NETTALI.COM – C’était le samedi 11 février 2023, lors de la cérémonie de lancement du Centenaire du Prytanée militaire de Saint-Louis. Le président de la République Macky Sall a instruit le ministère des forces armées et de l’éducation nationale, « d’engager la réflexion sur l’ouverture prochaine d’un 2ème Prytanée militaire dans une des 11 régions du Sénégal. Il leur a aussi demandé de prendre en compte le volet féminin, à l’instar des autres prytanées africains.

Une invitation à la réflexion qui implique, si l’option est finalement retenue, de dupliquer un modèle très performant qui a apporté la preuve de son efficacité. L’école qui a choisi l’excellence comme un des mots clefs de son thème « 100 ans d’excellence et d’intégration africaine » a en effet réalisé la prouesse d’une excellence ininterrompue dans ce siècle : pérennité de résultats rarement au-dessous de 100% au Bfem et au Baccalauréat, prix permanents au Concours général sénégalais, titres de champion du monde de « Génie en herbe » et l’admission d’élèves du Prytanée au Collège du monde Uni.

Mais une innovation qui donne toutefois à réfléchir. Créer un second Prytanée peut avoir l’inconvénient de « casser » l’originalité du Prytanée actuel, car l’on peut raisonnablement se demander pourquoi faut-il réinventer la roue ? A l’heure de la féminisation des corps paramilitaires et militaires au Sénégal, la tentation est grande de vouloir suivre un effet contagion. Mais il s’agit aussi et surtout de mesurer la délicatesse de l’encadrement de filles et de garçons vivant dans le même environnement, mais âgés seulement de 10 à 11 ans. La tranche d’âge de 10 à 18 ans, période de passage à l’école, étant celle durant laquelle, les parents façonnent l’éducation de leurs enfants, est bien délicate à gérer. De plus, il convient de noter que l’encadrement d’enfants est différent de celui de femmes et d’hommes majeurs qui aujourd’hui, intègrent l’armée, la police ou la gendarmerie au Sénégal.

Des remarques qui ne veulent toutefois pas dire qu’il ne faille pas pousser la réflexion. Mais à y bien y réfléchir, ne serait-il pas au fond plus indiqué et plus original de créer un Prytanée au féminin ? Comme c’est le cas avec un des Prytanées du Bénin ?

Mais au-delà, l’on peut même poser la question de l’intérêt puisqu’il existe une école d’excellence dénommée Mariama Ba, très performante sans qu’elle soit une institution militaire. L’autre interrogation que le sujet induit, est de savoir pourquoi vouloir par tous les moyens créer un Prytanée militaire en sachant que, même les enfants de troupe actuels ne sont plus forcément destinés à une carrière militaire. Peut-être mise-t-on simplement sur la formation et la rigueur militaires pour insuffler aux pensionnaires, un surcroît de valeurs et de personnalités ?

Le Prytanée est à la vérité une école unique dans son modèle et différente de par sa double vocation d’établissement d’enseignement, à la fois militaire et général puisqu’on y prépare deux diplômes militaires, au 1er et au second cycle, tout en y passant des brevets de parachutisme et le permis militaire.
Ce qui marque d’autant plus sa différence, c’est le producteur d’élites que l’école est. Cette dernière a par exemple produit des présidents de la république (Mathieu Kérékou du Bénin, Seyni Kountché et Ali Saibou du Niger, Jean Bedel Bokassa de la Centrafrique, Lansana Konté de la Guinée et Robert Gueil de la Côte d’Ivoire), des ministres de la république sénégalais et africains, des officiers généraux parmi lesquels beaucoup de chefs d’état-major au niveau national comme africain, des dirigeants de sociétés publiques et privées ; des professeurs de médecine, de droit, des médecins militaires et civils, des professeurs d’université, des patrons de presse, etc. Tout cela pour dire que cette école a formé des générations de hauts cadres militaires et civils.

Mais delà, c’est la vocation intégration africaine de l’école qui est intéressante en en faisant un laboratoire de ce projet si cher aux Africains depuis plusieurs décennies. L’intégration est en effet déjà une réalité chez les élèves du Prytanée avec des barrières levées depuis belle lurette.

Des modèles positionnés sur l’excellence, mais différents, il en existe au Sénégal : Mariama Ba, le Lycée d’Excellence de Diourbel, Limamoulaye, etc. A un niveau supérieur, toutes ces écoles telles que Polytechnique de Thies , L’Ecole supérieure Polytechnique (Ex Ensut), L’Ecole nationale d’Administration, l’Ecole nationale supérieure d’Agriculture (Ensa), l’Ecole militaire de Santé, etc. ont tous le mérite d’exister car tous les pays du monde fabriquent des élites qui occupent les hauts postes de l’administration, du gouvernement et des grandes entreprises publiques et privées.

Promouvoir l’excellence est dès lors une chose louable en soi. Mais faudrait-il pour autant laisser une partie des élèves du système d’enseignement sénégalais sur le bord de la route ? Le dernier cas de création d’une école d’excellence, est celui de Diourbel, bâti sur un modèle non seulement de lycée à vocation scientifique, mais différent de tous les autres puisque les élèves sont recrutés à partir de la seconde parmi les meilleurs dans les matières scientifiques. L’école d’excellence obtient régulièrement des prix au Concours général en bénéficiant des meilleurs professeurs triés sur le volet dans les domaines scientifiques ou parfois même débauchés dans des lycées qui n’ont pas les moyens de les retenir.

D’autres lycées tels que Limamoulaye sont assis sur le même positionnement de l’excellence que le Prytanée, le Lycée d’excellence et Mariama Ba, mais avec des effectifs qui dépassent de très loin ceux des écoles précitées. Normal, il est une école publique qui n’est pas soumise à un concours d’entrée et qui ne dispose pas d’un internat avec des effectifs limités.

La chance de cette école située à Guédiawaye, est certainement de bénéficier d’un encadrement volontaire qui la pousse à pouvoir rivaliser avec les autres écoles dans le cadre du concours général. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la qualité générale de l’enseignement puisqu’on assiste en fin de compte, à la création d’une sorte d’école à deux vitesses où l’on note d’une part, ceux avec un potentiel certain, pris en charge avec un suivi intensif dans une logique d’obtention de prix au Concours général ; et d’autre part, une école avec logique de massification et des élèves qui ne bénéficient pas du même niveau de soutien.

La tendance est en effet désormais pour les anciennes écoles publiques (Limamoulaye, Lamine Guèye, Delafosse, le Lycée d’application, etc) de céder à une sorte de tyrannie de l’obtention de prix au Concours général avec pour objectif de se hisser au sommet du classement des meilleurs établissements du pays.
Mais à la vérité, le Concours général qui sert aujourd’hui de baromètre à l’excellence, est loin d’être un système équitable dans son approche. Si le Prytanée, Mariama Ba et l’Ecole d’excellence comptent des effectifs assez réduits pour trois (3) terminales, Limamoulaye ou d’autres lycées du même type, comptent parfois près d’une quarantaine de classes de terminale et de première, tout en présentant un nombre de candidats plus important. Le paradoxe est qu’ils tous sont logés à la même enseigne avec des candidats qui ne composent pas dans le même nombre de matières (technologie, comptabilité, économie, certaines langes tels que l’Italien, le Russe, le Portugais, qui n’existent pas au Prytanée et à Mariama Ba etc) en plus des élèves des deux sexes absents dans les deux premières écoles (Mariama Ba, Prytanée et même l’Ecole d’excellence de Diourbel). Dans le même temps, les trois écoles Prytanée, Mariama Ba et le Lycée d’excellence, bénéficient de meilleures conditions d’enseignement que des lycées.

Il serait donc bien illusoire de se fonder sur un Concours général qui sert aujourd’hui de baromètre, qu’un système de pondération digne de ce nom, pourrait davantage contribuer à parfaire les résultats, pour décréter l’excellence d’une école.

Si par exemple le Prytanée, Mariama Ba et le Lycée d’excellence obtiennent de très bons résultats au Bfem dans les deux premiers cas et au Baccalauréat avec des pourcentages très élevés, c’est loin d’être le cas pour Limamoulaye ou un lycée technique tel que Maurice Delafosse ou Lamine Guèye.

Tout ceci pour dire que l’obsession des Prix au Concours général, ne doit conduire à négliger la grande masse des autres élèves des lycées. Il s’agit aussi et surtout de ne pas créer des écoles à deux vitesses avec des laissés pour compte. Après tout, le but du jeu n’est pas d’amasser des prix au Concours général, mais plutôt de créer un niveau d’émulation pour permettre au plus grand nombre d’élèves d’avoir un meilleur niveau.

De plus, ce qui en fin de compte permet de prétendre aux études supérieures, n’est-ce pas l’obtention du bac ?

A un niveau supérieur, l’Université Gaston Berger qui était positionnée sur l’excellence, se voit aujourd’hui gangrenée par la massification, un enseignement qui se déprécie et des grèves cycliques. Elle se voit ainsi rattrapée par les tares de l’Université Cheikh Anta Diop. Comme quoi les systèmes ont besoin d’être pris en charge dans le temps, dans une logique de planification, de gestion des effectifs et de tracer des perspectives d’évolution.

L’exemple du Maroc est de ce point de vue bien pensé puisque le royaume a institué un système de classes préparatoires dans un système d’excellence qui crée de l’émulation et prépare les Marocains à accéder à des grandes écoles telles que Polytechnique, l’Ecole des Mines, Ponts et chaussées, Hec Paris, l’Edhec, ESCP Europe, Essec, Centrale Supelec, etc en France. Excellents en maths et en physique, les étudiants marocains brillent au concours des meilleures écoles d’ingénieurs françaises. L’une des meilleures prépas scientifiques aux grandes écoles françaises, se trouve d’ailleurs dans la ville de Benguérir à moins de 40 km de Marakech où se trouve l’université Mouhamed 6 Polytechnique (IM6P) et nommé Lycée d’excellence de Benguérir (Lydex) . Une admission ouverte sur la base des meilleurs dossiers aux élèves Marocains, y compris de l’université Mouhamed 6. En 2020 par exemple pas moins de 17 élèves de Lydex, ont intégré l’Ecole Polytechnique en France. Un an après, 11 élèves ont suivi les pas de leurs ainés. Durant la même période, l’école comptait 160 étudiants marocains dont 110 suivent le cursus d’ingénieurs. Le lydex est en effet un campus de 18 hectares et ses bâtiments ont été construits au cœur de la ville verte Mohamed IV, une « cité du savoir et de l’innovation » créée en 2009 par le géant phosphatier Office chérifien du Phosphate (Ocp). Les 944 élèves sont logés dans des immeubles flambants neufs avec des installations de dernière génération qui dépassent de loin les infrastructures des grandes universités américaines.

Un système qui a le mérite de fabriquer des hauts cadres au Maroc qui vont être rapidement utiles au royaume.

Pour une école d’excellence comme le Prytanée, l’innovation pourrait se trouver dans une logique d’introduction des matières technologiques et le renforcement du volet scientifique en vue de mieux préparer dans les métiers d’avenir. Et pourquoi ne pas intégrer un système de prépa militaire ? Une école préparatoire avec cinquante bacheliers sénégalais ayant obtenu une mention bien ou très bien, sélectionnés sur dossier pour intégrer les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) est ouverte depuis la rentrée à Thiès, à 70 kilomètres de Dakar. Cette nouvelle formation publique, créée sur le modèle des classes préparatoires françaises, donnera accès aux écoles d’ingénieurs sénégalaises ainsi qu’aux concours des grandes écoles en France ou à l’étranger. Une première pour le pays ouest-africain, qui veut « minorer la fuite des cerveaux après avoir tant dépensé en ressources financières et bourses d’excellence », avait déclaré le président Macky Sall lors de l’inauguration officielle le 27 octobre 2022.