NETTALI.COM - L’implication de la compagnie américaine Boeing, qui connait depuis quelque temps une série noire, a sans doute donné à l’incident de l’AIBD un cachet encore plus particulier et sensationnel. Très vite, l’information s’est répandue un peu partout et tous les regards ont été orientés vers le géant américain. L’âge du vol HC301 (30 ans) semble cependant plaider en sa faveur.
L’image a fait le tour du monde. Un avion sérieusement en feu, des secouristes mobilisés, des passagers évacués en catastrophe, une panique générale. Tel est le triste décor constaté, le jeudi 9 mai à l’aéroport international Blaise Diagne de Diass, suite à une sortie de piste d’un avion de TransAir affrété par la compagnie nationale Air Sénégal.
Dans un communiqué, le ministère chargé des Transports aériens précise : "Le vol HC301 d’Air Sénégal opéré par TransAir a fait une sortie de piste au décollage de l’aéroport AIBD, suite à une accélération arrêt, le jeudi 9 mai 2024 à 1h 14. Ce vol, à destination de Bamako, avait à son bord 85 personnes, dont 79 passagers, deux pilotes et quatre membres du personnel navigant cabine".
Qu’est-ce qui s’est donc passé et qui a mené à ce grave incident ? Les experts sont unanimes : il est très tôt pour le dire. “A ce stade, les plus grands experts au monde ne pourront te dire voici ce qui a été à l’origine de l’incident. Les gens ne feront que spéculer. Souvent, ça prend au moins trois mois pour les résultats de l'enquête sommaire. Ce qu’il faut aussi retenir, c’est que dans le domaine aéronautique, des accidents comme ça, c’est toujours la combinaison de plusieurs facteurs ; ce n’est jamais une seule cause”, prévient ce spécialiste sous le couvert de l’anonymat. Il ajoute : “Les enquêteurs du BEA vont exploiter la boite noire ; ils vont analyser tous les paramètres. À l’issue seulement, ils pourront donner les raisons qui peuvent être techniques, humaines, organisationnelles. C’est souvent plusieurs raisons combinées”.
En attendant les résultats de l’enquête du BEA qui vont prendre un peu de temps, les langues se délient dans le secteur aéroportuaire. Et les soupçons semblent plutôt s’orienter vers la compagnie nationale Air Sénégal et TransAir.
En ce qui concerne Air Sénégal, il lui est surtout reproché de ne pas avoir fait toutes les diligences requises. “Air Sénégal a signé un contrat d'affrètement avec TransAir sans au préalable procédé à un audit tech- nique (obligatoire) de TransAir, un Safety audit comme on dit dans le jargon. Cela consiste à vérifier les appareils, les manuels de procédures de la campagne, les opérations vol et sol, l'organisation générale de l'exploitant, la maintenance et le suivi de navigabilité...”, révèle une source à “EnQuête”.
Notre interlocuteur, qui parle d’un “nid d’abeilles” trouvé dans le moteur et d’une “fuite d’eau”, relève également que “l'avion a fait une première tentative de décollage qui ne s'est pas bien passée. Ils ont découvert qu'il y avait une fuite d'eau, ce qui ne les a pas empêchés de forcer le décollage”.
Nous avons essayé de joindre la compagnie Air Sénégal pour avoir sa version sur ces accusations, mais en vain.
Interpellé pour des explications, ce pilote tient d’emblée à préciser qu’il faut tout prendre avec des pincettes. “Je pense que le fait d’avoir forcé le décollage après une première tentative manquée, si c’est avéré, ça peut être problématique. Cela peut être une piste. Quant au nid d’abeilles, je me demande comment sa présence peut créer de problèmes majeurs, si l’on sait que le moteur d’avion est extrêmement puissant. Il a été conçu pour avaler même des oiseaux... Je me demande donc ce qu’un nid d’abeilles peut faire, même s’il ne faut rien négliger à ce stade”, soutient-il.
Ce qui peut entrainer une sortie de piste
Mais qu’est-ce qui peut donc entrainer une sortie de piste de cette nature ? De l’avis de notre source, il y a plusieurs raisons. Il explique : “L'avion, dès qu'il entame son décollage, il y a des phases de décision. Notamment la V1 qui est beaucoup plus connue. C'est la vitesse à partir de laquelle l'avion ne peut plus s'arrêter. Si le pilote venait à interrompre le décollage en ce moment, il ne lui resterait pas assez de distance pour s'arrêter ; il sortirait de la piste.”
À partir de cette vitesse, renchérit le spécialiste, “quelle que soit ce qui arrive, il faut décoller. Mais parfois, quand il y a des risques graves en cas de décollage, il vaut mieux l’interrompre, sortir de la piste plutôt que de décoller. Par exemple, quand le décollage peut entrainer une explosion de l’avion”.
Technicien expert aéronautique, Al Hassane Hane revient sur les différentes phases du décollage et les causes susceptibles d’entrainer ce genre d’incident. La phase la plus critique d’un vol, souligne-t-il, c’est le décollage. “Il y a une première phase appelée phase initiale qui permet de donner à l’avion une certaine accélération. Ensuite une deuxième qui consiste à définir une vitesse de décision. À cette vitesse, l’équipage devra se décider à décoller ou à interrompre le processus et revenir au parking. S’il y a des anomalies, le plus souvent, c’est durant cette phase”, insiste-t-il. Passé cette étape, renseigne M. Hane, “il y a la vitesse cri- tique durant laquelle l’avion devra absolument décoller, quoi qu’il arrive. Interrompre le décollage à cette étape peut conduire à une catastrophe”.
Sur les images qui circulent sur les réseaux sociaux, on note une présence très rapide des secours autour de l’avion. Lesquels ont permis d’évacuer les près de 80 passagers à bord. Al Hassane Hane explique le processus : “Quand un avion s’apprête à décoller, après avoir reçu l’autorisation de la tour de contrôle, il met en marche ses moteurs depuis sa position de parking de stationnement. Ensuite effectue le roulage vers la piste de décollage, se positionne et en ce moment précis, demande l’autorisation à la tour de contrôle qui va assister à tout ce qui va se passer à l’intérieur, notamment les conversations entre les membres de l’équipage. Et tout le système d’intervention rapide est mis en branle à partir de ce moment”.
La piste d’un défaut de fabrication peu probable, si l’on sait que l’avion a fait 30 ans
De l’avis du pilote, ces genres d’incidents arrivent dans l’aéronautique et même dans les pays les plus développés. “La gestion de cette affaire montre qu'au moins les infrastructures fonctionnent bien et que les services de secours aussi fonctionnent normalement. Parce que l'avion est quand même sorti de la piste. Cela veut dire qu’il y a des espaces qui sont aménagés et c’est justement pour parer à ce genre d’éventualité. C'est ce qu'on appelle le prolongement d'arrêt situé en bout de piste, de part et d'autre. Cet espace permet, en cas de sortie, de réduire la vitesse de l'avion pour permettre à celui-ci de s'arrêter et de limiter les dégâts”, s’est-il réjoui.
Dans un premier temps, ils ont été nombreux à orienter leur regard sur le constructeur de l’avion, l’Américain Boeing. Mais cette piste a très vite été négligée par beaucoup d’observateurs, sachant que l’avion a fait 30 ans. S’il y a eu des défaillances mécaniques, il faut chercher surtout du côté de la maintenance, d’autant plus que l’avion a fait 30 ans. De l’avis du pilote, l’âge peut certes être important, mais ce n’est pas le plus déterminant en matière de sécurité. “Un avion peut avoir 30 ans-40 ans et être plus sûr qu'un avion qui a deux ou trois ans. Le fait d’avoir fait 30 ans de vie montre plutôt que l'avion a été éprouvé dans le temps. Et puis il y a des révisions générales qui se font régulièrement, parfois cinq ans, parfois 10 ans. L'avion, dès qu'il sort de ces révisions, a presque les mêmes standards qu'un avion neuf”, souligne le spécialiste, qui ajoute : “Dans le secteur, on parle plus de performance, du coût, mais en termes de sécurité, ce n’est pas du tout le plus déterminant.”
En sus de ce qui a été dit, certains s’interrogent sur l’expérience du pilote et leurs conditions de travail à TransAir qui ne seraient pas des meilleures. Nos interlocuteurs prennent ces accusations avec beaucoup de pincettes, car, soutiennent-ils, dans le milieu, “il y a peu de chances que les compagnies fassent voler des avions qui n’ont pas le minimum de conditions requises. J’attends de voir les résultats de l’enquête pour y croire...”, rétorque le pilote en ligne.
Selon le communiqué de la tutelle, ce vol à destination de Bamako “avait à son bord 85 personnes, dont 79 passagers, deux pilotes et quatre membres du personnel navigant cabine”.
Aussitôt alertés, note le document, “les services de secours de l’aéroport se sont déployés sur les lieux de l’accident pour évacuer les passagers”. Le bilan fait état de 10 blessés, dont un pilote. Une enquête a été ouverte.