NETTALI.COM – Les récentes émeutes lui sont décidément restées en travers de la gorge. Aussi le Conseil présidentiel sur l’insertion et l’emploi des jeunes a-t-il été l’occasion pour le président de la République, de revenir sur le sujet à Diamniadio. Face à un public de jeunes dont les gens pratiquement du même âge, ont été au cœur des manifestations de mars dernier, c’est à une véritable opération de charme, en même temps qu’un moment fort de sensibilisation, que s’est livré Macky Sall qui a, dans la foulée, fait un cours magistral sur le civisme et la posture qui devrait être celle des jeunes.

Le chef de l'Etat semble en tout cas avoir été bien atteint par la fièvre jeune qu’il a été tout sucre, tout miel avec l’assistance. Détendu et en même temps affectueux, lui qui est réputé sévère de par la mine sérieuse de toujours qu’il affiche, a par moments trouvé les bons mots pour rire. Faire même rire l’assistance. Comme par exemple avec l’histoire des 9 milliards de francs de subvention dédiés aux "Jakartamen" (conducteurs de motos) impactés par le Covid-19 et qui ne sont pour le moment pas parvenus aux gouverneurs afin qu’à leur tour, ils les distribuent aux bénéficiaires. "Donc affaire bi amna fumu tak (donc l’argent est coincé quelque part!", a déclaré le président, le sourire aux lèvres. De quoi soulever l’hilarité de l’assistance et détendre un peu l’atmosphère, mais aussi pour tenter de créer de l’empathie avec ces jeunes qu’il lui faut reconquérir par tous les moyens.

Mais cette ambiance bon enfant sera malheureusement gâchée par ce jeune de Kaffrine qui a dressé un portrait bien idyllique de sa région. Il aura d’ailleurs eu droit à des remontrances et même des quolibets car des Kaffrinois qui pensent certainement qu’il s’est trompé de contrée, ne voyant pas de quelle localité il parlait, lui ont adressé des vertes et des pas mures, à travers les réseaux sociaux. Il doit certainement avoir été briefé pour arriver à raconter pareilles sottises. D’ailleurs, l’un d’eux lui dira que s’il est partisan du ministre Abdoulaye Sow, il doit lui avoir fait honte. Une allusion pas du tout fortuite. Ce n’était en tout cas pas le moment de la flagornerie.

Macky Sall, en mode intimidation !

Mais ce qui semblait visiblement tenir à cœur à Macky Sall, c’ était surtout de glisser le sujet Sonko au menu et lui adresser une sérieuse mise en garde contre toute velléité de reproduire le même scénario. C’était l’occasion rêvée aussi pour le mettre en mal avec les jeunes en les prévenant contre toute velléité d’aventure chimérique. Il leur a promis des biscuits et l’occasion était tout trouvée de les mettre dans sa poche et de calmer leur ardeur, tout en les gavant d’espoirs. Sacrés politiciens, ils ont plus d’un tour dans leur sac.

Le Président Sall a en tout cas prévenu qu’il n’est pas "possible, dans un pays, de se réveiller, de tout détruire sans conséquence", estimant que, quelque démocrate qu’il puisse être, "il y a des limites que tout le monde doit respecter". Pour lui, "ce serait commettre une erreur de prendre les concessions de l’Etat pour une faiblesse". Un message directement adressé à ceux qu’il appelle "les instigateurs des récentes émeutes", faisant remarquer au passage que s’il devait aller à la confrontation, cela "aurait été difficile pour eux". Le président qui a prôné le respect des valeurs civiques aux jeunes, voit l’adoption de cette vertu républicaine comme une condition pour les accompagner et les aider. Aussi les a-t-il mis en garde contre ceux qui leur font miroiter des chimères qui les sortiront des difficultés, estimant que ceux-là les trompent. Pour le chef de l’Etat, "Gor du def yenn yi (un homme d’honneur ne doit pas faire certaines choses)", ne manquant pas de vanter au passage, les mérites de la démocratie sénégalaise. "Seule une démocratie peut tolérer ce qui s’est passé. Il y a des pays où personne n’ose aller attaquer des postes de gendarmerie, des tribunaux, les brûler, brûler les maisons d’autrui. Cela est passé, mais cela ne peut plus se passer. Il faut que l’on sache que ce pays nous appartient. Ce pays, personne ne peut le détruire. Il a été bâti, depuis des générations, par nos ancêtres. On ne peut détruire tout ça par une baguette magique et aller vers l’aventure.". Et le chef de l’Etat d’ajouter d’un ton menaçant : "Il ne faut pas que les gens croient que, parce qu’à l’étranger, on vous soutient ou on vous entraîne à aller vers l’anarchie, que vous pouvez semer l’anarchie. Il faut savoir marquer les limites. Et nous, nous sommes au service du pays. Nous sommes ouverts et avons lancé un dialogue, au lendemain de ma réélection. Et ce que l’opposition a eu, elle ne l’aurait jamais eu par la confrontation."

Ousmane Sonko, en mode guerrier !

Un ton du Président Sall qui n’est pas très différent de celui utilisé par Ousmane Sonko lors d'une déclaration faite quelques heures après la levée de sa garde à vue. Considérant à l’époque que sa libération n’était pas une faveur, mais plutôt le résultat de la détermination du peuple, il avait réfuté le viol dont Adji Sarr l’accusait mais surtout les morts qu’on lui impute, soutenant que s’il était coupable, il n’aurait jamais accepté qu’un Sénégalais ait la moindre égratignure. "Qu’on ne vous fasse pas croire que c’est un cadeau, mais c’est votre détermination qui a payé", avait dit le leader de Pastef rendant un hommage aux populations et surtout à la jeunesse pour sa mobilisation. Aussi avait-il apporté la réplique au gouvernement qui disait que force devait rester à la loi. "La loi est la volonté populaire, ce n’est ni Antoine Félix Diome, ni Macky Sall", avait-il répliqué, sèchement. Ousmane Sonko avait dès lors déploré l’arrestation d'une centaine de manifestants, déclarant que leur seul crime, c'est d’avoir manifesté, alors que la Constitution le leur permet, ajoutant qu’il y avait eu des infiltrations, tout en faisant remarquer que celui qui aspire à diriger un pays, ne le détruit pas.

Le leader de Pastef avait, d’ailleurs, estimé que cette affaire devrait servir d’exemple car pour lui, "ces sacrifices ne doivent pas être vains". "Le pays est le vôtre. Nous, acteurs politiques, devons vous écouter", avait ajouté l’ancien inspecteur des impôts. Dans une posture résolument offensive, Ousmane Sonko était même allé jusqu’à annoncer une plainte devant la Cour pénale internationale (Cpi). Car, pour lui, il s’agit de crime contre l’humanité, exigeant au passage l’ouverture d’une enquête judiciaire pour "identifier les auteurs et les traduire en justice". Des nervis qualifiés de "milices de Macky Sall" et qui, selon lui, doivent être "traqués, arrêtés et livrés à la Justice, eux et leurs commanditaires". Ousmane Sonko ne s’en était pas arrêté là. Il avait aussi exigé au Président de se déterminer clairement par rapport au troisième mandat car, il n’est plus question, selon lui, que Macky Sall continue à servir un "ni oui, ni non". "En 2024, Macky Sall ne sera pas candidat. La révolution est lancée et rien ne pourra l’arrêter. Conduisons cette révolution intelligemment, à son terme, c’est-à-dire en 2024. Mais ne poussons pas le bouchon à aller le déloger au palais, tant que le mandat en cours est valable", avait déclaré le député opposant. Avant de réclamer la création des conditions pour la tenue d’élections "transparentes".

L'ancien inspecteur des impôts avait aussi plaidé pour "la restitution des droits civiques" de Khalifa Sall et de Karim Wade. Et s’il avait par la suite entrepris des visites de remerciements à l’endroit de ses soutiens dans le monde politique, la société civile et même de la presse, le leader de Pastef s’était ensuite emmuré dans le silence. Ce n'est que récemment qu'il est revenu sur le sujet Adji Sarr. Ousmane Sonko a demandé sur Jotna Tv, la chaîne de son parti, que le dossier sur les accusations de viols soit confié à un autre magistrat. "Il faut qu’on fasse et qu’on en finisse avec ce dossier complètement vide", a-t-il laissé. "Nous n’accepterons pas que l’on fasse traîner les choses ou qu’on attende la veille d’électrons pour nous convoquer", a-t-il dit. Le leader des "patriotes"" a ainsi tenu à rappeler qu’il est un homme politique et qu’il n’acceptera pas que ses activités soient entravées par cette affaire. En outre, celui-ci s’est étonné d’entendre le ministre des Forces armées, Me Sidiki Kaba, dire qu’il y aura procès dans l’affaire des accusations de viols. Réponse de Sonko : "Il ne lui (Sidiki Kaba, ndlr) appartient pas de dire qu’il y aura procès ou pas. Le juge d’instruction peut classer le dossier sans suite s’il se rend compte qu’il est vide". A titre d'exemple, il rappelle le cas des plaintes contre Aliou Sall et contre Mamour Diallo. Deux plaintes classées sans suite par le juge d’instruction.

La récente sortie du Président Sall à Diamniadio a-t-elle fait réagir Alioune Tine, le fondateur d’Africa Jom Center ? Ce dernier est convaincu que la classe politique n’a pas tiré de leçons des émeutes du mois de mars dernier. C’est pourquoi il a profité de son passage à l’émission "Jury du dimanche" de Iradio pour inviter à une introspection, estimant qu’"on n’a pas encore pris la mesure de la gravité de la crise". "J’ai écouté toutes les parties après la crise. Ousmane Sonko fait des déclarations qui sont itératives. Donc, nous avons une réponse du berger à la bergère. Ce n’est pas la solution et c’est une impasse", a regretté l’ancien patron de la Raddho. Cette posture du leader de Pastef et du Chef de l’Etat qui a soutenu que "ce qui s’est passé ne se reproduira plus" signifie, à ses yeux, que "que nous n’avons pas encore pris la mesure de la gravité de la crise que nous avons passée". "Tous les partis politiques, toutes obédiences confondues, sont totalement passés à côté", a fait remarquer M. Tine. Or, fait-il remarquer, "c’est une crise extrêmement grave où nous avons vraiment touché les limites de fonctionnement de nos institutions publiques".

Alioune Tine, déçu !

Face à cette situation, l’ancien patron de la Radhoo pense qu’il "nous faut tirer les leçons de cette crise". Car, dit-il, "les leçons de cette crise, ce n’est pas une question de revanche encore moins une question de montrer les gros bras, ni de menace. Je pense que cette attitude est très décevante. Ils n’ont pas compris, ils n’ont pas saisi". Poursuivant, Tine de s’épancher sur la crise : "Cette crise nous donne une opportunité de faire une véritable rétrospection, de diagnostiquer ce qui n’a pas marché parce que ce pays était en train de basculer. Le Président est dans son rôle de dire que cela ne se reproduira plus. Il faut faire extrêmement attention. Le pouvoir personnel n’est pas possible. C’est pour cela que nous avons besoin des organes de régulation de lutte contre la corruption. Il faut réfléchir de manière à ce que ces organes fonctionnent. Il faut qu’on soulève le bâton par rapport à la corruption. Il n’y a jamais eu de sanction par rapport à ces dérives."

Une confrontation à distance et des discours musclés de part et d’autre qui augurent d’une volonté de poursuite des dossiers judiciaires pour le moment en suspens. Une partie de ceux qui avaient été arrêtés sont en liberté provisoire. Ce qui a fait dire dans une déclaration, ce samedi 24 avril, au Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D) que "le Président Sall a trahi, une fois encore, la parole qu’il a donnée à Serigne Mountakha Mbacké, khalife général des mourides, ainsi qu’à tout le peuple sénégalais, consistant à faire libérer tous les détenus arrêtés dans le cadre des événements des mois de février et mars 2021". Aussi le mouvement tient-il à informer le peuple sénégalais que "30 personnes sont encore retenues en otage, dont 24 à la prison de Diourbel, 4 à Ziguinchor, 1 à Fort B et 1 à Rebeuss". Des détenus dont il a demandé la libération tout en appelant "l’ensemble des acteurs impliqués dans ce dossier, notamment la famille judiciaire, à agir dans le sens de l’apaisement afin de tourner cette douloureuse page".

Le M2D a, d’ailleurs, "renouvelé son engagement résolu dans le mouvement et réaffirmé sa détermination à poursuivre la lutte, au nom du peuple sénégalais, pour la sauvegarde de la démocratie et de l’État de droit". Le mouvement s’est, en outre, intéressé aux prochaines élections locales et confirmé que "l’audit du fichier, l’évaluation du processus, la révision des listes et les autres étapes du processus peuvent tenir sur un délai de 8 mois environ, ce qui techniquement, permet d’organiser les élections en décembre 2021". Il ne s’est pas arrêté là puisqu’il a invité le Président Macky Sall à "faire preuve de plus de lucidité et de responsabilité pour comprendre que la révolte massive du peuple sénégalais contre sa politique et ses pratiques, n’est pas une donnée conjoncturelle passagère qu’il pourrait conjurer en bandant les muscles". "Plutôt que de choisir la voie incertaine et aventurière des manœuvres dilatoires, de la manipulation ou des menaces, le M2D l’exhorte à prendre de la hauteur, malgré le traumatisme subi, pour s’éviter encore des déconvenues", a conclu le texte de ce mouvement né au lendemain des tensions politiques du mois de mars 2021.

C'est un duel à distance qui se joue à l'heure actuelle entre Macky Sall et Ousmane Sonko, et il n’est pas prêt à se calmer. 2024 n’est plus très loin et le jeu politique s'ouvre, marqué par une dualité désormais claire entre les deux précités. Khalifa Sall sort la tête de l'eau et se montre conquérant, mais doit passer par l'étape Dakar, Bougane s'active, Karim Wade aussi émet des signaux au moment où est en suspens la question de leur amnistie. Dans le camp présidentiel, sortie inattendue d'Aliou Badara Cissé qui met en garde Macky Sall contre toute velléité de se présenter en 2024, pour un 3e mandat. Aminata Touré est toujours à l'affût et ne rate l'occasion de critiquer la récente politique d'emploi de Macky Sall.

Les dossiers judiciaires des manifestants et d'Ousmane Sonko ne sont pas encore vidés alors qu’est évoquée la constitution d'une commission d’enquête dans le but de faire la lumière sur les morts liés aux émeutes. Une vœu que l’opposition a vite balayée d’un revers de main, sentant déjà une volonté de règlement de comptes. Décidément tout cela n’augure rien de bon ! Et la recette du plan d'urgence pour l'emploi utilisée pour calmer les jeunes, ne fait pas beaucoup d'émules dans les milieux économiques et politiques.