NETTALI.COM - Pour une sortie, celle de Macky Sall sur France 24 et RFI, mercredi 8 décembre, a été largement relayée par les sites d’informations, la radio et la presse écrite. Aussi, le président Sall, a-t-il profité  de cette tribune pour embrasser plusieurs sujets politiques. Un moment fort de communication, vu comme une couche de plus sur ses nombreuses manœuvres.  

Le sujet du 3ème mandat qu’il ne voulait pas alimenter, s’est invité dans ce débat. Et il ne pouvait échapper à cette question face à des journalistes français connus pour leur liberté de ton bien particulier lorsqu’ils s’adressent à la plupart des présidents africains. Une même posture que l’on acceptera difficilement aux journalistes de la presse locale qui se font souvent balader, lorsqu’ils ne font pas face à une certaine omerta. L'on se rappelle en effet de cette déclaration suivie d’interview chaotique de fin d'année passée, aussi bien du point de vue du traitement qui avait été infligé aux médias que de la manière dont les interviewers étaient triés sur le volet. Il y a également cette menace de plainte en direct de Mansour Faye vis-à-vis de Babacar Fall lors d’un « Grand Jury »

Invité conjointement sur les antennes de RFI et France 24, le président de la république, comme à son habitude, sur le sujet 3ème mandat qui fâche, a fait dans le clair-obscur en répondant aux questions et relances des journalistes, qu’il ne posera jamais « un acte qui soit anti-démocratique ou anti-constitutionnel ». Ajoutant au passage qu’il traitera la question « en temps voulu et que « les Sénégalais seront édifiés. »

Il ne s’ est pas arrêté là puisqu’il a aussi expliqué que « le ni oui, ni non », doit être compris ainsi qu’il l’a expliqué aux journalistes sénégalais : «  je ne veux pas répondre parce que si je dis : je veux être candidat, le débat va enfler. On ne va plus travailler. Y aura de la matière pour les spécialistes de l’agitation et de la manipulation. Si je dis non, dans mon propre camp, les gens ne travailleront plus non plus. Tout le monde sera dans une dynamique de se préparer pour l’élection. Or, moi j’ai un mandat à exercer. Le peuple m’a confié un mandat. Je dois travailler pour le Sénégal. Donc, je ne peux pas à trois ans, quatre ans de l’échéance satisfaire simplement la curiosité de ceux qui n’ont de centre d’intérêt que l’élection. Ils attendront le moment que j’ai choisi”. Difficile de savoir ce qui a changé avec « le ni oui, ni non » ? Sinon que le débat n’a jamais été aussi passionné, toutes les occasions étant saisies par la presse le pour relancer.

A l’émission « 90 minutes Chronos » sur la Sen TV de ce jeudi 9 décembre, « fou malade » est d'avis qu'un 3eme mandat pourrait être la cause de violences. Chérif Dia de la Tfm, au cours de la matinale de ce même jour, a pensé que le débat est clos, balançant tout de go cette phrase  : « la durée du mandat est de 5 ans et nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs ».

Un son de cloche toutefois différent, c’est celui de Boubacar Ba du Forum du justiciable, présent à la même émission sur Sen TV. Pour le membre de la société civile, il n'est pas question d'épiloguer sur la question puisque selon lui, le président n'a jamais dit qu'il fera un 3eme mandat.

Un avis que ne partage pas du tout le constitutionnaliste Ngouda Mboup qui croit savoir qu’il faut absolument parler du 3eme mandat, estimant que le président Sall n'a pas à dire ce dont les sénégalais doivent débattre ou pas. Pour le professeur, le «ni oui ni non» est juste de la tergiversation, ajoutant que les propos du chef de l’Etat selon lesquels, il ne posera pas d’acte antidémocratique, sont d’autant plus équivoques et flous que demain le Conseil constitutionnel pourra valiser sa candidature. L’on se rappelle en effet, que lorsqu'il a été question de réduire son mandat de 7 à 5 ans conformément à sa promesse électorale, le président s'était rangé à l'avis du conseil constitutionnel maintenant son mandat de 7 ans pour lequel, il a été élu en 2012, préférant ignorer ainsi son vœu de le limiter à 5 ans.

A la vérité, ce n'est pas au président de donner le ton ou d'autoriser ou pas un débat. Sa déclaration est même une atteinte au droit des citoyens. Les sénégalais sont libres de discuter des questions qui leur plaisent.

Macky Sall est aussi revenu sur la question du retour du poste de 1er ministre et a nié être dans une posture de tâtonnement, soutenant que «ce n’était pas une erreur» que de l’avoir supprimé, expliquant, dans la foulée, avoir voulu en 2019, après sept ans d’exercice  de la fonction présidentielle, « tester la gouvernance directe“. Entre autres raisons, il y a, selon lui, « avec le recul et le mandat à la tête de l’Union africaine », la nécessité d’un Premier ministre pour « s’occuper du Sénégal au quotidien ». S’empressant de mettre un bémol, il dira : « tant que le décret n’est pas signé, rien n’est fait. C’est d’expérience que je le dis. Tant que le président n’a pas apposé ses signatures, considérez qu’il n’y a pas de Premier ministre. »

Une décision qu’il renvoie à l’après locales. Ce qui laisse augurer qu’il manœuvre, tout en liant la nomination au verdict qui va sortir des urnes. Une situation qui a poussé le député Théodore Chérif Monteil à poser la question de l’opportunité de la procédure d’urgence du texte pour une nomination qui ne devrait  intervenir que bien plus tard.

L’amnistie de tous les fantasmes

Mais le sujet qui a le plus retenu l’attention dans ce discours et qui a donné lieu à toutes sortes de fantasmes et de conjectures, c’est la question de l’amnistie, dont devraient bénéficier Karim Wade et Khalifa Sall. Une amnistie agitée dans bon nombre de médias qui n’ont toutefois pas jugé nécessaire de préciser qu’en réalité, ce sont des faits qui sont amnistiés et non des hommes, celle-ci étant une prérogative dévolue l’Assemblée nationale. Mais un fait est que dans le contexte de démocratie aux nombreux soubresauts, difficile de voir la différence puisque le président Sall bénéficie d’une majorité mécanique. Une réalité d’autant plus évidente que Bouba Ndour l’a relevé lorsque Chérif Monteil a tenté d’argumenter sur le fait que ce n’est pas le président qui octroie l’amnistie.

Mais au-delà de cette amnistie de faits politiques, l’enjeu n’est rien d’autre que la présidentielle de 2024. Voudrait-on réduire les forces d’Ousmane Sonko ? Si ce n’est cela, ça y ressemble fort. Casser la dynamique « Yeewi askan wi », isoler Sonko, voilà une entreprise qui ne déplairait pas à Macky Sall. Sur la TFM, Cheikh Yérim Seck trouve d’ailleurs pas du tout fortuit le fait que, dans un même discours, le président évoque à la fois l’amnistie qui profitera à Karim Wade et Khalifa Sall, l'affaire Sonko-Adji Sarr qui doit être vidée et que, concomitamment le lendemain, Khalifa Sall soit interrogé par la même presse française ! Allez savoir.

Le député Théodore Chérif Monteil n’y est pas d’ailleurs allé par quatre chemins pour dire aux journalistes sur le plateau qu’ils connaissent le rôle de France 24 et de Rfi, estimant que toutes les questions ont tourné autour de l'amnistie. Une manière certainement de dire que la France ne serait pas absente de ce dossier, ni désintéressée sur le sujet. Pour « Fou malade », aborder la question de l'amnistie sur les deux chaînes, est une manière pour le président Sall de dire qu'il est clément avec ses opposants et que la démocratie est en marche dans son pays.

Malgré les nombreux commentaires, le chef de l’Etat semble s’être déjà fait à cette idée d’amnistie, estimant qu’il faut trouver « la bonne formule », qui ne puisse contrevenir aux lois. « J’ai toujours choisi de ne pas personnaliser les débats. A l’époque, on a parlé de ces sujets », a rappelé le chef de l’Etat sénégalais qui avait évoqué, pour la première fois l’hypothèse d’une amnistie pour Karim Wade et Khalifa Sall, fin 2018, au micro de France 24 et de RFI. «  Le débat se pose : est-ce que c’est une amnistie ou une sorte de réhabilitation ?», a précisé le président de la République.

Mais en fait de pertes de droits civiques et politiques, Ngouda Mboup est d'ailleurs réservé sur celles de Khalifa Sall et Karim Wade dont il pense qu'ils n'auraient jamais dû les perdre, estimant que cette perte de droit ne se présume pas.

Toujours est-il que Khalifa Ababacar Sall semble déjà avoir la certitude qu’il sera candidat en 2024, ainsi qu’il a déclaré au cours de l’entretien avec Rfi et France 24 qui a suivi celui du président Sall. L’ancien maire de Dakar est même convaincu qu’il garde tous ses droits de se porter candidat à la prochaine présidentielle. « l’Inéligibilité, a-t-il précisé, est une peine prévue par le code pénal et le code de procédure pénale. C’est une peine complémentaire qui doit être prononcée par un juge. Or, aucun juge ne l’a prononcée. » Une interview qui laisse en tout cas songeuse et penser qu’il y a quelque chose qui se trame et qu’on ne dit pas aux Sénégalais.

Ce qui conduit à se demander si les politiciens devraient pouvoir continuer à gouverner ce pays sur la base de condamnations, de grâces et d'amnistie, alors que le procès Karim Wade a par exemple mobilisé les sénégalais pendant plusieurs mois à travers des actions de communication sur les crimes financiers commis par celui-ci, des histoires de commissions rogatoires, de peines d'amende astronomiques infligées, de recouvrements des deniers de l’Etat. Mais à la fin, ce qui s’est passé par la suite, c’est que Wade a été embarqué de manière expéditive avec son baluchon dans un avion vers le Qatar. Les Sénégalais n’auront vu ni la couleur de l’argent, ni plus entendu parler d’argent recouvré.  C’est comme s’il y avait subitement comme une volonté de tout absoudre, comme si rien ne s’était passé. Des pouvoirs sont certes octroyés au président de la République, mais ce dernier doit-il pour autant en user à sa guise ? Assurément non. Son action devait être plutôt guidée par une logique éthique et raisonnable qui impose qu'il ne prenne pas des décisions au détriment du peuple.  Avec Macky Sall, l’on est en effet dans une telle tyrannie de politique politicienne qu'à chaque fois, au finish, les sénégalais sont les dindons de la force. La transmission du pouvoir ne devrait point être une affaire d’arrangements entre politiciens sur le dos du peuple qui en réalité que sa langue pour s’émouvoir. Sur le reste, il ne maîtrise pas grand-chose.

Cheikh Yérim Seck a pour sa part pris le contrepied. Il  a en effet estimé que l’amnistie est une bonne chose en soi puisqu’elle permet de baisser la tension. Convoquant l’arrivée de De Gaule et de Mandela au pouvoir grâce à une amnistie, le journaliste croit savoir que la démocratie sénégalaise a besoin de cette amnistie pour une élection sincère. Réaction véhémente de Bouba Ndour qui pense que les cas ne sont pas similaires. Réponse à nouveau de Yérim qui fait remarquer que les partisans de Karim Wade ne sont pas d'accord avec ce qu'on reproche à Khalifa Sall. Une véritable passe d’armes à « Jakarloo » en somme.

Mais quel que soit le cas de figure qui se présente, l’ancien maire de Dakar ne compte pas quémander une quelconque amnistie. «Je n’avais pas demandé pour aller en prison. Je n’avais pas demandé de grâce pour sortir de prison. Donc, je n’ai pas à demander une amnistie », a souligné le patron de « Taxawu Dakar » qui a démenti toute négociation avec le chef de l’Etat. « Il s’empresse même de préciser que la « grande et belle coalition Yewwi askan wi » dont il est membre, a décidé d’aller ensemble aux locales et aux législatives. « Mais pour la présidentielle, la pluralité est préconisée », a-t-il indiqué. C’est en effet une précision de taille qu’a faite Khalifa Sall au sujet de la présidentielle. Quid du rôle de Bougane Guèye Dany dans une supposée médiation au rapprochement Macky-Khalifa. Ce dernier n’a pas perdu de temps pour nier, estimant ne pas avoir ces affinités avec l’ancien maire de Dakar et une proximité avec le président. C’était au téléphone à l’émission «Jakarloo» de la TFM où il a appelé. Il réagissait à un commentaire de Cheikh Yérim Seck dans ce sens.

Tout ceci revient finalement à dire que ces possibles amnisties de faits, devraient bénéficier à des personnes condamnées pour des faits aussi graves que des crimes financiers. Ceux-là devraient-ils pouvoir à nouveau gérer nos maigres deniers ? Un bémol tout de même puisque se pose la question de la manière dont ils ont été jugés et le fait que ces dossiers aient été considérés comme politiques, sans oublier le manque d’équité relevé par les partisans des différents camps et par une certaine opinion. Il y a, en effet, et ce n’est pas simple à séparer, la part de culpabilité et la part de politique dans ce qui a été reproché à Khalifa Sall et Karim Wade, depuis leur jugement suivi d’emprisonnement jusqu’à leur élargissement.

Mais une remarque à faire est que dès que la politique se mêle aux dossiers judiciaires, il devient difficile de voir de la justice dans ces dossiers impliquant des politiques. Surtout qu’au regard des faits, tout devient confus avec en plus, la charge émotionnelle d’une certaine opinion qui voit en ceux-là, des victimes alors qu’ils peuvent être coupables de ce dont les accuse.  C’est sans doute la raison pour laquelle Khalifa Sall, tout comme Karim Wade, sont aux yeux d’une certaine opinion, devenus des victimes. On en est arrivé à oublier les faits, coupables ou pas qu’ils aient été.

Mais à observer la certitude avec laquelle Khalifa Sall parle de sa candidature, son discours laisse penser que quelque chose a été acté. La jurisprudence Idrissa Seck est là pour nous prouver que les politiques ont cette capacité formidable qui est de démentir d’éventuels contacts et de les justifier une fois les accords scellés par un sentiment du devoir plus important que leur personne. Affaire à suivre.