NETTALI.COM - Il avait été interdit le vendredi, il a finalement eu lieu le mercredi 8 juin. On parle évidemment du rassemblement de la Coalition YEWWI/WALLU pour protester contre l’invalidation de sa liste de suppléants au niveau national. Une manif que la presse quotidienne a relayée à l’unisson, sous l’angle de la mobilisation, évoquant une « marée humaine », une « mobilisation inédite », un « défi de la mobilisation » ; mais relevant également la tonalité des discours en faisant référence à la « radicalisation de Yeewi », son « discours musclé » (« il n’y aura pas d’élections… » et sa «liste de la colère », etc. Bref des titres tout à fait élogieux qui montrent que Yaw et Wallu ont réussi une grande mobilisation.   

La mobilisation a été une réussite certes. Lais le fait qu'un reporter de la TFM qui faisait du direct relativise à partir d'un certain moment, son ampleur, doit-il conduire à certains excès ?  Le reporter a fait l’objet d’insultes et d’intimidations. Ce qui a poussé le Syndicat des professionnels de l'information et de la communication du Sénégal (Synpics) à monter au créneau pour appeler au respect des droits des journalistes. Lorsqu'on manifeste sur la Place de la Nation, n'est-ce pas pour promouvoir la démocratie ? L'on ne peut en effet pas qualifier Macky Sall de dictateur et se comporter de la sorte.

la situation n’a d’ailleurs pas laissé indifférent Dethié Fall qui  a, de son côté, appelé les manifestants à ne pas se tromper de combat, estimant que « le combat est pour le départ de Macky Sall, avec Antoine Diome et le Conseil Constitutionnel. » « Rendons hommage à la presse et engageons-nous pour le véritable combat, restons déterminés pour que la justice règne au Sénégal », a exhorté l’ancien bras droit de Idrissa Seck, non sans présenter ses excuses à la presse toute entière et particulièrement à la TFM. Une posture bien sage et responsable du responsable de YAW.

La vérité est qu’on était bien loin des 200 000 personnes projetés par l’opposition, étant entendu que la place ne peut de toute façon contenir autant de monde. Un objectif de nombre à sans doute mettre sur le compte de la communication et de la surenchère politicienne, à un moment où Ousmane Sonko appelait à une insurrection assumée.

Un appel à l’insurrection qui au finish a viré au respect de l'interdiction de rassemblement du vendredi 3 juin par le préfet. La preuve évidente que c'est une logique d'équilibre de la terreur qui prévalait, ainsi que l’a si souvent déclaré le leader de Pastef qui n’arrête jamais de répéter que Macky Sall ne respecte que ceux qui lui imposent un rapport de forces.

Mais au fond, l’on peut bien se poser la question du pourquoi de l’interdiction des manifestations qui ne contribue, en réalité, qu’à donner davantage d’impact aux revendications et à alimenter les sujets de discorde ? Quoi de plus simple dès lors, que d’appliquer la loi qui ne parle que de déclaration préalable, étant entendu qu’il y a un certain nombre de conditions à remplir et des garanties à fournir de la part des organisateurs. Difficile de savoir pourquoi le pouvoir aime s’amuser à se faire peur ! Autoriser une manifestation ne contribue qu’à baisser la tension, éviter les débordements, rendre plus responsables les organisateurs et finalement amoindrir son impact et sa portée. Le droit de manifester est un acquis démocratique, consacré par la constitution du pays, qu’il serait d’ailleurs bien illusoire de vouloir reprendre.

Ce qui est en tout cas à saluer, c’est le fait que les débordements tant craints n’ont pas eu lieu. Les événements de mars et leur cortège de violence, de pillages et surtout de morts, sont encore frais dans les mémoires et beaucoup de Sénégalais vivent encore avec la hantise qu'ils se reproduisent, surtout avec cette volonté affirmée de manifester, quelle que soit par ailleurs la décision que le préfet aurait pu prendre.

Entre discours musclés, rassemblements permanents et respect de la loi

Les leaders présents sur place, ont en tout cas dit tout le mal qu’ils pensent de la gouvernance Sall. Ousmane Sonko par exemple, a fait feu de tout bois et n’a épargné personne. Un vrai discours offensif teinté de propos acerbes avec des menaces à peines voilées. De Macky Sall en passant par ses alliés (Idrissa Seck, Moustapha Niasse, Aminata Mbengue Ndiaye), les patrons de la gendarmerie Moussa Fall et de la police Seydi Bocar Yague, le ministre de l’intérieur, le conseil constitutionnel, tout le monde en a pris pour son grade.  « Pourquoi accepter que Macky Sall invalide la candidature des gens. Il l’a fait avec Khalifa Sall et Karim Wade. Il a voulu m'emprisonner moi aussi, mais il n’y est pas arrivé. Il n’y arrivera jamais. Il veut emprisonner Barthélémy Dias pour reprendre la mairie de Dakar », fait savoir Ousmane Sonko qui annonce dans la foulée que, dorénavant, la mobilisation sera permanente, pour les seize mois à venir.

« On ne peut pas avoir un président pire que Macky Sall. Il va quitter son fauteuil. On n’accepte pas que les sept personnes du Conseil Constitutionnel brûlent ce pays. On leur demande de se ressaisir. Quand le peuple dit non, personne ne peut l’arrêter. Nous avons décidé d'unir nos forces (Wallu- Yewwi) », a ainsi prévenu Sonko. Ce dernier n’a d’ailleurs pas manqué de sensibiliser les forces de l’ordre qui ne doivent, à son avis, obéir à n’importe quel ordre, estimant que le général Moussa Fall n’agirait que pour ses propres intérêts.

Si Ousmane Sonko a eu un discours très dur, Barthélémy Dias a lui été plutôt radical. Il n’y est pas allé par quatre chemins. « On participera aux élections par la force ou il n’y aura pas d’élections du tout. Qu’il le veuille ou non, nos listes seront validées », a tonné le maire de Dakar. Au sujet du 3ème mandat, le sujet qui fâche, Dias-fils s’est montré catégorique : « Macky dit "ni oui, ni non. Nous disons que c’est non ! ». Avant de s’en prendre à l’actuel ministre de l’Intérieur qu’il disqualifie indiquant que l’opposition n’acceptera pas que Antoine Félix Diome se charge de l’organisation des élections législatives à venir.

Prenant la parole, le maire de la commune de Gueule tapée – Fass – Colobane, Cheikh Oumar Sy, a embouché la même trompette pour réclamer un changement de ministre de l’Intérieur. Il estime que ce poste doit être confié à une personne qui ne fait partie d’aucun parti politique. « Aujourd’hui, nous avons un ministre de l’Intérieur qui travaille pour Benno Bokk Yaakaar. C’est ça réellement le problème. Il faut qu’on pose le problème de la neutralité de la personne qui gère le ministère de l’Intérieur. Parce qu’on ne peut pas continuer à subir les choses », a-t-il pesté.

Cheikh Oumar Sy est même allé plus loin estimant que la diplomatie est en train d’être utilisée contre l’opposition. « Même notre diplomatie travaille aujourd’hui contre YAW. Ce qu’a dit Habib Sy, c’est vrai. Macky n’est pas seulement allé en Russie pour du blé parce qu’il n’est jamais allé dans un pays qui est contre la France. Il y est allé pour que les Russes ne viennent pas soutenir YAW. Parce qu’il a vu les Russes aller au Mali. Je ne dis pas que nous voulons le soutien des Russes. Mais, je dis simplement que nous ne sommes pas d’accord que la diplomatie sénégalaise soit utilisée pour combattre les leaders de YAW. C’est cela qui n’est pas normal », a fulminé Omar Sy.

Le maire a ainsi exhorté à la résistance et demandé au peuple de faire face à l’injustice. « Partout dans le monde, il n’y a aucune armée ou police qui peut faire face à un peuple déterminé. Il y a des choses qui dépendent de nous, il y a des choses qui dépendent de vous. Ce qui dépend de nous, c’est qu’on travaille pour mettre en place quelque chose qui permette de gagner. Nous avons une coalition YAW-Wallu. Cette coalition va gagner. Maintenant, il y a quelque chose qui dépend de vous,… ». « On veut nous empêcher de participer aux élections législatives. Nous allons y participer bye force », a poursuivi Cheikh Oumar Sy.

Une suite de déclarations acerbes et guerrières. Mais aussi de propos peu amènes comme ceux de Cheikh Mbacké Bara Doly, arrêté pour avoir déclaré que le chef de l’Etat serait un redoutable prédateur pour les femmes qui franchissent le portail de son bureau au palais présidentiel, C’est en effet au moment où il était en route pour aller participer à une émission à Walf qu’il a été interpellé. Sur les réseaux sociaux, la vidéo de ses propos que l'on peut y entendre, est virale.

La preuve que c’est que c’est le paradigme musculaire qui structure désormais le débat avec des déclarations tous azimuts teintées d’accusations non prouvées et de propos insultants.

Alors que beaucoup commençaient à prôner la solution du report des élections dans un contexte d’impasse, le chef de l’Etat Macky Sall, invité par RFI et France 24, s’est prononcé ce jeudi 9 juin sur la manifestation tenue par l’opposition. C’est pour déclarer que les élections ne seront pas reportées, en rappelant ainsi l'esprit des institutions. « Si on est un pays stable, ce n'est pas un hasard. Nous avons un code électoral, il a été discuté pendant des mois. Les élections se tiendront à date échue. La loi est dure, mais c’est la loi », a-t-il répondu avant d’ajouter qu’une liste non paritaire est irrecevable. Un point, un trait ! ».

Des propos qui montrent clairement une volonté d’en découdre.

Lors d’un point de presse, l’ex-première ministre Aminata Touré a embouché la même trompette et appelé à l’apaisement et à l’acceptation de la décision juridique du conseil constitutionnel. Elle, au nom de tout le collectif, prône la paix. « Toutes les décisions du Conseil constitutionnel ne nous ont pas plu, mais c’est du passé. En tant que républicains, nous l’acceptons. Il y avait de grandes têtes dans notre liste suppléante rejetée et elles étaient prêtes à faire la conquête. Mais elles se sont repliées au verdict juridique", a lancé Aminata Touré.

"Nous avons des militants engagés qui ne prônent que la paix. Donc nous appelons à l’apaisement et à l’ouverture. L’ouverture commence par accepter les décisions de justice ainsi que les péripéties de cette loi. Les leaders de Yaw doivent respecter le verdict. On n’acceptera plus leur appel à brûler le pays. Cette posture anti républicaine, séditieuse, putschiste et rebelle est inacceptable. La décision du conseil constitutionnel met définitivement fin au débat sur les listes retenues. Par conséquent, le débat est clos", a plaidé Mimi Touré.

Toutefois, sur un ton ferme, elle a réaffirmé une tenue des élections « à date échue » et appelé les responsables de la coalition à descendre sur le terrain car le débat sur les listes est clos.

Aïssatou Diop Fall qui intervenait au « Jangat » de la TFM, a elle qualifié la décision du conseil constitutionnel de « n’importe quoi ». Elle a en effet fait savoir que BBY et YAW ont facilité la forfaiture du conseil constitutionnel, estimant qu’on oublie Dieu dans l’affaire. Pour Fall,  Macky Sall est tombé dans le piège du parrainage et de la parité. Dans le cas de YAW, fait-elle remarquer, c’est  Ousmane Sonko qui nous appris que leur liste nationale n’allait pas concourir pour leur faute. Aïssatou Diop ne s’en arrête pas là puisqu’elle pense que les Sénégalais ont des problèmes avec la vérité, n’osant pas dire à Sonko que c’est lui-même qui a fait l’aveu de la non-participation de sa liste nationale.

Quelle solution face à l’impasse ?

Difficile de savoir l’issue de ce parrainage tant le processus est chaotique. C’est la contestation à tous les étages et c’est une cacophonie sans précédent qui l’a marqué, surtout dans un contexte où le ministère de l'intérieur, la Direction générale des Elections et même le conseil constitutionnel n’ont plus la confiance de l’opposition.

Pour l’heure, les leaders de Yewwi Askan Wi comptent d’ailleurs remettre une manifestation dès le vendredi 17 juin 2022. Dans un communiqué, la conférence des leaders informe qu’elle déposera, dès ce vendredi 10 juin, une lettre d’information d’une nouvelle hyper méga manifestation, à la même place de la Nation, de 15h à 19h.

Le parrainage n'aurait en réalité jamais dû avoir lieu comme l’avait si bien demandé la Cour de justice de la Cedeao, suite à une plainte de l'opposition. Elle n'aurait jamais dû avoir lieu au regard même du nombre de coalitions si peu importantes. Initialement d’un nombre de 15 puis 8, il n’y a  vraiment pas de quoi faire le tri, surtout que la représentation nationale par des députés doit avoir lieu dans le cadre d'un choix diversifié avec des courants divers et variés. De même, ne nous avait on pas fait savoir que toutes les listes auraient dû être frappées de forclusion pour des raisons de retard lors des dépôts ? La vérité est que lorsqu’une loi doit être appliquée, elle doit l’être dans toute sa rigueur au lieu de cibler des applications suivant une certaine convenance ou de manière sélective.

Pour un parrainage d’ailleurs si mal parti, il est aisé de deviner la qualité de la représentation et la légitimité de celle-ci.

Tout cela n'augure en réalité rien de bon et le rassemblement pour ne pas dire l’avertissement donné par tous ces sénégalais épris de justice et de démocratie, doit être analysé lucidement par le pouvoir en place. Non pas qu’il faille tordre le cou à la loi, mais essayer d’aller dans le sens d’apaisement et d’élections sereines.

Il reste que la décision du conseil constitutionnel reste incompréhensible aux yeux de nombreux juristes qui relèvent son hérésie. Comme la réaction aussi surprenante et qu’indignée de cet avocat des droits de l'homme qu’est Assane Dioma Ndiaye, d'habitude si calme et pondéré, qui l’a démontée dans un texte. Ou celle d’Amsatou Sow Sidibé, politique, mais juriste ; ou encore celle de Ngouda Mboup.

Pour beaucoup d'observateurs, le Conseil Constitutionnel en procédant de la sorte, n'a juste pas voulu invalider la liste de BBY et a préféré agir dans le sens de créer un moindre mal pour le parti au pouvoir en invalidant sa liste de suppléants et celle des titulaires de Yaw au niveau national. Mais à dire vrai, beaucoup d'acteurs politiques sous tous les régimes n'ont jamais vraiment eu confiance à cet organe qui s'était taillé la réputation d' « incompétent » permanent.

Toute ceci finalement n’est qu’une alerte par rapport à la question du 3ème mandat qui va être une autre équation bien plus compliquée à résoudre. Rappelons qu'en 2016, le Conseil avait refusé que Macky Sall réduise son mandat, alors que lui-même avait donné son accord. Une décision qui avait fini par laisser croire que le président n'avait pas réellement la volonté de le réduire en se laissant lier par la constitution. Avec cet acte que vient à nouveau de poser le Conseil constitutionnel, il semble que la confiance soit définitivement rompue et difficile de savoir comment il va pouvoir continuer à jouer son d’arbitre. Ce d'autant plus que l'arbitrage sur le 3eme mandat est attendu, mais sans en attendre un miracle de la part d’une décision juste pour l’opposition. L’observateur de ce vendredi 10 juin informe d’ailleurs à sa une que Badio Camara est pressenti à la tête de l’institution pour cause de fin de mandat de Pape Oumar Sakho.

En tout cas, au regard des déclarations entendues ça et là, lors de la manifestation  et celle de Guy Marius Sagna à l'émission « Faram Facce » sur la TFM, mercredi, selon laquelle Macky ne fera pas partie des élections de 2024, on va visiblement vers des lendemains bien sombres. Il ne nous reste plus qu’à sortir nos chapelets et à prier.