NETTALI.COM - Elle avait commencé depuis le 10 juillet dernier, elle prend fin, ce vendredi 29 Juillet à minuit. Elle a dû en tout cas être bien dure cette campagne des législatives ! Surtout pour les leaders des grands partis qui ont dû parcourir des milliers de kilomètres afin d’apporter quelque caution à leurs têtes de listes départementales. Parcourir des centaines de kilomètres, avant d’arriver dans une localité et devoir, par la suite, composer avec les bains de foule, en roulant à pas de tortue. Il faut en tout cas être solide physiquement.

Mais au fond, le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? C’est en effet connu sous nos cieux qu’il y a trop peu d’acteurs qui agissent par idéalisme, altruisme et patriotisme dans le monde de la politique. Il est dans beaucoup de cas, question d’investissements personnels pour tirer des dividendes ultérieures, avec à la clef une logique de jouissance. Même les hommes d’affaires s’y mettent, jouant parfois sur plusieurs tableaux avec l’objectif de pérenniser leur business. La politique est ainsi faite sous nos cieux, il faut l’aimer avec ses avantages et ses inconvénients, ou ne pas s’y frotter du tout.

C’est aussi un fait, disons même une obligation. La politique demande pour tout acteur déterminé, un investissement en temps et en énergie car elle s’accommode désormais de la rencontre avec les populations, jusque dans le Sénégal des profondeurs. Et la jurisprudence Macky Sall est là pour nous prouver à quel point cela est devenu une condition sine qua non pour faire bonne figure à l’issue de la course.

Des périples qui ne se font toutefois pas sans espèces sonnantes et trébuchantes. A voir tous ces cortèges avec des camions, sonos à l’appui, brandés de bâches, ces foules à majorité composées de bonnes femmes mobilisées à coups de perdiems, habillées de t-shirt, casquettes, polos, écharpes et toutes ces 4x4 et 8 x 8 et V8, grandes dévoreuses de carburant devant l’éternel, il y a de quoi se demander où ces politiciens ont pu trouver ce fric monstrueux.

Pour la coalition présidentielle, les moyens de l’Etat sont passés par là : son carburant, ses deniers etc. Tous ces ministres, DG, conseillers et autres directeurs dans les ministères, etc ont dû mettre la main à la poche. Ils doivent en tout cas être riches comme crésus pour pouvoir s’offrir le luxe d’entretenir toutes ces caravanes et ce faste, si ce n’est la caisse du parti qui régale.

Même constat côté opposition, de généreux donateurs sont de la partie, certainement des entrepreneurs ou hommes d’affaires qui investissent pour le futur. Sans oublier la diaspora pour certains partis et les cotisations des membres.

Bref, un univers du financement des partis politiques bien opaque, même si le ministère de l’intérieur veille. Les dépenses de campagne ne sont pas plafonnées comme en France, raison pour laquelle les moins riches disparaissent du paysage. Il y a en tout cas du chemin à faire pour cette démocratie tropicale dont certains Sénégalais aiment tant se vanter, mais qui ne remplit plus beaucoup de conditions pour être érigée au rang de démocratie majeure. Elle a beaucoup régressé, c’est certain.

La campagne des législatives est partout. Au grand dam des médias qui doivent déployer des efforts monumentaux pour respecter les temps de parole de chaque parti ou coalition et aussi couvrir de manière équitable tous les candidats. Une occasion que n’a d’ailleurs pas raté Ousmane Sonko pour snober le micro de la RTS. Cette chaîne publique qui a si souvent fait preuve d’ostracisme vis-à-vis des opposants. Une affaire qui a évidemment suscité beaucoup de polémiques. La vérité est que le leader de Pastef ne rate jamais l’occasion de faire parler de lui. Tout se passe en effet comme si sa stratégie consistait à garder l’initiative en toutes circonstances et à focaliser le débat sur lui. C’est de bonne guerre, diront certains. Il y en a pourtant pour trouver qu’il parle trop. Mais sa cote de popularité n’en décroit pas pour autant, au regard des foules impressionnantes qu’il draine. Il suscite de la curiosité et est le chouchou des jeunes.

Et il y en a eu même côté pouvoir pour dire que ce ne sont pas ces foules-là qui votent. Mais qu’ils se détrompent car les locales sont là pour prouver la percée de Yeewi Askan Wi dans les grandes villes.  De même que le parti au pouvoir a l’habitude de drainer du monde avec une capacité de mobilisation qui n’est plus à démontrer, malgré ce qu’on peut en penser en termes de motivation des personnes qui composent les caravanes.

La Rts a en tout cas suffisamment prouvé qu’elle roulait pour le pouvoir en place, ne laissant pas la moindre fenêtre à l’opposition qui n’obtient que ces rares occasions pour apparaître sur la chaîne publique pourtant financée par les deniers des Sénégalais.

Continuité vs Cohabitation

Mais qu’est-ce que le débat est indigent et pauvre ! Accusations et réactions. Dans le cas de Benno, la coalition du président, elle s’est contentée de vendre ses réalisations et montre par-là même que la prochaine législature va s’inscrire dans la continuité. Une manière de dire que les députés vont voter les budgets dans le but de permettre à leur leader de poursuivre ses chantiers. Difficile de comprendre qu’on ne veuille pas du tout s’inscrire dans une logique de rupture, tant la législature passée a été désastreuse en termes d’images et de contenus avec ses histoires de députés accusés de trafic faux billets, sans oublier d’autres emprisonnés pour des affaires de trafic de passeports diplomatiques. Le comble, ce sont les pugilats, invectives et un débat au ras de pâquerettes. Ils ne veulent décidément pas changer ceux-là. Ils veulent demeurer des députés de Macky Sall et non ceux du peuple. Mais rien d’étonnant au regard du mode de scrutin et de la liste dressée par le président himself.

Pendant ce temps, l’opposition veut expérimenter la cohabitation. Et le discours est focus sur ce sujet et a lieu sur fond de critiques virulentes contre la gouvernance de Macky Sall. Elle veut lutter contre la vie chère et mieux représenter les Sénégalais à l’hémicycle.

Rien en tout cas de bien croustillant à se mettre sous la dent. Si ce ne sont pas des invectives, ce sont des discours accusateurs de détournement, de gabegie, de népotisme et autres. Bref tout cela est le fruit d’un face à face très crispé noté dans le processus électoral et ces manifestations suivies d’emprisonnement de membres de l’opposition, sans oublier cette décision controversée du conseil constitutionnel relative aux titulaires de YAW et les suppléants de Benno recalés et que bon nombre de juristes ont décriée.

L’on peut aussi souligner ces troubles fêtes tels que Bougane Guèye Dany qui a battu campagne contre Benno, alors qu’il est recalé lors des parrainages. Sacré Bougane, il est décidément malheureux. Ses affiches dans la rue appellent purement et simplement à voter pour l’opposition. Arrivé 2ème aux locales à Keur Massar, une sacrée prouesse, Amadou Ly, le novice en politique, ne donne pas de consignes de vote, mais annonce lors d’une conférence de presse que son mouvement « Yessal Keur Massar » va devenir « Yessal Sénégal » et prend date pour la présidentielle où il sera candidat en 2024.

 Une des lueurs dans cette campagne, - heureusement qu’il y en a eue -, c’est ce débat fécond qui a eu lieu entre Victorine  Ndèye, la tête de liste de Benno Book Yaakaar à Ziguinchor, et l’opposant Guy Marius Sagna, dans un média local de Ziguinchor, le Groupe Médias du Sud (GMS). Un type de débat qui s’est déroulé dans une ambiance bon enfant et courtois. Un fait assez rare pour être salué dans un contexte politique où dominent le débat musclé, les insultes et dénigrement.

La déception, c’est le débat lancé que certains attendaient et qui n’a finalement pas eu lieu. La faute à Aminata Touré qui a posé certaines conditions qu’elle savait d’emblée inacceptable d’avance. Une manière sans doute de fuir la confrontation avec Ousmane Sonko.

Une autre lueur dans cette campagne, c’est cette image de la rencontre entre Abdourahmane Diouf et Ousmane Sonko, suivie d’accolades bien chaleureuses. Émouvante était cette scène. Euphorie et fraternisation qui ont toutefois été de courte durée puisque Diouf a fait savoir que Sonko a cassé ce pacte d’amitié, après qu’il a accusé sa coalition « Aar Sénégal » de rouler pour Macky.

Des accusations qui ont valu à Sonko, un tir groupé et des propos acerbes, traité qu’il a été de menteur par Thierno Bocoum et compagnie. De l’électricité dans l’air. De quoi attiser des rancœurs entre deux partis d’opposition que des observateurs voyaient tirer comme un seul homme sur un adversaire commun qu’est le parti au pouvoir. Mais il convient tout de même de souligner que Thierno Alassane  Sall a été si souvent critique contre certaines postures de Macky Sall et de son régime, notamment l’histoire du fameux contrat de Total qu’il a refusé de signer et qui a d’ailleurs acté leur séparation. Abdourahmane Diouf aussi a beaucoup critiqué certains contrats conclus tels que celui du Ter, sans oublier les problèmes de bonne gouvernance imputables au régime de Sall. De même que Thierno Bocoum, cet ancien député. Sacré Sonko, un bon petit provocateur. Il a décidément fâché Aar Sénégal.

Une surprise de taille, c’est la transformation de taille subie par l’ancienne PM. Plus connue pour ses propos acerbes, elle en a évidemment envoyés, mais elle a aussi affiché un visage radieux dans cette campagne. Joyeuse, accessible, provocatrice, ironique, elle a apporté un vrai cachet populaire à la campagne de la coalition Benno Bokk Yaakaar. Faisant même débat tantôt sur les réseaux sociaux, suite à ses pas de danse.

Elle s’est en tout cas montrée très en verve, la tête de liste de Benno. Elle qui avait, un moment, boudé le « Macky », suite à sa prise de position contre un 3ème mandat de Macky Sall, avant de rentrer à nouveau dans les rangs. On l’a même vue en compagnie de son ex-mari à Dagana, l’appelant ainsi « baayu Dior », du nom de leur fille qu’ils ont eue ensemble. Aminata Touré, c’est aussi celle-là, figurez-vous, en tant que ministre de la justice qui était en charge du dossier de la traque des biens supposés mal acquis. L’on se rappelle des 25 dignitaires du régime libéral cités et parmi ceux-là, figurait Oumar Sarr. Elle était même à l’époque accusée de s’acharner contre lui et certains s’en étaient même émus au regard de leur vécu conjugal ! Sacrés politiciens, de vrais caméléons On les a vus dans une parfaite communion et tout sucre, tout miel.

Un invité surprise dans cette campagne des législatives, c’est Me Abdoulaye Wade dont l’arrivée à Dakar a finalement eu lieu ce vendredi 29 juillet. Soit un jour avant la date initiale prévue. Il craignant en effet que son arrivée à Dakar, le samedi 30 juillet, ne prolonge la campagne électorale au-delà du délai fixé au vendredi 29 à minuit. Dix après son départ du pouvoir, Me Wade est toujours resté cette grande attraction. En 2017, lors des élections législatives, il avait totalement bouleversé la campagne électorale en y participant de manière active. Cette fois, la situation est bien différente. La tête de file du PDS n’a pas battu campagne, sa coalition s’est alliée avec l’opposition politique bien plus forte qu’en juillet 2017 et avec la 2ème force du pays YAW. Cette dernière est favorite dans certaines grandes villes du pays qu’elle a gagnées lors des élections départementales et municipales de janvier 2022.

Une campagne qui a aussi son côté honteux avec ses transhumants qui ont migré vers les vertes prairies du pouvoir. C’est désormais une des caractéristiques de la politique sous nos cieux avec des opposants qui se laissent facilement appâter contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Le prétexte le plus courant est d’afficher sa frustration.

Du côté de l’opposition même si Mary Teuw Niane n’a pas encore rejoint Yewwi, sa consigne de voter en faveur de cette dernière, laisse penser qu’il va y larguer ses amarres. Cela faisait longtemps qu’il jetait du sable dans le couscous marron beige, tout en étant à l’intérieur. Il a, en toute logique, démissionné de son poste de Président du Conseil d’Administration de Petrosen.

A l’heure des calculs et des alliances

Des législatives qui sont en tout cas partis pour être âprement disputés. Les locales ont montré que Macky Sall est fort dans le Sénégal des profondeurs, là où « Yeewi Askan Wi », la deuxième force de l’opposition a opéré une percée dans les grandes villes. Un enseignement est qu’aussi beaucoup de mairies ont été arrachées du fait d’un vent Yewwi favorable sans que les candidats soient vraiment connus des électeurs. Un fait à ne point négliger. La question est dès lors de savoir quelle sera l’attitude des électeurs vis-à-vis des suppléants de la coalition. Vont-ils bénéficier des souffles du même vent favorable ? Une bonne question. L’autre équation va être de voir comment éviter une possible confusion entre zones où il faudra voter Yewwi ou Wallu

En parcourant les résultats des dernières élections territoriales, la mouvance présidentielle pourrait avoir du souci à se faire dans la plupart des grandes villes. Mais pour cela, le report de voix au sein de l’inter-coalition « Yewwi Askan Wi » - Wallu devra fonctionner à plein régime. Dans le département de Thiès par exemple, si l’on se réfère aux résultats des locales, l’on se rendra compte que « Benno Bokk Yaakaar » totalise 69 896 voix, contre 68 297 pour la coalition Yewwi Askan Wi. La Grande coalition Wallu Senegal, portée par le Parti démocratique sénégalais, était arrivée 3ème avec plus de 36 500 voix dans le département. Ce qui fait dire que si le report joue, il y a de forte chance que Thiès bascule dans le giron de l’opposition. Toutefois, la présence de la liste Aar Sénégal dont la tête de liste (Thierno Alassane Sall) habite le département pourrait provoquer une dislocation des voix, en plus du non-respect des consignes par les électeurs.

Le département de Saint-Louis où BBY n’a pu obtenir une majorité absolue, lors des élections territoriales, pourrait valoir des sueurs froides à la coalition présidentielle.  En effet avec l’appel à voter du professeur Mary Teuw Niane à l’inter-coalition YAW Wallu, le beau-frère du Président de la République a bien du souci à se faire. En revanche, dans le reste de la région de Saint-Louis, à Podor et à Dagana, les jeux semblent déjà faits à moins d’un retournement de situation extraordinaire. Il en est de même pour Mbour et Tivaouane dans la région de Thiès.

Dans le département de Kaolack, Benno Bokk Yaakaar après sa débâcle aux locales, devrait pouvoir tirer son épingle du jeu, surtout après la défection de Serigne Mboup recalé aux parrainages. Dans tous les cas, les 51 252 électeurs qui avaient voté pour lui pourraient être la clé de ces présentes joutes. La coalition Yewwi Askan Wi n’avait pu faire mieux que 19 880 voix.

A Ziguinchor, Sonko et Yewwi Askan Wi sont partis pour rééditer leur coup des locales, si l’on sait que Benno et ses alliés comme Abdoulaye Baldé y conservent toujours des réserves de voix assez importantes ; l’unité retrouvée dans leur rang peut aussi jouer. En effet, aux dernières locales, UCS et BBY avaient engrangé plus de 27 000 voix contre 32 000 pour YAW.

Un département qui sera certainement difficile à conquérir pour la majorité, c’est la capitale Dakar. Avec 173 628 voix contre 81 015 pour BBY, et où Wallu n’a pas obtenu plus de 15 000 voix, une remontada est loin d’être évidente.

Idem dans le département de Keur Massar où YAW s’était aussi imposée avec 42 344 contre 25 688 pour BBY. Les listes Gueum sa Bopp et UCB étaient arrivées 3e et 4e avec plus de 10 000 voix chacune. Wallu fermait le peloton de tête avec plus de 8 000 voix.

Au niveau de la banlieue proche et éloignée, les départements les plus incertains restent Pikine et Rufisque avec leurs scores très serrés, lors des Locales. A Pikine, BBY était sortie victorieuse avec seulement 48 242 contre 46 336 pour Wallu. En l’absence de la liste YAW, Gueum sa bopp avait pu obtenir plus de 27 000 voix, « La République des valeurs », 11 602. Ce qui signifie que rien n’est joué dans ce département.

Il en est de même du département de Rufisque, remporté haut la main par l’opposition. YAW et Wallu font un total de plus de 70 000 voix contre moins de 49 000 pour BBY.  Dans le département de Guédiawaye remportée par YAW avec 35 143, contre 29 674 pour BBY ; 6581 pour Wallu. A l’instar du département de Dakar, à Mbacké également, il n’y a presque pas de combat. Le cumul de YAW et Wallu fait plus de 60 000 contre 28000 pour BBY.

Difficile aussi d’évaluer les chances de la coalition « Aar Sénégal » dont on ne sait pas ce qu’elle pèse réellement. De même que le jeune journaliste Pape Djibril Fall ou encore un candidat comme Cheikh Alassane Sène qui a été la grande surprise de ces législatives pour avoir passé l’étape des parrainages.

Les législatives seront sans doute ce moment de tests importants qui permettra de définitivement jauger les forces en présence, en attendant la présidentielle pour laquelle certaines coalitions ne seront peut-être plus d’actualité.