NETTALI.COM - «Le Président de la République a nommé par décret n° 2023- 2152 du 03 novembre 2023, les nouveaux membres de la Commission électorale nationale autonome (CENA), à l'expiration des mandats des membres sortants », a-t-on lu dans un communiqué du Secrétaire général à la présidence de la République. Au nombre de 12, il sont nommés pour une durée de six ans, à compter du 3 novembre 2023.
Il s’agit d'Abdoulaye Sylla, inspecteur général d’Etat à la retraite, Ndary Touré, magistrat à la retraite, Cheikh Awa Balla Fall, inspecteur général d’Etat à la retraite, Serigne Amadou Ndiaye, professeur des Universités à la retraite, Aminata Fall Niang, professeur des Universités, Ndèye Rokhaya Mbodj, journaliste, Cheikh Tidiane Ndoye, administrateur civil à la retraite, Léopold Wade, Administrateur civil à la retraite, Mamadou Marème Diallo, commissaire de Police à la retraite, Mamadou Bocar Niane, enseignant, Aïssatou Sow, notaire, et Fatou Kiné Diop, conseillère en Décentralisation.
C'est ainsi qu'Abdoulaye Sylla, Inspecteur général d'Etat à la retraite et Monsieur Ndary Touré, magistrat à la retraite, sont respectivement devenus Président et Vice-Président de la Commission électorale nationale autonome (Cena).
Et même si le remplacement de Doudou Ndour était réclamé depuis très longtemps du fait de l'expiration de son mandat depuis belle lurette, les nouvelles nominations de Macky Sall posent beaucoup de problèmes. En effet, nommé par décret n° 2009-1431 en date du 24 décembre 2009 pour un mandat de six (6) ans non renouvelable, Doudou Ndir, magistrat à la retraite qui avait remplacé Moustapha Touré, devait céder sa place depuis 2015. Mais il a été maintenu en poste par le Président Macky Sall. En le remplaçant, Macky Sall a mis fin l’illégalité de son maintien en poste.
Un remplacement toutefois procédé dans un contexte préélectoral déjà tendu, marqué par un bras de fer entre la Cena et la Direction générale des élections (Dge). En cause, le retrait des fiches de parrainages par le candidat Ousmane Sonko. Empêtré dans des procédures judiciaires et suspendu au verdict de la Cour suprême, le leader du parti dissous Pastef a vu son mandataire empêché par la Dge de récupérer les fiches de parrainage. La Cena a ainsi enjoint les services de Thiendella Fall de mettre à la disposition du mandataire d’Ousmane Sonko, et dans les meilleurs délais, les outils dont il a besoin pour collecter les parrainages nécessaires à sa candidature à l’élection présidentielle du 25 février 2024. Mais Doudou Ndir va se heurter au refus d’obtempérer de la Dge qui soutient que le nom de Ousmane Sonko n’est pas présent sur les listes électorales. Et à en croire certains spécialistes, la loi permet à la Cena de se substituer à la Dge et de remettre au mandataire de Sonko tous les documents et outils dont il a besoin, dans le cadre du parrainage.
Mais au-delà, la série de nominations faites par le président de la république, suscitent moult interrogations. D’abord, Saidou Nourou Bâ, conseiller principal des affaires étrangères de classe exceptionnelle à la retraite, a été limogé alors que son mandat n’est pas arrivé à expiration. Il a été nommé par décret daté du 9 octobre 2018, en remplacement de Mouhamadou Mbodj, décédé. En effet, selon l’article L.4 de la loi N°- 2005-07 portant création de la Commission électorale nationale autonome, la Cena comprend douze (12) membres nommés par décret. (…) Les membres sont nommés pour un mandat de six (6) ans renouvelable par tiers tous les trois (3) ans.
Autre problème, Abdoulaye Sylla, nommé Président de la Cena, est actuellement membre du Conseil constitutionnel. Il a été nommé pour siéger à cette haute juridiction par décret n°2018-2126 du 6 décembre 2018, pour un mandat de 6 ans. Théoriquement, son mandat court jusqu’au 5 décembre 2024. De plus, il ne peut démissionner du conseil constitutionnel sans suivre la procédure stricte prévue à l’art 5 de La loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel qui dispose :
L’article 5 de la loi sur la Cour suprême dispose, en effet, qu’ «iI ne peut être mis fin, avant l’expiration de leur mandat, aux fonctions des membres du Conseil constitutionnel que sur leur demande, ou pour incapacité physique, et sur l’Avis conforme du Conseil. Dans tous les cas, l’intéressé est entendu par le Conseil et reçoit communication de son dossier. L’Avis conforme du Conseil constitutionnel statuant sur la demande de démission est publiée sur le site de celui-ci et au journal officiel ».
L’avis conforme d’une quelconque démission n’est publié ni sur le site du Conseil constitutionnel, ni au journal officiel.
Autre incongruités relevées, la nomination de Cheikh Awa Balla Fall comme membre de la Cena. L'on se souvient en effet qu’il avait mis en place un mouvement dénommé «Mobilisation pour un deuxième Mandat (M2M)» de Macky Sall. Autant dire qu’il est un soutien de longue date du président de la République, Macky Sall et ne s’en est jamais caché. D’ailleurs, sa cooptation comme Inspecteur général d’Etat (Ige) par le président Macky Sall, avait soulevé une vague de protestations.
De même, la nomination du professeur Serigne Amadou Ndiaye, ancien doyen de la Fac science, comme membre de la Cena, est tout aussi problématique. En effet, il est responsable politique dans la commune de Mboss.
En 2015, alors candidat malheureux aux élections locales sous la bannière de l'Apr, il avait organisé une grande manifestation dans la commune rurale de Mboss, présidé par l'Administrateur général de l'Apr, Pape Maël Thiam, «pour regrouper les Apéristes de la localité afin de taire les querelles intestinales nées des Locales et mettre en place une nouvelle dynamique de convergence pour réélire le président Macky Sall».
Ces nominations de proches de la mouvance présidentielle sont d’autant plus problématiques que l’article L.4 dispose que les douze (12) membres de la Cena sont nommés par décret et «sont choisis parmi les personnalités indépendantes exclusivement de nationalité sénégalaise connues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur neutralité et leur impartialité, après consultation d’institutions, d’associations et d’organismes tels que ceux qui regroupent Avocats, Universitaires, Défenseurs des Droits de l’Homme, Professionnels de la communication ou de toute autre structure ».
Etant affiliés ou proches du parti au pouvoir, ces personnalité feront forcément douter de leur neutralité et leur impartialité.
L’Article L.7 ajoute d’ailleurs que ne peuvent être membres de la Cena «les membres d’un groupe de soutien à un parti, à une liste de candidats ou à un candidat».