NETTALI.COM - 20 sur 21 candidats au finish retenus dans la liste définitive du Conseil constitutionnel statuant en matière électorale, en vue de l'élection présidentielle du 25 février 2024. Pas de quoi vraiment se réjouir. Comparé à 2019, le nombre de candidats a quadruplé puisqu’ils étaient seulement 5 sur la ligne de départ. La faute peut-être à l’allégement du nombre de parrains requis, suite au dialogue politique. Il fallait en effet obtenir au minimum 44 231, dont 14 000 parrains au total collectés dans 7 régions, à raison de 2000 minimum par région.

Tout cela pour dire qu’il y a encore de gros progrès à faire dans le filtre des candidatures, étant entendu que le parrainage n'a pas produit les résultats escomptés. Comme par exemple les faire davantage casquer pour financer leur candidature. Devenir président de la république sous nos cieux, ne devrait en effet pas être à la portée de n’importe qui.  C’est non seulement une énorme responsabilité, mais l’exercice de la fonction requiert beaucoup de qualités et de compétences combinées.

Mais, il s’agit au-delà, d’appliquer avant tout la loi sur les partis politiques qui astreint leurs conditions d’existence à certaines règles administratives, comptables et qui aurait pu à priori être un premier palier de filtre.

Imaginez une seconde qu’on se soit retrouvés avec 262 candidats du départ ou avec 93 qui avaient passé le premier stade du parrainage ! Un grand gouffre pour nos maigres deniers. Comment les électeurs se seraient-ils retrouvés dans les messages des temps d’antenne de campagne ? Du brouillage assuré pour eux, surtout pour ces programmes si similaires et censés transformer le pays de Senghor en Dubaï des tropiques.

Le parrainage nous aura en tout cas appris beaucoup de choses sur les candidats, alors que d’aucuns avaient poussé la prétention jusqu’à se croire plus lourds et plus beaux qu’ils ne sont. Ils sont en effet nombreux à être tombés dans la désillusion.

Surtout Mimi Touré, en première ligne des frondeurs qui a soutenu avoir été écartée pour ses prises de position contre la candidature de Macky Sall, malgré selon elle, ses parrains "spoliés" de Saint-Louis. Une affirmation d'ailleurs contredite par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision a fait savoir que le contrôle effectué par la commission de contrôle a révélé que "l'entête de la fiche de parrainage présentée comme étant celle de la région de Saint-Louis était vide"; et que "Sidy Fall représentant de la candidate Aminata Touré présent au contrôle et assisté de son informaticien Birame Cissé, a reconnu ce fait", ajoutant qu'"il n'appartient pas à la commission de contrôle des parrainages de pallier les carences constatées sur les fiches de parrainage".

Bref la vérité est qu'elle aurait prendre son destin en main depuis 2019, au moment où elle a affiché son opposition farouche à la 3ème candidature de Macky Sall et s'atteler à construire un appareil électoral digne de ce nom pour aller à la conquête du pays profond. Il lui fallait surtout faire montre d'un positionnement politique clair, car diriger la liste du pouvoir un jour, le combattre un autre jour parce qu'on n'a pas été élue présidente de l'Assemblée, critiquer vertement Ousmane un jour, aller le soutenir un autre jour, des postures qui n'ont fait que brouiller son message.

Le parrainage nous aura au moins appris une chose. Nos anciens Premiers ministres, anciens DG et autres personnalités politiques qui se considéraient jusqu’ici comme des ténors, (ou considérés comme tel), doivent se remettre au travail, si tant est que leur ambition est de briguer un jour la présidence du Sénégal. Il serait d’ailleurs bien intéressant qu'ils nous disent les actes qu’ils ont posés et qui auraient pu leur valoir de passer le cap du parrainage. Certains avaient d’ailleurs échoué en 2019.

Ils n'ont pour beaucoup dû leur échec qu’à une existence limitée aux médias, se privant de construire une machine électorale huilée et à même de leur permettre d’aller au contact des populations, dans une relation de proximité empreinte d'humilité. La bonne vieille recette. Bon nombre de Sénégalais, malgré leur sensibilité à l’argent, ont cette caractéristique principale, celle d'apprécier ceux qui les respectent et les considèrent, tout en étant au contact de leur réalité quotidienne et du pays réel.

Des contestations tous azimuts

Dans cette affaire de parrainage, on aura vu des candidats de toutes sortes et de toutes les couleurs. Quelques vrais rigolos, surtout ceux-là qui n’ont pas pu rassembler 200 parrains ou ce candidat Thierno Cissé qui a produit une liste de 13 faux députés et qui s’est vu offrir un billet pour 6 mois à l’hôtel zéro étoile de Rebeuss.

Ce qui a en tout cas été constant dans ce brouhaha de parrainage, ce sont ces éternelles interrogations sur la fiabilité et de transparence du processus, comme c’est le cas d’ailleurs à chaque élection au Sénégal. Comme ces déclarations sans fondement du mandataire de Bougane Guèye Dani qui a conclu que les candidats de l’anti-système ont été éliminés, là où des candidats insignifiants du système ont pu passer. Il semble tout de même que si le pouvoir avait pris l’option délibéré d’éliminer certains candidats, il aurait été plus logique qu’il opérât dans le camp le plus redouté, celui de Yewwi Askan Wi, ou dans celui de ces ministres dissidents de Benno : Aly Ngouille Ndiaye, Mahammed Boun Abdallah Dionne, Mame Boye Diao ?

Ce qui n’a pas pour l’heur de plaire dans cette opération de parrainage, c’est l’exclusion d’Ousmane Sonko et de Karim Wade de cette élection. Le Conseil constitutionnel a estimé dans le cas du leader de Pastef, que le caractère incomplet de son dossier, ne peut lui être imputé du fait que l'administration a refusé de lui remettre les deux pièces manquantes, à savoir l'attestation de la Caisse des dépôts et Consignations et la fiche de parrainage. La juridiction électorale invoquant les dispositions de l'article 125 du code électoral lui donnant la latitude de procéder à toutes les vérifications qu'il juge utiles, s'est par la suite basée sur la décision de la Cour suprême condamnant définitivement Ousmane Sonko à 6 mois avec sursis dans l'affaire de diffamation l'opposant à Mame Mbaye Niang et qui le rend inéligible pour une durée de 5 ans en application de l'article L 30 du code électoral, pour écarter sa candidature.

En revanche, dans le cas de Karim Wade, le Conseil constitutionnel a estimé que le décret produit par l’intéressé lui-même prouve que ce dernier a perdu sa nationalité à partir du 16 janvier 2024. Ce qui signifie que sa candidature a été déclarée recevable sur la foi d'une déclaration sur l'honneur inexacte datée du 21 décembre 2023. Il a estimé qu'à cette date, le candidat Karim n'avait pas exclusivement la nationalité sénégalaise, soulignant que les effets du décret consacrant la perte d'allégeance de Karim Wade à l'égard de la France, ne sont pas rétroactifs.

Dans cette affaire beaucoup de commentaires ont été faits dans le sens d’accabler le pouvoir qui serait derrière Thierno Alassane Sall, considéré comme le « bourreau » de Karim. C’est certainement mal connaître l’opposant. Comment ont-ils pu imaginer cela ?

Aussi, les députés PDS, en plus d’exiger la mise en place immédiate d'une commission d'enquête parlementaire pour enquêter sur les conditions d'élimination des candidats à l'élection présidentielle du 25 février prochain et en particulier celle de Karim Wade, candidat de la coalition K24", évoquent des soupçons de « conflits d'intérêt et  de corruption et de collision de certains membres de notre Conseil constitutionnel avec certains candidats." Pire ils ont estimé que "les juges Cheikh Tidiane Coulibaly et Cheikh Ndiaye auraient dû se récuser en raison de leur connexions douteuses et de leurs conflits d'intérêt". Ils auraient peut-être dû s’y prendre plus tôt.

Toujours est-il que "le Parti démocratique sénégalais et la coalition K24 déposeront dans les prochains jours une plainte pour révéler toutes les infractions et atteintes à la démocratie, aux droits du candidat et à la constitution dans le cadre d'une enquête exhaustive."

Entre les 40 "spoliés" qui veulent être remis dans le jeu, une liberté provisoire de Diomaye Faye brandie afin qu'il puisse faire campagne, les demandes de report de l'élection et les déclarations incendiaires, c'est la confusion au centre de laquelle, la justice est pointée du doigt.

Un manque d’indépendance des juges, pas toujours vrai

Une justice qui a de toute façon toujours été soupçonnée d’être sous la dictée de l’Etat dans les procès impliquant Ousmane Sonko, comme dans le processus électoral fait d’accusations de toutes sortes. Dans cette logique, des officines du mensonge se sont aussi bien illustrés dans ce brouhaha et ont beaucoup contribué à échafauder des théories fumeuses surtout sur le plan juridique, dans le seul but parfois de justifier l’injustifiable. Une manière de manipuler de manière constante l’opinion dans une logique de leur faire avaler toutes sortes d’inepties sur le plan juridique. Des acteurs qui sont juristes, avocats, hommes politiques, militants, journalistes, sympathisants, activistes, prêcheurs, etc.

Et pourtant, pour un juriste honnête et bien au fait de ce qu’il argumente,  les suspicions vis à vis de la justice sont bien à relativiser. Car, il ne peut exister que de mauvais juges d’un côté et de bons juges de l’autre, en fonction des décisions et des circonstances.

Difficile en tout cas de faire grief au Conseil constitutionnel dont la décision sur le plan juridique se tient, même si dans le cas de Karim Wade, une autre interprétation aurait pu être possible, si l'on en croit en tout cas certains juristes. A savoir de tenir compte de la perte de nationalité du fils Wade, même à postériori. Le Conseil a toutefois pris l'option de faire une interprétation stricte des textes. Ce qui ne peut lui être reproché.

De même est soulevée la question de la procédure de radiation d'Ousmane Sonko qui devait être faite, malgré sa condamnation définitive brandie pour l'écarter. Le Conseil a choisi, sur la base de l'article 125 du code électoral d'appliquer sa jurisprudence de 2019. A savoir contacter la Cour suprême qui lui a transmis la décision de condamnation définitive d'Ousmane Sonko, comme cela a été le cas pour Khalifa Sall en 2019.

Mais de manière générale, il suffit de faire un tour d'horizon des décisions de justice à des étapes différentes des procès pour se rendre compte que des juges ont jugé selon ce qu'ils pensaient conformes aux textes. Dans la décision par exemple du juge Maham Keita, relative à l’affaire de diffamation opposant Ousmane Sonko au ministre Mame Mbaye Niang, celui-ci a par exemple coupé la poire en deux, en octroyant d’une part des intérêts civils de 200 millions de francs au ministre diffamé, et d’autre part, en n’ôtant pas à Ousmane Sonko son éligibilité. 200 millions, un niveau de montant alloué bien rare en la matière et une décision pas très appréciée du côté de Benno, où le juge a été accusé d’être proche de Pastef, de par les publications favorables à ce parti, notées par eux sur sa page facebook.

De même, dans l’affaire de la radiation d’Ousmane Sonko des listes électorales et le refus de remettre des fiches de parrainage au mandataire de ce dernier Ayib Daffé, le juge Sabassy Faye du tribunal d’instance de Ziguinchor n’avait-il pas demandé la réintégration d’Ousmane Sonko dans le fichier électoral ? Une décision qui a été finalement cassée par la Cour suprême pour des questions de motivation de la décision du juge de Ziguinchor. Toujours dans cette affaire aussi, l’agent judiciaire de l’Etat a cherché à récuser le juge, alors même qu’ont été évoqués des liens de proximité partisane entre le frère du juge en question et le leader de Pastef.

Lorsque l’affaire est à nouveau jugée par le tribunal d’instance de Dakar, le juge Ousmane Racine Thione a abondé dans le même sens que le juge de Ziguinchor, alors que beaucoup de messages dans les réseaux sociaux allaient dans le sens de fantasmer sur un choix pas fortuit du tribunal de Dakar, suspectant une volonté de l’Etat de manipuler l’affaire.

Dans l’affaire d’éligibilité d’Ousmane Sonko, les procureurs généraux à la Cour suprême, censés recevoir des réquisitions écrites du ministère de la justice, ces magistrats du parquet, n’ont-ils pas ramé à contre-courant ? Marième Diop Guèye n’a-t-elle pas demandé à la Cour suprême de rétablir le leader de Pastef dans ses droits, en ordonnant à la Direction générale des élections de remettre à son mandataire, des fiches de parrainage ? Ousmane Diagne, le second, n’a-t-il pas requis de la haute juridiction, l’annulation de la radiation d’Ousmane Sonko des listes électorales ?

Tout le déroulement de ces affaires et les décisions de justice rendues dans le temps sur le contentieux connexe à la politique, nous livrent en réalité un enseignement selon lequel l’indépendance est d’abord une question individuelle du juge, avant d’être une question de corporation, même si cette indépendance peut comporter des limites liées à un système judiciaire plus fort que ses acteurs avec des juges qui cherchent pourtant à faire leur travail en toute impartialité.

Que de fantasmes et de suspicions finalement dans les affaires juridico-politiques finalement ! Et pourtant, beaucoup de ceux qui voient des bizarreries dans le jugement de ces affaires, oublient que le droit est une science et que sa pratique ne se fonde ni sur leur bon sens, ni sur leurs vœux propres, mais bien sur des textes que seuls une longue pratique du droit, peut permettre d’apprivoiser. Un grand public d'ailleurs de plus en plus manipulé par les avocats qui ne se privent pas de faire des commentaires qui vont dans le sens qui arrange leurs clients. Du côté de l’Etat, comme de l’opposition.

Loin de nous toute idée de dire que la justice est parfaite. Elle a au contraire beaucoup de problèmes qui ne sont pas liés qu’à ses hommes. Elle en décèle aussi dans son fonctionnement, son organisation et ses procédures pour un système judiciaire qui n’a pas beaucoup évolué dans le temps, en particulier en ce qui concerne le droit pénal et la procédure pénale, depuis 1965. L’on a beau épiloguer sur la question et chercher des fautifs, mais aucun des présidents de la république, de Senghor à Macky, en passant par Diouf et Wade, n’a cherché à la faire évoluer dans un sens qui accorde moins de pouvoir à l’exécutif et encore moins dans une logique d’équilibre des pouvoirs.

Les hommes politiques doivent à la vérité savoir raison garder et prendre garde à ne pas tenter de saper l’autorité de la justice, voire de la discréditer. Une posture qui peut se révéler dangereuse, car en soi, la justice est un rempart de notre démocratie qu’il faut davantage protéger, mais aussi chercher à améliorer, tant dans son organisation, son fonctionnement et  l’indépendance de ceux qui rendent la justice.

Exit Karim Wade et Ousmane Sonko, c’est à une présidentielle ouverte qu’on va assister avec un émiettement des voix dans les deux plus grandes coalitions que sont Benno et Yewwi Askan Wi, avec des candidatures individuelles. Ce qui ne peut que favoriser des alliances en cas de second tour, mais aussi donner lieu à des consignes de vote. Mais auparavant, il faudrait bien que les candidats déclinent leurs projets pour le Sénégal et que la presse fasse tout pour organiser, pour une fois, des débats pour les candidats qui auront le courage de confronter leurs programmes.  En Tout comme l’ont écrit beaucoup de journaux de la presse quotidienne, « le vingt est tiré », et il faut sans doute le boire. Du moins pour ceux qui en boivent.