NETTALI.COM - Le reportage de BBC a foutu un sacré bordel au sommet de l’Etat. Et ça, on peut bien le dire, y égard aux efforts immenses que les hommes de Macky Sall déploient pour sortir de ce bourbier. Plus on avance, plus l’affaire se corse. Point d’horizon ou de lumière qui scintille pour donner un semblant de lueur d’espoir dans le dégonflement de cette affaire, dans laquelle est accusé Aliou Sall.
Et les conséquences sont sans appel puisque ce reportage qu’on a tant critiqué dans sa forme comme dans son fond, continue de faire l’actualité. Ce qui veut certainement dire que le grand public n’a pas la même opinion, du moins la même perception, de ce reportage que ces journalistes s’emploient à démonter avec difficulté. Une affaire qui finit en tout cas par donner le tournis aux conseillers de Macky Sall sur qui, celui-ci compte, après avoir remanié l’équipe de communication, pour désamorcer les bombes qui explosent de jour en jour.
La nouvelle équipe de communication, parlons-en. Tiens tiens Latif Coulibaly et Seydou Guèye réapparaissent alors qu’ils étaient les grands oubliés de ce remaniement, version nouveau gouvernement de Macky Sall. L’affaire les a ressuscités. La nouvelle équipe entre donc en scène avec l’ex-journaliste d’investigation Coulibaly qui mène l’offensive, et c’est déjà la polémique. «Je me pose la question de savoir si un seul des accusateurs d’Aliou Sall a le courage de mettre sa main sur la Coran, ou sur la bible, pour dire ‘‘ce que je dis sur Aliou Sall je le jure sur Dieu que c’est vrai’’. Je ne crois pas qu’ils aient ce courage», pronostique le nouveau porte-parole de Macky Sall qui ne manque pas de louer «le courage de l’homme et sa détermination à expliquer son innocence de la façon la plus claire. Et également de balayer les accusations portées contre lui». «Quand vous êtes un homme de foi, il faut avoir le courage et la détermination et être sûr de vous pour prendre votre main et de jurer le Coran, sur la Bible ou sur la Tora», ajoutera-t-il.
Un argument qui ressemble à quelques égards à celui du ministre de la justice, aux premières heures de la crise qui a suivi ce reportage. “Je ne pense pas qu’un musulman comme Aliou Sall, revenant de la Mecque pour la Oumra, puisse se fourrer dans ces histoires de corruption… », avait dit celui-ci, comme pour dédouaner le frère du Président Sall.
L’argument du musulman qui laisse pantois et qui fait en même temps rire, lorsqu’on y réfléchit de près ? Le Sénégal, un pays peuplé de 15 millions d’habitants avec 95% d’entre eux qui sont musulmans. Si ce pays à majorité musulmane, n’était peuplé que de musulmans exemplaires, ça se sentirait, et le pays, semble-t-il, aurait été mieux organisé, plus paisible et plus transparent. Ce genre de débats n’aurait peut-être même pas eu lieu car le problème aurait été pris en charge depuis belle lurette.
Il semble toutefois que dans cette histoire, on nage en plein délire et qu’on entre de plein fouet dans la manipulation. Jurer sur le Coran a été la grande trouvaille d’Aliou Sall. Une manière sans doute d’attendrir tous ceux qui sont sensibles aux arguments religieux, en même temps que de s’en servir comme relais, auprès de tous ceux qui vont dire de lui qu’il est un bon musulman. Dans quel pays pense vivre Latif Coulibaly, lorsqu’il invoque le fait de jurer sur le livre saint comme l’arme du bon musulman ? Le Sénégal, n’est-ce pas l’un des pays où on jure le plus au monde par jour ? C’est même passé au stade de sport national. Faites le tour des marchés pour en avoir la preuve avec certains commerçants. Ce qui est d’autant plus sidérant, c’est que dans cette conférence de presse, que d’aucuns ont qualifiée de mise en scène, des organes de presse se sont plaint de n’avoir pas eu accès à la salle où elle se tenait, à tel point qu’ils se sont demandés, ce qu’on leur cachait. Et sur les réseaux sociaux, des internautes se sont même employés à démontrer que cette séance est un montage de toutes pièces. Ce que nous ne pouvons bien sûr pas confirmer avec certitude. Mais, toujours est-il qu’explications séquencées à l’appui, ils ont informé que le corps d’Aliou Sall n’a jamais été montré en entier avec la main sur le Coran, en train de jurer. Pour ceux-là, c’était tantôt le bas du buste et la main posée sur le Coran ; tantôt, la partie du haut du corps sans la main sur le Coran. Que croire ?
En tout cas Latif Coulibaly, en affirmant que les détracteurs d’Aliou Sall, n’osent pas, comme ceux-là qu’ils accusent de n’avoir le courage de jurer, se met de fait dans une posture inconfortable où on peut lui retourner la question de savoir s’il peut, à son tour, jurer que ce qu’Aliou Sall a dit, est vrai. Une sorte de piège dans lequel, il s’est engouffré en même temps qu’un jeu qui a, oh combien amusé les internautes ; ces derniers n’ont d’ailleurs pas manqué de parler de livre factice ou encore de livre auquel, il a manqué des pages s’il n’était pas vide à l’intérieur.
Ce n’est pas seulement la prise de position de Latif Coulibaly et l’acte d’Aliou qui en ont étonné plus d’un, mais le volte-face d’El Hadji Kassé, aussi, reste un grand mystère. Qu’est ce qui a dû bien lui passer dans la tête pour dire ce qu’il a dit. S’était-il soudainement perdu dans ses constructions acrobatiques dont lui seul, a le secret ? Comment peut-on être conseiller en communication, asséner de telles « vérités » sur une chaîne internationale dans une affaire qui s’est internationalisée et revenir après coup pour tenter de nuancer voire de rattraper le coup ? Non seulement El Hadji kassé a enfoncé Aliou Sall, mais beaucoup ne peuvent pas ne pas voir la main du pouvoir dans sa rétractation.
Pour rappel, interpellé par Tv5 sur les sommes perçues par le frère du président de la République via Agritrans ainsi que son salaire, Kassé avait confirmé le paiement des 146 millions F Cfa (250.000 $) à Agritrans en ces termes : « Je crois qu’il y a de l’amalgame. D’après les informations que j’ai, cette somme a été virée dans une société Agi-Trans (sic) de M. Sall, pour le paiement d’une mission de consultation dans le secteur agricole », avait-il confié à Tv5, confirmation par la même occasion qu’il s’agissait d’une information. Franck Timis, dans l’agriculture ! Possible pour un aventurier. L’aventure mène à tout après tout !
Et dans ses propos ultérieurs : "J'ai voulu dire que s'il y a des virements de Timis à Agritrans, cela ne peut être que dans le cadre d'une consultance dans le domaine agricole qui est l'activité principale de la société", a expliqué M. Kassé, en essayant de lever les équivoques sur les commentaires faits autour de la sortie, ajoutant ceci : "ce n'est pas de l'information que j'ai donnée, mais plutôt une déduction que j'ai faite. Je n'ai aucune preuve sur ce virement", précisant devant les enquêteurs qu'il n'a "aucune raison" de douter de la bonne foi du frère du chef de l'Etat, si on se fie au compte-rendu du quotidien "L'Observateur".
Voilà en substance une affaire où on va de dénégation en dénégation. Et le plus grave, c’est dans le camp du pouvoir que cela a lieu. Ajouté aux accusations des opposants ou membres de société civile, ça commence à être bien trop lourd, le fardeau.
Comment alors sortir de ce bourbier où le pouvoir s’enlise de jour en jour ? Entre une patronne de l’Ofnac qui a fini de dire à un procureur à qui il a refilé 17 dossiers, de faire son boulot ; un ministre de la justice qui défend le frère du Président ; un syndicat de magistrats qui se tue à réclamer son indépendance ; un pays où on demande de laisser la justice faire son travail et où on veut changer les règles de la justice en instaurant le serment par le Coran dans un contexte de laïcité ! Que faire ? Macky a peut-être la solution. Bienvenue en tout cas dans le bourbier du Macky.