NETTALI.COM - Entre la Senelec (Société nationale d’électricité) et les consommateurs sénégalais, le courant ne passe plus. La hausse vertigineuse des factures d’électricité a fini d’électrocuter les relations entre les deux parties.

A.Dia a failli tomber en syncope. A la vue du montant de sa facture d’électricité, il a eu un hoquet de surprise, s’est brusquement levé de son fauteuil, avant de se mettre à bégayer. Il n’en revenait tout simplement pas. Et toute la maisonnée a fait les frais de sa fureur. «Il est entré dans une colère noire et s’est mis à crier sur tout le monde, nous accusant de gaspiller le courant, raconte sa fille, un brin amusée. Et il y a de quoi, la facture est passée de moins de 80000 à presque 200 000 FCfa, ce que nous n’avons jamais eu. Personne n’a compris.» Et pourtant, selon Ndèya, les habitudes de consommation de la famille, résidant à Scat Urbam, n’ont pas changé. «Nous avons toujours les mêmes matériels, nous sommes certes en période de chaleur, mais nous n’avons jamais reçu un tel montant durant cette période. Mon père est dans tous ses états. Il nous a obligés à tous donner une participation pour payer la facture», relate-t-elle.

La mésaventure du sieur Dia n’est pas isolée. Loin de là, c’est l’épidémie du moment. Un mal national dont presque tout le monde souffre au Sénégal. Les factures d’électricité ont connu, ces derniers mois, une hausse vertigineuse que les consommateurs ne comprennent pas. Les plaintes se suivent et se ressemblent, avec des factures qui passent du simple au double, voire même triple. Déjà durement éprouvés par la cherté du coût de la vie, les consommateurs sénégalais ne savent plus à quel saint se vouer et n’ont que leurs yeux pour pleurer. Pourtant, le Directeur général de la Senelec avait assuré qu’il n’y aurait pas de hausse en 2023 pour les 1.159.146 millions de clients qui sont dans la tranche sociale. Mais force est de constater qu’il y a bien eu hausse. Une augmentation qui donne des sueurs froides.

«De moins de 400 000 à 1,787 million FCfa»

Cette jeune responsable d’une petite entreprise, qui a requis l’anonymat, peut en témoigner. «Je suis tout simplement sidérée. Imaginez-vous, j’ai reçu une facture de 1.787.000 FCfa ! Je passe de moins de 400.000 à plus d’un million 500, c’est de la folie», se lamente-t-elle. La dame s’arrache presque les cheveux de dépit. Désorientée, elle exhibe ses différentes factures de ces trois derniers mois pour illustrer l’incroyable hausse. «Regardez, entre les mois de mai et septembre, j’ai reçu 363.700, 393.400 et 1 787.000FCfa. Je ne vois pas ce qui peut expliquer une telle augmentation), je n’ai pas changé mes habitudes, et je suis obligée de payer la facture si je ne veux pas être privée de courant. Si ça continue, je risque de mettre la clé sous le paillasson, ma petite société ne pourra pas supporter une telle charge.» La Senelec est sur le banc des accusés. Oumy Ndour est journaliste, elle a également subi la hausse inexpliquée des factures d’électricité. «Je suis passée d’une facture de 61.100 à 117.500 FCfa, qui plus est sur une période où je n’étais presque pas chez moi. Je ne comprends pas, sur cette même période, l’année dernière, la facture la plus chère que j’ai payée était de 88.000 FCfa, donc qu’est-ce qui explique cette année que je doive passer de 88.000 à 117.500 FCfa ? Alors que j’ai même acheté un nouveau réfrigérateur qui consomme moins d’électricité et qu’il n’y avait presque personne chez moi durant la période facturée. Donc, qui a consommé cette électricité ?», s’interroge-t-elle. La hausse constatée ne concerne pas uniquement les factures, les compteurs Woyofal ne sont pas en reste. «Woyofal, comme son nom l’indique, devait normalement nous faciliter les choses, mais aujourd’hui, je regrette amèrement d’y avoir souscrit, fulmine M. Cissé, personne ne comprend leur système de tarification. Avec le même montant, on a des quantités différentes de kilowatts d’une période à une autre du mois, ils nous parlent de 1ère   , 2ème  ou 3ème tranche, mais c’est à n’y rien comprendre, c’est juste insensé.»

De 86.000 à 704.000, de 25.000 à 80.000, de 30.000 à 147.000 FCFA…

Sur la toile, les témoignages fusent de partout. «Nous sommes passés de 65. 000 à 115. 000 FCFA pour une maison de 3 personnes et rien n'a changé dans notre consommation par rapport à la même période de l'année passée». «Avec le Woyofal, je suis passée de 25.000 à 80.000 FCFA par mois». «J’ai reçu une facture de 704.000 FCfa alors que je payais 86.000 FCfa». «De 55.000 à 120.000 FCfa, de 30.000 à 147.000 FCfa, de 25.000 à 112.000 FCfa, de 18.000 à 75.000F»(…). Pêle-mêle, les consommateurs sénégalais déversent leur ras-le-bol sur les réseaux sociaux. Et le pire, c’est que la Senelec ne communique pas, s’insurgent-ils. «La Senelec a toujours eu un problème de communication, dénonce Oumy Ndour. Même pour les factures, on les recevait à trois ou cinq jours de l’échéance, il a fallu que l’on râle sur les réseaux sociaux pour qu’ils commencent à envoyer des SMS. Les sociétés nationales doivent comprendre que les consommateurs ont des droits, on ne refuse pas de payer, mais on veut comprendre le pourquoi du comment. Cette histoire de nouvelle tarification et de différentes tranches ne peut pas expliquer qu’une facture soit décuplée.» Et au milieu de tout ce tohu-bohu, le silence des associations de consommateurs est assourdissant. Momar Ndao de l’Ascosen (Association des consommateurs sénégalais) s’en défend toutefois. «Nous avons pourtant communiqué, effectivement le prix de l’électricité est extrêmement élevé. Nous avons reçu beaucoup de réclamations de la part des consommateurs. La tarification est compliquée et c’est insupportable pour les consommateurs, l’électricité est excessivement coûteuse. Et Senelec ne fait rien pour expliquer aux usagers les raisons de cette facturation qui varie d’une période à l’autre.» Selon lui, il faudrait que la Senelec revoie sa facturation qui est trop élevée, trouve une formule pour la simplifier et que le prix de l’électricité soit revu à la baisse. «Les Sénégalais sont fatigués, avoue Momar Ndao. Nous avons essayé d’expliquer aux consommateurs les différences de kilowatt lors de l’achat, mais le fond du problème c’est surtout le prix de l’électricité qui est extrêmement cher. Nous ne comprenons pas qu’au moment où la Senelec réalise des bénéfices élevés, que le prix de l’électricité atteigne ces niveaux. Ce n’est pas normal.»

«L’électricité coûte cher parce que…»

Directeur de la communication de l’Agence pour l’économie et la maîtrise de l’énergie (Aeme), Bachir Fofana tente une explication. «L’Etat a consenti beaucoup d’efforts pour contenir le prix de l’électricité, mais disons-le d'emblée et sans ambages : nous avons une électricité qui coûte cher parce que tous les intrants qui concourent à sa fabrication sont importés, seul le facteur humain (le personnel de Senelec) est produit localement.» Il rappelle cependant qu’il y a eu une hausse du prix de l’électricité en janvier dernier. «Or, en cette période, nous étions en période de fraîcheur et le consommateur n'avait pas ressenti cela dans sa facture d'électricité. Avec l'été, il fait chaud, nous dormons tard, et nous rallongeons le temps d'utilisation des équipements domestiques. Les équipements de froid (ventilateurs, climatiseurs, réfrigérateurs) sont davantage sollicités. Or, ce sont ces équipements qui consomment le plus dans les ménages. Par exemple, la climatisation à elle seule, c'est 40% de la consommation d'un ménage. Sans compter que les équipements domestiques, plus ils sont vieux, plus leur consommation augmente.» S’agissant des compteurs Woyofal, Bachir Fofana admet que le système de facturation peut effectivement conduire à une recrudescence des récriminations vis-à-vis de ce mode de paiement. «Il y a beaucoup de récriminations et Senelec se doit de les étudier pour voir comment dissiper les malentendus avec ses clients. En ce qui nous concerne à l'Aeme, nous disons que connaître sa consommation d'énergie est le premier facteur de maîtrise de celle-ci. Or, c'est cela que procure le compteur Woyofal qui permet de savoir combien vous avez consommé la veille, la semaine, le mois, et même sur le semestre. À ce niveau, il est recommandé à l'usager de n'acheter que ce dont il a besoin. Ni plus ni moins.» Chargée de promouvoir une utilisation rationnelle de l'énergie dans toutes ses formes et dans tous les secteurs, l’Aeme préconise deux concepts aux usagers pour gérer au mieux leur consommation d’énergie. «Il s’agit de l'efficacité énergétique qui repose sur l'utilisation d'équipements à haute performance énergétique, c'est-à-dire les équipements qui donnent le même service mais en utilisant moins d'énergie. Et le second aspect, c'est la sobriété énergétique qui n'est rien d'autre que le comportement de l'usager face à sa consommation. Ce qui appelle des gestes simples mais que nous négligeons comme éteindre les lumières dans les pièces non occupées, bien entretenir son réfrigérateur pour éviter la surconsommation, entretenir régulièrement ses équipements de froid...»