NETTALI.COM - La question n’est plus finalement une affaire de Premier ministre remise au goût du jour ou de nomination d’un nouveau Doyen des juges, d’un procureur de la République ou encore de retour en force d’un ancien magistrat du parquet. Il est surtout et surtout question de mettre en place des institutions solides, indépendantes les unes des autres, de manière à ce qu’il y ait un équilibre entre les pouvoirs. N’est-ce pas cela qu’a théorisé Montesquieu dans «l’Esprit des lois» ?

Ah ces Sénégalais, ils sont aujourd’hui comme pris au piège, dans un rapport de fascination avec le pouvoir. Ce qui les empêche de comprendre ce qui se joue sous leurs yeux. Les remaniements sont un moment fort pour capter toute leur attention. Et les hommes politiques savent comment les avoir à leur jeu. Ils réalisent qu’ils passeront leur temps à épiloguer sur les sujets qu’ils leur proposeront ; que leurs compatriotes sont friands de nominations et de ce suspens qui va être entretenu sur celui ou celle qui va occuper tel ou tel autre poste ministériel. Ou comme c’est le cas actuellement, celui qui occupera le poste de Premier ministre. Ces occasions sont en même temps des temps forts médiatiques qui permettent de les distraire de tous les sujets embrassants du moment et qui font polémique et ne les arrangent point.

Ainsi va le Sénégal, il est rythmé par cet amour-haine qu’entretiennent ces politiciens professionnels et les populations qui ne voient que du feu dans la gestion de leur cité. Ils sont pris de passion pour ces locales, alors que la gestion de proximité n’a jusqu’ici pas prouvé son utilité et son efficacité. Un sacré jeu de dupe qui aurait pourtant pu être bien simple, si nos institutions étaient peuplées de personnes vertueuses, patriotes et ayant un sens de l’intérêt général. L’on nous dira que ce type d’homme n’existe nulle part sur cette terre. Et c’est justement la raison pour laquelle, il est nécessaire de mettre en place des institutions solides, de manière à contraindre les hommes à respecter les lois et règlements en vigueur.

Mais à la vérité, les hommes politiques ont pris le pouvoir en otage et ne s’embarrassent guère d’en user à leur profit. C’est comme si en effet le peu de bienfaits qu’ils font à leurs concitoyens, était une sorte de faveur qu’ils leur accordent.

Le mode opératoire de ces politiciens est bien simple. En mettre plein la vue aux populations en construisant des autoponts, des routes, des autoroutes, des infrastructures de transport routier et ferroviaire, tels que le BRT et le Ter, alors qu’il aurait juste fallu un maillage du territoire (dans ce cas-ci), d’où sont absents les rails depuis belle lurette et à des coûts raisonnables, suivant ce qui se fait ailleurs en Afrique, de manière convenable et à des coûts moins onéreux. Mais à voir l’état des routes jonchées de nids de poule, les routes détruites pour installer des systèmes de canalisation ou pour enterrer des câbles, les trottoirs occupés par les camions, l’on note un contraste saisissant entre ce semblant de modernisation, le désordre ambiant et l’entretien routier qui laisse à désirer. Les taxis et les minicars du transport inter-urbain, déglingués, sales, vieux, à la tôlerie maintes fois retouchées, l’indiscipline des chauffeurs, on n’en parle même pas. Il ne reste plus d’ailleurs dans la majorité des cas que la couleur jaune-noir pour renseigner que les taxis transportent des personnes qui casquent fort. Tout cela n’est rien d’autre que le signe de l’incurie de nos gouvernants et l’inconséquence de leurs politiques dans le secteur du transport qui aurait pu d’ailleurs exploiter le potentiel offert par la voie maritime, Dakar étant une presqu’île. Bref.

A la vérité sous nos cieux, les politiques n’insistent jamais sur les problèmes de fond, comme mettre des moyens conséquents dans l’école publique, l’enseignement supérieur, la recherche et la santé, sans oublier la formation professionnelle. Personne n’oublie qu’autrefois l’école publique était bien plus attractive que l’école privée. En effet, seuls les recalés du système public fréquentaient cette dernière. Des générations de Sénégalais dont on vante aujourd’hui la compétence, ont pour bon nombre d’entre eux été formés à cette école-là. Aujourd’hui la donne a vraiment changé. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, en plus d’être à deux vitesses, emprisonnée qu’elle est dans un système composé d’écoles qui gardent leur excellence du fait de moyens supplémentaires à elles octroyées, en plus d’être sélectives à l’entrée, tout en bénéficiant des meilleurs professeurs traités de manière princière. L’école d’excellence de Diourbel à vocation scientifique, en est une parfaite illustration. Elle recrute des élèves en classe de seconde. De l’autre côté, au sein d’une même école, le Concours général divise, en créant deux niveaux : ceux que l’on prépare au Concours général et ceux qui sont abandonnés à leur propre sort. La conséquence, ce sont de bons résultats au concours général et des résultats mitigés au baccalauréat.

Les politiques n’ont en réalité guère le souci du long terme, de la pérennité. Ils se doutent bien que ce qui dure, c’est ce qu’on met du temps à construire. Mais cela ne les arrange point car ils aiment à prolonger les chantiers de manière à en jouer pour obtenir des réélections. Le mode opératoire est simple et Me Wade a montré la voie. Il avait, lors de son premier mandat creusé tout le pays, question d’appâter les populations sur des chantiers à venir, avant de leur demander de voter pour lui, avec pour objectif de lui permettre de les poursuivre. Avec Macky Sall, le système des infrastructures est reconduit, entravant la mobilité dans bon nombre d’artères de la capitale. Difficile de comprendre pourquoi ils ont tant traîné. Allez savoir…

Ne nous étonnons en tout cas guère que les députés votent la réintroduction du poste de Premier ministre avec la même force d’arguments, en défendant tout le contraire de ce qu’ils avaient invoqué pour supprimer le poste. Ce qui n’est pas sans poser la question de nos institutions, tant dans la manière dont les parlementaires sont choisis et mis sur les listes, que celle avec laquelle, ils assument leur mission. Le pire, et il est malheureux de le constater, l’hémicycle est empêtré dans ces affaires de trafic de faux billets et de passeports diplomatiques qui ont fini d'entacher l'image des représentants du peuple déjà bien écornée. Pour beaucoup hélas, ceux de la majorité en particulier, sont des députés de Macky Sall et non d'un peuple dont ils se réclament pour se donner une once de crédibilité et de légitimité. L’Assemblée nationale est à la vérité devenue un lieu d'applaudissements et une chambre d’enregistrement de tous les projets de loi du gouvernement et de propositions de lois à lui favorables.

Que ces observateurs qui nous parlent de renforcement du pouvoir de l'Assemblée nationale avec le projet d’introduction du Poste de Premier ministre et à travers la motion de censure ou de contrôle du travail de l'exécutif, nous épargnent leurs théories. Il y a ce qui est écrit et la réalité.

Tout au plus, le nouveau PM va être réintroduit. Celui-ci nous pondra une déclaration de politique générale pour la période de 2 ans qui reste du mandat de Macky Sall, si celui-ci ne rétropédale pas à nouveau avant et nous serve une autre botte secrète, sortie de sa besace à astuces politiciennes.

Nommer de nouveaux magistrats en remplaçant les décédés, pourvoir certains postes vacants et muter des personnes qui ont duré à des postes, sont le propre de tout système qui est censé se renouveler pour évoluer positivement. Cela a été le sens de cette dernière réunion du Conseil supérieur de la Magistrature qui aurait d’ailleurs dû se tenir depuis belle lurette. Une administration de la justice avec laquelle, de toute façon, les magistrats eux-mêmes, à travers l’Union des Magistrats du Sénégal (Ums), ne sont pas d’accord. Le premier élément de discorde avec l’exécutif est le fait que le président de la République et le ministre de la Justice puissent y siéger et décider de la carrière des magistrats. C’est un fait qui est persistant et qui concerne tous les gouvernants présents depuis l’indépendance du Sénégal. Les politiques ont en effet cette fâcheuse tendance à se plaindre de l’immixtion de l’exécutif dans le travail du judiciaire lorsqu’ils sont dans l’opposition. Et une fois qu’ils accèdent au pouvoir, ils font comme si de rien n’était. L’on se souvient que Macky Sall avait à sa disposition les recommandations de la Commission nationale de Réforme des Institutions et avait répondu qu’il choisirait ce qui lui conviendra. De l’eau a coulé sous les ponts et on en est toujours au même point. Les mêmes complaintes et les mêmes problèmes sont soulevés.

Et ce qui est le plus révoltant et qui est sorti de cette réunion du Conseil supérieur de la Magistrature, c’est le constat qui a été fait de l’affectation du juge Souleymane Téliko, ancien président de l’Ums, dans une juridiction à Tambacounda qui n’est pas encore fonctionnelle. Une affectation considérée par beaucoup comme une sanction. Figurez-vous que Téliko, ce sacré empêcheur de tourner en rond, a même été victime d’accusations de détournement. Il a aussi eu droit à une plainte. Et pourtant, il ne faisait qu’exécuter un mandat pour lequel, il a été élu par ses pairs au sein de l’Ums. Il n’a par exemple jamais cessé d’expliquer en quoi le procureur ne pouvait être juge et partie dans un procès. La réalité lui donne d’autant plus raison. Imaginez une seconde que le procureur de la république emprisonne un voleur et le présente par la suite devant un juge du siège pour lui demander de l’emprisonner pour une durée de 6 mois.

Ailleurs dans les pays où l’on est soucieux de l’équité de la justice, c’est seul un juge des libertés qui peut envoyer un présumé délinquant en prison et non le procureur de la république qui agit au nom de la société et qui est considéré comme un avocat de la société, donc partie au procès. Lorsque le magistrat Téliko évoque le cas de ces magistrats qui sont affectés contre leur gré comme conseillers dans des juridictions pour combler des vides, alors que les juges assis (ceux qui jugent lors des procès) sont régis par le principe de l’inamovibilité. Des affectations qui sont parfois vues comme des mutations déguisées. Il y a aussi toutes ces lois jugées liberticides qui, une fois visées, la personne poursuivie ne peut, en aucun cas, échapper au mandat de dépôt, le juge d’instruction en charge du dossier étant tenu de respecter la loi qu’il n’a pas voté et qui s’impose à lui. D’ailleurs dans l’argumentaire de Téliko et compagnie, c’est surtout dans ces affaires qui concernent le contentieux qui oppose les politiques et leurs opposants, que la justice est instrumentalisée. Ce qui est naturellement source de conflits, de polémiques et de frictions et en même temps générateur de violences.

Mais au-delà, c’est la nomination de tous ces ministres qui peuplent le gouvernement qu’il convient de revoir. Car il ne s’agit nullement de mobiliser les Sénégalais autour d’un temps fort médiatique pour nommer la quarantaine de ministres ou cette pléthore de conseillers, dont ils savent bien qu’ils ne seront pas utiles à la collectivité. Si ce n’est pour caser des militants ou la clientèle politique. Difficile en effet de voir l’utilité de tous ces ministères dont on peut se demander s’ils ont réellement une stratégie et une politique dignes de ce nom qui justifient leur création.

Un ministère comme celui du sport ne s’occupe en réalité que de campagnes sportives liées au football et au basket, alors que le Sénégal est dans le même temps caractérisé par un désert infrastructurel. Que penser du ministère de l’Elevage qui donne l’impression de ne s’occuper que de la Tabaski ? De même qu’un ministère tel que celui de la Famille, de la Femme… ou encore celui de l’Industrie dont on sait bien que le manque d’ambition a conduit à le confier à Moustapha Diop. On n’ose même pas évoquer le ministère de la Jeunesse dont on se demande le bien-fondé de son existence, si ce n’est la politique politicienne. Au-delà, c’est le nombre de conseillers qui est ahurissant. Difficile de faire la différence entre les conseillers, ministres-conseillers, chargés de missions, conseillers spéciaux. Sans oublier toutes ces institutions budgétivores, telles que le Haut conseil des collectivités territoriales ou encore le Conseil économique, social et Environnemental. Si elles avaient produit la preuve de leur utilité, les Sénégalais l’auraient vu depuis longtemps.

Macky Sall aura beau changer de gouvernement et de Premier ministre, le supprimer ou encore le remettre, cela ne changera rien au film. La clef du problème réside inéluctablement dans un changement de paradigmes. Mais à la vérité, le constat est qu'au bout de 2 mandats, le président de la République sénégalaise a vite atteint ses limites et apporté la preuve de son plafonnement. C’est la raison pour laquelle, dans les pays où l’on note que le président fait tout pour apporter du bien-être à sa population, le problème de limitation des mandats ne se pose pas. La preuve par Kagamé qui a fait 21 ans au pouvoir (Il est président de la République depuis le 24 mars 2000).

Ailleurs, la limitation des mandats est source de frictions parce que les populations ne voient pas un horizon clair. Mais pour l’heure, on n’est pas encore sortis de l’auberge, emprisonnés qu’on est dans un « ni oui, ni non».