NETTALI.COM - Placé en garde à vue, le dimanche 6 novembre par la Sûreté urbaine, puis déféré au parquet, le journaliste Pape Alé Niang a finalement été inculpé et placé sous mandat de dépôt, ce mercredi 09 novembre 2022. Le procureur de la République a confié son dossier au juge du 2e cabinet, Mamadou Seck. Le journaliste a été arrêté pour les faits suivants si on en croit l'accusation : avoir divulgué un document de la police nationale, relatif au déploiement des éléments du Groupement mobile d’intervention (GMI), en prélude à l’audition d’Ousmane Sonko et un message radio des sapeurs pompiers ; un post facebook sur sur les "véhicules blindés débarqués à l'Aibd" ; une référence à l"unité spécialisée dans la torture au sein de la police" ; un "live sur l'affaire Mancabo".

Ce sont les chefs de «divulgation d'informations non rendues publiques par l'autorité compétente de nature à nuire à la Défense nationale, recel de documents administratifs et militaires et diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions publiques» qui ont été retenus par le juge du 2ème cabinet Mamadou Seck. Des faits prévus et réprimés par les articles 64, 370, 430 et 255 du Code Pénal.

Dans son réquisitoire introductif, le procureur de la république a requis le mandat de dépôt et convoqué les dispositions de l'article 139 du Code de Procédure Pénale. Article qui dispose que«sur les réquisitions dument motivées du ministère public, le juge d'instruction est tenu de décerner mandat de dépôt contre toute personne inculpée de l'un des crimes ou délits prévus par les articles «56» à «100» et «255» du Code pénal». Ce qui fait que le magistrat instructeur Mamadou Seck n’avait d’autre choix que d’envoyer le journaliste en prison.

L’arrestation de Pape Alé Niang n’est donc pas liée, ainsi que cela a été relaté, au rapport interne de la gendarmerie versé par Ousmane Sonko dans le dossier du Doyen des juges sur l’affaire Adji Sarr.

Toujours est il que Me Moussa Sarr qui coordonne le pool d'avocats du journaliste réfute ces faits reprochés à son client. "les  faits qui lui sont reprochés, sont mal fondés. Ils ne sont pas du tout avérés. Il a été arrêté et poursuivi sur de prétendues diffusions de messages radio de la police et des sapeurs-pompiers, alors que ces messages étaient dans l'espace public avant que Pape Alé Niang n'en parle. A partir de ce moment, on ne peut pas lui reprocher d'utiliser des messages qui sont sur les réseaux sociaux pour faire son travail d'investigation et éclairer l’opinion publique. Sa place n'est pas en prison. Il faut l’État prenne ses responsabilités et arrête cette violation de la liberté. Il faut qu'on arrête d'instrumentaliser la justice pour solder des comptes politiques". Selon l'avocat, ce mercredi 9 novembre 2022 restera "un triste jour, un jour sombre pour la presse sénégalaise, pour la démocratie parce que sans liberté de la presse, il n'y a pas de démocratie", a pesté l'avocat.

Pape Alé, il est vrai, est un sacré emmerdeur qui fait ses lives, mais qui se savait déjà dans le collimateur des autorités depuis quelques temps. Il déclarait d’ailleurs s’attendre à tout désormais de la part du régime en place. Ce qu’il avait prédit, s’est hélas produit puisqu’il a été interpellé dimanche et embarqué manu militari par les policiers de la Sûreté urbaine, en pleine rue pour être conduit au poste.

Une situation qui n’a pas laissé personne indifférent. Surtout sa corporation. Une situation bien triste et mal vécue. Les associations de défense de la liberté de la presse, Reporters sans frontières, les journalistes sénégalais, le journaliste d’investigation, Edwy Plenel de Médiapart,  la société civile et le monde politique sénégalais, en particulier les opposants, ont tous à l’unanimité condamné l’emprisonnement du journaliste.

Déjà dimanche 6 novembre, l'arrestation du journaliste a motivé une sortie du syndicat des professionnels des médias qui avait dit suivre avec intérêt sur sa page facebook, l'affaire.Celui-ci avait ainsi informé avoir pris contact avec Me Bamba Cissé, avocat du journaliste, afin de "s'enquérir des motifs de cette arrestation et lui apporter toute l'assistance requise".

Placé à la 73e place sur 180 dans le dernier classement des pays sur la liberté de la presse, le Sénégal dégringole de 24 places, mais avec cette affaire en plus, il s’offre une mauvaise publicité.

L’Etat et la presse : deux parties guidées par des logiques différentes

Une affaire qui révèle au grand jour l’énorme fossé qui sépare l’Etat et la presse, du point de vue de l’arsenal juridique mis en place pour protéger un certain nombre de dossiers dans le domaine militaire, administratif et judiciaire sous le sceau du « secret défense » et de la confidentialité, et le droit du public à l’information consacré par la constitution. Les journalistes sont évidemment bien au fait de tous ces concepts fourre-tout (secret-défense, secret de l’instruction, document confidentiel…), alors que l’État, lui, est arc-bouté au mythe du secret et de la confidentialité.

Tout cela pour résumer les difficultés et risques auxquels s’expose le journaliste sénégalais dans l’exercice de son métier, lorsqu’il dévoile des secrets que cache l’Etat. Les deux parties n’ont pas en réalité les mêmes préoccupations, encore moins les mêmes intérêts. L’Etat est un pouvoir constitué, la presse elle, un pouvoir accepté et reconnu par tous, dans tous les pays du monde, comme pouvoir, au point même de la dénommer «4ème pouvoir» après les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. La presse est à ce titre, une institution. Mieux, elle est le vrai rempart dans des démocraties tropicales comme les nôtres où les pouvoirs législatif et judiciaire n’arrivent jamais à exercer pleinement leurs prérogatives respectives qui sont de voter les lois, de contrôler le travail de l’exécutif et de faire appliquer les lois avec la possibilité de traduire tout justiciable en justice, qu’il soit président de la république, député ou citoyen ordinaire.

Ces deux pouvoirs sous nos cieux, sont à la vérité à la remorque de l’exécutif qui pourvoit à leurs moyens et arrive à contourner l’indépendance des députés, grâce aux modes de scrutin, taillés sur mesure et aux majorités mécaniques. Dans le domaine du judiciaire, l’exécutif pourvoit non seulement aux moyens de la justice, mais encore gère la carrière des magistrats, tout en ayant des rapports hiérarchiques avec les magistrats du parquet, chargés des poursuites au nom des citoyens.

Les journalistes sont évidemment au courant de toutes ces limites qu’on leur fixe. Ils ont en effet eu droit, au cours de leurs formations, à des modules d’éthique et de déontologie. Ils sont aussi dans la plupart des cas, raisonnables et responsables. Mais, doivent-ils pour autant être freinés par l’arsenal juridique censé préserver l’Etat contre toute incursion dans les affaires qu’il gère ? Assurément non.

Cité par le journal Enquête dans sa livraison du mercredi 9 novembre, l’ancien secrétaire général du Synpics, le journaliste Mademba Ndiaye, pose le débat en ces termes : « La question est la suivante : le journaliste doit-il respecter la loi ou le droit du public à l’information, quitte à violer la loi ?’ » Sur son compte Twitter, il semble y apporter une réponse on ne peut plus tranchante. « Je considère que violer la loi, exclusivement au nom du droit du public à l’information, est un principe conforme à la déontologie des journalistes. Assumer les conséquences de ce viol, est aussi un principe conforme à la déontologie », indique-t-il, non sans soulever par ailleurs une question subsidiaire : « Papa Alé Niang a-t-il violé la loi ? Je n’en sais strictement rien, personnellement, avec les bribes d’informations que j’ai. »

Dans tous les cas, a précisé le journaliste, si les journalistes se mettaient à lire la loi, aucun article ne paraitrait. « Le Journaliste, selon lui, n’a que faire de la loi. Il est le seul juge (avec sa rédaction) de la qualité de l'information qu'il a. C’est à lui d’apprécier si cette information mérite d’être portée à la connaissance du public ou non. Il peut la jeter à la poubelle, même si sa publication ne violerait aucune loi. Par contre, s’il juge que le public a le droit de connaitre cette info, il la publie, même si cela viole la loi. La déontologie est sauve. Le reste, c'est l’affaire du procureur qui peut poursuivre, s’il le juge nécessaire ». Pour lui, le défi, pour les journalistes, c’est de faire en sorte que la loi soit conforme au droit du public à l’information (garanti par l’article 8 de la Constitution).

Mais au-delà des différentes considérations sur le sujet, les hommes de presse savent qu’ils ne doivent pas mettre en péril la Défense nationale ou affaiblir l’état du Sénégal vis-à-vis des pays étrangers avec qui, il est en concurrence. Le métier de journaliste incite à la responsabilité. Le journaliste ne va pas, par exemple s’amuser à parler de mouvements de l’armée dans un contexte de conflit où elle est partie prenante. Il ne va pas non plus révéler l’arsenal militaire que détient le Sénégal. Il y a des aspects sensibles par exemple et attachées à la vie privée de la personne comme les éléments contenus dans un certificat médical ou des données personnelles dans un Procès-verbal qu’il ne doit pas et ne peut pas dévoiler. Combien de fois des journalistes se sont-ils contentés de traiter des PV, sans pour autant en plaquer l’intégralité ? Qu’on ne fasse pas de mauvais procès à la presse. Elle n’est certes pas parfaite dans sa manière d’exercer le métier, mais pour autant elle grouille de personnes responsables qui se gardent d’arriver à un certain niveau d’inconscience pour révéler certains types d’informations.

Mais que l’Etat cherche à cacher des choses sous le couvert du secret défense ou du classement confidentiel, dans une logique de couvrir des actions illégales et obscures et qu’un journaliste s’en saisisse et les révèle au grand jour, n’est-ce pas être dans son rôle que de faire cela. Qu’on ne fasse surtout pas semblant de croire que le Sénégal est le pays le plus transparent du monde. En l’absence d’un fonctionnement normal des institutions avec des pouvoirs qui n’exercent pas pleinement leurs rôles, la presse doit débusquer les cafards dans les placards, révéler au grand jour les magouilles et surveiller la gestion de nos maigres deniers. L’affaire des 45 milliards d’armement du ministère de l’environnement que l’on veut placer sous le sceau du secret défense pour justifier un gré à gré, et pire une transaction aussi douteuse que nébuleuse avec un sulfureux personnage dénommé petit Boubé, recherché dans son propre pays et au Nigéria, doit-elle être tue par la Presse ? C’est peut-être l’image de spécialiste de la surfacturation de ce marchand d’armes qui doit inquiéter les autorités. Tous ceux qui savent lire un code des marchés publics, savent bien que le ministère de l’Environnement ne rentre pas dans la case de ces ministères qui peuvent se procurer des armes sous couvert du secret défense. Difficile d’ailleurs de croire que le ministre de l’Environnement ait un tel besoin en armement de l’ordre de 45 milliards.

Qu’il puisse y avoir des informations sensibles que l’état doive garder au secret parce qu’elles doivent vraiment l’être, est tout à fait concevable. Mais que l’Etat profite de cette protection légale pour cacher des opérations nébuleuses et illicites, est inacceptable.

Il est, en effet, connu que sous nos cieux, nos gouvernants rendent difficilement compte. En dehors du communiqué du conseil des ministres qui n’est souvent qu’une compilation d’instructions du président de la république et de rappels, de communications de ministres, en plus de nominations, il n y a pas beaucoup d’informations. Et pourtant, l’Etat a ce devoir impérieux de rendre compte des contrats et accords internationaux qu’il signe. La conséquence, dès lors, est de se retrouver avec des journalistes qui fouinent. Des affaires pas claires, il y en a à la pelle. Et il sera d’autant plus difficile de faire taire les journalistes qui sont dans leur rôles en fouinant et en débusquant des choses pas catholiques et encore moins islamiques.

Le nécessaire soutien à apporter à la presse

Que l’on ne s’y trompe pas, le journaliste est enfermé dans une sorte de cercle vicieux. Qu’il révèle ses sources et il subit une double peine : il sera non seulement pris dans le fameux vocable de recel de documents administratifs, mais pire, plus personne ne lui fera confiance pour lui donner une information.

C’est le seul pouvoir non constitué qui existe et qui est une chance pour nos pays. Tout cela est aussi une leçon pour ces opposants et ces gens du pouvoir qui n’hésitent pas à tenter d’intimider les journalistes. Ils doivent savoir que, quelle que soit la posture du journaliste qu’il soit pro ou anti pouvoir voire opposition (ce qui ne doit d’ailleurs point être le cas), le pluralisme de la presse permet toujours de voir des lumières filtrer. Ce n’est donc plus le nombre de journaux inféodé au pouvoir ou contre le pouvoir qui compte. La réalité est qu’il y aura toujours des journaux aussi indépendants et libres pour donner la bonne information.

La presse doit être protégée c’est sûr, et les politiques, de quelque bord qu’ils soient, doivent y contribuer. Quant au grand public qui pense que les réseaux sociaux peuvent supplanter les médias, ils se rendent chaque jour compte que les contenus qui y circulent sur les réseaux, ne sont que le fait de personnes dont on ne peut s’assurer de la véracité des informations ? Capter une scène ou un évènement sans pour autant dire où l’événement a eu lieu, quand cela a-t-il eu lieu, qui sont les protagonistes et les circonstances. C’est l’exercice quotidien dans cet univers . Bref tout cela pour dire qu’il n y a pas vraiment de recoupements et d’investigations pour étayer les images publiées ou ce qui se dit sur un audio ou une vidéo. C’est en effet devenu courant de voir sur les réseaux sociaux des activistes ou livers établis à l’étranger ou au Sénégal s’en prendre à l’honorabilité des gens, en rapportant des choses ou en proférant des accusations.

Les médias ont tellement pris conscience de cela qu’ils disposent désormais des plateformes sur les réseaux sociaux. Une manière de trouver les publics là où ils sont.

Que ceux qui critiquent les médias, cherchent plutôt à les renforcer. Qu’un journal coûte par exemple 100 f est une hérésie économique. Que l’Etat distribue en priorité ses pubs aux médias publics, en est une autre. Où la presse trouvera-t-elle les moyens de sa propre survie si elle doit se résoudre à vivre de miettes ? Elle est à la fois pillée par les sites d’informations et affaiblie par ces lecteurs qui préfèrent aller lire les articles copiés-collés sur les sites d’informations plagiaires. Le pire, ce sont les PDF des titres de la presse écrite qui sont partagés à grande échelle.

Quant aux associations de la presse, elles ont récemment organisé des conclaves à Toubab Dialao pour faire un état des lieux. Elles doivent aider la presse à faire son autocritique et assainir un milieu de plus en plus envahi par ces chroniqueurs au background approximatif et à l’objectivité douteuse. Sans oublier ces pubs sur les tradipraticiens interdites. Elles doivent surtout penser à rehausser le niveau des journalistes et de la formation. Pour cela, les études supérieures et la spécialisation peuvent être d’un grand secours. Déjà c’est un grand pas de franchi que ce tri par la commission nationale de la carte de presse. Enormément de postulants ont été recalés.

Le Sénégal vit une situation de régression démocratique et d’entrave à la liberté d’informer qu’on aurait pu nous épargner, surtout que le président avait eu à déclarer dans un passé récent.  « Vous ne verrez jamais, pendant ma gouvernance, un journaliste mis en prison pour un délit de presse. Les journalistes ne courent aucun risque au Sénégal. Ça, je le dis très clairement et je ne serai pas démenti », avait dit Macky Sall sur la chaîne française I-télé. Il en a en tout cas dit des choses, le président ! Son engagement par exemple à réduire son mandat ; ou sa volonté de ne faire que deux mandats ! Des phrases que l’on peut désormais mettre sur le compte des déclarations politiciennes valables le temps du recueil des suffrages. C’est le ni oui, ni non qui est à la mode, même si l’on sent que de plus en plus des voix s’élèvent dans son camp pour demander sa candidature. On est décidément mal barrés.