NETTALI.COM - « Ajustement tarifaire et transitoire qui permet à la Senelec d’avoir son revenu et non de l’augmenter », comme l'a dit le Directeur Général de la société ou « hausse du prix de l’électricité », peu importe le groupe de mots utilisé, le sujet divise. Il soulève même des passions car il est après tout question d’un pouvoir d’achat de consommateurs qui baisse, même si la Senelec a fini de rappeler que les ménages à faibles revenus seront épargnés.

La question de l’électricité a toujours été un sujet clivant. L’on se rappelle en effet de ces délestages intempestifs désignés sous le sobriquet de « khouy khouy kamathie », question à l’époque pour les pros de la revue de presse agrémentée, d’ironiser sur le rythme des coupures. L’on se souvient aussi du ronronnement des groupes électrogènes qui agressaient les pauvres tympans des Sénégalais harassés par les délestages et qui complétaient le décor des devantures des entreprises, des ateliers de tailleurs et des foyers des plus nantis. Qu’est-ce qu’ils étaient pénibles ces moments-là ! Le Sénégal vient de loin. C'est indéniable, mais, une époque qu’on a depuis lors oubliée. Il est vrai qu’ils ont la mémoire courte ces Sénégalais, ils vivent sur des acquis. Et ils ont bien raison. Ils n’acceptent même plus une heure de coupure, tant on les a habitués à des interruptions qui ne durent désormais que quelques minutes.

Une situation de hausse des prix qui n'est pas sans faire beaucoup mal à Senelec qui, pourtant se porte bien en tout cas du point de vue de sa production et de sa gestion. Mais alors, que de confusions dans cette actualité récente de hausse du prix de l’électricité. N’a-t-on pas par exemple si souvent fait circuler l’information selon laquelle, le nouveau DG de Senelec aurait commandité un audit de la Senelec. Celui-ci a d’ailleurs démenti l'information à l’émission « Jury du dimanche » de ce dimanche 1er décembre sur I-Radio. « Je n’ai pas demandé un audit. Je n’ai pas besoin d’audit parce que lorsque j’ai quitté la Senelec pour aller au ministère de Maïmouna Ndoye Seck comme conseiller technique en 2013, elle m’a fait confiance pour me nommer administrateur de Senelec. Aujourd’hui, j’ai une situation à la Senelec qui me permet d’avancer et de m’accorder sur les priorités que le président de la République nous a fixés parce qu’avant, il n’y avait pas d’électricité et cela coûtait très cher. » Un audit que pourtant qu’Alioune Badara Mboup d’Aar Li Nu Book a brandi et attribué à M. Bitèye, au cours de l’émission « le débat de la Rédaction » avec Modou Mbacké Niang sur la DTV !

La conférence de presse organisée la semaine dernière par le Directeur général, Papa Mademba Bitèye nous aura en tout cas prouvé à quel point le sujet sur l’électricité est méconnu. Mais comment peut-il être mieux compris si même les journalistes censés apporter davantage de lumière, en fouillant et décryptant, ne maîtrisent pas la question et se lancent dans de l’info spectacle ou des cabales politiques et rajoutent à la confusion ? Que de questions mal posées lors de cet événement ! Il y a en tout cas du boulot dans les rangs des médias. Et ce n’est pas un hasard si dans notre dernière chronique, nous évoquions la nécessité d'améliorer la formation, de relever le niveau et d'inciter à davantage de spécialisation dans le secteur de la presse. Comprendre la question de l’électricité au niveau où ça se discute dans les médias, nécessite quand même de maîtriser quelque peu des rudiments de management, y compris d’économie et de finance, étant entendu que la comptabilité est une part entière dans ces matières. On mélange tout et n’importe quoi.

La question des bénéfices de 30 milliards sous Makhtar Cissé, est  agitée pour entretenir l’idée d’une illusion qu’on aurait vendue aux Sénégalais, sur une supposée performance de Senelec alors qu’aujourd’hui, on parle d’une dette que l’Etat doit à la société et d’un gap que celui-ci doit combler. Une interpellation signée Bouba Ndour sur le plateau de « jakaarlo » qui ne comprend  certainement pas qu'il est question d'un problème comptable parce qu'en effet réalité lorsque l'entreprise facture l'Etat, il l'inscrit dans ses résultats. Maintenant l'entreprise peut se retrouver dans une tension de trésorerie parce qu'elle n'a pas été payée. Une manière de faire la différence entre le résultat et le cash flow. Le Dg de Senelec a d’ailleurs contesté l’existence de déficit au niveau de la Société nationale d’électricité. Il a en effet renseigné que depuis 5 ans l’entreprise réalise des résultats positifs de 26 milliards et 30 milliards. “Senelec est bénéficiaire au niveau du revenu”, a-t-il argué à « Jury du Dimanche »

Et dans cette actualité qui soulève tant de passions, les agents de Senelec en ont pris pour leur grade, accusés qu’ils sont de ne pas payer l’électricité notamment à « Jakaarlo » de la TFM. Là aussi, affirmation bien gratuite. Une petite vérification permet en effet de se rendre compte qu’ils bénéficient juste d’un tarif préférentiel, étant dans la quasi-totalité sous le régime du woyofal. "L’agent de Senelec paie autour de 20 % pour combler niveau de rémunération faible”, a confirmé le DG Bitèye sur I-radio. Ils achètent quand même du crédit électrique. C’est à se demander pourquoi ces avantages gênent-ils tant ? Ceux qui posent la question, ont certainement raison et aussi le droit de la poser, mais d’autres travailleurs dans d’autres secteurs bénéficient d’avantages dans leurs entreprises. Un banquier n’est par exemple pas soumis au même taux d’intérêt qu’un client dans la plupart des banques. Un agent de la Société de Distribution des Eaux (SDE) n’est pas également soumis au même tarif qu’un client donné.

Dans un débat télévisé comme « Jakaarlo », il a été aussi question de charges salariales qui auraient augmenté. Bouba Ndour y est aussi allé de son chiffre. Là aussi il a été corrigé. Pour juste souligner le manque de maîtrise des sujets. L’ex-ministre Fatou Blondin Diop, chargée du département des technologies de l'information et de la communication sous Me Wade, propulsée à la tête de « Aar Li Nu Book », selon une gouvernance tournante aux côtés du très engagé Guy Marius Sagna, a avancé le chiffre de 60 milliards se fondant sur un post d’Ibrahima Sène pour crédibiliser son discours parce que celui-ci fait partie des alliés de Macky Sall ! Un chiffre démenti par M. Souaré un syndicaliste de Senelec invité sur le plateau.

Le directeur de la communication et du marketing de la Senelec, Ahmedoune Dida Diagne a d'ailleurs rappelé le chiffre prévisionnel de 55 milliards pour 2020 puisqu’affirme-t-il, la Senelec est à un peu moins de 50 milliards de charges à l’heure actuelle. Dans ses explications, ce dernier a fait savoir que l’intégration de ces 693 prestataires par l’ancien DG Cissé, était justifiée par un contexte de fronde et d’affrontement judiciaire que celui-ci avait préféré régler à l’amiable. Il soulignera même les félicitations dont il avait fait l’objet de la part de la Cnts au grand théâtre. Une réponse du dircom de Senelec justifiée par une tentative du journaliste de vouloir opposer deux directeurs généraux Pape Dieng et Makhtar Cissé. Pourquoi diable le journaliste Modou Mbacké Niang de DTV, cherchait-il à défendre le bilan de Pape Dieng en mettant en exergue l’information selon laquelle, avec lui, la Senelec est passée de 900 heures de coupure à 25 heures ? Une information d’ailleurs que M. Diagne a démentie en se demandant où le journaliste avait sorti ces chiffres dont il doute. L’ancien DG avait en effet hérité de ce dossier au regard de la continuité du service. Un journaliste devrait en réalité rester dans son rôle et ne pas rentrer dans le jeu de rivalités politiques ou de communication sur les bilans de DG passés. Ce n’est pas en réalité ce qui intéresse le consommateur qui cherche juste à avoir du courant en quantité et qualité suffisantes ainsi qu’un prix intéressant.

Dans ce débat impliquant beaucoup de chaînes de télé, il a été également question d’affirmations sur de prétendues hausses avant l’heure. Comment peut-on sur la foi d’une simple expérience d’un consommateur sur le woyofal dont on rapporte les propos, arriver à laisser entendre que l’augmentation a déjà eu lieu avant cette date du 1er décembre. L’on ne peut quand même raisonner comme l’homme de la rue sur un plateau télé. Prouver des choses de cet ordre requière un minimum de statistiques et de sérieux. Fatou Blondin Diop a même tenté un parallèle sur la TFM en tentant une comparaison avec la SDE. Elle a nous a fait comprendre qu’elle payait 7 000 F de facture d’eau pour une maison qu’elle habite contre plus de 60 000 F pour une maison qu’elle n’occupait plus ! Des erreurs, il peut y en avoir évidemment dans des relevés de compteur, tout comme sur les installations ou appareils vétustes qui peuvent impacter la consommation, a rappelé M. Souaré de la Senelec. Il importe dès lors de ne pas prendre des cas pour des généralités.

Le contrat de performance qui lie l’Etat à la Senelec, un aspect de la question qui induit ce gap sur lequel a communiqué la Senelec, est tout aussi méconnu. Celui-ci impose en effet à la société nationale, un Revenu maximum autorisé (Rma) qui détermine des revenus tous les trois ans qu’elle ne peut dépasser. Ce revenu en question est évalué et calculé sous le contrôle de la Commission de régulation du secteur de l’électricité. Et tous les trois (3) mois, il est revu pour voir s’il n’existe pas de gap entre ce que la Senelec doit gagner. A charge pour l’Etat de compenser. Dans ce cas d'espèce, il y a aussi les dettes que l'Etat doit à l'entreprise publique.

Mais là où les téléspectateurs ont été sans doute été encore plus perdus, c’est le désaccord qui a opposé les deux associations de défense des consommateurs et qu’on a suivi sur la plupart des plateaux de télévision. Dans le débat qui a réuni par exemple Massokhna Kane et Momar Ndao sur la DTV, le premier a plutôt été dans une posture jusqu’au boutiste dans son refus de voir le consommateur endosser cette hausse. « Si vous écoutez le DG de Senelec, il donnera l’impression que ce qu’il a dit est vrai. Mais si vous écoutez les arguments un par un, vous vous rendrez compte qu’aucune des explications fournies n’est vraie. On nous préparait à cette hausse depuis juillet-août, mais on avait demandé de ne pas l’accepter (...) Ils ont dit que la perte devait être de 26,3% et ils ont ajouté que les 10 milliards équivalent à 10% et les 2 milliards à 6%. Si vous prenez votre machine et calculez, vous vous rendrez compte, c’est arithmétiquement faux. On ne peut pas balancer des chiffres comme ça, il faut prouver avec des documents », a relevé Massokhna kane avec verve avant d’être repris par Momar Ndao.

Ce dernier manifestement dans une posture qu’il a lui-même qualifié de réaliste, avait une argumentation beaucoup plus documentée produisant des chiffres à l’appui puisque M. Kane s’était trompé sur les éléments avancés. Corrigeant les propos de Massokhna kane, celui-ci dira : « la totalité du gap est d’exactement 101 milliards et 736 millions de F Cfa de besoin pour l’équilibre de Senelec et les 12 milliards ne correspondent qu’au gap sur 3 mois ». Poursuivant, celui-ci d’ajouter : «  Le chiffre d’affaires de Senelec est de 386 milliards. Si vous divisez, cela vous donne 26,43%. Si les gens ne comprennent pas, ils vont dire que c’est à cause de 12 milliards qu’on veut augmenter le prix. Une société à qui l’Etat doit 265 milliards qu’il ne paie pas et dont certains sont des hôpitaux, des collectivités locales, l’électrification publique, etc. L’année passée, la dette était passée à 125 milliards. On va lui demander s’il préfère payer ou qu’on augmente les prix. L’Etat vous dit qu’il va payer. Il avance 20 milliards ; l’année suivante, il avance encore. L’Etat doit au total 265 milliards et il doit avancer 101 milliards pour équilibrer cette année. Les deux sommes donnent 365 milliards par rapport à un chiffre d’affaires de 386 milliards. Il n’y a presque pas de différence. A cela s’ajoute le fait que Senelec achète le fuel à un prix sur lequel il ne peut rien faire, et on sait que 70% des revenus de Senelec vont dans l’achat de combustible. Il y a une année où Senelec perdait 3 milliards tous les 10 jours, soient 300 millions par jour car il y avait une différence entre le prix auquel il achetait et vendait (ndlr années 2011). C’est l’Etat qui payait la perte. La France augmente 2% chaque année depuis 2006 en produisant avec l’énergie la moins chère, le nucléaire. Nous, on produit avec du fuel. Le Mali a augmenté, la Côte d’Ivoire aussi. En 2016, le prix du baril a chuté jusqu’à 35 dollars et on a demandé à l’Etat de baisser. Ce qu’il a fait en 2017. Mais c’est comme si les producteurs de pétrole n’attendaient que ça pour augmenter jusqu’à 90 dollars. La chute a recommencé jusqu’à 62 dollars. Mais entre 35 dollars et 62, il y a une différence, les conditions ont changé. Deux choses : soit on refuse la hausse et c’est ce qui est arrivé en 2010-2011 risque de se produire »

Des arguments qui ont évidemment valu des critiques à Momar Ndao de la part de deux téléspectateurs qui ont appelé, au cours de l’émission pour lui rappeler qu’il est au service de la défense des consommateurs et non de la Senelec.

Une chose est sure, dans un tel contexte, il sera en tout cas bien difficile de faire avaler une telle pilule au goût déjà bien amer. Le consommateur qui vit sur des acquis, ne voudra rien savoir, à moins que l’Etat revienne sur cette hausse en acceptant de prendre en charge ces 2% qu’il a décidé de faire assumer au consommateur. Il ne faudrait en aucun cas arriver à ce que cette hausse dresse des Sénégalais contre d’autres en s’attaquant à des avantages acquis par les agents de Senelec ; voire en demandant une réduction du personnel de Senelec. Le résultat serait le même au niveau social car il priverait des familles entières de revenus.

C’est sans aucun doute l’incurie de Etat du Sénégal qui a laissé ses dettes vis-à-vis de Senelec, s'accumuler, est à relever dans cette histoire. La plupart des ses démembrements n'ont pas payé leurs factures parce que n'ayant sans doute pas les moyens (hôpitaux, collectivités locales, administrations, universités, etc), et difficile pour la Senelec d'arrêter leur fonctionnement. Mais au delà, se pose la question de savoir, comment L'Etat, à travers ses nombreux chantiers entrepris dans le même temps, notamment le Ter, le Brt, les autoponts et les chantiers ô combien nombreux, difficile de dire comment l’Etat peut arriver à faire face à tous ses engagements. L’Apix n’a-t-elle pas mis en difficultés beaucoup d’entreprises dans cette affaire d’expropriation en ne les payant pas entièrement ? Le poids de la dette sénégalaise est à un point tel que des hausses tous azimuts sont enregistrées : essence, gasoil, pain, ciment, etc. Difficile dans un tel contexte de faire croire à une autre raison qui justifierait cette hausse. Massokhna Kane est certainement dans son rôle de défense des consommateurs en refusant de faire endosser une part de ce gap aux consommateurs mais qu’il fasse attention de ne pas jeter de l’huile sur le feu. Momar Ndao lui a choisi de dire ce qu’il considère comme sa vérité au consommateur pour éviter le risque de retourner dans les ténèbres.

Ce que le Directeur de la communication et du marketing Diagne a dit, à savoir que la Senelec se porte bien, est vrai. Loin d’être en crise, a-t-il dit, la société doit continuer à poursuivre ses investissements afin que les populations dans certaines zones puissent accéder à l’électricité. Ce que Momar ndao a estimé à 700 milliards d’investissement pour que l’Etat arrive à électrifier tous les villages.  : « Avant le produit le plus cher était le groupe électrogène. C’est ce que tout entrepreneur calculait. Si on est à un point où les Sénégalais n’acceptent plus 10 mn de coupure, c’est parce qu’il y a de grands progrès…La Senelec n’a pas de problèmes de production pour alimenter et dispose même de réserves. Ce qui est le plus cher, ce sont les lignes de transport pour faire passer et distribuer le courant.»

Un argument conforté par le ministre du Budget à l’Assemblée : "Objectivement, la Senelec n’a pas un problème de fonctionnement ou de gestion. Ce qu’il y a, c’est qu’on lui doit de l’argent et on doit tout faire pour le lui payer. C’est cela la réalité. L’entreprise a bel et bien fait des bénéfices, mais, il se trouve qu’elle a comptabilisé des sommes que l’Etat lui doit, ce qui est à la base de ses problèmes de trésorerie », précisant au passage que la fameuse somme de 125 milliards dénoncée par les députés n’est nullement une subvention, mais plutôt le versement d’une partie de la dette du gouvernement.".