NETTALI.COM - Après les graves révélations du député Matar Diop sur de supposés financements occultes qu’aurait reçus le leader de l’ex-parti Pastef, Ousmane Sonko, la société civile qui avait accueilli cette sortie par une certaine indifférence et un désintérêt, commence à sortir de sa réserve. Seulement, Alioune Tine est encore le seul acteur de la société civile à demander ouvertement qu’une enquête soit ouverte pour éclairer cette affaire. 

L’affaire a été ébruitée à l’Hémicycle. Devant la Représentation nationale, sans mettre de gants, le député de l’Alliance pour la République (Apr) de Mbacké, Matar Diop, lâche une grosse bombe. Membre du groupe parlementaire Benno bokk yaakaar (Bby), du haut du pupitre de l’Assemblée nationale, Matar Diop fait un bruit d’accusations sur la volonté réelle du leader de l’ex-parti Pastef, Ousmane Sonko, aujourd’hui dans les liens de la détention pour plusieurs chefs d’inculpation, de tentatives de déstabilisation du pays. Le député révèle à la Représentation nationale que Ousmane Sonko aurait reçu des fonds occultes pour le financement de sa formation politique.

«Je le cite nommément, votre leader Ousmane Sonko, il avait promis aux lobbies qu’une fois au pouvoir, il va renégocier les contrats pétroliers et gaziers et ses bailleurs lui ont viré beaucoup d’argent. Il a reçu des milliards et aujourd’hui, ces lobbies ont compris que les carottes sont cuites pour Ousmane Sonko parce qu’il ne peut plus être candidat et ils ont menacé sa famille. Pour éviter des ennuis à ses proches, Sonko a écrit une lettre au président de la République, Macky Sall, pour qu’il protège sa famille. C’est ça la vérité. Vous aviez promis à votre leader que vous alliez vous battre pour lui, aujourd’hui, vous avez abandonné Sonko et il ne va jamais vous pardonner cela», balance-t-il aux députés du Groupe parlementaire Yewwi Askan Wi, lors du vote budget du ministère du Pétrole et des énergies, le 25 novembre 2023.

«L’argent vient du Qatar et c’est 20 millions de dollars Us (environ 12 milliards FCfa)»

Sûr de ses accusations, le député Matar Diop avertit que ces fonds ne seront pas blanchis au Sénégal. Les accusations sont graves, mais elles n’émeuvent presque personne, jusqu’à ce que le journaliste et patron du Groupe Avenir communication, Madiambal Diagne, en rajoute une couche. Dans ses chroniques hebdomadaires, «Les lundis de Madiambal» de ce 4 décembre 2023, le journaliste revient à la charge avec «La honteuse omerta sur le nouveau scandale Sonko». Très proche du chef de l’Etat, Madiambal Diagne ne se limite pas seulement à charger le leader de l’ex parti Pastef, il s’interroge sur le silence de la société civile sénégalaise face à de telles révélations. Madiambal Diagne : «Ces bailleurs élèvent la voix et frappent à toutes les portes du leader de l’ex-parti Pastef qui, en plus de ses démêlés judiciaires, se trouve dos au mur face à des créanciers peu commodes. Un ballet d’audiences et de prises de contact avec le président de la République, Macky Sall, lors de son actuel séjour à Dubaï, dans le cadre de la Cop28, a consisté pour des opérateurs de certains milieux d’affaires qui sont venus se confesser à lui sur des ressources qu’ils avaient distribuées au Sénégal pour la poursuite de différents agendas. Un voile a donc pu être levé sur l’étendue des sommes, les modes d’opération, les canaux de transmission et les facilitateurs de telles opérations qui visaient à terme, à nuire gravement à la paix civile. En reliant tous les points, les autorités sénégalaises commencent à voir plus clair sur une grande conspiration qui n’allait épargner personne, si elle avait pu, par malheur, arriver au bout. Le péché de Ousmane Sonko, de prendre de l’argent qu’il ne faudrait pas prendre, lui colle à la peau».

Pour Madiambal, les chantres de la transparence ont de quoi s’indigner, mais ils semblent faire l’indifférence. «La déclaration de l’honorable député Matar Diop a été accueillie par une certaine indifférence et un désintérêt, tant par la Société civile que l’opposition politique, qui ont fait du débat sur la transparence dans la gestion des hydrocarbures leur cheval de bataille. Si l’on se rappelle bien, toutes les questions concernant les ressources des sols et sous-sols sénégalais ont toujours déchaîné les passions pour en faire des motifs de démission obligée de responsables, et être le motif suprême pour les jeter à la vindicte populaire», a fustigé le journaliste. Non sans interpeller les personnalités de la société civile comme Birahim Seck (Forum civil), Seydi Gassama (Amnesty international), Alioune Tine (Afrikajom Center) ainsi que les dirigeants de «Y’en a marre» de «Nio Lank» ou du F24, entre autres activistes et fondateurs de «Sam Sunu Momel», d’exiger une enquête claire et exhaustive pour élucider cette affaire.

Seulement, l’affaire n’est pas récente. Dans sa parution du mercredi 7 juin 2023, «Le Canard enchaîné», hebdomadaire satirique français, très au fait de l’actualité à travers le monde, avait évoqué ces supposés financements occultes. Le Canard révélait que l’argent du Qatar inonderait le Sénégal pour convaincre à soutenir un candidat à l’élection présidentielle, Ousmane Sonko. Et que ce dernier aurait reçu 20 millions de dollars (environ 12 milliards FCfa au taux du dollar d’hier soir). Un montant confirmé par le journaliste Cheikh Yérim Seck. Invité hier de l’émission «Mnf» sur la 7Tv, Cheikh Yérim Seck confirme que l’argent vient du Qatar. «Le député Matar Diop a dit des choses très claires et j’ajoute que l’argent vient du Qatar et c’est une somme de 20 millions de dollars (environ 12 milliards FCfa). C’est une affaire sérieuse et tous les acteurs de la société civile qui s’activent doivent demander qu’une commission d’enquête soit ouverte pour que cette affaire soit éclairée», a soutenu Cheikh Yérim Seck.

«Au Sénégal, il n’y a aucune transparence sur les fonds de campagnes électoraux»

Contacté par L’Observateur, sur cette affaire soulevée par le député Matar Diop, le fondateur d’Afrikajom Center, Alioune Tine est favorable à l’ouverture d’une enquête pour éclairer la question. Alioune Tine : «Absolument, je suis tout à fait d’accord pour l’ouverture d’une enquête. C’est pour ça que nous demandons un dialogue. Le dialogue est nécessaire et extrêmement important parce qu’il permet de soulever toutes ces questions. Mais la plupart des partis politiques, du pouvoir comme de l’opposition, ne veulent pas le faire. Au temps du Président Abdoulaye Wade, une loi a été proposée, mais il n’y avait pas de suite.» Pour le fondateur du Think Tank Afrikajom Center, le grand problème que nous avons au Sénégal, c’est qu’en réalité, il n’y a aucune transparence sur les fonds de campagnes électoraux.

Alioune Tine renseigne que depuis longtemps, ils ont demandé qu’on fasse une législation sur la question des dépenses électorales, qu’on puisse au moins fixer un plafond. Et que la population, de façon très transparente, puisse comprendre d’où vient l’argent des formations politiques parce qu’il y a des pays où les trafiquants de drogue financent les élections. Donc, d’après lui, c’est extrêmement important parce que quand des lobbies financent des élections, après, ils vont contrôler les institutions du pays. «Ce sont des choses qui peuvent exister et c’est une réalité dans certains pays latino-américains. Le Sénégal n’est pas épargné», dit-il. En observateur averti, Alioune Tine souligne qu’à partir du moment où le pays a du pétrole et du gaz, il est évident que dans la compétition des puissances que des entreprises s’intéressent au Sénégal et elles peuvent bel et bien financer des acteurs du pays. «Aujourd’hui, tout le Sahel est impacté par la question religieuse. Que ça soit par le Salafisme, par l’intermédiaire d’un conflit ouvert ou de polémiques comme on le voit chez nous, les financements occultes peuvent déstabiliser un pays. Nous sommes très intéressés par ce phénomène et nous sommes en train de travailler sur la géopolitique de l’islam au Sahel. Mais, le problème c’est la transparence dans le financement des formations politiques. Dans tous les pays démocratiques, on veille pour qu’il y ait une transparence dans les financements des partis politiques. Aux États-Unis par exemple, les lois sont très sévères sur la question. En France, un ancien chef d’Etat comme Nicolas Sarkozy est traîné devant les tribunaux pour n’avoir pas respecté les lois sur les financements des partis politiques et des élections. Chez nous, nous en avons besoin parce que nous sommes beaucoup plus fragiles et nos institutions aussi», explique Alioune Tine.

«Une loi sur le financement du fonctionnement des partis politiques»

Pour sa part, Birahim Seck rappelle que le combat de tous les jours du Forum civil est la revue du financement des partis politiques. Le Coordonnateur du Forum civil précise qu’ils ont fait des plaidoyers auprès des partis politiques, rencontré des instances, formulé un avant-projet de texte sur le financement des partis politiques. «D’ailleurs, nous sommes à l’approche des élections, certains disent qu’il y a des parrainages qui sont achetés, l’on se rend compte aussi qu’il y a énormément d’argent qui est injecté dans les campagnes et pré campagnes électorales du côté du pouvoir comme de l’opposition. C’est pour cela qu’il est urgent aujourd’hui qu’on ait au Sénégal une loi sur le financement du fonctionnement des partis politiques, d’une part. Et d’autre part, sur le financement des campagnes électorales. Il faut qu’on trouve les moyens d’encadrer les montants qui sont injectés dans les campagnes, mais également les moyens financiers qui permettent aux partis politiques attitrés de pouvoir fonctionner pour faire vivre la démocratie», soutient-il.

Le patron du Forum civil indique que Madiambal Diagne est dans son droit d’interpeller les organisations de la société civile, y compris le Forum civil. «Mais, nous aussi avons le droit de l’interpeller en tant que journaliste surtout un journaliste qui se dit d’investigation et qui est proche du pouvoir et du président de la République. Au moment où le député Matar Diop a soulevé des faits qui touchent directement le président de la République, lui-même, en tant que journaliste, devait pouvoir nous édifier sur la véracité des faits. L’autre aspect est que le député Matar Diop, s’il a du solide, il ne doit pas attendre pour saisir la Justice. Maintenant il appartiendra à la Justice de faire son travail d’enquête et d’investigation. Mais, Madiambal Diagne, en tant que journaliste d’investigation et proche du Président Macky Sall, a certes le droit de nous interpeller, mais en tant que journaliste il devait faire son travail», ajoute le coordonnateur du Forum civil.

En attendant que cette affaire soit élucidée, le peuple sénégalais est en droit de savoir toute la vérité.