NETTALI.COM - Deux scènes qui peuvent à elles seules reconstituer le film de l’histoire de cette Coupe d’Afrique des Nations de Football, ce sont sans aucun doute les deux pénaltys concrétisés par Sadio Mané. Elles sont à la fois, le début et le dénouement final, fruit de toute cette apothéose jamais vue sous les cieux sénégalais.

Tel sur une scène de théâtre qui s’ouvre, Sadio Mané a d’abord marqué ce pénalty accordé à l’avant-dernière minute du temps additionnel du match Sénégal-Zibambwé que l’on croyait pourtant parti pour être un nul.

Et puis cela été le clou du spectacle avec ses rideaux qui se baisseront grâce à ce second pénalty qui mettra fin à l’épreuve fatidique des nerfs qu’a été la séance de tirs au but de cette finale. Le malheureux Salah n’aura pas eu le plaisir d'égaler Mané aux tirs au but.

L'attitude de Sadio Mané tout le long de la rencontre Egypte-Sénégal, est la preuve qu'il voulait vraiment de cette coupe-là. Du fond de ses tripes et de son engagement. Même ce penalty raté lors des premières minutes de jeu contre l’Egypte n'entamera pas son moral. Il était là, toujours décontracté, avec ce sourire aux lèvres, mais certainement avec un regret intérieur enfoui, mais toujours et toujours armé de cette hargne et de cette flamme intérieure qui laissaient poindre cette assurance qu’il allait réparer ce tir manqué qui ne devait ni l’abattre et encore moins anéantir ses espoirs de rachat.

Ainsi en a-t-il été ! Il était écrit qu'il devait rater d’abord rater un penalty, avant de délivrer par la suite ce peuple si affamé de coupe d’Afrique, grâce à un autre exécuté avec la même fureur et la même rage, ne laissant aucune chance à l'excellent Gabasky, passé maître dans l’art d’arrêter les pénaltys. Les Égyptiens jubilaient déjà, se prenant pour les maîtres absolus des tirs au but qui leur ont jusqu’ici réussi, après des prolongations si souvent négociées et des anti-jeux manifestes sur fond d’influence des arbitres. Il est vrai que depuis 1984, les Pharaons n’ont jamais perdu aux tirs au but. Voilà l’une des raisons pour lesquelles, beaucoup de Sénégalais craignaient tant cette épreuve. Eh bien, eux, tout comme ces Egyptiens-là, ils se trompaient et lourdement d’ailleurs.

Un vrai cœur de lion que celui planté dans la  poitrine de Sadio Mané ! Il a été de toutes les offensives, de toutes les accélérations, promenant des milieux et défenseurs entiers, leur faisant subir des valses et une danse forcée, sans oublier de leur faire mordre au passage, cette poussière, jusqu'à ce beau but marqué d'une pichenette face au gardien burkinabé. Quel chef d’œuvre que cette action ! D’une banalité déconcertante, donnant l’air de mettre le ballon à droite, alors que Sadio savait bien qu’il allait le faire passer au-dessus de la tête du gardien ! Lorsque la technique, l’art et  le sang-froid sont au rendez-vous… Un titre de meilleur joueur en tout cas pas usurpé du tout.

Mais que penser de cet élan si amical à l'endroit de Salah, son coéquipier de tous les instants à Liverpool ? Et cette accolade aussi chaleureuse qu’émouvante avec le si sympathique et fair-play meneur de troupe que le coach Burkinabé qui promeut à fond la carte des entraineurs locaux ? Mané n’est certes pas ce meneur d’hommes qui harangue ses coéquipiers, mais il sait imprimer ce rythme-là et ces percussions qui indiquent la marche à suivre. L’air de rien. Toujours impassible, humble et modéré, même dans l’euphorie.

Ce sont en tout cas des Lions en chœur qui avaient à cœur de remporter une coupe, que l’on a vu entonner des chants en wolof, bi nationaux ou pas, dans les vestiaires. Il fallait se mettre à l’heure locale.

C’est en effet une sacrée grosse Can qu'a réussi cette équipe menée par un Aliou Cissé bien stoïque, abhorrant les polémiques et débats stériles. Toujours droit dans ses bottes, il nous a servi humblement, à un moment où le jeu des Lions était jugé amorphe, sans fond et rythme, un « je ne suis pas borné » faisant comprendre qu'il avait bien compris le message à lui adressé. Les chuchotements à son oreille ne pouvaient nullement manquer. Ils ne pouvaient pas ne pas faire d'effet. C'est un simple mortel.

Des critiques, il y en a eues. Mais, dans un seul but pourtant, celui de donner un peu plus d’entrain à cette équipe au jeu si poussif, lors du premier tour. Ce n’est donc pas par hasard qu’une montée en puissance des Lions a été relevée par maints observateurs : supporters, journalistes, connaisseurs du ballon rond et anciens coéquipiers. Ils avaient vertement critiqué Cissé, ceux-là, non pas par méchanceté dans la plupart des cas, par souci de lui dire que le Sénégal pouvait vraiment mieux faire avec un tel effectif. Difficile en ces moments-là de réaliser comment il pouvait être autrement avec un effectif aussi pléthorique de talents et d’offrir de telles prestations aussi fades et amorphes ? El Hadji Diouf, Kalidou Fadiga etc pour ne citer que ceux-là, ne voulaient nullement de la place de Cissé, mais plutôt de la coupe. Pour eux. Pour toute leur génération qui était passée si près de l'avoir. La pression, ça a parfois du bon et les critiques  constructives aussi.

A l’heure de la gloire, les scènes de supposées hostilités se transforment vite en scènes de liesse populaire et de communion. Telles ces accolades si intenses et chaleureuses ; ces étreintes si fortes de la part de Fadiga - sans doute aux anges et nourrissant certainement quelques regrets pour des mots quelque peu excessifs à certainement mettre sur le compte de la passion - et dont semblait vouloir visiblement se libérer Aliou Cissé. Fadiga, en extase, présentera même ses excuses au coach pour lui avoir mis la pression. Eh oui, la pression saine, ça fouette les orgueils et ça réveille même les plus introvertis et les plus frileux !

De statut de « El nullo », Aliou est désormais passé au statut de « El tactico » pour avoir  daigné enfin sortir de sa frilosité et de son obsession défensive, tout en opérant ces changements ô combien salutaires pour la suite. Il était tellement défensif dans ses options pour le défenseur chevronné qu'il a toujours été. Les analystes et les commentateurs les plus hostiles d’antan, ne tarissent plus d'éloges pour lui. Ils retournent désormais leurs vestes, évoquant tour à tour ces titulaires absents, ces raisons à lier au covid et ces matches programmés à 13 heures, tout juste pour dédouaner l’incurie d’Aliou en début de compétition.

Elle est belle la victoire ! Mais il y avait en même temps de quoi s’étrangler ! La vérité est que le jeu était vraiment poussif. Pas si terrible que cela avec beaucoup d’approximations et d’imprécisions au début. Surtout que beaucoup d'équipes dans cette Can étaient juste d’un niveau bien moyen dans leur jeu, mais ô combien déterminées.

Aliou Cissé a écouté les critiques et ajusté son jeu au fur et à mesure qu’il retrouvait ses joueurs titulaires. Mais certainement pas dans une grande forme. Coulibaly, Gana Guèye ou encore Cheikhou Kouyaté ont fait des prestations en dents de scie. Mais à la fin, ces changements opérés lui ont souri. Il est devenu le meilleur entraîneur d’Afrique, et son équipe a raflé les titres de « meilleur gardien », « meilleur latéral gauche », « meilleur joueur »  et évidemment de « meilleure équipe ».  De quoi lui tresser de gros lauriers ! Des lauriers à la hauteur de ses rastas. Des vrais ! Dévoilés par cette casquette arrachée par ce supporter et qui l’a bien fait sourire avant qu’il ne décide à poursuive son chemin. Un jour de victoire, tout est permis.

Mais quel coup de cœur pour cet Abdou Diallo qui a si souvent poussé de bons et grands coups de gueule pour baisser cette euphorie carnassière des Lions ! A entendre son témoignage et son histoire d’amour avec le Sénégal qui naissait au fur et à mesure que ses préjugées franco-français s’estompaient, l’on a senti un jeune lion affamé qui en voulait. Ses prestations l'ont prouvé à souhait. Ah s’il avait connu le Sénégal avant, ce cher Abdou ? Il kiffe désormais grave son pays qu’il a découvert avec les Lions.

N'oublions pas aussi Seyni Dieng, ce gardien qui avait suscité des craintes avant que d’aucuns ne se demandent s’il ne devait pas rester dans les cages, malgré le retour de Mendy. Il avait assuré ce parfait inconnu aux yeux des Sénégalais. Il n’a encaissé aucun but et a sauvé la mise à l’équipe nationale à plusieurs reprises.

Énorme, Saliou Ciss l’a bien été avec ses montées tout aussi énormes. Bouna Sarr aussi, malgré ce penalty raté, a été de toutes les actions. Infatigable, travailleur acharné, les Sénégalais ne lui en tiendront pas rigueur. Toujours concentré, le jeune homme ! Que dire d’Ismaila Sarr ? Le très technique. Qui, malgré son retour de blessure, a été d’un très grand apport dans le jeu des Lions. Et ce jeune Bamba Dieng, imperturbable lors de cette séance de tirs au but ; l'homme aux frappes bien lourdes et redoutables. Des coups de tête, il sait aussi en donner. Il est très prometteur et va devenir ce redoutable avant-centre dans les années à venir. Sacré Nampalys, le turbo à l’œil ensanglanté, mais ô combien vaillant, calme et efficace. Macky Sall lui aura même demandé des nouvelles de cet œil que tout le monde aura remarqué.

Edouard Mendy, lui, n’a fait que confirmer son statut, impérial qu’il a été dans les buts, sauvant le Sénégal de ce pénalty salutaire et de ce tir bien vicieux de Salah qui a tenté de lui jouer un sale tour.

Bref, on a eu affaire à des Lions très motivés qui ont fait honneur à Aliou Cissé qui a, à son tour, fait honneur au Sénégal.

Une équipe certainement pas parfaite, en construction, mais qui gagnerait davantage à se trouver un vrai animateur capable d'être un tampon entre un milieu bien trop défensif et une attaque qui a peiné à recevoir des ballons. De quoi nourrir encore des espoirs en attendant de rencontrer à nouveau les pharaons, en vue des qualifications de la coupe du monde.

L'accueil des lions et l'apothéose qui en a résulté, prouve que les Sénégalais avaient soif de victoire. Cette délivrance a rendu à ce peuple, sa fierté de nation football à l’instar des prédécesseurs : feu Pape Bouba Diop, Jules Français Bocandé et ce coach Bruno Metsu qui nous a fait à un moment rêver ; le Sénégal des Oumar Guèye Sène, Thierno Youm, Mamadou Teuw, Roger Mendy, Pape Fall, Racine Kane, Boubacar Sarr Locotte etc qui avait fait plier les Egyptiens à domicile, lors d’un match d’ouverture en 1986. La vérité est que le Sénégal menait une course effrénée derrière cette coupe depuis 50 ans. Et l’accueil réservé aux Lions a été tout simplement majestueux mais ô combien interminable. Ils devaient en avoir marre ces pauvres lions de cette marée humaine qui s’étendait à perte de vue !

Le sport, reconnaissons-le, a cette magie, celle de réunir d’autres gladiateurs d’une autre arène, le temps des célébrations et de la cohésion nationale qui reste ce grand fantasme et cette litanie de belles paroles. Les politiques eux aussi, ont leur talent, celui de savoir récupérer les évènements et de fantasmer sur des supposées communions nationales qui n'existent que dans leurs calculs. L'on a par exemple vu Macky Sall, Idrissa Seck et Déthié Fall en pleine conciliabule. Que devaient-ils bien se dire ?  Avec les politiciens et ces tchatcheurs de sénégalais, rien n'est à écarter. L’on a vu Bougane, Khalifa Sall, Bamba Fall, Abdoul Mbaye, Barthélémy Dias, Mamadou Lamine Diallo, Aïssata Tall Sall et bien d’autres. A l’heure de la récupération politique…  et des retrouvailles entre Khalifa et Aïssata Tall ; d’Idrissa Seck et Déthié ; de Macky Sall et Abdoul Mbaye…

Bref, une apothéose en tout cas jamais vue sous nos cieux, mais qui ne doit pas faire oublier que la Fédération sénégalaise de Football (FSF) a du pain sur la planche. Elle doit surtout prendre l'option de la professionnalisation de la gestion de l'image des lions embourbée dans un amateurisme et une improvisation permanents. Elle n'était pas du tout au rendez-vous, ainsi que l'attestent ces nombreux maillots confectionnés pour l'occasion, dans un désordre avec des couleurs et styles si différents les uns des autres. Un sacré bordel qui n’a fait que les affaires des commerçants Sénégalais et chinois qui ont su anticiper avec des goodies, tels que les drapelets, les serre-poignets, écharpes, foulards et autres. De même à regarder ce bus avec ces barrières si peu élevées et pas sûres du tout, beaucoup ont dû se demander où ils devaient bien avoir la tête ces fédéraux en laissant des Lions sans doute euphoriques, monter dessus ! Une vraie incurie à laquelle les Sénégalais commencent à bien s’habituer.

Sacré Augustin, on espère qu'il sorte enfin de sa torpeur et prenne les choses en main. Surtout avec ces cœurs de Lions qu’on a découvert et qui nous ont permis de célébrer cette brillante victoire en chœur. Ils méritent bien ces standards internationaux auxquels, ils sont si habitués. Les couacs d'Air Sénégal, eux, les Sénégalais commencent bien à s'y habituer. Inutile de les évoquer.