NETTALI.COM - Lorsque le redoutable opposant à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny, empoisonné, il y a un plus d’un an, a trouvé la mort en prison, beaucoup d’esprits n’avaient pas pu s’empêcher de voir derrière, la main du président Russe. Dans les perceptions à travers les médias, il n'y avait à dire vrai, beaucoup de monde pour penser à une mort naturelle de l'opposant, même s’ils n’en savaient pas plus. De même après la mort de Evgueni Prigojine (parmi les dix personnes à bord), l’oligarque russe et non moins dirigeant de Wagner, victime d’une explosion à l’intérieur même de sa carlingue après un décollage un peu plus tôt de l’aéroport de Moscou, les mêmes regards s'étaient tournés vers le même président russe.

Ainsi fonctionne une certaine opinion qui aime à tirer des conclusions hâtives sans toutefois connaître les circonstances et les faits de sur ce quoi elle se prononce. Un phénomène qui tend de plus en plus à se généraliser dans la société sénégalaise avec les théories complotistes à tout va qui agrémentent le jeu de la manipulation.

Ce qui est à la base de cette posture dans cette affaire d’agression violente contre Maïmouna Ndour Faye, ce sont surtout les menaces récurrentes dirigées contre elle, dans un contexte politique chargé, fait d’oppositions sans précédent, où certains hommes de presse sont accusés de rouler pour tel ou tel autre camp. Une vidéo montée circule sur facebook et dans laquelle l’on peut voir et entendre un jeune homme abreuver d’insultes Maïmouna Ndour Faye et Ndèye Fatou Ndiaye avec des menaces de les tuer sous le prétexte qu’elles soutiennent un régime qui spolierait les Sénégalais et les emprisonnerait.

Un contexte de violence et d’intimidation que conforte l’ancien ministre du plan sous Wade, El Hadji Ibrahima Sall, l'invité du « Grand Jury » de la RFM du dimanche 3 mars qui rappelle à cet effet, que "depuis 5 ans, nous assistons à une transformation radicale de la vie politique où des injures et la violence sont devenues le lot quotidien", faisant savoir que la pensée unique "est déjà instaurée". Avant d’ajouter que "depuis plusieurs années, le droit à la différence n'existe plus, le droit de penser autrement n'existe plus". L’ancien ministre se dit davantage choqué par "le silence des intellectuels parce que quand on brûle des bibliothèques, on brûlera des hommes forcément", déplorant au passage la timidité de la condamnation des intellectuels sur la mise à feu des bibliothèques, des facultés » qui lui paraît extrêmement grave et extrême choquante.

Mamadou Lamine Diallo, l’invité du "Jury du Dimanche" abonde dans le même sens, pensant qu’"il faut qu’on se batte pour garantir la liberté de presse et d’opinion dans ce pays » avant de proposer de voir ce que l’enquête va donner." Non sans inviter Mme Faye et beaucoup d’autres gens à faire attention.

Un quotidien du lundi 4 « Le Point Actu » lui barre à sa une que « l’agresseur (ndlr- de Maïmouna Ndour Faye) court toujours » avec des sous-titres qui indiquent : « Barthélémy Dias accuse "les personnes qui ont initié les jeunes à la violence, à la haine, à la rancœur, qui ne font que verser dans la ruse, le mensonge et la manipulation"… », « Madiambal indexe Sonko et ses partisans », etc

Ce qui est en effet étonnant dans cette affaire d’agression crapuleuse, c’est que le mobile est à ce stade inconnu, alors que certains regards sont déjà orientés vers une certaine direction. Or, il serait bien plus indiqué dans ce genre de situations, de ne pas aller trop vite en besogne en voyant à priori une connotation politique.

La vérité est que l’enquête, confiée à la section de recherches après le dessaisissement de la Gendarmerie de Ouakam, compétente sur ce territoire, suit son cours, et certaines sources proches de la gendarmerie informent qu'aucune piste n’est pour le moment écartée. L’on apprend en effet que les objets qui ont plus de valeur, n’ont pas été emportés, notamment des bagues et chaînes en or qu’elle portait sur elle, l’assaillant s'étant emparé du sac de la journaliste avant de le vider de tout son contenu à l'exception des pièces d'identité et jeté plusieurs mètres plus loin. De même, un couteau de cuisine vraisemblablement l’arme du crime, a été retrouvé sur les lieux. La section scientifique est pour l’heure à pied d’œuvre pour relever les empreintes et identifier la personne correspondante. Les caméras de surveillance des alentours sont également en train d’être répertoriés et visionnés.

Cette prudence à observer avant d’accuser qui que ce soit, ne doit toutefois pas occulter ces réactions nauséabondes engendrées par l’affaire. Ce qui est arrivé à Maïmouna Ndour Faye, relève tout simplement d’une volonté de tuer, osons le dire, même si d’aucuns ont qualifié l’acte d’agression violente. L’acte a en effet quelque chose de lâche et d’ignoble, quel que soit par ailleurs le mobile ou le qualificatif utilisé. Recevoir trois coups de couteau, avant de baigner dans son sang, il faut bien être amnésique pour croire que l’agresseur voulait du bien à la victime.

Et une bonne partie de la classe politique a en chœur condamné l’agression violente et demandé que l’auteur de l’acte crapuleux puisse être rapidement retrouvé.

Sur les réseaux sociaux, c’est l’effervescence et des commentaires fusent de partout. Et ce qui est sidérant à constater, ce sont les spéculations qui ont tourné autour de cette affaire. Il est en effet déplorable de noter qu’il y’en a pour bénir l’acte sur les réseaux sociaux. Certains pour ironiser sur le sang de la victime évoquant la « couleur du ketchup ». Ou encore cet internaute qui affirme tout de go que l’agression n’existe pas évoquant un simulacre d'agression dans laquelle la journaliste s’est elle-même piquée avec un couteau. Ce qui amène en effet à se poser des questions sur le niveau de bêtise et d’inhumanité de certains. Il y a même d’autres types de commentaires que la décence même ne nous permet pas de reproduire ici.

Qu’il y en ait d’autres pour se lancer dans des comparaisons avec ce meurtre crapuleux contre la personne de Mariama Sagna, une militante de Pastef (que Dieu ait pitié de son âme) pour faire accréditer l’idée que la mort de la défunte n’avait pas connu une telle levée de boucliers, a quelque chose de troublant et d'obscène. Et pourtant les acteurs présumés de ce crime crapuleux ont été placés sous mandat de dépôt depuis 2020 alors que l’affaire est toujours en instruction. La différence de traitement du point de vue de la mobilisation résiderait certainement dans le fait que Maimouna Ndour Faye est une célébrité pour la journaliste et patronne d’une chaîne de télé connue qu'est la 7 TV.

Difficile en effet de savoir comment peut-on tenter d’établir une hiérarchie en termes d’atrocité entre deux actes violents ? La journaliste a juste eu la chance de sortir indemne d’une agression qui aurait pu causer sa mort, si les secours n’étaient pas arrivés aussi tôt. Toutes les deux vies sont à la vérité sacrées. Il est en tout cas à noter que dans tous les deux cas, les agressions criminelles ont quelque chose d’absolument abominable et la décence ne devrait  permettre à personne de se lancer dans des comparaisons entre deux actes tout aussi ignobles et condamnables

De même, il est d’autant plus désolant de comprendre la posture de Diop Taïf, ce militant de l’ex-Pastef qui, interrogé la semaine dernière sur la RFM à l’émission "RFM Matin" sur l’agression de Maïmouna Ndour Faye, a fait preuve d’un manque d’empathie inexplicable. Il en était réduit à faire comprendre au journaliste que le cas de la journaliste n’est pas le sujet de l’émission. Il y a en effet vraiment matière à s’indigner et à se poser des questions sur sa posture.

L'influence négative des Réseaux sociaux sur la société

Qu’on l’intègre ou pas dans nos analyses, les méfaits des réseaux sociaux qui aujourd’hui font partie intégrante de nos vies au point de rythmer celle de la grande majorité de nos concitoyens, il convient de réaliser qu’ils nous conduisent indubitablement vers les abîmes dans un pays où l’on n’aborde que très peu la question de l’appropriation des nouveaux outils technologiques ; un état où l’on n’inculque pas suffisamment aux plus jeunes les limites de leur utilisation.

Les RS ont en effet ce gros inconvénient d’être une transposition de la rue derrière des écrans au travers desquels tout est permis et où n’importe quel personnage peut prendre la parole et émettre n’importe quel type de messages, sans filtres, ni recul et encore moins de retenue.

Bref, il existe un vrai désordre dans un tel espace où toutes les voix semblent de plus en plus se valoir et autorisées, alors que cela ne devrait pas être le cas dans une société. Surtout qu’en plus, les frontières entre les peuples s’effacent alors que les codes et les réalités culturelles sont différents dans l’espace. Ce qui permet à certains Sénégalais établis à l’étranger de se permettre certains appels au meurtre ou autres actes criminels.

C’est en effet une illusion de croire que les souffles des sociétés plus violentes que les nôtres n’impactent pas nos sociétés où les populations ne sont pas préparées.

Entre affaissement du niveau des hommes politiques et manque de lisibilité des projets politiques

La vérité est que notre société emprunte de plus en plus des chemins bien sinueux où cohabitent violence verbale qui glisse vers la violence physique, le populisme, les intimidations, la manipulation et le mensonge. En d’autres termes, nous assistons à un ensauvagement progressif de l’espace public que l’on ne peut juste lier aux réseaux sociaux, (même s’ils l’envahissent) mais encore au discours politique musclé et sans véritable fond. Une perméabilité accentuée par l’affaissement du niveau des politiques (comme des autres secteurs d’ailleurs de la vie nationale) au point que le seul génie déployé aujourd’hui, est de type musculaire. Une sorte de carence qu’on cherche à camoufler avec la poussière de la meute. Et dans cette confusion, ce sont les jeunes peu formés et moins matures qui en pâtissent le plus. Fondamentalement, ils restent rebelles et c’est tout à fait compréhensible. Et ils sont en cela une cible de choix. Qui se rappelle bien son niveau de maturité lorsqu’il fut jeune, de la facilité avec laquelle il pouvait se faire manipuler à l’appât de lendemains meilleurs, comprendra et excusera tous les excès et ivresses des jeunes d’aujourd’hui. De ce point de vue, rien de nouveau sous les cieux.

Ce brouhaha pour ne pas dire cette cohue, a ce gros inconvénient celui de ne plus permettre la lisibilité d’un quelconque projet politique en dehors des bribes ou des concepts creux qu’on sert et martèle sans que l’on en perçoive les détails. Et dans cette confusion et conformisme, suite aux alliances contre nature nouées au gré des circonstances et des logiques plutôt opportunistes, difficile de percevoir la vraie nature des politiques. La conséquence n'est que désastreuse. C'est ce qui s'est produit lors du rassemblement du Fippu, le samedi 2 mars entre les jeunes de Khalifa et Ousmane Sonko qui l’ont d’ailleurs gâché avec des échauffourées. De même comprendre l'alchimie entre Aminata Touré, l'ancienne Premier ministre de Macky Sall et la Coalition Diomaye ? Celle-là qui a toujours passé son temps à dézinguer Ousmane Sonko.

Qui nous parle aujourd’hui d’idéologie, de programmes et d’idéaux ? Seul le paradigme musculaire semble structurer le débat, agrémenté par la manipulation, les fake news et la promesse de lendemains meilleurs sans garantie aucune de résultats.

Une liberté de la presse utile à la démocratie, à préserver

Mais au fond, dans cette affaire la corporation des journaliste ne pouvait pas feindre l’indifférence, quel que soit par ailleurs le mobile de cette agression violente. Elle ne pouvait pas non plus occulter les menaces dont la journaliste qui a fait plusieurs appels dans ce sens, a si souvent fait l’objet en réclamant une préservation de la liberté de presse. Elle se devait d’afficher sa solidarité à une consœur qui a réussi à mettre sur pied un projet médiatique d’envergure. Que pourrait-on d’ailleurs bien reprocher à Maimouna Ndour Faye avec ces menaces qu’on ne lie pas forcément avec cette affaire ? D’inviter des hommes politiques de tout bord ? D’avoir du courage ? De ne pas se coucher face aux intimidations, insultes et autres menaces ? Elle devrait au contraire être félicitée pour sa participation à l’approfondissement de la démocratie, dans un monde de la presse où le modèle économique ne nourrit pas forcément son homme.

Sans toutefois préjuger du mobile de l’agression, il reste que les femmes et hommes de presse doivent davantage s’armer de courage dans l’exercice de leur profession si noble en cela qu’il permet l’éveil de la conscience de leurs concitoyens, même si l’on a affaire de nos jours, à une presse divisée avec des journalistes liés à des officines politiques et qui ne s’en cachent presque plus. Ils ne doivent point céder à la peur car elle est une mauvaise conseillère, celle qui brise les plumes et censure les faits ou entraîne la radicalisation du journaliste menacé alors que celui-ci doit en toutes circonstances être habité par la religion des faits en s’inscrire dans l’équilibre du traitement de ces faits.

Le chroniqueur Ibou Fall ne tourne-t-il pas si souvent en dérision ce qu’il appelle son « saga club », ceux-là qui l’insultent à longueur d’émissions du mardi au vendredi sur I radio, question de leur montrer qu’il ne se préoccupe pas de leurs états d’âme ? Récemment d’ailleurs, il nous appris que son « saga club » s’est diversifié parce qu’il a quitté le champ du Pastef pour glisser vers Benno au moment où il critique sans cesse le report et la posture de Macky Sall. Cela veut certainement dire qu’il est sur la bonne voie et qu’on ne peut le rattacher à aucun camp politique, à une époque où c’est la loi du pour ou contre moi qui règne.

Qui ne se rappelle pas des attaques contre le Groupe Futurs Média avec les caillassages de ses locaux et autres saccages, incendies de véhicules de responsables du groupe ? Une affaire bien fraîche dans nos mémoires.

La sérénité reviendra certainement très bientôt, une fois peut-être que l’on aura élu un nouveau président. Et ce dernier aura fort à faire s’il veut ramener la paix. Il se devra ainsi de réconcilier un pays où beaucoup de ressorts se sont cassés et où l’on assiste à une division sans précédent de la société. C’est au-delà, sur la question de l’éducation, de la formation et de l’emploi des jeunes qui font l’objet d’une grande préoccupation et qui n’est pas sans lien avec le comportement de cette frange majoritaire de la population, qu’on devra changer de paradigmes. Et pour ce qui est des réseaux sociaux, il faudra bien créer des modules de formation quant à leur appropriation, voire les encadrer comme le font certains pays. Nos jeunes doivent réapprendre à vivre et à se comporter à travers un sens civique certain. Et dans ce rôle les cellules familiales doivent vraiment jouer leur partition.