Le fils de l’ex-président Abdoulaye Wade n’est toujours pas revenu du Qatar, où il est installé depuis 2016. Son parti ne jure cependant que par lui pour l’élection prévue en février 2024.

L e principal intéressé ne s’est tou- jours pas exprimé, mais le dépôt, lundi 27 novembre, de la caution de Karim Wade pour être candidat à la présidentielle, prévue en février 2024, par les cadres de son parti avait des allures de caravane de campagne avant l’heure. En accomplissant cette première formalité, le Parti démocratique sénégalais (PDS) a brièvement attiré la lumière sur lui dans une actualité politique dominée par la rivalité entre la coalition au pouvoir et le Pastef, le parti d’Ousmane Sonko, dissous le 31 juillet par l’Etat, trois jours après l’arrestation du principal opposant sénégalais.

Les 45 000 euros ont été versés à la Caisse des dépôts et consignations de l’Etat du Sénégal en guise de premier pas : “Karim Wade est notre seul et unique candidat”, martèle le PDS. “Le parti procède par étapes, mais il sera candidat”, promet l’un de ses proches. L’ancien ministre de la coopération internationale, des transports aériens, des infrastructures et de l’énergie entre 2009 et 2012, nommé par son père, le président Abdoulaye Wade, avait été condamné en 2015 à six ans de prison pour enrichissement illicite. Son procès, mis en scène comme une opération “mains propres”, avait tenu le Sénégal en haleine. Mais, après trois ans d’emprisonnement, le président Macky Sall l’avait gracié et Karim Wade s’était aussitôt envolé pour le Qatar, où il réside depuis 2016. S’il avait tenté, en 2019, de briguer la présidence, le Conseil constitutionnel avait rejeté sa candidature.

Le contexte politique a depuis radicalement changé pour le fils d’Abdoulaye Wade, remis dans la course présidentielle par une réforme du code électoral issue du dialogue politique convoqué en juin par le chef de l’Etat. En prime, celui que ses détracteurs surnommaient du temps de sa toute-puissance “le ministre du ciel et de la terre” a obtenu sa revanche sur la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). La juridiction d’exception qui l’avait condamné a été abrogée le 20 juillet puis remplacée par un pôle judi- ciaire financier.

Amende de 138 milliards de francs CFA

Se pose maintenant la question de son retour. “Bientôt”, répondent en chœur les leaders du PDS interrogés, sans pour autant avancer de date. Karim Wade, 55 ans désormais, n’est jamais revenu au Sénégal depuis son départ au Qatar et son absence à trois mois du scrutin peine à être comprise par bon nombre de Sénégalais. Est-ce pour obtenir “des garanties juridiques supplémentaires de Macky Sall ?”, s’interroge l’analyste politique Momar Diongue.

La décision de justice rendue par la CREI contre Karim Wade comprenait également une amende de 138 milliards de francs CFA (209 millions d’euros) tou- jours impayée. En 2019, le Conseil constitutionnel n’en avait pas fait un motif d’invalidation de sa candidature, mais le pouvoir n’avait pas hésité alors à brandir cette sanction financière comme une menace des nouveaux ennuis judiciaires qui pourraient attendre Karim Wade à son retour. Interrogé par France 24 en 2018, Macky Sall avait lui-même rappelé à l’époque que Karim Wade, bien que gracié, n’était pas pour autant absous de l’amende.

L’Etat peut toujours utiliser cette procédure contraignante contre Karim Wade pour recouvrer son dû par le Trésor public”, explique Me El Amath Thiam, spécialiste du contentieux des affaires. L’avocat souligne cependant que, si une éventuelle incarcération pourrait être sollicitée par le parquet lors du retour à Dakar de l’intéressé, celle-ci serait en décalage avec le climat d’apaisement politique entre le pouvoir et le PDS.

Tafsir Thioye, le porte-parole du PDS, prétend ainsi que la question, qui n’a “même pas été discutée en interne”, a été réglée lors du dialogue politique. “Il est prêt, plus aucun obstacle ne se dresse contre sa candidature”, affirme-t-il. “Nous préparons son retour et Karim Wade se focalise sur la préparation du programme qu’il va soumettre aux Sénégalais”, renchérit la parlementaire Mame Diarra Fam.

“Dynamique triomphale”

S’il ne s’est plus adressé que par com- muniqués aux Sénégalais, Karim Wade, qui occupe désormais au sein de son parti la fonction de secrétaire général adjoint chargé de l’élaboration des stra- tégies politiques, reste très impliqué dans la gestion interne du parti et n’hésite pas à appeler d’anciennes grandes figures du PDS pour les convain- cre de participer à l’opération “gnibissi” (retour). Quelques transfuges, ex-minis- tres ou élus locaux, ont déjà répondu favorablement à sa démarche.

Nous avons voulu que tous ceux qui étaient partis reviennent à travers cette initiative enclenchée par Karim et le président Wade”, explique Tafsir Thioye. A 97 ans, l’ancien chef de l’Etat, fortement critiqué pour avoir voulu transmettre le pouvoir à son fils, se fait discret dans sa résidence dakaroise, mais “rien ne se passe sans qu’il ne soit au courant”, confie le porte-parole du parti.

Si Karim Wade n’a pas le poids poli- tique de son père et que son assise dans l’opinion reste à démontrer, un retour “le plus tard possible pour surfer sur une dynamique triomphale” n’est pas absurde, selon Momar Diongue. “C’est même un moyen de se ménager et d’évi- ter d’être interpellé sur des questions gênantes”, dit-il. Au Sénégal, l’opinion est toujours partagée entre ceux qui considèrent que Karim Wade a été victime d’une chasse aux sorcières et ceux qui jugent que le fils de l’ancien pré- sident bénéficie d’un traitement de faveur pour des motifs politiques.

LEMONDE.FR