NETTALI.COM - Bienvenue au pays des experts, devrait-on dire. On parle évidemment du Sénégal, ce pays où certaines personnes sont expertes en tout. C'est le cas avec le football, la lutte, le jeu politique, les questions économiques voire même de santé (Covid 19 oblige). Les Sénégalais toutes sensibilités confondues, ont leur opinion sur tous les sujets et chacun d’entre eux sait ce qu’il aurait fallu faire ! Le dossier Akilee qui a pris des allures de pugilats médiatiques n’a pas échappé à cette règle et jamais la passion n’aura atteint son paroxysme à ce point.

Le débat s'est transposé dans la rue et sur les réseaux sociaux qui se sont emparés de la question. Ces nouveaux lieux d’échanges s’apparentent quelque peu à la rue ou les grand-places où plusieurs interlocuteurs aux niveaux d'informations et de culture parfois diamétralement différents, s’y affrontent avec des positions souvent irréconciliables.

Ce dossier nous a surtout montré à quel point la rumeur a circulé sur un sujet aussi technique et juridique. Beaucoup avaient demandé à disposer du contrat Senelec-Akilee ? Qu’espéraient-ils en faire ? Trancher la question ? Clore le débat. Qu’est ce qu’ils sont prétentieux ces Sénégalais !

A la vérité, ce sont quelques écrits produits par une certaine presse écrite et des interviews menées par des chaînes sérieuses, telles qu’ITV (avec Amadou Ly et Papa Mademba Biteye DG de la Senelec comme invités), des débats sur Walf TV, 2 STV, Sen TV et 7 TV ainsi que des interviews sur la RFM qui ont permis de lever un coin du voile dans cette affaire. Des parties prenantes de ce contrat notamment et des intéressés tels que les syndicalistes ont aussi joué leur partition.

Week-end en tout cas bien explosif ! Week-end de feu devrait-on dire ! Il aura suffi l’espace de ce long week-end férié pour que le dossier connaisse un développement aussi inattendu que surprenant : entre les sorties d’Amadou Ly, DG d’Akile, du syndicaliste Souleymane Souaré de la Senelec (SATEL) , de  l'analyste politique Momar Diongue et la lumière de certains juristes sur les questions contractuelles pour qu’on se rende compte de certaines incongruités dans ce dossier très médiatisé.

Habib Aidara du syndicat Sutelec avait eu l’occasion, il y a quelques semaines sur la Sen TV de dire tout le mal qu’il pense du projet Akilee. Avec une telle verve, il avait tenté de démontrer à quel point le contrat Akilee ne militait pas en faveur des intérêts de Senelec ; que l’entreprise « allait faire le travail de Senelec ». Il avait avec force détails informé avoir interpellé l’ancien Directeur général dans son bureau au point que celui-ci avait fini par organiser une réunion d’informations sur le sujet.

Eh bien Souleymane Souaré du syndicat Satel, dans une actualité plus récente, a pris le contrepied ce dimanche 31 mai sur la même chaîne en expliquant tout le bien qu’il pense de ce projet. Il a donné son sentiment sur ce qu’il considère comme des contrevérités sur ce contrat qu’il dit être passé par un processus de filtres de presque deux ans durant lequel, ce sont des directeurs opérationnels de Senelec, conduits par l’actuel Secrétaire général qui ont mené des négociations avec Akilee avant de parapher les documents qui ont permis d’éclairer la décision du DG de signer le contrat, suite à l’aval du Conseil d’administration.

Sur la question des 187 milliards qui aiguisent tant d’appétits, le SG de Satel a précisé qu’il s’agit d’un contrat cadre et qu’Akilee préfinance l’achat des compteurs suivant les bons de commande émis par Senelec avec un différé de 4 ans. Ce qui revient en réalité à un paiement sur 14 ans, suivant le contrat d’exclusivité de 10 ans. M. Souaré considère ainsi ce fait comme un soulagement de la trésorerie de Senelec qui était souvent obligée de recourir à la Banque mondiale pour financer l’acquisition de compteurs. Ce contrat permet selon le secrétaire général de Satel de réaliser des économies importantes liées aux pertes constituées pour beaucoup de vol de courant, étant entendu qu’Akilee les traque et signale à Senelec les endroits où elles sont repérées. Et le syndicaliste, de relever les tests concluants effectués à Pikine et qui ont valu des félicitations à Akilee pour l’efficacité de son travail.

Quid de la durée de 10 ans jugée longue ? Le syndicaliste de nous renseigner que les contrats les plus courts de par le monde, durent au minimum 8 ans, tout en nous informant au passage que des pays tels que la France, la Suède, l’Italie, l’Allemagne et bien d’autres utilisent déjà ces systèmes intelligents.
Pour M. Souaré, il ne s’agit pas en réalité d’une histoire d’achat de compteurs mais plutôt de systèmes intelligents avec des applications qui permettront de faire beaucoup d’actes à distance car c’est ce qui correspond à la digitalisation et à l’avenir. L’histoire des compteurs Powercom des Israëliens, il l’abordera en nous expliquant au passage qu’ils sont plus chers rapportés au contrat Akilee de presque 72 milliards.

Le syndicaliste va même plus loin dans ses explications et avoue qu’en fait de délit d’initié, il ne peut s’agir de cela car non seulement le cabinet était en mission sous Pape Dieng dans le cadre d’un financement de la Banque mondiale. Et fait important, le projet avait été d’abord proposé à Pape Dieng qui n’avait pas manifesté grand intérêt avant de l’être à Makhtar Cissé qui le fera étudier par des directeurs opérationnels de Senelec.

Qu’en est-il des autres contrats signés ? Le syndicaliste avoue que le ministre de l’Energie n’est au courant de rien s’il n’est pas mis au courant par ses représentants dans le Conseil d’administration.

Souleymane Souaré a ainsi livré sa part de vérité sur un projet bien polémique. Mais là où on tombe des nues, c’est lorsqu’il fait certaines révélations. M. Souaré a fait part à Ahmed Aïdara de menaces et chantage dont il ferait l’objet de la part de son DG, en présence du Secrétaire général de la boite et de la DRH l’enjoignant de ne plus évoquer l’affaire. Une mise en garde qu’il a d’ailleurs perçue comme une menace de déballages sur un dossier alors qu’il était chef d’agence à la Médina. Dossier pour lequel il a été sanctionné, suite à un complot ourdi contre sa personne. Mais le SG de Satel nous fait savoir qu’il n’en a cure et préfère défendre ses opinions en tant que syndicaliste et eu égard à la liberté syndicale. Il nous a aussi révélé que son collègue syndicaliste, Matar Sarr de Syntes avait dû rater une émission « L’Essentiel » sur la Sen Tv pour cause de convocation le même jour par la direction générale. On sort de cette émission en tout cas bien un groggy par tant de révélations.

Mais dans ce feuilleton médiatique, c’est l’attitude du Congrès de la Renaissance Démocratique (CRD) qui en a étonné plus d’un. Alors que Thierno Alassane Sall et Abdoul Mbaye, interrogés respectivement sur la Sen TV et la 7 TV, ne se sont pas montrés très hostiles au contrat, l’on n’a pas compris le revirement si soudain de l’entité politique qui les réunit. Et pourtant les deux précités ont été dans leurs réactions bien modérés et même nuancés, allant même jusqu’à réclamer de revoir certains aspects du contrat. Abdoul Mbaye qualifiera même Makhtar Cissé de « bel esprit » et d’ « homme intelligent », lorsque Maïmouna Ndoye l’a interrogé sur le ministre de l’énergie, alors que l’allusion était faite par rapport à des dessous politiques. Revirement spectaculaire, le CRD a demandé des poursuites pénales, relevant au passage un délit d’initié.

Dans cette affaire Mamadou Lamine Diallo a fini d’être soupçonné par une certaine presse d’être le métronome qui a semblé avoir agi tout seul. Car dans la réalité, le député ne rate jamais l’occasion de lancer quelques piques à ses cibles du moment. Des sorties inattendues, le président de Tekki, homme très structuré pourtant, se montre parfois excessif dans ses jugements. Mamadou Diop Decroix s’en souvient et n’avait d’ailleurs pas beaucoup goutté une de ses sorties alors que ce celui-ci avait soutenu que le dialogue national avait coûté 10 millions francs par jour. Sur sa page Facebook, il rappelait d’ailleurs à son collègue député que le clavier et la souris ne peuvent pas changer les choses. «Parle-t-il du dialogue politique qui a déjà démarré ? Si c’est le cas, alors ils seraient donc complices du gaspillage des deniers publics si tant est que ce qu’ils disent est vérifié», avait asséné Decroix.

On se rappelle aussi de cette sortie du responsable de Tekki sur les 2 milliards attribués au chef de l’opposition avant que Seydou Guèye ne le recadre : « Avoir une classe politique organisée et une vie politique modernisée, un espace politique civilisé et urbanisé, est un jalon qu’il nous faut franchir pour continuer notre trajectoire démocratique. Vouloir ramener tout à des histoires d’argent c’est aller dans le sens inverse de l’histoire ». Diallo avait aussi récemment insinué que l’ancien DG de Senelec possédait la nationalité britannique, citant un journal. Une accusation jugée inattendue par l’intéressé himself qui n’avait pas manqué de lui répondre qu’il est « né au Sénégal, a fait ses études du cycle primaire au doctorat au Sénégal et a toujours vécu au Sénégal en n’ayant pas d’autres préoccupations que de rester Sénégalais ».

Invité de l’émission "Grand Jury" de la Rfm, cet ex-cadre à Electricité de France (EDF), Amadou Ly a d’emblée tenu à écarter l’accusation de délit d’initié. D’après ses accusateurs, il aurait eu accès à des informations supposées stratégiques de la Société nationale d’électricité. Aussi, il a fermement martelé ne pas être « ni dans un conflit d’intérêt, ni dans un cas de délit d’initié ». Tout au plus, il fait savoir que « c’est une opportunité qui a été saisie puisqu’il n’y a absolument aucune Information par rapport au projet qui n’était pas dans le domaine public », ajoutant qu’ « elles ne sont ni confidentielles, ni privilégiées » et que même des entreprises étrangères ont eu accès à ces informations. Précision importante pour l’entrepreneur, la recommandation d’installer des compteurs intelligents, émane de la Société nationale d’électricité qui travaille sur ce tableau depuis l’époque où elle déroulait le Plan Takkal.

Quid de la date de la signature du contrat avant la présidentielle de 2019 ? « La date de signature de ce contrat est juste un hasard du calendrier. C’est Senelec elle-même qui a exprimé le besoin d’être accompagnée par Akilee », a ajouté l’invité de Babacar Fall mentionnant qu’à la date du 22 novembre 2018 coïncidant avec la dernière réunion de validation technique, après que les directeurs opérationnels de Senelec (dont la plupart capitalisent sur une expérience de 30 ans) ont été consultés, l’avis du Conseil d’administration a été sollicité et celui-ci a donné son consentement.

Sur la question relative à l’absence d’appel d’offres, là aussi, M. Ly relève qu’il s’agit d’un contrat entre deux sociétés commerciales régies par l’acte uniforme de l’OHADA. « C’est pourquoi les statuts de Senelec ont été modifiés en 2016 (…). Dans ce texte de l’Ohada, il est permis que ces deux parties uissent signer une convention réglementée. Le contrat a été signé de manière régulière, sur la base du droit privé, de l’acte uniforme de l’OHADA », détaille M. Ly, précisant que les négociations ont duré un an et demi.

« La convention réglementée n’est pas un fait inédit à Senelec. Avant Akilee, il y a eu Simelec, qui était spécialisée dans la confection et l’assemblage de compteurs électro-mécaniques », mentionne M. Ly qui mentionne dans la foulée qu’elle a eu lieu de 2003 à 2013, sous le régime de la convention réglementée entre Senelec et Simelec de l’ex-directeur général Pape Dieng qui ont noué un partenariat. C’est aussi le cas entre la Société nationale d’électricité et d’autres entreprises prestataires.

« Akilee ne fait pas dans la fourniture de compteurs, c’est une société de services technologique qui met en place des systèmes de comptage innovant, avancé », semble conclure celui-ci.

Le DG d’Akilee aura en tout cas affiché sa bonne volonté de renégocier le contrat si tel est le choix de la Senelec. Car, pour lui, les deux sociétés constituent une seule et même famille (…) Ce n’est pas trop tard. Nous allons trouver des accords. Akilee et Senelec, c’est comme une famille pour moi», a déploré celui qui met l'accent sur l’annexe 5 du contrat prévoit l’évolution technologique. « Y a des réunions qui vont venir », annonce-t-il, il, un brin optimiste.
Mais s’il y a une chose que l’entrepreneur n’a pas semblé comprendre, c’est tout le bruit fait autour de cette affaire : ”renégocier est le droit le plus absolu de la Senelec. », a asséné le patron d’Akilee.

Il semble en tout cas qu’au regard des derniers développements, l’entrée en scène du Conseil d’administration et des aspects du dossier qui semblent s’éclaircir au fur et à mesure qu’on avance dans la polémique, qu’on s’oriente vers une issue heureuse. Ce d’autant plus qu’Akilee s’est inscrite dans une logique d’ouverture de renégociations qui sont comme l’a rappelé Amadou Ly, prévues par le contrat. L’on finirait peut-être par s’interroger sur les vraies raisons de ce brouhaha si la polémique venait à se poursuivre.