NETTALI.COM - Le fait n’a pas échappé aux radars de la presse. Nous parlons du fameux lapsus du très médiatisé ministre des Finances Amadou Ba, lors du lancement de l’initiative «Choose Africa» en présence de son homologue français, Bruno Le Maire. Remerciant la France pour l’exécution de projets stratégiques comme le Train express régional, Amadou Ba a soutenu : «Le Sénégal demeure le tout premier pays français…». Un lapsus largement relayé.

Une médiatisation pas si fortuite que cela car aucune des sorties du ministre politicien, n’échappe à la presse. Entre l’argentier de l’Etat et les médias, ça file le parfait amour. Et les journalistes le lui rendent bien. Mais la presse sénégalaise a tout de même cette particularité, celle d’être peuplée de gens bien bizarres. Ces messieurs et dames sont surtout proches de leurs intérêts et sont toujours à l’affût de la petite phrase ou du moindre scoop.

L’erreur est sortie, Il ne l’a pas fait exprès, c’est sûr. Enfin presque. Mais il a dit ce que beaucoup de Sénégalais pensent.

Le lapsus, ce que Freud, le fondateur de la psychanalyse voit dans un symptôme important de l'émergence de désirs. Si on se fonde sur sa théorie, s’il y a lapsus, c’est parce que l’inconscient s'est manifesté en déjouant les barrières de notre censeur interne. L’inconscient ou plus exactement une opinion ou idée logée dans notre inconscient, ne serait guère fortuite et trouverait sa source dans ce qu’on observe, dans ce que la plupart des Sénégalais pensent et surtout dans une réalité historique qui perdure.

Entre la France et l’Afrique francophone, la relation est une histoire d’amour qui semble emprunter les péripéties de tout couple, tout en se matérialisant dans des rapports de séduction qui obéissent à des phases. Mais une histoire qui finit par ressembler à un mariage forcé dans lequel, la mariée qui a parfois des velléités de séparation de corps, ne peut l’obtenir car les pères, oncles et autres la maintiennent dans les liens.

Le très dynamique et médiatisé ambassadeur de France au Sénégal, Christophe Bigot, fait bien de faire du Sénégal, un territoire qui se résume en termes de parts de marché, tel un gâteau à partager. Il déclarait ainsi en mai 2018 que «les parts de marché de la France au Sénégal sont passées de 25 à 15 % en 10 ans». Et d’ajouter : «Il est tout à fait normal qu’un pays aussi moderne, mette toutes les sociétés en concurrence.»

Christophe Bigot produira des chiffres pour prouver cette baisse des parts de marchés. Mais heureusement qu’Africa Check veille. Se fondant sur les statistiques de la BCEAO, l’organe africain avait indiqué qu’en 2006, les parts de marché de la France au Sénégal étaient de 24,3 % et qu’elles sont tombées à 15,9 % en 2016, soit une baisse de 8,4 points.

L’économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, contacté dans le cadre de l’émission «Arrêt sur Info» diffusée en partenariat avec la West Africa Democracy Radio, précisait que le poids de la France dans l’économie sénégalaise, doit se mesurer au-delà de ses parts de marchés dans les importations. Il soulignait ainsi que «les secteurs clés de l’économie sénégalaise sont contrôlés par des entreprises françaises», citant l’exemple des télécommunications où l’opérateur historique Sonatel est contrôlé par Orange.

De même, une note de l’ambassade de France au Sénégal publiée le 24 mars 2017 indiquait que «la présence française concerne tous les secteurs d’activités» et ajoutait que «les trois dernières années ont été marquées par un certain regain d’intérêt des investisseurs français pour le Sénégal». Auchan, Carrefour, Décathlon, Kiabi, Super U, Eiffage, Necotrans, les banques françaises, Axa, Allianz (franco-allemand), Casino, CFAO, Total, Canal +, Athos, etc. la liste est longue.

Des présidents élus par la France ?

Et lors de cette récente visite, Bruno Le Maire, ministre française des Finances, en VRP français nous a vendu «Choose Africa», relevant au passage des critiques sur les grands groupes français et nous faisant comprendre que ceux-ci «créent des emplois, de la prospérité pour le Sénégal et pour les habitants du Sénégal (…) Ce qui fait vivre chaque petit coin du territoire, ville, commune, dans n’importe quel pays, ce sont les Pme», faisait remarquer le ministre français de l’Economie. Avant d’ajouter : «Nous voulons lancer ce nouveau visage du partenariat économique entre le Sénégal et la France. L’objectif, c’est de consacrer plus d’un milliard d’euros, un fonds propre en faveur des Pme d’Afrique. Il s’agit du développement de vos Pme, start-up, micro-entreprises qui vont permettre de répondre à des besoins économiques croissants de la part de votre population. Vous êtes confrontés, en Afrique, à des défis démographiques ; 450 millions de jeunes qu’il va falloir insérer sur le marché de l’emploi, d’ici 2050…»

Le financement des PME, une sorte de recette miracle pour le développement de l’Afrique depuis l’amorce du débat sur la croissance sénégalaise pas suffisamment inclusive et ne profitant qu’aux entreprises étrangères. Si l’économie sénégalaise était aussi florissante, ça se saurait. Si la dette permettait à ce point de financer l’économie de manière à permettre à l’Afrique de se passer de son fardeau, ça se saurait également. Bien sûr que les entreprises françaises présentes au Sénégal créent des emplois, mais quels emplois ?

La tyrannie de la création d’emploi bien souvent brandie par ces entreprises étrangères, est à ce point utilisée par les capitalistes du monde moderne qu’on a l’impression que ce ne sont que les Sénégalais qui tirent profit de leur présence. Demandez à une entreprise X de publier les ratios masse salariale et bénéfices réalisés ! Bien sûr les Sénégalais ont besoin d’emplois, mais un fait demeure, un capitaliste ne pose pas ses pieds sur une terre aride, sauf à vouloir la rendre fertile et en tirer profit. Qu’on arrête alors de nous servir cet argument. Ces entreprises de ces pays ou ces Etats qui s’installent dans nos pays, sont en manque de débouchées et de matières premières dans leurs propres pays, qu’ils sont obligés d’investir chez nous. Ce sont eux d’abord qui tirent profit de leur implantation.

Sur tous les sujets, le Cfa que d’aucuns considèrent comme une monnaie d’assujettissement de nos pays, la réponse française est constante. Là aussi, la France est sur la défensive. Bruno Le Maire a cité, à titre d’exemple, la Côte d’Ivoire et le Sénégal comme deux exemples très convaincants de réussite dans cette zone qui apporte de la stabilité et des garanties aux investisseurs, ajoutant que la France est «là pour apporter des réponses à ces difficultés. Trouver des voies de développement et renouveler aussi la manière dont on peut accompagner ce développement…»  Et lorsque le débat est pris en charge par des Africains ayant de bons arguments, ils finissent par répondre que les pays qui veulent sortir du Cfa, sont libres, sachant bien sûr qu’aucun président ne se hasarderait à quitter la zone Cfa.

Un discours et des prises de position qui dans le fond, en disent long sur l’emprise de la France sur les économies de l’Afrique francophone et qui montrent que l’ancien colonisateur tient à l’Afrique comme à la prunelle de ses yeux. Loin d’être contre la présence des entreprises françaises au Sénégal, il est souhaitable que la relation emprunte d’autres sentiers plus équitables pour un bénéfice réciproque. Pourquoi ne pas par exemple réserver systématiquement des parts raisonnables dans le capital des entreprises étrangères qui s’installent, à des entreprises sénégalaises ou groupements locaux ? Ce sera peut-être le début d’une coopération mieux ressentie et plus fructueuse. Au finish, ce lapsus d’Amadou Ba est à ce point révélateur de ce qui se dit partout, à tel point qu’un discours prospère, et selon lequel, nos présidents seraient même élus par la France. Demandez à Sonko, il ne vous dira peut-être pas le contraire.