NETTALI.COM - 16 morts dénombrés, 17 agences de banques et 14 stations Shell saccagées, des archives de l'université anéantis, des biens publics détruits, des biens privés emportés, des bus Dakar Dem Dikk et des véhicules privés incendiés, etc ! Un bilan bien trop lourd pour qu’on ne s’y arrête pas.

Ce qui s’est passé depuis le verdict du procès pour viol Adji Sarr-Ousmane Sonko, a quelque chose d’effrayant. Certaines autorités de la république avaient pourtant fini de prédire que ce qui était arrivé en mars 2021 n’allait plus jamais se reproduire. Mais les faits semblent aujourd’hui les avoir démenties puis ces évènements de juin semblent être de la même trempe, avec un bilan qui paraît bien plus lourd.

En effet, les évènements de mars avaient coïncidé avec la pandémie qui avait privé bon nombre de Sénégalais de revenus, après avoir restreint leurs libertés. Des manifs qui avaient été à l’époque vues comme la cristallisation de beaucoup de frustrations combinées ayant abouti à des explosions de colère. Eh bien ces récentes émeutes sont toutes aussi révélatrices de la frustration d’une certaine jeunesse qui s’est à nouveau exprimée.

En effet, à regarder la horde de jeunes qui ont déferlé dans les rues du pays, tels des bêtes en furie, qui semblaient n’être attirés que par la violence et les pillages, l’on peut bien se demander d’où ils sortaient et où étaient leurs parents pendant qu’ils accomplissaient leur basse besogne.

Avant, ils s’attaquaient aux intérêts français, aujourd’hui ils ne font plus le distinguo. Ils font feu de tout bois. Tout simplement. Cbao, Société Générale, Coris Bank, Banque islamique, Banque Atlantique, Crédit Mutuel…, tout y est passé. Ils espéraient ramasser un beau butin ou voler du matériel à refourguer.

Cette fois-ci, les cocktails molotov ont été beaucoup mis à contribution, lors des attaques de domicile de dignitaires du régime. Qui disait que ces armes artisanales étaient une invention de journalistes ? Le domicile de Barthélémy Dias, en désaccord ces derniers temps avec Ousmane Sonko, a été attaqué. Gare à ceux qui vont à nouveau tenter le coup. Très en verve, Barth a menacé de ses foudres toute personne qui s’aventurerait à l’attaquer. Les assaillants qui voulaient brûler sa maison, ont été attrapés et molestés avant d’être livrés à la police.

De l'instrumentalisation des jeunes, il y en a eue certes par ci, par là ; et même des velléités de récupération. Mais l'on ne peut toutefois pas dire que les politiques ont maîtrisé la rue, tant les très jeunes manifestants vus dans les rues, étaient hors de contrôle. Aucun responsable politique visible sur le terrain. Pas la moindre pancarte avec un message brandi non plus.

Mais peut-on juste se limiter à analyser un tel phénomène de manière aussi simpliste en traitant ces jeunes de sauvageons, de pilleurs et de voleurs ? La vérité est que lorsqu’une frange aussi sensible de la population n’a plus de perspectives sérieuses, l’on se rend compte que le moindre évènement catalyseur, sert d’exutoire. C’est exactement ce qui s’est passé lors des dernières émeutes de mars 2021 avec ce qu’elles ont charrié comme mal être et violence enfouis chez les jeunes.

Des causes qui vont au-delà de l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko ou même du troisième mandat du Président Macky Sall, les germes du désespoir ayant été semées depuis belle lurette sous tous les gouvernements passés et présents qui ont plutôt cherché à mettre l’accent sur les infrastructures et certains filets sociaux.

Si l’on devait aussi sérier les responsabilités, il serait difficile d’épargner les cellules familiales, premier creuset à travers lequel, les valeurs essentielles à la vie en commun sont inséminées, dès le plus jeune âge.

La question que l’on peut raisonnablement se poser, est de savoir comment on peut avoir une population aussi jeune, représentant sa proportion la plus importante de la population totale et ne pas orienter sa politique d’éducation, de formation professionnelle et d’enseignement supérieur vers la recherche de solutions d’employabilité et de perspectives dignes de ce nom. La massification ayant actuellement cours dans l’enseignement et la formation, ne pourra absolument pas permettre d’absorber les nombreux jeunes en quête d’emploi. De même, les programmes « xeyu ndaw gni » ou autres emplois (l’exemple de la sécurité de proximité) qui ne produisent au fond que des emplois précaires, ne vont pas permettre de résoudre l’équation.

L’université avec son système d’enseignement de masse qui laisse des tas d’étudiants sur le bord de la route, n'est pas non plus une solution puisqu'elle produit énormément de cartouchards sans qualification.

Il faut de ce point de vue là changer de paradigme en s'engageant dans une politique ardue de formation et d’emploi dans la durée pour y arriver. Une politique axée sur un développement industriel (pme, pmi) à notre portée, sans oublier l'agriculture et les services. 3 secteurs qui peuvent être de grands pourvoyeurs d'emploi, si on s'y penche sérieusement.

Une plaie nommée réseaux sociaux et médias irresponsables !

Lors de ces évènements destructeurs, ce sont des images insoutenables que l’on a vu circuler sur les réseaux sociaux, avec des Sénégalais qui s’en réjouissaient, comme s’ils avaient perdu leur humanité. Le constat bien malheureux, est qu’il est désormais permis de se désoler d’un manifestant qui perd la vie, mais pas de la mort d’un policier ou d’un gendarme. La leur ne compterait-elle pas ! Que penser de ce jeune homme qui a lâché une brique sur ce policier à terre avec une telle férocité aux Parcelles Assainies ?

On touche le fond sur les réseaux sociaux avec des internautes qui se partagent des images de mort violente avec des traces de balles, des cranes et des corps ensanglantés, sans recul, ni retenue.

A voir des sénégalais établis à l’étranger, qui ne subissent d’ailleurs pas directement les conséquences de ces manifestations, alimenter le feu et galvaniser les supposés manifestants, il y a de quoi avoir froid dans le dos.

Certains médias locaux et sites d’informations sont désormais habitués à faire des directs sans la moindre précaution de la maîtrise de ce qui est filmé. Comment peut-on se comporter comme dans un combat de lutte, en commentant le déroulement des faits et en opposant des manifestants aux forces de l’ordre ? Lorsqu’un médium n’est pas capable de maîtriser un direct, il ne faut tout simplement qu’il en fasse. La diffusion de l’information, c’est avant tout une question de responsabilités. Le journaliste doit être habité par ce triptyque : collecter, traiter et diffuser.

Tout comme le fait de vouloir alimenter le feu, ressemble ni plus, ni moins à de la bêtise. Car comme le dit si bien le Sage Bambara, « lorsque le feu prend la savane, il ne fait pas la différence entre hautes et basses herbes ». Il ne discrimine en effet pas entre le sage, le pacifiste et le pyromane. Le feu ne connaît pas de frontières, si ce ne sont celles que lui imposent d’autres forces. Le feu peut aussi densifier sa puissance destructrice en s’alliant avec d’autres forces qui l’attisent. Ces forces, à l’image du vent, sont bien invisibles. Mais elles existent et peuvent avoir des motivations politiques, religieuses, géostratégiques ou même localement circonscrites. Donc gare à l’amnésie !

Un verdict polémique…

Le procès tant attendu Adji-Sarr- Ousmane Sonko pour viols et menaces de mort, a finalement livré son verdict avec des accusations qui se sont mués finalement en ce qu'on appelle dans un terme générique, « corruption de la jeunesse ». L'infraction en tant que telle, suivant l'article 324 du code pénal alinéa 2, est réprimé "quiconque aura attenté aux moeurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l'un ou l'autre sexe au dessous de l'âge de 21 ans ou même occasionnellement des mineurs de 16 ans."

Pour une partie de l’opinion, la décision n’est finalement plus qu’une fabrication des autorités pour coincer le leader de Pastef. Des questions n’ont pas manqué de fuser, à savoir pourquoi de telles accusations, qui ont mobilisé le peuple entier pendant un peu plus de deux ans et fait payer un lourd tribut en vies humaines et en pertes pour l’économie, ont pu disparaître comme par enchantement.

A l’heure de la polémique sur le verdict, c’est le juridisme et les thèses qui s’affrontent alors que la décision et ses motivations sont toujours attendues. Invité de l’émission « Jury du dimanche », le 4 juin, le ministre de la justice Ismaïla Madior Fall a informé que le juge n'a pas acquitté Ousmane Sonko, estimant qu’il a, dans sa décision, « disqualifié les faits de viol, en corruption de la jeunesse et l'a déclaré coupable de ce chef. »  D’ailleurs, a-t-il ajouté, « l’interprétation des décisions de justice est libre». Avant de préciser : « Mais ce que je peux vous dire par pédagogie, c’est que le juge a dit qu’il n’y a pas de menaces de mort. Mais pour le viol, je n’acquitte pas. Je disqualifie en corruption de la jeunesse », faisant savoir au passage que « la requalification est une pratique vraiment ordinaire, banale, consacrée, courante, classique dans l’exercice judiciaire ».

Sur Iradio, le médiateur de la république, Demba Kandji, magistrat bien connu du public, a pris la parole, après avoir appelé au calme, pour attirer l’attention des Sénégalais sur le fait que la décision qui est critiquée et commentée, n’est pas encore à sa connaissance disponible. A l’heure actuelle, a-t-il ajouté, « aucune des parties qui parlent n’en a lu les motifs. Il n’y a que les motifs du juge pour nous conduire à la conclusion que c’est dans un sens qu’il faut s’orienter en termes de compréhension ou dans un autre »

Bref une situation qui revient au même pour une opinion qui s’est déjà fait à l’idée que Ousmane Sonko est acquitté des faits qui lui étaient reprochés.

Que ceux qui brandissent le grief selon lequel le procès a duré 2 ans et 3 mois, se rendent à l’évidence que ce dossier qui n’en finit pas de polluer l’atmosphère, est parti de la plainte de la masseuse Adji Sarr à la Section de recherches de la gendarmerie Colobane à la date du 2 février 2021. A la suite d’une instruction débutée par le juge Samba Sall, décédé peu de temps après, l’actuel doyen des juges du tribunal de grande instance hors classe de Dakar, Oumar Maham Diallo, a renvoyé les parties en jugement devant la chambre criminelle du tribunal de grande instance de Dakar, ainsi que l’avait sollicité le procureur de la République dans son réquisitoire définitif.

Des accusations que le leader du Pastef-les patriotes, Ousmane Sonko, a toutefois toujours contesté depuis l’éclatement de l’affaire, arguant d’un complot ourdi par le régime du président Macky Sall. Ce qui ne l’avait toutefois pas empêché d’être inculpé et placé sous contrôle judiciaire par le défunt doyen des juges, Samba Sall.

Des actes posés par les conseils d’Ousmane Sonko qui n’étaient en réalité, pour les connaisseurs du droit, que du dilatoire pour retarder l’échéance. Des avocats, même s’il y en a certains qui sont militants et sympathisants de Pastef, se doivent toutefois de rester froids dans leur rôle de conseils, au lieu de s’enfermer dans une sorte de subjectivité. De la manipulation, il y en a eue. Comme cette idée de convocation non reçue, agitée !

Nous sommes à l’heure actuelle, dans une sorte d’impasse, et l’affaire doit être vidée avant que, comme le prédisent beaucoup, un dialogue véritable ne se mette à l’œuvre.

Le dialogue sans tabou

Un dialogue version Macky Sall, qui quoi que l’on en pense, a déjà commencé. Ceux qui voulaient s’attarder sur les termes de référence, ont dû se rendre à l’évidence que le président Sall ne souhaitait exclure aucun sujet, ainsi qu’il l’a dit : « il n’y a pas de sujet tabou », avait-il déclaré devant l’assistance. Ce dialogue est ouvert et Khalifa Sall que l’on a tant critiqué pour sa participation, a soulevé la question du 3ème mandat qui fâche. Et le président Sall a bien voulu répondre en des termes que certains ont jugé arrogants. Il souhaite qu’on le lui demande gentiment. La question est maintenant de savoir s’il faut s’attarder sur des détails liés à une manière et un ton ou se montrer pragmatique ? Barth lui pense le contraire puisqu’il le lui a gentiment demandé.

Il serait en tout cas de bon conseil que de se montrer plus pragmatique, si tel est que l’objectif est d’arriver à ce que le président ne fasse pas un 3ème mandat. Et si Macky Sall cherchait une porte de sortie, tout en refusant de perdre la face ? Après tout, il n’a jamais dit qu’il serait candidat, malgré les actes contraires posés par son camp. Attention, il est après tout le fils de Wade. Il peut clignoter à gauche et tourner à droite.

Un dialogue de toute façon considéré par Babacar Diop des FDS Les Guélawars, invité du « Grand Jury » de la RFM, du dimanche 4 juin, comme « une foire ambulante, une mauvaise copie », un dialogue insincère, comme « un instrument d’isolement d’Ousmane Sonko ». Aussi, a-t-il demandé au président de suspendre ce dialogue et d’organiser un dialogue plus consensuel.

Pour l’instant, le calme est revenu depuis lundi 5 juin. Un calme que l’on n’espère pas précaire. La réception nocturne de Macky Sall par le Khalife de Touba, Serigne Mountakha Mbacké, a de quoi rassurer après que le président a passé 1 heure avec lui. Ce qui n’empêche toujours pas le F 24 de maintenir la pression sur la 3ème candidature du président Sall. Il a d’ailleurs décidé d’organiser des manifestations les vendredi et samedi prochain. De quoi mettre de l’huile sur le feu. Une affaire à suivre.