NETTALI.COM - Fallait-il s'obstiner et manifester avec le risque d’aller à l'affrontement ? Les quotidiens du mardi 28 juin ou plus exactement ceux de la veille de la manifestation avaient, pour certains, mis en évidence l’interdiction généralisée des préfets avec quasiment les mêmes motifs, partout à travers le Sénégal où des autorisations avaient été demandées.

L’électricité était en tout cas dans l’air et Ousmane Sonko, lui, n’avait prévu que deux options face à cette interdiction de manifester. « Il n'y aura que deux possibilités le 29 juin : soit Macky m'arrête, soit il me tue ». Mais surprise, sur sa page facebook, ses partisans ont eu droit à un message qui est allé dans le sens d’appeler au calme. Tout indiquait dès lors que Yewwi Askan Wi n'avait pas l'intention de défier les forces de l'ordre, le mercredi. Et c'est Sonko, lui-même, qui a indiqué la voie en ces termes : "enfin, nous donnons rendez-vous au peuple sénégalais demain à 11h pour un point de presse de la Conférence des leaders de Yewwi askan wi".

Rebondissement, c’est un concert de casseroles et de klaxons qui sera organisé en lieu et place de la marche, le jour suivant jeudi à 20 heures pour une durée de 30 minutes. « Cette fois-ci, il s’agit, selon lui, d’un référendum pour deux choses : montrer que Macky Sall perdra l’Assemblée nationale le 31 juillet prochain et que le pays ne lui appartient pas pour qu’il choisisse ses adversaires».

Une casserolade qui au finish n’a pas été suivie si l’on en croit la presse de ce vendredi qui a annoncé dans sa grande majorité, « un flop », « un grand flop », « un coup de mou », « un Bercy 2 de faibles intensité », une « mayonnaise qui n’a pas pris », une « fausse note » ; là où certains ont expliqué entre autres causes les préparatifs de la Tabaski, voire « une bouderie des Sénégalais » qui ont vaqué à leurs besoins » ou encore « un second appel moins suivi »

En tout cas, le nouveau discours des leaders de «Yewwi Askan Wi»  s’oppose finalement à celui avancé lors de leur première manifestation du 8 juin dernier. Ousmane Sonko et Cie s’inscrivent désormais dans la logique de préparation du scrutin, rappelant que toutes les listes sont en compétition et faisant remarquer au passage qu’ils ont une liste nationale (celle des suppléants et des listes dans les départements. Pour lui, la raison de l’irrecevabilité de la liste de titulaires de YAW est connue. Empêcher Ousmane Sonko, Déthié Fall, Aïda Mbodj, Khalifa Sall et Cie de participer aux élections, ajoutant que « la défaite sera plus humiliante » une fois que les remplaçants de YAW battront les titulaires de Benno.

C’est ce qu’on appelle retourner à son profit ce que l’on refusait. Comme quoi, quand on n’a pas ce que l’on veut, on se contente de ce que l’on a. Du moins pour le moment.

Ousmane Sonko, comme pour placer Macky Sall sur une posture défensive, rebondit sur la perspective d’un report des élections évoqué face à l’impasse, à la tension politique ambiante et écarte cette hypothèse qui, à son avis, est un objectif inavoué du pouvoir. « Macky Sall ne veut pas organiser les élections. Mais il ne veut pas que la cause du report vienne de son camp. Qu’il sache que nous ne lui donnerons pas de prétexte pour renvoyer le scrutin. Les élections auront lieu le 31 juillet », insiste le leader de Pastef.

Avant d’ajouter : « ce sera l’occasion, selon lui, de sanctionner le leader de la coalition Benno Bokk Yaakaar en lui infligeant une défaite spectaculaire et en réglant par la même occasion la question d’un troisième mandat sans heurts, ni morts. S’il perd l’Assemblée nationale, il n’aura plus droit à la parole. Il se pourrait même qu’il quitte le pouvoir avant la fin de son mandat ».

Changement de stratégie

C’est en tout cas un changement de cap qui a été noté. Cela fait-il suite à l’appel  de religieux. Il y a bien sûr d’autres appels au calme,  notamment ceux d’Alioune Tine et de Babacar Ngom qu’une partie de la presse a dit avoir été au cœur de la médiation, évoquant même les coulisses de celle-ci. D’aucuns se sont même demandés s’il ne s’agissait pas là d’une reculade ou d’une capitulation, là où certains journaux sont affirmatifs sur la reculade et sont affirmatifs quant à un rétropédalage voire même de changement de stratégie et de calculs.

Ousmane Sonko lui, préfère plutôt parler de « nouvelles options stratégiques » estimant que YAW a réussi tout ce qu’elle voulait. Selon lui, Macky Sall ne croyait pas rencontrer une opposition aussi farouche à son projet d’élimination de candidatures. Ajoutant qu’il a l’habitude de le faire sans problème (parrainage de 2019, cas Khalifa Sall et Karim Wade). Mais il  fait remarquer dans la foulée qu’il n’éliminera plus de listes au Sénégal. Précisant qu’il fallait lui montrer que les choses ne sont plus aussi faciles à faire.

Pour Lat Diop, le DG de la Lonase, la partisan le plus remarqué du président, s’est montré très virulent contre le leader patriotique, assimilant l’appel des chefs religieux dont lui et ses partisans se prévalent comme un alibi pour fuir la confrontation. Il ne s’est pas arrêté là puisqu’il a révélé la contradiction de Sonko et cie qui avaient déclaré qu’il n’y aurait pas d’élections avant d’appeler les ministres, DG et députés de sortir pour défendre le chef de l’Etat. Il le traitera même au passage, le maire de Ziguinchor de rebelle.

Fallait-il envenimer la situation après les signaux émis par le pouvoir et allant dans le sens de l'apaisement en condamnant à des peines avec sursis, tous ces leaders arrêtés ? Assurément non. La sagesse veut parfois qu'on ne soit pas dans des logiques jusqu’au-boutistes en se livrant à une guerre totale et sans répit. Parfois les replis stratégiques peuvent valoir leur pesant d'or puisqu’ils permettent de diversifier les tactiques qui peuvent parfois ressembler à un recul, mais pour mieux sauter. Après l'arrestation de Déthié Fall, Ahmed Aidara, Mame Diarra Fam, Guy Marius Sagna et les 200 militants, l'heure était plutôt à l'économie de ses forces et au rassemblement de celles-ci, plutôt qu’une reprise du combat.

Les Assises nationales nationale, cette géniale trouvaille

Mais que l'on ne se trompe point, notre démocratie a certes connu des alternances, mais avec toujours des opposants à la vie toujours si dure face à qui se dressent toujours des obstacles liés à un non-respect du jeu démocratique tel que la rétention de carte d'électeurs, les cartes électorales changées, des processus chaotiques et des scrutins loin d’être transparents etc. De nos jours, ce sont d’autres obstacles qui se dressent devant eux, à savoir la caution et le parrainage. Peut-on continuer ainsi ? Les opposants doivent-ils toujours faire l’objet d’ostracisme ? Le droit de manifester qui n’est d'un point de vue légal que soumis à une déclaration préalable, sauf en cas de possibilité de troubles de l'ordre public avéré, peut-il être sans cesse bafoué ? Non, nous ne pouvons pas continuer à être dans un éternel recommencement de conquêtes démocratiques. Qui n'avance pas, recule, a-t-on l’habitude de dire. Ou stagne. Mais, doit-on refuser d'avancer ? ou de faire du surplace ? Autant de questions que l’on peut raisonnablement se poser.

C’est en effet le progrès qui est porteur de sens, s'il n'est d'ailleurs pas la seule option qui tienne. Il n’est pas non plus question de tomber dans la radicalité car il est toujours bon de trouver des compromis lorsque on est face à des impasses car les solutions équilibrées d'aujourd'hui,  permettront toujours de grappiller des parcelles de progrès qui mèneront un jour où l'autre vers le niveau de progrès désiré. Encore que celui-ci reste un idéal avec des horizons qu'on cherchera toujours à dépasser.

Ce pays a en tout cas bien changé. Dans le mauvais sens du terme. Les acteurs politiques ont changé. Les méthodes politiques aussi. Et le discours baveux révèle tout cela. On l’a répété à longueur d’éditoriaux, mais la répétition n’est-elle pas pédagogique ? Cette mise en scène des injures, la culture de la haine, ce refus des différences et ce dogmatisme digne des âges les plus sombres, n’a rien à voir avec l’esprit du 23 juin 2011.

C’est l’intelligence qui avait pris la place Soweto. Cet esprit du 23 juin n’était pas hélas tombé du ciel. C’était bien le fruit mûr d’un processus mené avec une très grande finesse par l’opposition d’alors et la société civile. C’est le consensus et l’éthique discursive qui avaient prévalu, loin du bruit. Dans la transpiration à la fois physique et cérébrale. Les Assises nationales, faut-il le rappeler, avaient fini de produire leurs conclusions au terme d’un travail titanesque de franges entières de la société, dans une approche inclusive.

Nous étions à 4 ans de la Présidentielle de 2012, donc relativement dans les mêmes enjeux politiques. Le débat était circonscrit dans le salon de feu Amath Dansokho. Les cerveaux étaient occupés par la rédaction d’un rapport de synthèse, achevé le24 mai 2009 qui abordait la plupart des problèmes auquel le pays est confronté en termes de droits de l'homme, de corruption, de boulimie foncière, etc.) et d'une Charte de la gouvernance démocratique pour jeter les bases d'un développement durable et construire un nouveau paradigme d’une gouvernance plus saine et plus vertueuse de la politique.

On notera, à l’époque, que les « vieux » briscards de la politique, dont la plupart ont flirté avec le marxisme-léninisme, étaient bien de la place. Le symbole, ce fut Amadou Makhtar Mbow, intronisé au Méridien-Président dans une salle archi-comble. Une performance politique qui déroutera Me Abdoulaye Wade au point de lui faire perdre son sang-froid. Gorgui passera en effet le reste de son mandat à s’attaquer au Vieux Mbow, qui le distraira à souhait.

Il faut le dire, il y a eu recul. Et le véritable problème procède de la faillite d’une certaine intelligence de la politique, qui est la conséquence (ou cause ?) de l’ensauvagement de l’espace politique. Or, la matière politique est d’une grande complexité, évanescente et réfractaire à toute lecture simpliste. Toute erreur se paie cash.

Il est clair que le déficit d’encadrement politique produit des nouvelles élites fougueuses mais sans génie, comme le déficit d’encadrement dans les rédactions, a donné une génération de journalistes moins talentueux que leurs aînés.

Le Président Macky Sall a passé le clair de son temps à casser ses opposants. Il ne lésine pas sur les moyens qui peuvent être brutaux, comme ce fut le cas avec l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall. Il peut même être perçu comme un serial killer méthodique qui sait camoufler ses actions ; actions qui ne se révèlent à la lumière du jour que lorsqu’il a atteint ses  objectifs. Nous savons que derrière ses apparences de douceur, se cache un homme qui peut être impitoyable. Bref, Macky Sall n’est pas un enfant de cœur.

Ce serait donc une très grosse erreur de créer des passerelles fictives entre la situation d’alors et celle d’aujourd’hui. Le tableau présent est, en réalité, aux antipodes de juin 2011. Les plus valeureux fils de ce pays se terrent. Puisque le « terrorisme » est devenu de mode au Sénégal. Le vrai terrorisme, c’est celui-là même qui enfante la censure, casse les langues et les plumes. Il conduit l’intelligence dans une posture dangereuse : la fuite en avant. Plonger la tête dans le noir de la terre, à l’image de l’autruche, pour ne plus voir la réalité. C’est réellement une posture qui s’apparente à une fuite de responsabilité et dont la racine est la peur. Peur de se faire trainer dans la boue des réseaux sociaux. La peur est toujours mauvaise conseillère et ultimement, elle est l’ennemie de la liberté et donc de la démocratie.

Une réforme des institutions qui s’impose

 Les aînés d’Ousmane Sonko et de Macky Sall ont su inventer cette idée de génie qui est les assises nationales avec cette nécessité si tenace et inéluctable qu'est la réforme des institutions. Macky Sall était bel et bien là à l'époque. Mais le constat est si malheureux à faire lorsque ses partisans ne cessent de brandir dans leurs argumentaires, l'idée selon laquelle, il avait « signé la charte des assises avec des réserves ». Ajoutant bien souvent qu' « il avait dit qu’il prendrait, le moment venu, ce qui lui plairait» comme il l’a fait avec les conclusions de la Commission nationale de réforme des institutions et la Commission nationale de réforme foncière.

Insupportable comme argument ! A ceux-là, nous sommes tentés de dire qu'ils parlent et défendent leur leader comme si ces arguments étaient honorables. Loin de là, ils sont au contraire révélateurs d'une volonté de faire reculer cette démocratie qui a tant de progrès à faire. Elle ne peut hélas se suffire d'alternances au prix de luttes acharnées et de manifestations sans cesse renouvelées pour à chaque fois pouvoir faire reconnaître des droits à un jeu électoral juste et à des élections transparentes.

Cette démocratie ne pourra hélas progresser sans cette réforme institutionnelle nécessaire, amendée peut-être, ajustée sans doute afin que le président de la République n'ait plus ces pouvoirs exorbitants-là qu’il détient ; afin que la séparation des pouvoirs soit effective ; que les élections soient organisées par une administration neutre avec un mode de scrutin qui permette que l'assemblée soit une vraie représentation du peuple et non ce lieu d'applaudissements ou cette chambre d'enregistrement.

Oui, notre démocratie a encore du chemin à faire. Sinon sans ces réformes, quoi que nous fassions, on aura beau changer de gouvernement, on se retrouvera toujours face à un éternel recommencement et à d’éternelles quêtes.