"Un homme d’État éclairé s’efforce d’élever le niveau culturel de son peuple en le dépêtrant de ses croyances contre- productives et non de prendre celles-ci comme base de son action. Il doit diriger le peuple à partir d’une vision éclairée et non se laisser guider par les obscurités du peuple." Djibril Samb (“Premières méditations tilogiques”)

NETTALI.COM - Les voies du Seigneur sont décidément bien insondables. Personne n’aurait parié, même trois mois derrière nous, que Bassirou Diomaye Faye serait le 5e président démocratiquement élu du Sénégal. Et pourtant, la scène vécue mardi, grandeur nationale, avec toute la solennité requise, n’est point un rêve collectif. Le nouveau président a bien dit : "Devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la charge de président de la République du Sénégal, d'observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois...” Il l’a dit de façon calme. Et étonnamment pour un néophyte dans la fonction, sans trembler. Lui, Diomaye, 44 ans, qui n’a jamais exercé de poste réellement important au niveau de l’État. Mais qui, par la force des choses, a dribblé tout son monde, y compris sa propre famille politique, pour se retrouver à la tête de l’État, grâce aussi au coup de pouce d’Ousmane Sonko.

Le voilà donc installé sur le fauteuil et dans ses habits de fer et d’ors. D’un naturel calme, flegmatique à l’Anglaise, il dégage une certaine humilité et sobriété qui le rendent, à vue d’œil, sympathique.

Que lui souhaiter sinon qu’il réussisse son magistère et que les espoirs placés en la personne, surtout par les plus jeunes, ne soient pas déçus. Notre pays ne supporterait sans doute pas une gueule de bois prématurée qui découlerait d’un échec du nouveau régime. Le président Bassirou Diomaye Faye a un avantage certain sur ses prédécesseurs. Il ne semble en rien devoir, à notre connaissance, aux lobbies faiseurs de rois, qu’ils soient sacrés ou laïcs. Il n’est donc l’obligé d’aucune chapelle. Ce qui lui donne une certaine marge de manœuvre en termes de capacité d’action.

Mais agir, même bien agir, être aimé, vénéré ne sont pas toujours gage de succès. L’ancien président libérien, George Weah, fut adulé par la jeunesse, mais qui déçut dès les premiers mois qui ont suivi son investiture. Les Libériens ont dû attendre six ans avant de le dégager du pouvoir. Le Sénégal n’est sans doute pas le Liberia. Diomaye n’est sans doute pas Weah et on ne peut lui souhaiter le même destin.

Ce qu’il faut surtout retenir des crises qui se sont manifestées dans notre pays, ces dernières années, c’est que la volonté populaire est la seule qui est réellement souveraine. Qu’il n’y a point d’erreur dans le choix du peuple, dans l’expression de sa volonté. Il peut naturellement arriver que la déception se manifeste, que les attentes soient déçues, les espoirs trahis. Cela peut arriver très vite ou tard. Mais toujours, cet instant, tant redouté par tout prince, se présentera inéluctablement. Cela dépend de pulsions populaires fort complexes, difficiles à décrypter. Comme toute lune de miel, dont le destin est de prendre fin, même dans les mariages les plus réussis, ce moment doit être négocié avec sagesse et mesure.

Aucune alternance ne doit se faire dans la rue. Lorsqu’on se trompe, on prend patience pour attendre le prochain rendez-vous avec les urnes pour sanctionner. Si notre démocratie est aujourd’hui adulée à travers le monde, malgré les tempêtes qui en ont menacé dernièrement les fondements, c’est parce que nous gardons encore cette tradition que les pays qui nous entourent n’ont pas. Sauvegardons donc cet héritage qui transcende nos ego.

Il faudrait souhaiter de la sagesse au nouveau président qui devra faire l’expérience de la solitude du pouvoir, loin des meetings enflammés et des déclarations incendiaires. Le poids de la charge va le métamorphoser au fil du temps. Souhaitons que cela soit dans le sens d’un stress positif et salvateur. Le président Faye n’aura sans doute pas besoin d’être davantage encombré qu’il ne le sera dès à présent. Il est vrai que des forces l’ont accompagné, sans lesquelles il ne serait pas là. Comme président, il doit comprendre que garder le lien avec le peuple est son assurance-vie.

Mais ses compagnons devront intégrer que la charge est non seulement lourde, mais aussi jalouse. Ce, d’autant plus que l’ombre menaçante des promesses difficilement tenables, dans un pays où le sommeil est préféré au sport, se fera sentir.

Sans même bien lire le programme du candidat Diomaye, ils sont aujourd’hui très nombreux, ces jeunes qui pensent que le travail devait maintenant tomber du ciel. Peut-on reprocher à la jeunesse d’être impatiente ? Doit-on maintenant lui tenir le langage de la vérité en lui demandant sagement de bloquer le chrono en attendant que les starting-blocks soient installés ? Ce qui est clair, c’est que ces épisodes de crises vécues dernièrement doivent inviter à une introspection profonde dans la pratique de la politique. Nos politiques doivent comprendre une bonne fois pour toutes que les propos qu’ils peuvent tenir dans la passion de leur engagement peuvent laisser des traces pro- fondes, si profondes qu’ils ne pourront pas les effacer d’un coup de baguette magique, une fois au pouvoir.

Post scriptum

Le président Macky Sall a pris tranquillement son avion pour laisser la place à son successeur. Quel que soit ce qu’on pourra lui reprocher en mal, il ne faut jamais oublier qu’il aurait pu faire le choix du bras de fer et de la confrontation. Il disposait de forces nécessaires pour cela. Le fait qu’il ait choisi de renoncer à un troisième mandat et qu’il se soit retiré du pouvoir à date, le hisse vers une certaine hauteur républicaine. Seule la balance de l’histoire, la longue histoire dirions-nous, pourra établir si les fautes commises l’emportent sur ses réalisations.