NETTALI.COM - Quel bilan tirer de la manifestation de ce vendredi 17 juin ? Sinon que des manifestants se sont affrontés à des forces de l’ordre avec les conséquences habituelles en perte de vies humaines, dommages matériels et en désagréments pour les populations. Au finish, ce sont trois morts dont deux à balle réelle à fortement déplorer, une centaine de personnes interpellées, six membres de la garde rapprochée d’Ousmane Sonko arrêtés, trois leaders (Déthié Fall, Ahmed Aidara et Mame Diarra Fam) également mis aux arrêts, une Place de la Nation sanctuarisée, une station Total saccagée, des pneus brûlés, une course-poursuite incessante dans les rues de Dakar, une circulation gênée en certaines artères de la capitale et de Ziguinchor, etc.

Bref une manifestation qui n’aura finalement tourné à l’avantage d’aucune des parties, que cela soit la coalition au pouvoir, comme l’inter-coalition YAW/WALLU. Elle n’aura eu que le malheur d’avoir conduit à la mort de ces trois personnes dont les vies auraient pu être épargnées, s’il n’y avait pas eu cette confrontation malheureuse. Les plus grands perdants dans ce différend politique, ce sont en effet ces victimes et leurs familles.

Les évènements de vendredi ont en tout cas prouvé à suffisance, que seul le dialogue est porteur de fruits en démocratie. Les politiques, pour têtus soient-ils, en arrivent toujours à cette conclusion, souvent de manière tardive. Malheureusement. La discussion a en effet cette vertu, celle de faire gagner du temps et d’économiser des forces. C’est en effet un des principes de la diplomatie que pour mieux discuter, il vaut mieux installer d’abord les bons rapports de force, naturellement en sa faveur, avant de se mettre autour d’une table. Il est aussi valable, ce principe en politique.

Fallait-il en arriver là ? Assurément non. Ce conflit était perceptible. Pourquoi interdire une manifestation alors que celle qui a précédé s'était bien déroulée ? Laisser des Sénégalais manifester pacifiquement, n'est-ce pas une manière de banaliser la marche ? Mais à la vérité, il faut dire que les règles du jeu étaient faussées dès le départ dans ce différend politique. La décision émanant de la Haute Cour de justice de la Cedeao disait clairement qu'il fallait supprimer le parrainage sous cette forme. Mais Macky Sall et ses ouailles l’ont considérée comme pas suffisamment contraignante pour ne pas en tenir compte. Aussi, l’ont-ils appliqué à la présidentielle, puis aux seuls indépendants lors des locales, avant de la réintroduire aux législatives, suite à la débâcle de Benno dans les grandes villes. Ce parrainage est justement aujourd’hui la cause de tous nos malheurs. La décision du Conseil constitutionnel invalidant la liste des titulaires de Yewwi Aska Wi et les suppléants de Benno Book Yaakaar (coalition du pouvoir) est venue aggraver la situation, malgré les désaccords de bon nombre de juristes sur une décision dont ils n’ont pas au finish compris le fondement juridique. Bien sûr, il y a eu aussi des juristes dans le camp du pouvoir pour applaudir. L’éternelle interprétation du droit constitutionnel qui recommence sans cesse.

Que ceux-là qui disaient dans le camp du pouvoir, malgré la volonté de Yaw de braver l’interdiction de manifester, qu’ils ont la loi et la justice avec eux, se détrompent. La justice et encore moins la loi, ne sont pas là pour servir les intérêts du pouvoir. Elles sont là pour l’intérêt général. Et Macky Sall, en tant que clef de voûte des institutions, pour en être le garant et non s’en servir pour arriver à ses propres fins. Le président Sall doit à la vérité, être le plus exemplaire d'entre nous tous, et on ne cessera de le répéter.

L’inter-coalition, YAW-WALLU n'en a pas moins sa part de responsabilités dans cette affaire. Elle n’en est pas sortie vainqueur. Tout comme le pouvoir d’ailleurs. Barthélémy Dias et Ousmane Sonko, les leaders les plus populaires, figures de la résistance ont été gardés à domicile, pour ne pas dire en résidence surveillée.  L’objectif était clair. Il était simplement de les empêcher de sortir de chez eux et d’entrainer une foule qui ne serait pas maitrisable. Nulle part par contre, l’ombre d’un Khalifa Sall ou d’une Aida Mbodji.

La preuve que l’Etat s’est cette fois ci arrangé pour ne pas se faire surprendre. Une stratégie en somme pour couper la manifestation dans l’œuf en ne la résumant qu’à une guérilla urbaine inévitable, quitte à tenter de la contenir tout au long de la journée.

En appelant ainsi à braver l’interdiction, les leaders de YAW ne s’attendaient certainement pas à ce coup-là. Elle a jeté ses forces dans la rue, dans une sorte d’impréparation totale, comme lors des évènements de mars, pensant sans doute que le même scénario pouvait se reproduire. Elle n’a certainement pas pris en compte, le fait que les situations changent en fonction des époques et des circonstances, oubliant sans doute que le Sénégal est un pays d’une grande complexité et que ce qui s’est passé en mars, n’aura certainement pas été que la conséquence d’une frustration liée à une volonté du pouvoir d’emprisonner  un leader, mais aussi celle d’une conjonction de frustrations dont, entre autres la pandémie et ses conséquences sur le moral des Sénégalais.

Tout ceci montre en réalité que la politique s’accommode très fortement avec une certaine maturité qu’il faut d’abord épuiser les voies du dialogue avant de se lancer à l’aventure. C’est ce que cette manifestation a semblé donner comme instruction.

A la vérité, le rapport de forces ne peut être la seule voie de salut dans un espace politique où les règles sont toujours biaisées d’avance et l’interdiction des manifestations, le principe. Le paradigme musculaire a ses limites et ne saurait être le seul élément pour structurer le débat.

La politique a cette caractéristique qu’il ne faut jamais croire de manière aveugle à ses propres forces et de ne se fier qu’à elles. Celles-ci sont hélas mouvantes, fluctuantes et dépendantes de beaucoup de facteurs, visibles, mais aussi cachés. Il y a en effet beaucoup de forces en action présentement. Et ce serait une erreur de ne voir que celles qui sont visibles. D’autres, sans doute cachées, sont dans le jeu, sans en donner l’air. C’est aussi cela le mystère et l’autre difficulté qui est de ne voir que ce qui est apparent.

Au regard de la déclaration d’Ousmane Sonko d’après manifestation, il semble qu’il n’ait pas dit son dernier mot. Ainsi que l’attestent ses propos : « Aujourd’hui, on a posé le premier acte de son départ (ndlr-Macky Sall), en 2024. Il ne s’agit pas d’une question de liste, mais, de la démocratie chèrement acquise au Sénégal…. C’est pour cela que nous ne pouvons pas abdiquer. Nous n’avons pas le droit. Nous nous battons sur la base de conviction et non sur des intérêts. Nous disons à la France de rester en dehors de nos affaires intérieures. Cette époque est révolue. Vous avez en face de vous des peuples, leaders, jeunesse décomplexés », a fait savoir le leader patriotique qui n’a pas manqué d’égratigner Macky Sall en ces termes : « Il aime frapper derrière le dos. Mais, quand il s’agit de faire face à ses responsabilités, il est toujours embusqué derrière un commandement lâche et notamment de la gendarmerie et de la police. » « La question qu’on pose est pourquoi à chaque fois, qu’il y a des manifestations au Sénégal, c’est dans le sud du pays que Macky Sall et sa gendarmerie s’autorisent à tirer à balles réelles sur des manifestants. Les manifestations étaient beaucoup plus virulentes à Dakar et on n’a pas fait usage de tir à balles réelles. Mais quand il s’agit de la Casamance, on croit pouvoir tout se permettre, parce que les Casamançais, aux yeux de Macky Sall, ne sont pas des êtres humains. Il vit une relation de mésestime et de haine vis-à-vis des Casamançais…. J’en fais les frais, car jamais au Sénégal, un politicien n’a été aussi haï, diabolisé sur son culte, sa famille, appartenance régionale, ethnique. Jamais dans l’histoire du Sénégal, on a vécu ça (….)Depuis que vous êtes président, on entend parler d’ethnie. Les Sénégalais ne vous laisseront pas brûler ce pays, créer des démons qui ont brûlé le Rwanda, instaurer une guerre ethnique ou civile dans ce pays », a déploré Ousmane Sonko.

Quoi qu’il en soit Aar la coalition des Bocoum, Thierno Alassane Sall, Abdourahmane Diouf, Juge Dème, etc et le G4 Bokk Guiss Guiss, Bunt-Bi, Natangue, Les Serviteurs, ont appelé au respect du calendrier républicain et de la Constitution. En d’autres termes, la tenue des élections à date échue.

Reste maintenant à savoir ce qu’il va advenir de la série de manifestations prévues par l’inter-coalition. Si elle la maintiendra ou si elle changera de stratégie de lutte.

Certaines association religieuses, hommes religieux et acteurs de la société civile avaient appelé bien avant les manifestations, à l’apaisement. Mais, à la vérité, en dehors de la société civile, Alioune Tine d’Afrika Jom qui lance souvent des alertes, ces associations religieuses ont cette manie, celle de ne pas être dans la prévention, mais plutôt d’intervenir au dernier moment, une fois que les carottes sont cuites. Mais puisque c’est un pouvoir auquel les Sénégalais accordent beaucoup d’importance et de respect, on ne peut que les laisser jouer leur partition. Maintenant que les deux camps d’en face se sont suffisamment jaugés, il ne leur reste plus qu’à revenir à la raison et à discuter. Ou alors que nous autres prenions tout simplement notre chapelet pour prier.