CONTRIBUTION - Les événements que vit le Sénégal sont sans précédent dans l’histoire politique de ce pays de par la détermination, l’engagement de toute une jeunesse frustrée et indignée par l’incurie de la classe politique gouvernante complètement inconsciente des enjeux sociaux.

Faudra-t-il se résoudre à adopter le néologisme d’opposophage, mangeur d’opposition pour désigner les actes posés par le Président Macky Sall ? Lui-même nous y accule. L’évidence n’est que trop criarde quand on peut arpenter la galerie de ses liquidations politiques : Karim Wade en 2015, Khalifa Sall en 2018 et maintenant cette tentative maladroite et grossière sur Ousmane Sonko. En réalité, depuis son accession au pouvoir, il n’a eu de cesse de persécuter, et pour leur barrer le chemin ses différents challengers réels ou supposés dans la course au pouvoir. C’est de bonne guerre diraient ceux qui n’envisagent l’Etat en Afrique que dans une perspective néocoloniale : celle de la reproduction de l’Etat colonial. Mais notre peuple a-t-il besoin de tourner en rond dans ce type de cercle vicieux ? Force est de constater donc, en observateur assidu et analyste de l’histoire de la vie politique de ce pays qu’il s’agit d’un sous-système Macky et dont les mécanismes et rouages peuvent être aisément démontés, mis à nue.

Le Président Macky Sall a beaucoup appris des erreurs d’Abdoulaye Wade et identifié les facteurs qui ont été à l’origine de sa chute. Les maîtres mots sont maîtriser, neutraliser, réprimer. L’un des éléments déterminants ayant contribué à la grogne qui a emporté le pouvoir Wade, c’est la résistance frondeuse d’une certaine classe moyenne qui ne pouvait plus accepter corruption, démagogie, gabegie et gestion frauduleuse du pouvoir. Stratégie ? Ourlet cousu de fil blanc ! D’abord neutraliser les potentiels empêcheurs de tourner en rond. C’est le cas d’une importante frange de la presse si prompte auparavant à clouer au pilori le Président Wade et qui est brusquement devenue aphone ! Les mauvaises langues parlent d’arguments sonnants et trébuchants.

C’est aussi une partie de classe maraboutique qui a eu à bénéficier, elle aussi, des largesses du régime louant au passage la générosité du bienfaiteur et lui accordant sa prière pour qu’il continue, avec sa bénédiction, de régner ad vitam aeternam sur le Sénégal.

C’est C'est enfin, ayons la décence de le dire, ce monde universitaire auquel j’appartiens et qui a bénéficié d’un relèvement de ses indemnités, de la pension de retraite, certes fruit d’une longue lutte ! A moins de considérer la situation pleine d’incertitudes et paralysante générée par la pandémie, l’on peut s’étonner de l’aphonie du nombre d’universitaires habituellement contestataires et qui ont mis leur plume au service de l’alternance contre Wade. L’on est subitement devenus silencieux, très silencieux. L’effet soporifique du gain les a –t-il amener á se désintéresser des affaires de la res publica ? Peut-être simple coïncidence ! L’on ne peut que déplorer qu’une réhabilitation salariale soit perçue par les bénéficiaires non comme un droit du travailleur mais une rente destinée à inhiber toute réflexion et action sociale solidaire.

Ces facteurs maitrisés, Macky Sall se dote d’une armada répressive paradant le 4 avril afin de faire peur. L’espèce de torpeur ambiante, le culte de la prétendue « chiffre de croissance » aidant, l’ont convaincu que personne n’oserait contester son pouvoir.

Enfin, l’on ne peut ignorer l’extraordinaire et grandiose transhumance politique qui a quitté les prairies bleues et vertes pour des haciendas marron-beige beaucoup plus luxuriantes : les ralliements d’Idrissa Seck, d’Aissata Tall Sall, de Cheikh Tidiane Gadio pour ne citer que ceux-là. Mutation ou variant, pour reprendre le discours des circonstances, qui ont achevé de hisser au rang de « génie politique », ce despote léger et maladroit.

Dès lors, rien ne pouvait résister à ce « génie des Carpates », version tropicale dont le programme s’est fixé comme horizon, 2035. Le vertige du pouvoir, les moyens colossaux dont dispose le régime, les gadgets électroniques estampillés Big brother et les lois liberticides de la COVID 19 constituent des écrans de fumée. Fort du parrainage dont il s’est doté, il ne pouvait que se sentir le droit et le luxe de choisir ses adversaires. Auto-illusion : c’est le propre de la naïveté politique lorsque soufflent les vents de la vassalisation ! Ainsi pouvait-il jouer à l’autruche, pour ne voir ni les « hordes d’une jeunesse sans emploi » déambuler oisivement dans les rues lorsqu’elles ne tentent pas le saut suprême et fatal dans l’océan ou le désert ; ni entendre le cri sourd, le grondement d’une jeunesse désabusée ; ni sentir le catalyseur d’une rancœur légitime prônant la rupture.

La toute-puissance instruit souvent l’acte de trop : la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Pas drôle, dans tous les cas, cette affaire de mœurs ourdie par des comploteurs sans grande imagination. Spectaculariser l’obscène, faire des tribunaux une fois de plus le théâtre du lynchage public.Mais le diable parfois se cache dans le détail d’une mise en scène très peu crédible. Normal qu’il s’ensuive cette bourrasque qui emporte tout sur son passage.
Le monarque pittoresque est finalement descendu finalement de son piédestal pour dire à son peuple « je vous ai entendu, je vous ai compris » !
Ce qui est désormais sûr c’est que rien ne sera plus comme avant ! Ce peuple, à chaque fois qu’il a été confronté à ses démons, il a su relever la tête pour les regarder en face !

Saliou Ndour
Maître de conférences
Université Gaston Berger