NETTALI.COM - Les hommes politiques, ont-ils une mémoire ? Une fois au pouvoir, ils semblent vite avoir oublié ce qui a contribué à les y installer. Et l’on tente bien souvent d’expliquer le phénomène par une supposée réalité du pouvoir qui serait différente de la posture d’opposant et des promesses de campagne qui vont avec.   

Cela pourrait faire un grand bien à nos hommes politiques que de se rappeler parfois de ce qui a contribué à les faire élire. Macky Sall doit sans doute se rappeler de ce fameux jour où il avait été convoqué à la Sûreté urbaine. C’était sous le règne de Me Wade avec lequel, il a pourtant longtemps cheminé en tant que Premier ministre, président de l’Assemblée nationale, ministre de l’Intérieur, ... Une foule impressionnante l’avait accompagné jusqu’au commissariat de police, ce fameux jour bien triste hélas pour la démocratie sénégalaise.

Ironie de l’histoire, cette même procession a été refusée à Ousmane Sonko, lors de sa convocation en mars dernier. Barthélémy Dias n’y a pas non plus été autorisé, lorsqu’il se rendait au tribunal dans l’affaire Ndiaga Diouf. Même sa promenade ou plus exactement son « porte à porte » dans sa commune, a été stoppé par le commissaire de Police de Dieuppeul. La suite, on la connaît, il a été embarqué dans un panier à salade avant d’être acheminé au camp Abdou Diassé.

Le Préfet de Dakar, Mor Talla Tine rendait public, pendant ce temps, un communiqué pour rappeler qu’aucune manifestation ne peut être organisée sur la voie publique sans une autorisation préalable. La loi prévoit en effet des sanctions contre tout contrevenant à cette disposition légale puisqu’il s’expose purement et simplement à des sanctions pénales prévues par le Code pénal Sénégalais.

De quoi ne point effrayer Barth qui a, à son tour, prévenu qu’il ne se fera plus surprendre, ni se faire arrêter, faisant savoir qu’il prendra « toutes les dispositions nécessaires » avant d’annoncer qu’il « compte poursuivre (ses) activités de distribution de flyers ». Le « deux poids, deux mesures dans le comportement des forces de l’ordre », il a d’ailleurs de la peine à le comprendre. « Je serai à Petersen, Sandaga et même à la Médina. Si Abdoulaye Diouf Sarr a le droit de se pavaner comme il le souhaite dans les rues de Dakar avec une sonorisation, rien ne peut nous priver de ce droit. Je suis également candidat à la mairie de Dakar ». Il a aussi lancé quelques piques au commissaire de police de Dieuppeul : «C’est lâche de s’en prendre de la sorte à des femmes. Ce commissaire n’honore point la police nationale. Il a terni l’image de l’institution déjà écornée».

Une ambiance électrique qui n’augure en tout cas rien de bon. Mais de bons points pour Barthélémy Dias qui a là, l’occasion de commencer une campagne des locales avant l’heure. A moins peut-être qu’on le mette à l’ombre d’ici là. N’oublions pas que Macky himself a créé tour à tour Karim Wade et Khalifa Sall, en en faisant des victimes, tout en les rendant à nouveau fréquentables, alors que beaucoup de Sénégalais s’étaient déjà faits une religion sur eux.

Toujours est-il que les médias, dans leur majorité ont aujourd’hui braqué leurs projecteurs sur Dias fils, au point même qu’il fasse de l’ombre aux autres candidats, au moment où Soham Wardini, la mairesse de Dakar sortante, peine à être visible et audible. Certains titres de ce jeudi 18 novembre, soit le lendemain de son arrestation, ne se sont d’ailleurs pas gênés de relever ce deux poids deux mesures dont sont responsables les autorités qui répondent du ministre de l’Intérieur - les préfet et commissaire de police- et  mettent dans la foulée, en exergue, la promotion de Barth dont ils sont les auteurs.

Le chef de l’Etat, se souvient-il vraiment que Wade lui avait fait une sacrée grosse promo en le mettant dans une posture de victime ? C’est quand même surprenant de ne pas apprendre de l’histoire, tout « génie politique » que l’on peut être dans ce pays de gens si émotifs et si sensibles au sort des persécutés. Macky Sall a évidemment à son actif, d’avoir fait le tour du pays et d’avoir été à la rencontre des populations qui le porteront au pouvoir. L’exposition médiatique de Barth que ses subalternes rendent possible dans ce périmètre plus restreint de Dakar, est en tout cas à son comble. Il est même à son paroxysme, soulignons le bien au point qu’il éclipse même son mentor de Khalifa Sall qui est désormais relégué au second plan, souffrant d’un manque d’initiative et de charisme. Sans oublier ce côté « poltron » et trop cool qu’une certaine opinion lui reproche. Dias fils est devenu subitement sympathique, intéressant et même « mairable » malgré son côté guerrier et belliqueux qui rebutait certains.

Que penser de ce pourvoi en cassation des préfets, suite à leur camouflet consécutif au rejet des listes en majorité de « Yewwi askanwi » et que l’opposition attribue à Antoine Diome, le ministre de l’Intérieur ? A supposer qu'il y ait un nouveau rejet des listes, la situation nouvelle serait tout simplement génératrice de tensions. Comment peut-on vouloir aller à des élections sans adversaires d’envergure ? « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », disait Pierre Corneille. Comment notre cher président pourrait-il dès lors bomber le torse et se glorifier d’une éventuelle victoire aux locales ? Sans adversaire ?

La coalition « Yewwi Askan Wi » ne compte en tout cas pas se laisser faire. Au cours de sa conférence de presse du mercredi 17 novembre, elle a pointé du doigt la note du ministre de l’Intérieur, demandant au préfet et au sous-préfet de ne pas appliquer les décisions de réintégration des listes rejetées, en initiant un pourvoi en cassation au niveau de la Cour suprême. Elle estime ainsi que l’autorité compétente prévue par le Code électoral, reste l’autorité territoriale, à savoir le préfet et le sous-préfet. « Ce que les Sénégalais doivent savoir, c’est que ce régime en place se nourrit de sondages. Et à travers les différents sondages, il s’est rendu compte que s’il va aux élections, il va les perdre. Et les perdre reviendrait à dire que le président de la République ne pourra absolument pas prétendre à un troisième mandat qui l’empêche de dormir », a poursuivi le porte-parole du jour, Cheikh Tidiane Youm, soulignant que la coalition Yaw ne se laissera pas faire. D’ailleurs, croit savoir ce dernier, « toutes ces manœuvres, c’est (dans le but) de pouvoir reporter les élections».

Mais au-delà de toutes ces tracasseries dont est victime l’opposition, la politique devrait-elle être fondée sur un rapport de forces entre un pouvoir disposant des moyens de l’Etat face à une opposition qui n’aurait que la carte de la contestation et de l’indignation en main ? Yaxam Mbaye a fait une sortie sur la 7 TV, déclarant que le patron de « Benno Bokk Yaakar » n’a autorisé aucune liste parallèle, Macky Sall l'a démenti admettant en avoir autorisées quelques-unes dans le but d’éviter la dispersion des voix. Quel est l’objectif ? Utiliser la ruse pour monopoliser l’électorat ?

Analysant la question du contentieux des locales, au cours de la matinale de la TFM du mercredi 17 novembre, Aïssatou Diop a sa lecture de la question. « Il y a beaucoup de violence. Toute cette violence, c'est Macky Sall et cette opposition immature qui ne sait pas vraiment ou mettre les pieds qui en sont responsables. Macky Sall est derrière toutes ces listes parallèles dont il a parlé. Ceux-la qu’il a mis têtes de liste, il ne croit pas en eux et eux le savent. Et pour beaucoup d'entre eux, c'est pour avoir l'occasion les virer après les locales qu'il les a choisis. Troisièmement, il y a cette opération dépouillement car il y a tous ces ministres et DG qui sont devenus subitement riches. Il est futé et il le sait car il a ses renseignements. Beaucoup de ces gens-là Macky Sall ne finance pas leur campagne. Il y’ en a beaucoup comme Birame Faye à qui, il a demandé d'arrêter et  ils ont arrêté. S'il a assumé maintenant certaines de ces listes, c'est parce que ça l’arrange. Tout cela est grave parce que c'est de la tromperie. Or, la politique doit être éthique et propre. Comment tu peux tromper le sénégalais qui a dit qu’il ne votera pas pour tel car il est avec Macky Sall et parce qu’il ne s'entend pas avec Macky. Qu'est-ce que Macky Sall a fait, il a utilisé des artifices en choisissant un Chérif Dia dont on croit qu'il est vierge. Il l’a maquillé et lui a donné beaucoup de moyens. Ce sont ceux-là qu'il finance. Il a assumé le choix de la liste parallèle de Mame Diao par exemple, et pourquoi n'avoir pas assumé les autres listes ? Il trompe les sénégalais et les électeurs vont voter pour des gens pour qui ils ne voudront pas voter. Et ça, c'est pathétique", a analysé la journaliste. Difficile à imaginer, mais, une thèse toutefois plausible puisque la politique a aussi sa part d’astuces et de mystères.

La posture de Macky Sall dans ces locales semble être celle d’un futur candidat à la présidentielle qui joue son va-tout. Ainsi que l’avait d’ailleurs fait remarquer son directeur de cabinet politique, Mahmoud Saleh, «les élections locales à venir ne seront locales que de nom. Ce sont des élections politiques, ce sont des élections nationales… Les résultats seront déterminants pour les élections législatives qui se tiendront cinq mois après. Nos résultats vont trancher le débat sur la candidature de Macky Sall à la Présidentielle de 2024», avait déclaré celui-ci au cours d’une réunion publique. Et même la réaction rapide et cinglante de Yaxam Mbaye qui cherchait à ôter toute responsabilité à Macky Sall, en corrigeant Saleh au passage, n’aura pas été jugée crédible pour laisser croire que le président n’émet pas sur la même fréquence avec son collaborateur qui agit souvent en tapinois. C’est en effet connu que sur la question du 3e mandat, Macky Sall «récompense» toujours ses partisans qui accréditent la thèse de la possibilité de son 3e mandat et «vire» ses détracteurs. Et c’est d’ailleurs un fait récurrent pour ne pas être remarqué que le DG du «Soleil» joue désormais le rôle de celui qui joue le bouclier de Macky Sall ou tente de le dédouaner de certaines de ses prises de position.

Que le président Sall puisse en arriver à déclarer que personne ne peut l’intimider, relève tout simplement d’un manque de hauteur. Des observateurs ont d’ailleurs fini de l’assimiler à une peur qu’il a du mal à contenir et à cacher. Une peur que ces deux jeunes et farouches opposants que sont Barth et Sonko, savent bien réveiller.

Macky Sall souffre d’être contredit. Et son mode opératoire consiste à «recruter» tous ceux qui peuvent lui faire de l’ombre, sinon les combattre. La sacro-sainte stratégie de la carotte et du bâton, quoi ! Souvenons-nous qu’au tout début de l’alternance, alors que l’essentiel de ses opposants potentiels (Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Barthélémy Dias…) étaient avec lui au sein de Benno Bokk Yaakaar, il n’avait identifié que les dignitaires du Parti démocratique Sénégalais (Pds) et la presse comme étant capables de mettre du sable dans son couscous. Aussi, avait-il dépoussiéré la loi sur la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) pour faire sa fête à Karim Wade et Cie (la stratégie du bâton). Parallèlement, il avait déroulé une stratégie de la carotte en direction de la presse. Souleymane Jules Diop et Latif Coulibaly, deux chroniqueurs très critiques envers le régime de Wade, sont bombardés ministres. Youssou Ndour et El Hadji Ndiaye, deux des plus grands patrons de la presse privée, sont  également nommés ministres. Yakham Mbaye, un «rebelle» qui ne mâchait pas ses mots, est également casé jusqu’à devenir aujourd’hui son bouclier anti-missile.

Il a fallu attendre plus tard pour que Barthélémy Dias quitte « Benno Bokk Yaakaar », après les évènements du Parti socialiste qui ont vu l’arrestation du maire de la Médina, Bamba Fall. Dans ce cas là aussi, Macky Sall a fait dépoussiérer le dossier Ndiaga Diouf. Barth verra son immunité parlementaire, en tant que député, levée. Il sera plus tard (le 16 février 2017) condamné par le tribunal correctionnel de Dakar à 2 ans dont 6 mois ferme et 25 millions de dommages et intérêts à payer à la famille du défunt nervis.

Lorsque Ousmane Sonko, alors inspecteur des Impôts, a commencé à émerger sur le plan politique, il a tenté de lui barrer la route, allant jusqu’à le radier de la fonction politique pour lui ôter les moyens de sa politique. Erreur ! La population finira par porter Sonko à l’Assemblée nationale à la faveur des élections législatives de 2017.

C’est donc connu. Macky Sall, qui a la police, la gendarmerie, l’administration territoriale à sa disposition, tout en trônant à la tête des institutions de ce pays, a une peur bleue de l’opposition et de la contradiction. C’est pourquoi, il a passé le plus clair de son temps à casser ses opposants. Il ne lésine pas sur les moyens qui peuvent être brutaux, comme ce fut le cas avec l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall. Il peut même être perçu comme un serial killer méthodique qui sait camoufler ses actions ; actions qui ne se révèlent à la lumière du jour que lorsqu’il a atteint ses objectifs. Mais des retours de flamme, il en a reçus comme avec ces évènements de mars.

Des crises peuvent certes avoir leur utilité dans la nécessaire correction du paradigme musculaire qui structure l’arène politique au Sénégal. Mais pour être raisonnable, toutes les parties en scène doivent comprendre que personne n’a intérêt à l’effritement du contrat social pour le vivre-ensemble. Les méthodes en bas de ceinture sont à bannir de l’espace public, tout comme la culture d’arrogance et de haine, les violences verbales infantiles. Bref, il faudra en revenir à une véritable éthique de la responsabilité, qui intègre une culture de la discussion comme cela a toujours été le cas dans ce pays, même dans les moments les plus sombres. Retenir les leçons du passé, c’est un effort que les plus jeunes, loin de tout conflit de générations, doivent humblement faire. C’est le prix à payer pour grandir.

Le pouvoir a cette particularité d’être fugace et furtif, surtout lorsqu’il échappe à son détenteur. Ce dernier peut user de tous les moyens possibles et imaginables, mais tout se passe comme si, lorsque le processus se met en route, une part du destin le pousse à commettre des erreurs et à les multiplier. Il y a une certaine croyance sous nos cieux et même religieuse d’ailleurs, que nos prêcheurs ont une fâcheuse tendance à balancer à tout va et qui fait savoir que c’est le bon Dieu qui donne le pouvoir et qui le retire quand il le souhaite.  Mais, il est tout aussi logique de s’interroger sur la part de l’action de l’homme ? Une bonne question à méditer.