NETTALI.COM - C’est un vendredi de feu qu’avait prédit la presse, la semaine dernière lors du vote du projet de loi relatif à la modification du code pénal et du code de procédure pénale. C’était le vendredi 25 juin. L’ombre du 23 juin a fortement plané sur l’hémicycle, ce jour-là. Mais la violence tant crainte n’a finalement pas eu lieu. En dehors de quelques activistes et acteurs de la société civile arrêtés puis relâchés, rien de bien particulier ou de violent à déplorer si ce n’est le passage, à la majorité mécanique de la loi qui a été largement relevé, sans oublier la violence qui a été plutôt interne à l’Assemblée nationale.  Un lieu où on ne l’attendait certainement pas.

C’est le vote du projet de loi relatif à la modification du code pénal et du code de procédure pénale qui a occupé l’actualité de la fin de semaine dernière. Le vendredi 25 juin, les sites d’information en ligne et les médias télévisuels et radiophoniques ont  comme à l’accoutumée, lors des évènements, rivalisé d’ « Editions spéciales » avec des analystes invités pour décrypter et commenter l’actualité du vote de la fameuse loi et en direct. Une question à priori pas simple au regard de la polémique qu’elle a engendré. Le lendemain ou plus exactement le samedi et dimanche suivant, la presse écrite a pris le relai, et c’est pour mettre l’accent sur le passage de la loi à la majorité mécanique ou plus exactement au forceps. Mais ce sont les pugilats, insanités, bagarres et injures à l’intérieur de l’Assemblée qui ont été majoritairement déplorés avec une insistance particulière sur le mot « terreur » qui était sur toutes les lèvres. « Vox Populi » a ainsi barré à sa une : « Acte de terreur… isme à l’Assemblée », là où l’As a titré : « Des actes « terroristes » perpétrés à l’Assemblée.

C’est le ministre de la justice qui aura en tout cas tout fait pour tenter de faire passer la pilule manifestement difficile à avaler. Lors du vote de la loi, Me Malick Sall a essayé de convaincre les parlementaires quant aux motivations de la procédure d’urgence, en ces termes : «Le Sénégal a ratifié des conventions internationales. Un deadline est fixé au gouvernement du Sénégal, parce qu’à l’heure d’aujourd’hui, avec le retard qui a été accumulé imputable aux effets de la pandémie, le Sénégal a été placé en zone rouge. Nous avons donc dû discuter avec le Gafi (Groupe d’action financière) qui est chargé dans le monde entier de superviser la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement de terrorisme. Le texte qui est soumis à votre examen, ne parle pas de terrorisme, mais règle des problèmes de blanchiment de capitaux et du financement de terrorisme...»

Des explications du ministre qui amènent toutefois à se demander de qui se moque-t-on. Il y a en effet, comme qui dirait, une sorte de respect des conventions bien sélectif. En effet lorsque la Cour de justice de la Cedeao a récemment demandé au gouvernement sénégalais de supprimer le parrainage, s’était-il dépêché de le faire ? Il avait au contraire fortement chahuté cette décision avec l’aide de son constitutionnaliste en chef, Ismaïla Madior Fal, avant de chercher à utiliser des arguments doux question de se rattraper. Alors qu’on ne nous parle surtout pas de convention à respecter ! Ou peut-être y aurait-il une hiérarchie des conventions avec des conséquences d’un côté et du je m’en foutisme de l’autre  ?

Le vote de cette loi a posé problème c’est sûr et personne ne soutiendra le contraire. Et les invités des émissions radiophoniques du dimanche les plus courues du moment, « Grand Jury » de la RFM, El Hadji Amadou Sall et de « Jury du dimanche » d’I-Radio, Bruno D’Erneville ont tous relevé ce fait.

Ce dernier par exemple, parlementaire et président du Parti pour l’Action citoyenne et membre de la Coalition Jotna n’est pas d’accord avec le vote de la loi corsant les peines sur le terrorisme. Selon lui, cette loi devait d’abord faire l’objet d’une discussion avant d’être soumise aux députés pour son adoption. Cette loi pouvait à son avis être considérée comme une loi utile parce que le contexte actuel fait que le terrorisme est une réalité sous-régionale. Il a ainsi regretté la manière “cavalière” dont cette loi a été adoptée.  « Malheureusement, nous avons l’habitude des lois qui passent aux forceps. Mais ce qui choque le plus, pour moi, c’est l’urgence dans laquelle ces lois sont toujours votées », a déploré le président du Parti pour l’action citoyenne, et membre de la Coalition “Jotna”.

A l’en croire, il n’a pas compris pas qu’une loi qui se veut utile, ne puisse pas être discutée sereinement. « Une des autres choses qui nous inquiètent, nous de l’opposition, c’est que dans cette loi, lorsque vous voyez qu’un terroriste peut être simplement quelqu’un qui est accusé de complot. Quand on sait ce qui se passe en Côte d’Ivoire où Guillaume Soro est accusé de complot, avec une condamnation à perpétuité, on peut s’inquiéter. Pire, quand on voit que dans cette loi, il est dit que lorsque vous dégradez les biens publics, vous êtes passible d’une condamnation pour terrorisme. Imaginez ce que cela signifie » s’est-il inquiété, non sans indiquer que le régime en place a toujours reproduit les mêmes fautes.

Invité de l’émission « jakarloo » qui a eu lieu le jour du vote, le parlementaire Toussaint Manga du Pds a lui estimé qu’on n’a pas donné aux Sénégalais le temps de mieux comprendre les motivations profondes du nouveau texte, à la lumière des innovations apportées. « Même si nous sommes députés, nous ne sommes pas tous des experts en matière de Droit. Il y a des lois que l’on peut lire en diagonale, mais pour certaines lois, cela exige l’avis d’un spécialiste pour fonder une religion », prévient-il. « Il y a 5 innovations et elles ne sont pas toutes mauvaises », s’est réservé le député libéral. Il citera par exemple, au rayon des améliorations, le nouveau dispositif pour prévenir le blanchiment d’argent et la lutte contre le terrorisme.

Par contre, ce qui a dérangé le député libéral, a surtout trait à la redéfinition des infractions liées à l’association de malfaiteurs. Il a ainsi rappelé qu’en 2015, il avait été arrêté pour, selon l’accusation, association de malfaiteurs. « En réalité, on ne m’a pas pris la main dans le sac, ce sont des jeunes de l’UJTL que l’on a arrêtés et ensuite on m’a interpellé. Cela veut dire qu’aujourd’hui, on peut arrêter n’importe quelle personne qui organise un rassemblement pour association de malfaiteurs », déduit le député. Toussaint est d’autant plus sceptique qu’« à chaque fois que sous Macky Sall des réformes sont apportées, il y a des soubassements politiques ».

Face à  Babacar Fall, à "Grand Jury" l’avocat a relevé « des erreurs et des insuffisances» dans les textes soumis à l’appréciation des parlementaires, qui les ont validés, vendredi dernier. D’abord sur la forme, l’ex-ministre,  sous Abdoulaye Wade, juge que le texte est «inopportun».  «Il n’y a que deux choses qui ont changé. Le dernier alinéa qui est devenu 275-75-79, 2 ou 279-3, on l’a enlevé pour le mettre ailleurs. Et on a modifié, disons, on a changé la nature de la peine. Avant, la peine était une peine criminelle de travaux forcés à perpétuité. Aujourd’hui, ce n’est plus une peine de travaux forcés à perpétuité ; c’est une peine de réclusion criminelle à perpétuité ou de détention criminelle à perpétuité, qui n’existe pas dans notre droit positif, d’ailleurs. Pour dire, dans la technique de rédaction, il y a une grande erreur», a relevé celui qui était ministre de la Justice, lorsque le gouvernement procédait en 2007, à des réformes portant sur le Code Pénal.

La confusion est à son comble lorsque la journaliste Salma Ibrahima Fall, l'animatrice de "Petit-Dej" sur Walf a fait croire ce lundi 28 juin sur son plateau que puisqu'elle est en train de se plaindre de cette loi, elle pourrait se retrouver demain à être poursuivie pour terrorisme ! Qu'est-ce qui a bien pu la pousser à penser cela ? Difficile de savoir. En tant que journaliste quand même, elle ne devrait pas pouvoir sortie une ineptie pareille ! La loi est polémiquer certes, mais de là à ce qu'on puisse l'interpréter de cette manière là..

Mardi 29 juin, à la suite du ministre de la Justice, Me Malick Sall, son collègue de l’intérieur et de la Sécurité publique, Antoine Félix Diome, a apporté des éclaircissements, relativement aux modifications concernant le Code pénal et le Code de procédure pénale opérées vendredi dernier. “Des violences commises lors d’un rassemblement ne peuvent être qualifiées de terroristes. Par exemple, le fait de tuer quelqu’un peut être un simple meurtre. Mais si on tue quelqu’un dans l’intention d’intimider ou de troubler le fonctionnement normal des institutions, on est en présence d’un acte terroriste. C’est aussi simple que cela“, a déclaré le ministre de l’Intérieur qui s’exprimait au cours d’une réunion du Comité de pilotage du protocole d’accords de partenariat sur la maîtrise durable des noyades dans les zones de baignade et de traversée par embarcation.

Toujours est-il que le projet de loi a été adopté vendredi 25 juin par l’Assemblée nationale avec une majorité de 70 voix, contre 11 et zéro abstention. Et l’on peut raisonnablement se demander où étaient les autres parlementaires dans un hémicycle où le nombre total de députés est de 150. La véritable interrogation c’est dès lors de savoir qui ces parlementaires représentent-ils réellement, si ce ne sont eux-mêmes. En tout cas, pas le peuple puisque la majorité d’entre eux ne semble pas comprendre les enjeux d’une telle loi et leur mission.

La question à véritablement se poser, est de savoir pourquoi l’opposition a attendu 5 ans après le vote de cette loi pour s’offusquer et demander son retrait ? Soit elle est simplement dans la paranoïa, ou alors elle méconnaissait l’existence de cette loi. Auquel cas, elle est à condamner parce qu’elle n’a pas fait son travail d’opposition parlementaire.

Des faits existent d’ailleurs pour montrer que les Imams Alioune Ndao, Dianko et Cie, l’étudiant Saër Kébé et autres personnes poursuivis pour apologie au terrorisme, ont été jugés sous l’emprise de cette loi votée en 2007, révisée en 2016 et encore retouchée vendredi dernier. La preuve que cette loi n’a strictement rien à voir avec les évènements de mars dernier, est que les personnes qui ont été arrêtées dans le cadre de cette procédure, dont des responsables de Pastef, Birame Soulèye Diop et Abass Sall, ainsi que Guy Marius Sagna, Clédor Sène et Assane Diouf, n’ont pas été inculpés sous l’emprise de la loi sur le terrorisme, mais des dispositions des articles (de droit commun) du code pénal. Les motifs figurent parmi tous ces articles jugés liberticides et qui vont du 56 à 100 et qui évoquent le trouble à l’ordre public, la participation à un mouvement insurrectionnel, la violence et voie de fait, l’atteinte à la sûreté de l’Etat, la destruction de biens appartenant à l’Etat et aux particuliers, lorsqu’il s’agit de manifestations d’ordre politique. Ce qui n’a rien à voir avec les allusions aux articles liés au terrorisme qui est l’article 279 du code pénal tiret, 1 à tiret 9.

Qu’est ce qui change vraiment ?

Mais à la vérité, l’Etat a fait preuve d’un amateurisme certain en reprenant ces dispositions dans son nouveau projet de loi, alors qu’elles sont contenues dans le code pénal depuis 2016. En effet, le fait de répéter ces dispositions dans la loi, ne découle d’aucune logique de modification puisque cela ne répond ni à un rajout, ni à une abrogation et encore moins à un remplacement. Du coup, cet acte a pu conférer à l’opposition le droit de s’indigner et de réclamer des dispositions plus adaptées à la lutte contre le terrorisme et éloignées des objectifs de règlements de comptes politiques.

Face à ce tollé, le ministre de la Justice, Malick Sall, a sorti un communiqué ce lundi 28 juin pour repréciser les choses. Il a ainsi indiqué qu’en 2016, les députés avaient adopté une autre loi modifiant à nouveau le Code pénal, la loi n° 2016-29 du 08 novembre 2016, qui a complété la loi n° 2007-01 du 12 février 2007, à travers l'article 279-1, en y incluant trois nouvelles catégories d'infractions liées respectivement aux armes nucléaires, à la cybercriminalité et à la défense nationale. «Aujourd'hui, la nouvelle réforme de l'article 279-1 a procédé à un toilettage de l'ancienne rédaction dudit article, en décalant son dernier alinéa relatif à l'apologie du terrorisme, pour en faire un article autonome, et en remplaçant les travaux forcés par la réclusion criminelle, conformément à la loi n° 2020-05 du 10 janvier 2020, qui a consacré cette peine de réclusion criminelle, déclare ledit ministère», note le ministre.

Malick Sall de faire comprendre que « depuis l'adoption des lois de 2007 et 2016, précédemment citées, aucun individu n'a été poursuivi sur le territoire national, pour actes de terrorisme, suite à des manifestations politiques, même accompagnées de violences, destructions ou tout autre dommage contre les personnes ou contre les biens". Une manière de dire que l’opposition n’a pas de raison de s’inquiéter.

Le changement majeur dans ce projet de loi, c’est ainsi la question du financement du terrorisme qui n’était pas prise en compte dans les précédentes lois. Autre fait majeur de cette loi, c’est la question de la responsabilité pénale qui jusqu’ici ne concernait que les personnes physiques. Dans cette modification, toute entreprise, organisation, etc, qui peut être derrière une personne pour commettre des actes terroristes, ainsi que la personne physique l’entreprise et/ou l’organisation qui la soutient, peuvent être installées dans la procédure.

L’autre correction c’est le terme «travaux forcés à perpétuité» qui est remplacé par «réclusion criminelle» à perpétuité. Il y a aussi l’incrimination de la piraterie maritime. Last but not least, dans le projet de loi, il a été proposé une nouvelle réécriture de la définition de l’infraction d’association de malfaiteurs. Désormais, il s’agit de toute association formée, quelle que soit sa durée ou le nombre de ses membres, toute entente établie dans le but de préparer ou de commettre un ou plusieurs crimes ou délits contre les personnes ou les propriétés. Ce qui ne change rien par rapport à l’ancienne définition en dehors de la précision sur le nombre et la durée.

Le gouvernement aurait ainsi pu se focaliser sur ces changements. Sa communication aurait été plus efficace et permis aux Sénégalais de se passer de ce débat inutile sur le terrorisme qui a tenu en haleine le pays pendant plusieurs jours, alors que les dispositions qui le concernent, sont dans le code pénal depuis 2016.

Cet amateurisme du gouvernement et cette paranoïa de l’opposition, ont pour conséquence que même certains changements notables proposés dans le code de procédure pénale, sont passés inaperçus.

En effet, dans l’un des textes votés vendredi, un organe spécialement chargé de la gestion et du recouvrement des avoirs saisis et confisqués, a été créé. Il s’agit de l’Organe de gestion et de recouvrement des avoirs criminels (Onrac). Il sera chargé d’une mission générale de gestion des biens saisis, confisqués ou faisant l’objet d’une mesure conservatoire au cours d’une procédure pénale. Les victimes pourront de ce fait, être indemnisées sur les biens confisqués. L’organe aura ainsi la possibilité de saisir le patrimoine des mis en cause dès le stade de l’enquête et de l’instruction. Ceci, afin de garantir l’effectivité des peines de confiscation susceptibles d’être prononcées par les juridictions répressives en phase de jugement, le cas échéant. Aussi, le code de procédure pénale élargit également tous les biens susceptibles de confiscation.

Le texte permet désormais, aux forces de défense et de sécurité, de pouvoir utiliser dans le cadre de leurs missions, les moyens de locomotion immobilisés dans le cadre de procédures judiciaires, sous le contrôle effectivement des autorités judiciaires.

Le texte offre également et désormais aux forces de défense et de sécurité de faire des missions d’infiltration avec des exonérations pénales, lorsqu’elles agissent dans le cadre de ces missions. Autant d’éléments nouveaux contenus dans le code de procédure pénale et malheureusement sont noyés par le brouhaha de l’opposition qui n’était obnubilée que par cette histoire de définition du terrorisme.

Tout ceci sont des éléments nouveaux contenus dans le code de procédure pénale et qui sont noyés par le brouhaha de l’opposition qui n’était obnubilé que par cette histoire de définition du terrorisme.

La violence mine le jeu politique

Le comportement des députés dans l'hémicycle, vendredi, démontre ainsi que la violence s’est installée dans le champ et le jeu politiques où les règles démocratiques sont sans cesse bafouées, ne faisant l’objet du moindre consensus. L’on s’amuse à se faire peur, brandissant sans cesse la carte des rapports de force. Le vif et récent débat sur la présence des nervis dans l’arène politique, témoigne d’une surenchère de violence dont l’issue ne peut être que fatale. Le jeu politique est à ce point crispé que l’on peut comprendre l’opposition dans sa crainte de se faire piéger par l’Etat, à travers cette définition du terrorisme. S’il en est ainsi c’est parce que des autorités étatiques – même si aucun opposant, acteur de la société civile ou activiste, n’a été jusqu’ici poursuivi pour terrorisme – accusent certains opposants, activiste ou acteurs de la société civile, de terrorisme avec une facilité déconcertante. La preuve par Assane, Diouf, Ousmane Tounkara et les allusions aux forces occultes et les corrélations avec la Casamance.

Les évènements de mars sont encore frais dans les mémoires, les recadrages et les mises en garde récurrents de Macky Sall, lors de ses rassemblements (Diamniadio avec les jeunes, tournées économiques) laissent craindre des velléités de représailles, surtout au moment où est annoncé le recrutement de 3000 policiers et 3000 gendarmes pour renforcer le dispositif de sécurité étatique. L’amalgame et l’assimilation sont vites faits et difficile pour certains opposants de ne pas être paranoïaques dans ces moments-là. Mais la question n’est pas finalement pour ceux-là de craindre d’être accusés de “terroristes“, mais plutôt d’éviter de tomber dans les saccages et les violences lors des manifestations. Il s’agit surtout d’exercer ce droit constitutionnel toujours de manière républicaine et pacifique. Il appartient à l’Etat de ne pas bafouer ce droit et de laisser cette liberté s’exercer, surtout que dans le même temps, Macky Sall qui a gouté à l’ivresse des tournées économiques, ne veut plus s’arrêter. Il va les poursuivre, question de s’assurer de sa popularité. Ah l’illusion des foules, elle a déjà perdu Me Wade….