NETTALI.COM - La Cedeao approuve un tribunal spécial pour juger les crimes commis en Gambie sous Yahya Jammeh. Suite à cette décision, tous les esprits convergent vers le Sénégal désigné comme endroit idéal pour juger l’ancien président gambien. De l’avis des spécialistes, le Sénégal remplit toutes les conditions pour juger Yahya Jammeh
La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), réunie en sommet ordinaire, le 15 juillet à Abuja au Nigéria, a décidé d’établir un Tribunal spécial pour juger les crimes commis en Gambie, entre 1994 et 2017, sous le règne de Yahya Jammeh. L’homme fort de la Gambie qui vit en exil en Guinée équatoriale depuis 2017, avait perdu la présidentielle de 2016 face à l’actuel chef de l’Etat, Adama Barrow. Mais son refus de céder la place au vainqueur du scrutin, avait entraîné le pays dans une impasse politique qui avait obligé la Cedeao à intervenir militairement pour le déloger du palais présidentiel à l’effet de faire prévaloir les résultats du scrutin. A l’approche des troupes de l’organisation communautaire de la capitale, Jammeh avait cessé de jouer les durs pour prendre la poudre d’escampette, direction Malabo où il vit en exil forcé depuis lors. Sept ans après, il est en passe d’être rattrapé par son passé, avec cette décision historique de l’organisation régionale qui a décidé de ne pas laisser impunis, les crimes commis sous son règne. Une décision saluée par les défenseurs des droits de l’homme de la Gambie. Dès l’annonce de cette décision, les esprits ont convergé vers le Sénégal.
Pa Samba Jow, militant des droits de l’homme gambien, souhaite que Yahya Jammeh soit jugé au Sénégal. Il déclare que compte tenu des «contextes géographiques et historiques», le Sénégal était l'endroit idéal pour juger l'ancien président gambien pour ses crimes présumés. La Casamance, région du sud du Sénégal, aurait été utilisée comme théâtre de jeux par l'escadron de la mort de Jammeh, les Junglers, pour des enlèvements, du trafic de drogue, des meurtres et des déversements de corps. Étant donné que le Sénégal avait accueilli avec succès le procès de l'ancien président tchadien, Hissène Habré, Pa Samba pense que le Sénégal dispose déjà de l’expérience et du mécanisme pour un tel procès. «Le Sénégal serait donc un pays idéal, mais je doute que le nouveau gouvernement veuille accueillir un tel procès. Ce qui est important, c’est que pour que l’Afrique mette fin au cercle vicieux des abus et de l’impunité, des dirigeants comme Jammeh, qui ont violé les droits de l’homme, doivent être poursuivis», a-t-il déclaré.
«Avec le procès de Hissène, le Sénégal a prouvé qu’il a la capacité, les compétences pour abriter la chambre africaine»
Son vœu pourrait bien se réaliser, à en croire l’avocat Me Assane Dioma Ndiaye. La robe noire estime que le Sénégal peut bien abriter la chambre africaine du point de vue de son expérience et de ses infrastructures. «Un procès de cette nature implique le respect des standards internationaux en matière d’infrastructure et de compétence. On sait tous que la Gambie n’a ni l’expérience, ni la capacité encore moins les infrastructures nécessaires pour abriter un tel procès», campe la robe noire. Qui poursuit : «Si aujourd’hui, tous les esprits convergent vers le Sénégal, c’est parce qu’il y a une bonne raison : l’affaire Hissène Habré. Le Sénégal avait brillamment réussi à abriter ce procès selon l’accord signé avec l’Union Africaine (UA). Quand les experts de l’UA sont venus en visite à Dakar, quand ils ont vu le Palais de Justice, notamment la salle 4, ils se sont dit que le Sénégal est le pays idéal pour accueillir le procès.» Il s’y ajoute le nombre de places que contient la salle 4. Les journalistes ont des places adéquates, il y a même possibilité de faire des scripts pour ceux qui doivent prendre des notes. Une infrastructure qui peut bien se prêter au procès envisagé par la Gambie et la Cedeao. Me Assane Dioma Ndiaye, rappelle que les Tchadiens suivaient quotidiennement le procès depuis le Tchad. Mieux, il y avait des témoins, dont on avait recueilli leurs témoignages à partir de N’Djamena en visioconférence, comme ce qui se passe à la Cour pénale. «C’est une expérience que le Sénégal a réussie haut la main avec le procès de Hissène», se glorifie l’avocat.
Du point de vue des compétences également, la Gambie fera forcément appel à des compétences extérieures. Et le Sénégal pourrait bien l’assister, selon Me Assane Dioma Ndiaye. «Beaucoup de magistrats sénégalais ont travaillé, soit en qualité de juge d’instruction soit en qualité de juge du fond ou même de parquetier. Beaucoup de Sénégalais ont fait de l’expérience à la Cour Pénale Internationale. Le greffier adjoint de la Cour, le chef de la coopération et l’actuel procureur adjoint, sont tous des Sénégalais», atteste le commissaire adjoint du comité disciplinaire de la Cpi. Du côté des finances, la Gambie peut compter sur les bonnes volontés. «Un pays comme la Gambie ne pourra jamais supporter un tel procès. Avec le procès de Hissène Habré, il a fallu la contribution de l’Union Africaine, mais surtout celle du comité de bailleurs qui a été mis en place pour recueillir les contributions des pays amis qui luttent contre l’impunité», explique l’avocat. Il invite la Gambie à mettre la main à la poche comme l’avait fait le Tchad. «Un budget prévisionnel sera fixé. Il y aura certainement une réunion des bailleurs, des bonnes volontés pour essayer de recueillir plus de contributions. L’Union africaine, la Cedeao, les États Unis, la France, l’Angleterre, la Belgique, ce sont des pays qui vont sûrement apporter leur aide pour permettre à la Gambie d’avoir un budget conséquent», termine Me Assane Dioma Ndiaye pour qui, le Sénégal remplit toutes les conditions pour juger Yahya Jammeh
«Que Yahya Jammeh soit jugé chez lui en Gambie »
Moundiaye Cissé ne partage pas l’avis du pénaliste. Le président de l’Ong, 3D (Démocratie, Droit humain, Développement) ne souhaite aucunement que Yahya Jammeh soit jugé au Sénégal. Il pense que l’ancien chef d’État doit être jugé chez lui en Gambie où il aurait commis les faits dont il est accusé. «L’endroit idéal pour le juger c’est son pays, en Gambie, si on veut garantir un procès équitable et juste. Les anciens Présidents ne doivent pas être jugés hors de chez eux. Ils doivent être jugés dans leur pays où ils ont commis les actes pour lesquels ils sont poursuivis», soutient le défenseur des droits de l’homme. Revenant sur le procès de Hissène Habré qui s’est tenu au Sénégal, Moundiaye soutient que les circonstances ne sont pas les mêmes. «Hissène Habré s’était réfugié au Sénégal qui a bien voulu l’accueillir. Il résidait au Sénégal. En plus, Yahya Jammeh ne fait pas confiance au Sénégal, pourquoi vouloir le juger ici ? Pourquoi pas en Côte d’Ivoire, au Mali ou ailleurs ? », s’interroge Moundiaye Cissé.