en déroute les troupes de la mouvance présidentielle dans des zones comme le Fouta.  Mais c’est mal connaître Macky Sall que de croire qu’il n’a pas réfléchi à cette éventualité. Ce sont entre autres raisons pour lesquelles, dans une logique de contre-attaque et de prise de l’opposition de vitesse, il s’est lancé dans une opération de déminage en tentant de débaucher le maximum de maires de l’opposition.

Il finit en tout cas par être vraiment difficile d'aller à la conquête du pouvoir sous nos cieux ! Non seulement elle semble indifférente à l’éthique, mais les règles du jeu sont toujours et toujours bafouées.