NETTALI.COM - Nos hommes politiques sont-ils aussi fiables qu’on le pense ? Ils ne sont peut-être pas tous pareils puisqu’il n’existe de pays au monde où les individus sont parés des mêmes vertus, des mêmes vices et au même degré. Entendons par là que l’être humain est par nature imparfait et pour cette raison, il est difficile de lui faire confiance aveuglément. Il a une nature tellement changeante, au gré du temps et des circonstances, qu’il doit sans cesse être challengé et surveillé. Et dans les systèmes actuels de gouvernance, ce sont seules des institutions solides et équilibrées qui peuvent permettre cela.

En effet, lorsque l’on écrivait dans un de nos éditos que les Sénégalais doivent sortir du dégagisme et tenter d’être un peu plus lucides au moment du choix d’un futur président de la république, c’est entre autres raisons.

Une chose que l’on doit garder à l’esprit, est que les politiques avancent presque tous masqués et qu’il faille trouver une manière de les démasquer avant qu’ils ne puissent abuser de nos naïvetés.

« Gorgui dooli nu, doyalu nu » (on n’en pas assez de vous – il faut un mandat de plus – ndlr slogan de campagne du président Wade chanté par Pape et Cheikh) est passé par là. L’on nous avait fait miroiter des chantiers à achever après les avoir commencés presque à la fin d’un mandat, alors que des trous abritant finalement des rats, avaient été creusés partout dans Dakar. L’objectif était clair. Elire un nouveau président, signifiait à travers ce message diffus, risquer de ne pas voir les chantiers sortir de terre.

Aujourd’hui, sous Macky Sall, il en est de même sur la question du 3ème mandat, objet de toutes les polémiques. Dans l’esprit de la loi, il était pourtant question de limiter le nombre de mandats. Aujourd’hui, l’on voit se dresser devant nous, d’autres interprétations à travers une subtilité que l'on cherche à vendre, soient deux mandats de 5 ans dont le second ne débuterait qu’en 2024. Comme par enchantement !

A la vérité, les candidats à la magistrature suprême se présentent devant les électeurs avec des jeux de masques si corsés qu’on les prendrait pour de doux agneaux. Cette règle est vraie sous nos tropiques comme ailleurs. Mais une fois installé au trône, voilà que les masques tombent un à un pour montrer souvent un visage bien loin de la première perception que nous en avions. Le président Macky Sall lui-même était perçu comme un « doux » d’entre les « doux », sans main de fer. Nous savons aujourd’hui que malgré certaines qualités réelles, il sait être redoutable et impitoyable.

Les citoyens doivent donc ouvrir les yeux et savoir que les politiques ne leur disent pas tout. Et qu’ils oublient bien souvent de signaler à leurs « militants bien aimés » qu’ils ont un tel homme d’affaires comme ami qui finance en catimini leur campagne et qui est assez futé pour se faire rembourser ensuite en marchés sonnants et trébuchants, après l’élection.

L’illustre président Senghor ne nous avait-il pas, lui aussi vendu qu’en l’an 200O, Dakar serait comme Paris. Aujourd’hui, il est vrai que le visage de la capitale a commencé à changer depuis l’ère Wade avec l'érection d'infrastructures tous azimuts. Mais sur un autre plan, c’est le désastre notamment sur les questions de gouvernance si l’on se fie au bilan de l’évolution des institutions et d’autres secteurs qui nécessitent un travail de fond et un temps long avant d'en savourer les fruits.

Changer de président au Sénégal, demande en effet de la patience et du temps. Et d’un point de vue historique et de l’évaluation de l’expérience du pouvoir au Sénégal, l’on se rend compte que tout gouvernement qui s’installe, fera au moins deux mandats et dans les gouvernements d’avant Macky Sall, bien plus. Ce qui veut dire le choix que l’on fait du président, doit finalement être empreinte d’une grande lucidité.

Une garantie nécessaire de réforme des institutions.

Quel candidat peut nous garantir qu’il remettra sur la table ces bonnes vieilles recommandations issues des Assistés nationales. Même enrichies, amendées et complétées, les Sénégalais seront preneurs. Une réforme des institutions.

Juste pour rappeler que nous étions en effet à 4 ans de la Présidentielle de 2012. Donc relativement dans les mêmes enjeux politiques qu’aujourd’hui. Le président Macky Sall voulait supplanter Abdoulaye Wade. A l’époque, l’opposition travaillait à la gestation des Assises nationales. Le débat était circonscrit dans le salon de feu Amath Dansokho et les cerveaux étaient bien occupés par la rédaction d’un rapport de synthèse, achevé le 24 mai 2009 et qui abordait la plupart des problèmes auquel le pays est confronté, en termes de droits de l'homme, de corruption, de boulimie foncière, etc.) et d'une Charte de la gouvernance démocratique pour jeter les bases d'un développement durable et construire un nouveau paradigme d’une gouvernance plus saine et plus vertueuse de la politique. Tout cela pour dire que l’esprit du 23 juin n’est pas tombé du ciel. C’était bien le fruit mûr d’un processus mené avec une très grande finesse par l’opposition d’alors et la société civile.

Ce sont le consensus et l’éthique discursive qui avaient prévalu, loin du bruit. Dans la transpiration à la fois physique et cérébrale. Les Assises nationales, faut-il le rappeler, avaient fini de produire leurs conclusions au terme d’un travail titanesque de franges entières de la société, dans une approche inclusive.
On notera, à l’époque, que les « vieux » briscards de la politique, dont la plupart ont flirté avec le marxisme-léninisme, étaient bien de la place. Le symbole, ce fut Amadou Makhtar Mbow intronisé au Méridien-Président dans une salle archi-comble. Une performance politique qui déroutera Me Abdoulaye Wade au point de lui faire perdre son sang-froid. Gorgui passera en effet le reste de son mandat à s’attaquer au Vieux Mbow, qui le distraira à souhait.

Un boulevard de réformes à envisager…

Dans le lot des réformes qu’il serait urgent, voire impératif, à envisager, figure l’organisation de l’environnement des partis politiques qui concourent au suffrage des Sénégalais. Le besoin de rendre le financement de ces associations privées beaucoup plus transparent, est plus que nécessaire. Il est pour cela question de plafonner les dépenses de campagnes afin d’éviter que les plus riches ne prennent l’avantage sur les partis moins riches, avec des fossés parfois astronomiques. Les achats de conscience sont par exemple une des plus grandes tares de notre démocratie et gangrènent nos élections. Il s’agit dès lors d’arriver à mettre à peu près les candidats sur un même pied d’égalité en empêchant également l’utilisation des moyens de l’Etat.

Réduire le nombre de partis politiques en les limitant aux plus représentatifs en partant par exemple, sur la base d’une élection représentative comme celle des députés suivant un pourcentage raisonnable (5% par exemple voire un accord sur un autre pourcentage), doit être un objectif qui va nous permettre d’éviter cette pléthore de candidats et les énormes dépenses en logistique électorale. Le jeu politique en serait plus rationalisé et la transhumance sans doute amoindrie avec des possibilités de passer d’un parti à un autre drastiquement limitées.

Dans cette même veine, la gestion des élections sous nos cieux, ne devrait plus être à la charge du ministre de l’intérieur souvent contesté du fait de sa nomination par le président de la république. Il s’agit dès lors de d’opter pour un organe collégial chargé de présider aux destinées électorales et qui ne sera plus nommé par l’exécutif.

Comment aussi ne pas songer à réduire les pouvoirs du président de la république en mettant l’accent sur une plus grande séparation des pouvoirs ? Pourquoi par exemple la justice devrait-elle continuer à être financée par l’exécutif alors que l’Assemblée nationale détient elle-même son budget ? Un des chantiers importants à entreprendre et vite, serait celui d’un Conseil supérieur de la magistrature où seraient absents le président de la république et le ministre de la justice qui en assurent la présidence et la vice-présidence. Qu’on ne nous parle surtout pas de gouvernement des juges car ce conseil pourrait bel et bien intégrer des professeurs de droit, des avocats, de notaires etc en nombre moins important que les magistrats, car après tout, il s’agit de leur avancement et carrière.

Dans le domaine de la justice, une des institutions décriées par une frange de l’opinion, le procureur de la république et au-delà le parquet de manière générale, pourraient être plus libres vis-à-vis de la tutelle avec cette garantie déjà octroyée lors des réquisitoires. Il pourrait avoir en plus, entre lui et la prison, un juge des libertés qui sera le tampon. Une manière de réduire un fait injuste qui est celui pour le procureur d’être juge et partie au procès. Ce qui garantirait mieux les droits de la personne poursuivie en justice et permettrait de mettre fin aux mandats de dépôts systématiques et de réduire du coup, la surpopulation carcérale.

Sur la question des libertés, les fameuses lois jugées liberticides telles que l’article 39 du code de procédure pénale qui lie le juge d’instruction sur certaines infractions prévues par les articles 56 à 100 et 255 du code (notamment la diffusion de fausses nouvelles, le trouble à l’ordre public, l’atteinte à la sûreté de l’état, l’appel à l’insurrection, etc) pourraient voir leur mort prononcé ou leur caractère injuste amoindri.

La gouvernance publique, elle gagnerait vraiment à être améliorée. Avec la gestion chaotique de la quasi-totalité de nos sociétés publiques constatée, avec des dirigeants tous intoxiqués par la politique, comment ne pas envisager de changer le mode de désignation des directeurs généraux ? Les appels à candidature en vue de recruter de vrais managers du secteur public, aux background avérés et reconnus, dotés de vrais mandats pour les mettre à l’abri des humeurs de l’exécutif, sont plus que nécessaires.

Difficile en effet de trouver le schéma idéal et de lister de manière exhaustive, les secteurs à réformer, tellement ils sont nombreux. Mais toujours est-il qu’une réforme des institutions s’impose et est même devenue une demande sociale pressante, étant entendu que l’histoire du 23 juin 2011 se répète tout en « comédie ». En tragédie, devrait-on dire. Car, l’espace public s’est « guignolisé », comme le prouvent à souhait les scènes qui se sont donné à voir à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, la situation est si grotesque qu’on se croirait dans un monde irréel. Et ce que nous avons vu et surtout entendu (les acteurs auraient facilement pu monter sur le podium mondial de concours d’injures) semblent plutôt relever d’une fiction théâtrale.

L'Assemblée nationale aussi n'est épargnée. Elle est en décrépitude depuis bien longtemps et cette majorité précaire de Benno n'arrange même pas à vrai dire les choses. Le niveau des députés et leur recrutement posent une vraie équation. Que dire par exemple de ces comportements indécents qui y ont cours ? Comme cette bien « coquette » députée de la majorité, bien plantée sur des « kokettes » et habillée comme Diouma Dieng Shalimar, qui sort de sa bouche, des insanités que seule la pudeur nous empêche de retranscrire ici ? Ou ces coups de karaté et de poings qui volent dans l’hémicycle ? Ou encore cette vulgarité ambiante avec ces femmes qui y montrent leurs rondeurs  comme si elles n'étaient bonnes qu'à cela ? Il y a eu aussi l'éviction d'Aminata Touré que l'on peut déplorer et ces règlements de compte politiques. Bref l'hémicycle ne se porte pas mieux.

Ce pays a donc bien changé. Dans le mauvais sens du terme. Les acteurs politiques ont changé. Les méthodes politiques aussi. Et le discours baveux révèle tout cela. Cette situation, à la lisière de l’anarchie, se traduit par un affaissement du niveau du discours. De la bave en lieu et place de la parole calibrée et pensée. On ne s’écoute plus, ne discute plus. On a beau parcourir les plateaux de télé, mais les interlocuteurs de différents camps qui s’arrachent la parole, en bandant les biceps, ne rivalisent que sur le registre de « qui a crié plus fort » pour noyer dans un flot infernal de décibel, les « arguments » de la partie adverse. « Menteur », « violeur », « voleur », « esclave », « trouillard »…, le lexique de la classe politique, devenu glauque, tue, à l’image des mauvaises herbes, ce qui a été semé de bons dans ce pays. Le niveau de violence constatée est encore pire dans les réseaux sociaux. L’impression qui se dégage, c’est d’être dans une sorte de jungle, proche de l’état que Thomas Hobbes décrit dans Le Léviathan. Violence, arrogance, enfantillage, cécité, dogmatisme, intolérance, tous ces symptômes renvoient à un seul et même mal : le délitement continu de l’espace politique et de la perte des repères.

Les infrastructures, c'est bien, mais ça ne suffit pas !

Macky Sall, durant son mandat, a suivi les pas de Me Wade? Il a pris une option sur les infrastructures en réalisant des autoponts, des routes, des pistes de production, des hôpitaux, des stades et désenclavé certaines zones. Ce qui est tout à son honneur ! Mais une option pas suffisante en termes d’attentes des Sénégalais. Car alors ces derniers sont aussi en demande de plus de liberté, de justice, de santé, de sécurité, d’éducation, de formation, de meilleures retraites etc

Des réformes qui passent nécessairement par la réforme des institutions. A savoir pour celui qui va les entreprendre, de pouvoir se soumettre à elles et surtout respecter les autres institutions avec lesquelles l’exécutif doit nécessairement collaborer dans une logique constructive.

En somme, un boulevard de réformes pour le futur président, quel qu'il soit et qui en aura l'envie et la volonté. Mais, la seule équation qu'on n'est pas encore en mesure de résoudre, c'est comment contraindre le futur président à respecter ses engagements ? La seule option qui s'offre à nous pour l'heure, étant d'utiliser nos cartes d'électeur. Mais pour cela, le temps d'un mandat, est hélas long pour un temps que nos pays qui manquent de tout, n'ont pas vraiment.