NETTALI.COM - A voir ces salariés de La Poste se faire réprimer aussi sévèrement, alors qu’ils ne faisaient que tenir un sit-in devant leur lieu de travail, il y a de quoi s’émouvoir. Au regard d'un spectacle aussi déprimant, c’est la posture du président Sall vis-à-vis de cette entreprise, qui est sans aucun doute, à interroger. Il a démis Ciré Dia, nommé Abdoulaye Bibi Baldé, puis limogé ce dernier pour nommer un inspecteur des impôts à sa place. Des changements qui commencent à se multiplier.  Mais est-ce vraiment cela, la clef du problème ? A la vérité, le mal est beaucoup plus profond qu’il ne paraît. 

La très scandaleuse gestion de La Poste, les médias en ont fait leurs choux gras, la semaine dernière. Ils ont surtout relevé le limogeage de Bibi Baldé, vécu comme une délivrance pour la grande majorité des postiers, sa gestion n'ayant pas apporté grand-chose. Les journaux ont aussi rappelé le déficit abyssal laissé par Ciré Dia, mais aussi et surtout relevé le désarroi dans lequel sont plongés les très nombreux travailleurs de l'institution, inquiets pour leur avenir.

La Poste, c’est cette entreprise qui aurait pourtant pu être la première banque du Sénégal, la première entreprise de livraison et la 1ère entreprise de transfert d’argent. Bref, un bon premier de la classe ! Le signe que l’institution a raté plusieurs rendez-vous. Et pourtant des entreprises de même vocation Outre-Atlantique, telle que la Poste française et la Deutsche Bundespost (la poste allemande) avaient annoncé la couleur de la mutation du secteur en opérant des évolutions dans le sens de s'adapter à un monde qui bouge sans cesse. Au Sénégal, La Poste s’est arrêtée indifférente aux souffles nouveaux, refusant de voir que le monde changeait autour d'elle, ignorant que le courrier électronique, la signature électronique, la livraison rapide, le transfert instantané, existent désormais.

Ce qui est en réalité en cause dans le cas de cette entreprise publique, ce n’est pas seulement le refus du progrès. La Poste sénégalaise est victime de son management clairement pas à niveau, frappée qu'elle est par un manque de vision et de compétence. Une société victime surtout de sa gestion chaotique, du népotisme et du clientélisme politique, aggravés par la prévarication des ressources.

Elle en est même arrivée, figurez-vous, à appliquer dans des localités comme Dakar et Thiès où les effectifs pléthoriques sont plus notables, un système de rotation par brigade dans lequel les équipes alternent,  façon double flux à l’école du temps de feu Iba Der. Voilà où elle en est.

Le comble, c’est le fait que des prestaires ou des particuliers aient pu contracter des prêts, moyennant des garanties douteuses et dans des conditions totalement opaques. A voir certains défiler chez le juge pour entreprendre une médiation pénale ou emprunter le chemin de Rebeuss, faute de pouvoir rembourser, il y a de quoi s’indigner et se demander comment tout cela a pu être possible. Comment a-t-on pu laisser faire ?

Le DG Ciré Dia a lui remporté la palme d’or des critiques. Sur les réseaux sociaux et dans les médias, elles se sont abattues sur lui, tel un ouragan. Il est vu comme l’artisan de cette hécatombe managériale et sociale ; et Macky Sall, celui qui l’a laissé faire. Pour les syndicalistes, il est celui qui a ruiné la boîte en recrutant une clientèle politique énorme parmi laquelle celle issue de Thiès, son fief, sans oublier cette ardoise de l’ordre de centaines de milliards laissée.

Déjà en 2018, lors d’une conférence de presse tenue par l’amicale des diplômés des écoles des postes (ADEP), Abdou Ndiaye son président avait dénoncé la « mauvaise gestion » de Ciré Dia avant de se voir relevé de ses fonctions de receveur des postes. En effet, soutenait-il, « d’un encours représentant une dette  de 150 milliards de francs Cfa que l’entreprise doit au trésor public » ; d’autres parlent de 180 milliards après que Ciré Dia a « hérité d’un matelas financier de 60 milliards ».

Que lui est-il arrivé ? Rien, sinon que Ciré Dia a été limogé avant d’être tranquillement bombardé président du Conseil d’Administration de la Lonase. L’acte s’est déroulé sans gêne. La question légitime est dès lors de se demander comment Ciré Dia peut contrôler la Lonase, dont la gestion a été aussi décriée ? Une nomination au poste de Ciré Dia qui s'apparente à celle de Phillipe Bohn d'Air Sénégal, bombardé lui aussi au Conseil d'Administration de la compagnie aérienne après avoir été éjecté de la direction générale. Son directeur de la stratégie, le français Jérôme Maillet dans l'équipe Bohn, avec qui selon certains médias, il a par la suite créé une société de courtage d'avions à Dubaï, est redevenu le directeur de la stratégie et des finances de l'actuelle gestion sous Alioune Badara Fall, ce pilote nommé à la tête de la compagnie. Difficile d'ailleurs de savoir si parce qu'on est pilote, on est forcément un bon manager ? Une bonne question. Toujours est-il que le nouveau DG a fermé des lignes telles que Baltimore et la côtière (ligne Cotonou, Libreville, Douala) sur laquelle des journaux ont annoncé une perte de 10 milliards. Logique dira-t-on, mais c'est le signe qu'on ne réfléchit pas assez avant de prendre certaines décisions. Un acte tel que fermer une ligne renvoie forcément une mauvaise image.  Difficile dès lors de savoir la logique qui se cache derrière les nominations du président Sall. Une logique que la logique même ignore !

Aujourd’hui, c’est en tout cas l’impunité à tous les étages. Le seul crime dont peuvent être coupables le gestionnaire du public, qu’il soit ministre ou DG, c’est celui de ne pas avoir assez défendu le président et de n’avoir pas gagné dans son fief. Sur le plan de la gestion, ce sera toujours du « circulez, il n’y a rien à voir. »

Le départ de l’impunité, Macky Sall l’a donné lorsqu’il a déclaré avoir mis sous le coude les dossiers ayant épinglé bon nombre de dignitaires du régime libéral. Mais aussi quand il a stoppé la reddition des comptes. Aujourd’hui Oumar Sarr, Abdoulaye Baldé, etc ont été recyclés par Macky Sall : l’un est ministre des mines, le second est DG de l’Apix. Bref c’est le PDS même qui est vidé de sa substance. Bref, un PDS sans Me Wade !

Changer de paradigme managérial

Sous l’ère Macky, c’est devenu un véritable problème que le choix des managers du public. Et pourtant n'importe qui ne devrait pas pouvoir être manager. Même avoir un diplôme ne devrait pas être un critère suffisant. De la même façon l’on devrait faire attention à ces techniciens et ingénieurs qu’on pense forcément être de bons managers. De même l'on ne peut nullement s’improviser manager. Mais avec Macky Sall, les nominations semblent n’être fondées que sur une logique politicienne : aller sur le terrain et récolter des dividendes politiques. Quels signaux adresse-t-on dès lors, lorsqu’on ne donne que comme seule obligation de résultats, celui de gagner en politique ? Rien d’autre si ce n’est un permis de gabegie. Tout simplement. Et les cas d'incurie et de dérives dans la gestion, sont nombreux.

La Senelec est par exemple sur une pente dangereuse et le retour des délestages n'augure rien de bon. De même que les black-out ou coupures générales d'électricité. Le pire est que ces phénomènes viennent se greffer à des tensions aiguës de trésorerie qui sont loin d'avoir une explication logique. Que des entreprises publiques doivent de l'argent à la Senelec par exemple, n'est pas un phénomène nouveau ; qu'on veuille l'utiliser comme argument pour justifier les délestages, n'est à la vérité qu'une volonté de masquer une défaillance dans la planification de l'énergie.

Les récentes sorties des deux syndicats les plus puissants de Senelec ne sont pas de nature à rassurer. Ceux-là ont par exemple dénoncé "l'achat de deux immeubles à 10 milliards, le népotisme en cours, l'érection d'une fondation financée sur fonds propres et confiée à des affidés, le recrutement d'anciens directeurs ayant trouvé des planques juteuses avec des contrats spéciaux, les discriminations de tout ordre, les règlements de comptes, les mutations arbitraires, les promotions sur des bases parentales et ou régionalistes, le recrutement massif de militants, sympathisants et recommandés, la promotion interne, sujette à moult manipulations avec des concours internes de façades dont les résultats sont acceptés ou annulées selon le sort des candidats préalablement ciblés, etc» . Bref les mêmes tares que toutes les boites publiques que l'on voit partout.

Dans le cas du Port autonome de Dakar, Ababacar Sadikh Bèye a été par exemple Directeur Général. Et malgré les chiffres qu’il a toujours brandis pour afficher ses résultats pour ne pas dire sa bonne gestion, la récente rencontre initiée par le président contre la vie chère, a dévoilé les tares de sa gestion. Les critiques sévères à lui adressées par les importateurs et autres, sont révélatrices d’un manque de vision et de stratégie claires dans son management. Comment un port sans cesse congestionné, source de surestaries impactant gravement les prix des produits, peut-il être performant ? Surtout dans un contexte où des ports de la sous-région se positionnent comme de vrais concurrents au Port de Dakar !

Ce n'est donc nullement un hasard si le premier acte posé par Mountaga Sy a été de décongestionner le port sur 5 hectares. Un désencombrement fortement médiatisé qui a permis de tout de suite révélé l’inaction de l’ancien DG. Mais paradoxe, Sadikh Bèye est renvoyé à l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (Ansd), d’où il était venu. Il faut bien le consoler et ne pas donner l'impression de la sanctionner. Avec Macky Sall, certains intouchables changent juste de poste et la vie continue.

Comment de même concevoir qu'un Modou Diagne Fada qui n’avait jamais connu le monde de l’entreprise auparavant, puisse se voir du jour au lendemain, confier les destinées de la Sonacos ? Cette société aussi stratégique pour le Sénégal, grand pays de culture d’arachide. Rappelons quand même sa première expérience, a été d’être ministre après avoir milité dans les jeunesses libérales.

Ce qui gangrène à la vérité les sociétés publiques, ce sont en premier lieu les recrutements clientélistes. Dans celles-ci, se recomposent des familles entières, voire des employés appartenant à une famille politique donnée ou affiliées à un DG qui y a recruté en masse. Il suffit dès lors que ce dernier soit limogé pour  que son successeur fasse l'objet d'attaques de la part des partisans du premier. C’est le cas dans une société telle que Dakar Dem Dikk où les anciennes recrues de Me Moussa Diop, ont eu souvent maille à partir avec Oumar Boun Khatab Sylla, le Dg récemment démis. La preuve, ces entreprises publiques sont difficilement gérables et il y est quasiment impossible de gérer l’information qui se retrouve bien souvent dans la rue ou sur les réseaux sociaux.

Dans le cas de La poste, il serait bien pessimiste de prédire qu’elle ne renaîtra pas de ses cendres, mais le fait est qu’elle a déjà raté beaucoup de virages. Une solution s’impose dès lors, celle de recapitaliser, de réduire les effectifs et d’opérer des mutations. Mais peut-on continuellement passer du temps à recapitaliser les sociétés publiques sur le dos du contribuable et en laissant les mauvaises gestions se perpétuer ? Les pays normaux cherchent à encourager une tradition de grands managers du public. Ce qui est hélas loin d’être le cas sous nos cieux.