NETTALI.COM - Lorsque des observateurs et même hommes politiques prévenaient d’une dualité rampante au sommet de l’exécutif, il y en avait beaucoup dans les rangs de Pastef et des sympathisants pour les accuser de vouloir semer la zizanie entre Diomaye et Sonko. Enfermés dans un certain aveuglement partisan, ils étaient incapables de se rendre compte de ce qui se déroulait sous leurs yeux.

Ce duel à distance entre Bassirou Diomaye Faye qui a désigné Aminata Touré comme la nouvelle coordinatrice de la coalition « Diomaye président », alors que de son côté, Ousmane Sonko a confirmé Aïda Mbodj, coordonnatrice de sa nouvelle coalition Apte (Alliance patriotique pour le travail et l’éthique), tient le pays en haleine et crée l'émoi dans la galaxie pastéfienne bien trop surprise par cet après téra meeting. .

Mais comme le retrace à sa Une, le quotidien « Direct News » du vendredi 13 novembre, « tout a démarré le 14 juillet (après les déclarations de Sonko au King Fahd intervenues le 11 juillet), Sonko aurait affirmé à Diomaye « mane ma tass sa coalition, si législatives yi lako tass » (j’ai fait imploser la coalition depuis les législatives) ; la réponse de Diomaye fut alors : « je prends acte, mais vous savez que je sais structurer une organisation. ». C’est à partir de ce moment, renseigne le journal, que Diomaye a décidé de reprendre en main la « coalition Diomaye ».

Le quotidien de poursuivre en écrivant que « les révélations d’Ousmane Sonko au meeting sur la coalition, n’ont pas fait l’objet de discussion préalable entre lui et Diomaye », d’après ses renseignements. « Direct News » citant toujours des témoins, lors de la réunion du bureau politique du 24 octobre, de poursuivre : « Sonko a dit topato wouma coalition, mane Pastef lay gérer » (je ne m’occupe que de Pastef, pas d’une quelconque coalition), ajoutant que « même dans Pastef, personne ne comprend pas que Sonko veuille imposer un bras de fer inutile pour une coalition pour laquelle, il ne s’est jamais intéressé et qu’il dit même avoir fait imploser. »

Toujours est-il que dans cet affrontement à distance, il y en a pour crier à la trahison de Sonko par Diomaye parce que, selon eux, l’actuel Premier ministre, en tant que chef du parti, l’avait désigné pour en faire son candidat ; d’autres par contre qui se disent témoins de l’histoire, comme le parti Visa Les citoyens, membre de la Coalition Diomaye Président, a tenu un point de presse pour, dit-il, "mettre fin une bonne fois pour toutes aux manipulations et contre-vérités" qui circulent au sujet de la candidature du Président Bassirou Diomaye Faye à l’élection 2024. Déthié Diouf est ainsi revenu sur les conditions dans lesquelles le mandataire national Amadou Bâ avait obtenu le précieux sésame. Pendant ce temps, dit-il, Pastef avait déjà établi une hiérarchie d’investiture : Ousmane Sonko comme premier choix, Habib Sy comme second et Cheikh Diagne Diéye en troisième position. Tous bénéficiaient, dit-il, du parrainage des élus à l’exception du dernier.

Bassirou Diomaye Faye a, lui, assure le sieur Diouf, fait le choix du peuple en optant pour le parrainage citoyen. “Malgré les obstacles et les tentatives de découragement, il a complété son dossier, grâce notamment au soutien massif de cette vaillante diaspora sénégalaise. C’est ainsi qu’il a franchi toutes les étapes de vérification et que sa candidature a été validée par le Conseil constitutionnel. De cette légitimité populaire et institutionnelle est née la coalition Diomaye Président”, a déclaré Déthié Diouf, indiquant qu’il y avait un large rassemblement de forces diverses déterminées à refonder le pays et à répondre aux aspirations profondes des Sénégalais. Une manière pour lui d’insinuer que Diomaye Faye ne doit pas sa victoire au parti au pouvoir.

Mais quel que soit le schéma par ailleurs qui a permis à Diomaye Faye d’accéder au pouvoir, il s’agit de reconnaître que c’est l’aura de Sonko qui a propulsé Diomaye au pouvoir. Non pas que Diomaye ait démérité puisque c’était pour la cause du Pastef qu’il s’est retrouvé en prison pour 11 mois, en plus d'avoir été le secrétaire général du Pastef.

Mais une fois que l’on a dépassé le champ privé pour rentrer dans la sphère publique, c’est l’orthodoxie de la gestion étatique qui doit prévaloir. Le « Diomaye mooy Sonko, Sonko mooy Diomaye » ne doit plus opérer. Ce qui signifie que la perspective doit changer, et que quel que soit le niveau d’amitié et d’étroitesse des rapports dans le privé, c’est le Président de la république qui trône à la tête de l’exécutif qui nomme un Premier ministre censé être son fusible et dont le maintien ou pas à cette station, dépend désormais de lui.

Diomaye a ouvert la boîte de pandore, Sonko n’a pas su observer les limites

Seulement le président Diomaye Faye dans ses rapports avec le Premier ministre a voulu trop jouer la carte de la loyauté, à un point où il a trop ouvert des brèches qu’il n’aurait jamais dû. Comment Ousmane Sonko a-t-il pu par exemple, lors de la réception officielle des conclusions du dialogue national politique, répondre en ces termes « non ! Comme Ousmane Sonko l’a dit lui-même, il est mon ami. On n'a aucun conflit ».
Réagissant, lors d’un face à face avec la presse nationale, aux interpellations selon lesquelles le Premier ministre lui ferait de l’ombre avec beaucoup de pouvoirs, il avait répondu qu’ « il n’en avait pas assez et que le Premier ministre est constitutionnellement très faible, estimant qu’il devait être renforcé ». Il avait tantôt souligné qu’ « il voulait des DG forts, des ministres forts, un Premier ministre super-fort »….

Le président Diomaye avait fait d’autres déclarations telles que : « qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, voilà quelqu’un qui, en 10 jours, a réussi à faire passer son candidat ; qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, voilà quelqu’un qui a subi tellement d’épreuves mais qui a résisté pour le changement de ce pays… Et puis je ne suis pas un homme méchant…. ».

À ceux qui l’accusaient de ne pas pleinement assumer ses prérogatives constitutionnelles, il rétorquait : « Quand vous avez l’ambition de faire de quelqu’un, un président de la République avec tous les pouvoirs, Dieu a fait qu’il soit ton Premier ministre, je pense que vous ne devez pas avoir de problème de jalousie avec cette personne. C’est une question de bon sens. » Pour le président de la coalition Diomaye président, l’affaire ne se résumait pas seulement à une question de s’effacer au profit de son PM, mais plutôt à une question de conviction. « Je ne m’efface pas. C’est que je n’embrasse pas trop. Parce que qui trop embrasse mal étreint…. », avait-il ajouté.

Autant de déclarations que le président de la république Bassirou Diomaye Faye aurait pu se garder de faire, car l’exercice du pouvoir est à un tel point solitaire que le pouvoir ne se partage pas. De plus, la politique étant une affaire de circonstances fluctuantes et un tel parcours de combattant qu’il faut se garder de se lancer très vite dans des projections, surtout durant les moments d’euphorie.

Aujourd’hui de l’eau a coulé sous les ponts et « Diomaye n’étant plus Sonko » et « Sonko n’étant plus Diomaye », si l’on en croit Abdourakhmane Diouf renforcé de trois services dans son nouveau ministère et qui cherche à remplacer Sonko dans le duo, les difficultés ont commencé à surgir dès lors que le Premier ministre, du haut de sa légitimité populaire, a cru devoir pousser le bouchon un peu trop loin en prenant l’habitude d’adresser des injonctions publiques au Président de la république. Comme lorsqu’il lui a reproché de manquer d’autorité et de ne pas le laisser gouverner. De même il lui avait fait savoir que lorsqu’il était question de lui (le président), il réglait les problèmes et pas lorsqu’il s’agit de Sonko. Et il était d’autant plus difficile de concevoir que Sonko adressât des injonctions à nos autorités (entendons les présidents africains) de la manière dont il l’a fait, en présence de son homologue Bissau-guinéen. C’était lors du «Forum invest in Sénégal » ( Fii).

A la vérité, tout semblait bien se passer jusqu’au rejet du rabat d’arrêt de Sonko dans l’affaire l’opposant à Mame Mbaye Niang. Depuis, le Premier ministre et surtout ses lieutenants ne ratent pas une occasion pour s’en prendre au Président de la République. Comme lors de la nomination de Samba Ndiaye qui n’a guère prospéré.

Après cette prétendue déclaration importante d’Ousmane Sonko annulée, la substance du message qu’Ousmane Sonko a voulu délivrer samedi lors du Tera meeting de Pastef est le suivant : « Retenez-moi ou je fais un malheur ! ». Le leader de Pastef s’adressait certes à ses partisans venus des quatre coins du Sénégal, mais le premier destinataire du message n’était autre que le Président Bassirou Diomaye Faye. Et derrière la forte mobilisation des militants et sympathisants, le décor à l’américaine et la mise en scène qui met en valeur le tribun qu’il est, se cachait une ferme volonté de mettre la pression sur le chef de l’Etat. Quelques phrases dans sa sortie ont révélé le malaise entre le Président Diomaye et le chef de file de Pastef. Réalité niée à souhait, mais qui, à l’image de la métaphore de la mer que ne sauraient arrêter nos pauvres bras humains et périssables, impose toute sa vérité. « Certains pensent que ma relation avec le Président Bassirou Diomaye Faye pourrait se détériorer. Dans la vie tout peut arriver ». Ou encore : « Sachez que ce qui mettra fin à notre relation ne viendra pas de moi”. Tout le charme est dans la nuance qui suit : “Je crois savoir que cela ne viendra pas du Président Bassirou Diomaye Faye ».

Des propos tenus lors du meeting du 08 novembre qui ont été la goutte d’eau de trop puisque les injonctions directes au président ont continué de plus belle. Comme celle de désigner Aïda Mbodji comme l’unique coordinatrice de « Diomaye Président ». De même Ousmane Sonko n'avait pas par exemple manqué d'apporter la réplique à un allié qu'il ne cite pas nommément, estimant que parmi ceux qui s'agitent à semer la division, les deux les plus en vue ont un problème avec le "Jub Jubul Jubunti. « L'un est épinglé par un rapport de l'IGE pour un montant de plus de 2 milliards de Francs Cfa », avait-il dit. Poursuivant Ousmane Sonko d'ajouter « l'autre, nous lui avons confié un ministère mais j'ai découvert des malversations, notamment des pressions pour laisser passer des marchés de surfacturation. Nous l’avons changé de ministère en attendant de se débarrasser de lui». Pour finir, le Premier ministre informe avoir écrit au Président de la République pour signaler que certains alliés ne peuvent plus continuer à travailler avec eux. L’on a bien compris qu’ils s’adressait à Aminata Touré et à Abdourahmane Diouf.

Dans ce duel à distance, une question de fond semble dès lors opposer Diomaye Faye et Ousmane Sonko. Si le Premier ministre du fait de sa légitimité populaire, est pour une prégnance du parti dans la gestion étatique, Bassirou Diomaye a non seulement besoin d’un appareil pour le soutenir dans sa gestion, mais il entend rester le président de tous les Sénégalais. Bien au contraire, il a toujours promis que la Justice allait se faire notamment sur la question des martyrs. Seulement, il ne compte pas dicter aux magistrats la conduite à tenir. Ce qui n’a rien à voir avec la question de la réconciliation nationale. C’est en substance ce qu’a déclaré Abdourakhmane Diouf lors de sa sortie jugée polémique, en dehors du fait de pardonner qui n’était pas obligatoire de son point de vue.

A la vérité, l’attitude passive du Président de la république, cherchant chaque fois à vouloir tolérer les écarts du Premier ministre, ont inéluctablement conduit à cette situation. Autant, le président de la république a cherché à se montrer redevable vis-à-vis de son Premier ministre, autant celui-ci n’a pas su décrypter un tel message en ne faisant pas preuve de retenue.

Comme par exemple cette dissonance qu’il a installée dans la relation FMI-Sénégal avec un président mu par une volonté diplomatique d’obtenir un nouveau programme avec le FMI. Si le PR a toujours développé un discours assez soft vis-à-vis de l’institution, Ousmane Sonko s’était bien souvent montré radical, à tel point que certains observateurs s’étaient même interrogés sur le caractère constructif de son attitude. Comment encore comprendre son absence du conseil des ministres parce qu’il ne s’était pas senti bien ou son récent congé, alors qu’il a entre-temps participé à la fête des forces armées ? Il se donne qu’on veuille l’admettre ou non des libertés qu’il ne devrait pas pouvoir s’octroyer.

Tout comme ses attaques contre les magistrats, à travers les institutions les plus en vue de la Justice (Cour Suprême, Conseil constitutionnel et la Cour d’appel) procèdent de la même pression sur le Président de la République ; l’objectif étant de créer les conditions de la validation de sa candidature compromise de 2029 du fait de l’affaire Mame Mbaye Niang. La presse, La société civile, l’opposition, tous en ont pris pour leur grade à travers des attaques du PM. Comment comprendre cette volonté d'asphyxier la presse en rompant ses conventions et en refusant d'attribuer la subvention à la presse ?

A la vérité, le président Diomaye Faye aura même cédé au limogeage des ministres de l’intérieur et de la justice pour les remplacer par deux personnages proches du PM. Que pouvait-il dès lors concéder de plus ? Et il était d’ailleurs devenu de plus en plus rare de ne pas voir le Président et le premier ministre dans les mêmes cérémonies. Pourquoi cela devrait-il à ce point être possible ? Il y a comme une sorte de marquage à la culotte qui ne dit pas son nom.

De même l’on peut se poser la question de la déontologie administrative qui voudrait que le Premier ministre ne puisse pas étaler des supposés contenus de rapports, dans le cadre de meeting privés, comme ce fut le cas lors du Tera meeting.

L’obsession des foules 

L’on doit à la vérité en finir avec cette complaisance vis-à-vis de la posture du Premier ministre qui semble n’en faire qu’à sa tête, sous le prétexte qu’il a permis grâce à sa légitimité populaire de faire accéder Diomaye Faye au pouvoir. Ce téra meeting n'avait qu'un objectif, celui de montrer au Président de la république que lui Ousmane Sonko dispose de la légitimité populaire et qu'il est resté le maître du jeu.

L'histoire des hommes politiques sénégalais et la foule, semble se ramener à une question d'obsessions. Ce qui est en soi une mauvaise lecture des situations. Abdou Diouf n’avait-il pas par exempke réussi une mobilisation exceptionnelle en 2000 lors de son meeting de clôture de la campagne présidentielle, poussant même certains jusqu’à dire que le PS est indéboulonnable. Au finish, Wade l’avait coiffé au poteau, au moment où il y croyait le moins. Qui était plus populaire que Me Wade ? Lorsqu’il prenait le pouvoir en 2000, n’avait-il pas organisé qu’une marche bleue, faute de moyens ? L’on se rappelle aussi de cette veille d’élection de 2012 durant laquelle, soutenu par feu Cheikh Béthio Thioune, les sources du Parti démocratique sénégalais tablaient entre 1,8 et 2 millions de personnes ayant assisté au meeting du président de la république organisé par son parti. Mais à l’arrivée Abdoulaye Wade a été battu par Macky Sall. Très peu de personnes, même les analystes les plus futés, ne pouvaient penser, en plein apogée de Benno Siggil Sénégal (BSS) que Macky Sall allait succéder à Me Abdoulaye Wade, supplantant Moustapha Niasse de l’Afp et Ousmane Tanor Dieng du Ps, alors qu’il venait de lancer son parti, l’Alliance pour la République, non encore structuré à l’époque. Tout cela pour dire que la foule est loin d’être un baromètre suffisant qui se convertirait forcément en victoire dans les urnes. Le chroniqueur Ibou Fall a d’ailleurs fait la démonstration selon laquelle, le stade devait contenir 60 000 personnes et que les personnes à l’extérieur ne pouvaient remplir le stade. La question, c’est plutôt que représentent 100 000 personnes à l’échelle d’une élection ?

Une histoire politique sénégalaise, marquée par des dualités

Au Sénégal, les situations de cohabitation sont jusque-là très rares. C’est généralement à l’occasion des nouvelles alternances et pour des périodes n’excédant pas quelques mois. La plus longue a été notée à la suite de la première alternance avec Abdoulaye Wade en 2000. Ce dernier a “cohabité” avec la majorité socialiste vaincue officiellement jusqu’en février 2001, avant la tenue des nouvelles élections législatives en avril 2001.
C’est donc très différent de la situation à laquelle nous sommes confrontés actuellement. Ici, nous sommes dans le cas d’une scission à l’intérieur même de la majorité présidentielle, avec deux personnalités qui se regardent en chiens de faïence. Comme en 1962 entre le président de la République Léopold Sedar Senghor et son binôme, le président du Conseil Mamadou Dia. Plusieurs similitudes en tout cas entre la crise Dia-Senghor et celle que nous connaissons actuellement. Comme Dia, Sonko défend la primauté du Parti sur l’État, alors que Diomaye prône l’inverse comme Senghor. Comme en 1962, les deux belligérants s’avèrent être des compagnons de longue date…. Mais à la principale différence, qu’en 1962, le président du Conseil (Premier ministre Mamadou Dia) avait beaucoup de pouvoirs de par même la Constitution. Il était non seulement Premier ministre, mais également ministre de la Défense. Ce qui ne l’a pas empêché de perdre devant le président de la République. Aujourd’hui, de par la Constitution, c’est le Président de la République qui tient presque tous les pouvoirs. Mais Diomaye les a jusque-là exercés en parfaite intelligence avec son Premier ministre.

Dans cette guerre fratricide, dans laquelle la plupart des militants estiment qu’il n’y a pas de place pour les neutres, c’est Ousmane Sonko qui tient la masse et les jeunes et Diomaye a l’avantage de disposer des décrets. Il peut limoger le Premier ministre quand il veut. Et l’Assemblée nationale, favorable au Pm, ne peut rien contre le chef de l’État. Pour Yoro Dia, même si Diomaye dort, il gagne en cas de confrontation. Dans ce qui s’annonce pour certains comme une guerre entre le parti (Pastef) et l’État, ils sont nombreux à penser que comme en 1962, l’État finit toujours par prendre le dessus sur le Parti.

Mais espérons qu’on n’en arrive pas là puisque les urgences sont ailleurs notamment sur le plan économique et social où notre pays connaît une Téra crise.