NETTALI.COM - Aurait-il fallu attendre de voir toute cette désolation, ces scènes de destructions, de violences, de morts d’hommes, d’incendie et de pillage pour enfin daigner se lancer sur le chemin de l’apaisement ? Les familles religieuses à travers leurs représentants, des membres de la société civile et de bonnes volontés, ont fait le boulot. Ils ont tendu la perche à Macky Sall, il lui ont même sauvé la mise en lui permettant d’afficher une volonté de dégel que lui a imposé la situation. Il fallait bien qu’il se tirât d’affaire en se drapant des habits de maître du jeu, alors qu’au fond, l’on sait bien que c’est la rue qui a dicté sa loi.

Beaucoup d’acteurs politiques ont en effet fini de dépeindre le chef de l’Etat comme un homme intransigeant qui lâche difficilement prise lorsqu’il s’engage sur le terrain de la confrontation. Le journaliste Mahmoudou Wane dans un de ses récents éditoriaux, confirme : « le Président Macky Sall a passé le clair de son temps à casser ses opposants. Il ne lésine pas sur les moyens qui peuvent être brutaux, comme ce fut le cas avec l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall. Il peut même être perçu comme un serial killer méthodique qui sait camoufler ses actions ; actions qui ne se révèlent à la lumière du jour que lorsqu’il a atteint ses objectifs. Nous savons que derrière ses apparences de douceur, se cache un homme qui peut être impitoyable. Bref, Macky Sall n’est pas un enfant de cœur.»

Pouvait-il malgré cette intransigeance et son côté acharné, poursuivre sur cette voie de l’escalade ? Eh bien, il a pris conscience que la situation était devenue intenable. Les titres de la presse quotidienne de ce lundi 8 mars s’étaient déjà faits l’écho de ce sentiment de décrispation. « Le Soleil », le journal gouvernemental, le bon baromètre, avait barré à sa une du lundi 8 mars : « Appels au calme à l’unisson » et cité à travers des sous-titres : « les émissaires des khalifes généraux qui déclarent : « le président a décidé de donner une suite favorable à notre demande » ; « religieux, politiques, diplomates et société civile invitent à la sérénité », « la garde à vue de Sonko levée, son caméraman et son garde du corps, libérés ». Un signe annonciateur d’une décrispation bien bavarde et que même les plus nuls en météo, avaient déjà vu arriver à grands pas.

Finalement dimanche soir 7 mars, veille de l’exécution du mandat d’amener décerné par le juge d’instruction, ce fut la levée de la garde à vue d’Ousmane Sonko, de son cameraman et de son garde du corps. Lundi 8 mars, le leader de Pastef n’était plus poursuivi pour trouble à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée.

Toujours est-il que, même si Ousmane Sonko n’est pas encore tiré d’affaire dans le dossier de viol et de menaces de mort, étant inculpé et placé sous contrôle judiciaire, il a fini par être libéré.

A la vérité, ce scénario, Macky Sall ne l’avait pas prévu. Il ne l’avait pas non plus vu venir. D’aucuns disent que la politique est une affaire de rapports de forces où les faibles finissent toujours par être piétinés et écrasés. Ceux-là ont peut-être raison, mais elle va au-delà du simple rapport de forces.

Les qualités de stratège politique dont on pare Macky, ont-elles subitement fondu comme neige au soleil ? L’on ne voit pas du tout quel génie il y aurait dans le fait de détenir les forces de défense, de sécurité, l’exécutif, le législatif, l’administration, les sous de la république et le parquet par la voie du ministre de la Justice, son supérieur hiérarchique et de dominer le jeu politique à travers des subterfuges. Macky qui voyait les Sénégalais comme des gens dociles, se rend désormais compte du contraire. Il réalise surtout du haut de son trône qu’il y a des bataillons de frustrés, éreintés par une pandémie qui les a gardés prisonniers à domicile le soir, tout en limitant leurs capacités de débrouillardise le jour, dans un pays où la création d’emplois est une exception ; également des jeunes sans perspectives et sans horizon clair tracé. Il les a entendus et c’est pourquoi lors de son discours, il a promis de voter des lois de finance rectificative dans le but de réaffecter des budgets, de manière à investir dans la formation et le financement des projets des jeunes. Espérons juste que cette initiative ne vienne pas rejoindre la pléthore de projets dédiés aux jeunes et sans grande efficacité.

Et même si les sorties de ce lundi n’ont pas été le mot de la fin entre Macky Sall et Ousmane Sonko, c’est à un duel qu’on a assisté. Ce dernier, dans un discours fort offensif, s’est inscrit dans une logique de mettre la pression à Macky Sall en le chargeant notamment sur la question du 3ème mandat, une traduction devant la Cour pénale internationale, la question casamançaise, le respect du calendrier républicain et des manifestations périodiques. Il l’a même accusé de « haute trahison ».

Mais dans ces deux sorties, il y a eu comme une sorte de course poursuite au timing. Conscient que Macky Sall allait intervenir à 20 h, Ousmane Sonko a cru bon de le devancer, question de le mettre dans une posture de réaction à son discours. Une sortie de Macky Sall qui aurait dû faire depuis lundi, entachée qu’elle est par ce discours malheureux du ministre de l’Intérieur Diome et qu’Idrissa Seck n’a malheureusement pu arranger. Ils ont tous les deux raté l’occasion d’ajouter leur pierre à l’édifice de l’apaisement. Antoine Diome devrait s’évertuer à sortir de ses habits de procureur avec son ton martial et volontairement guerrier. Idrissa Seck lui tentait d’enfoncer Sonko. Ce dernier d’ailleurs ne cesse de s’enfoncer et manque tellement de discernement qu’il ne sait plus ce qu’il doit inventer pour plaire à son nouveau maître. Après « Mbourook soow », on ne sait ce qu’il nous sortira encore de sa besace. Ousmane Sonko, libéré, un flash-back de ce qu’Idy a dit ce week-end, doit lui dire dans le bouillonnement de sa conscience qu’il aurait mieux fait de se taire. Jouer les mauvais rôles, ne peut être une vocation dans la vie. Bon sang ! Mais à la vérité, Macky Sall manque de conseillers à même de le conduire sur des voies mieux éclairées, pacifiques et certainement pas belliqueuses comme on le constate de plus en plus souvent dans ses sorties.

Si Sonko ne voulait pas en effet se laisser amener à l’échafaud sans broncher, c’est parce qu’il se dit conscient de n’être pas coupable de ce dont on l’accuse. Les précédents Khalifa Sall et Karim Wade sont là pour lui rappeler une règle de prudence selon laquelle même s’il y a beaucoup de juges indépendants, il y a des raisons de se méfier. Ceux-là ont été jugés et condamnés et depuis ils sont écartés du jeu politique et attendent une improbable amnistie et un retour hypothéqué pour Karim Wade au Sénégal, retenu au Qatar par on ne sait quelle décision de justice. A moins d’un compromis comme beaucoup ont eu à le dire sous le vocable de deal politique.

Le leader de Pastef a ainsi préféré prévenir la situation, ayant le pressentiment qu’il pouvait subir le même sort. C’est le sens qu’il faut donner à sa déclaration qu’il avait balancée et selon laquelle Macky Sall devait se salir les mains… Bref, une stratégie qui a porté ses fruits. Le ténor du barreau et non moins avocat d’Ousmane Sonko pense tout simplement qu’ « il est temps que l’on se débarrasse de juges et de procureurs qui pervertissent notre système judiciaire. Le procureur de la République doit démissionner. On doit l’enlever de ce poste. Le Doyen des juges aussi pareillement et tous les magistrats qui ont toujours été à la solde du pouvoir exécutif et qui ont fait que l’Etat de droit a reculé. On devrait les affecter ailleurs ».

Dans cet affrontement, toutes les parties en scène doivent comprendre que personne n’a intérêt à l’effritement du contrat social pour le bon vivre-ensemble. Les méthodes au-dessous de la ceinture sont à bannir de l’espace public, tout comme la culture d’arrogance et de haine, les violences verbales infantiles. Ousmane Sonko aura réussi au moins une chose, installer une jurisprudence politique qui montre que les Sénégalais ont des ressources inépuisables enfouies qu’ils sont capables de réveiller à chaque fois que nécessaire. Le 23 juin est d’ailleurs là pour nous le rappeler. Les Assises nationale aussi avec le symbole vivant qu’est Amadou Makhtar Mbow qui va fêter ses 100 ans. Une performance politique qui déroutera Me Abdoulaye Wade au point de lui faire perdre son sang-froid. Gorgui passera en effet le reste de son mandat à s’attaquer au Vieux Mbow, qui le distraira à souhait.

Bref, il faudra en revenir à une véritable éthique de la responsabilité, qui intègre une culture de la discussion comme cela a toujours été le cas dans ce pays, même dans les moments les plus sombres.

Les médias : grandes victimes de cette crise

Les médias ont couvert cette affaire de bout en bout et permis aux Sénégalais d’en connaître les moindres détails. Mais avec les conséquences que l’on sait : assauts contre la TFM, RFM, L’Observateur, Dakaractu, Le Soleil. Résultat des courses, ce sont des véhicules incendiés et des bâtiments de ces rédactions caillassés, sans parler des journalistes qui ont été empêchés de faire leur travail, lorsqu’ils n’ont tout simplement pas été intimidés et menacés. Mais dans cette brume médiatique, l’attitude la plus honteuse a été la coupure du signal de Walf TV et de Sen TV. Face à ce qui peut être considéré comme une agression, les déclarations de principe enregistrées n’ont pas suffi. La presse aurait dû mener une action beaucoup plus significative de manière à ce que Babacar Diagne ne recommence plus jamais. Cela a été le plaidoyer de Serigne Saliou Guèye sur la Sen TV qui a poussé un gros coup de gueule. Il pense même que feu Babacar Touré n’aurait jamais pu commettre un tel acte.

Si Babacar Diagne a cru avoir handicapé ces chaînes en posant ces actes, il a eu tort. Et même s’il les a privées d’une partie de leur audience habituelle qui ne pouvait accéder à internet, ces médias se sont reportés sur internet et les réseaux sociaux, enregistrant des audiences inespérées et inhabituelles. De quoi les doper pour la suite en augmentant leurs publics. En vérité, c’est sur internet que l’essentiel de l’information en temps réel était diffusé. C’est aussi le lieu de l’interactivité mais aussi de tous les fake news dans une confrontation où la bataille de l’opinion a été décisive. Bougane Guèye Dany qui a eu si souvent maille à partir avec le Cnra et Babacar Diagne en particulier, a nargué ce dernier en ces termes : ”Babacar Diagne tu peux garder ton signal TNT, on préfère le signal du peuple. On a su décrypter le signal. 1.400 000 vues sur Dmedia l’officiel (YouTube) en moins de 14 heures et plus de 2.000.000 de vues sur Facebook en 24h avec Sen Tv l’officiel…Free Sénégal“, a-t-il écrit sur sa page Facebook.

Loin de dire que le travail des médias est parfait, il y a évidemment des dérives, des traitements tendancieux, selon qu’on est pro et anti. Des situations qui ne devraient nullement exister. Le journaliste doit s’attacher aux faits et apporter les clefs de la compréhension des évènements en étant le plus précis possible. Beaucoup de journalistes télé et même au-delà, doivent s’inspirer de Daouda Mine qui décrypte les aspects juridiques sur la TFM. Et surtout nous épargner leurs opinions qui ne sont pas nécessaires pour une bonne compréhension de cette crise. Comme le fait cette armée de chroniqueurs qui a fini d’envahir nos plateaux-télé. L’éloquence ne peut suffire à faire le bon acteur des médias. Des médias, les gens attendent de l’info. Mais celui qui la donne doit être sourcé pour arriver à collecter de l’information, recouper et vérifier. L’exemplarité dont Daouda Mine fait montre dans le traitement de l’information, est incontestable. Et même Abdou Mbow sur la TFM le reconnaît volontiers. Formé en droit et ayant fait les rédactions et exercé pendant plusieurs années en tant que chroniqueur judiciaire, il est toujours précis dans ce qu’il avance, citant des articles et rétablissant les faits à chaque fois que nécessaire. Un fait d’autant plus crucial au regard du contexte où la manipulation semble avoir été érigée en règle.

Au finish, cette affaire Sonko a été un test grandeur nature en direction de 2024 et remet en selle l’équation du 3ème mandat. Macky Sall qui croyait pouvoir tout faire subir aux Sénégalais, a été dérouté par cette armée de manifestants dans sa stratégie qui consiste à toujours vouloirs imposer sa volonté. Il a affirmé avoir entendu les cris des jeunes. Mais il n’y avait pas qu’eux, il y avait aussi dans cette armée de manifestants, des partisans de quelques-uns de ses anciens ministres du gouvernement. Une grande équation à décrypter. Mais pour l’heure, le contrôle judiciaire infligé à Sonko, apparaît comme une manière de le tenir en laisse. Un combat qui n’en est pas encore à son épilogue. Sonko a demandé à ce que Khalifa Sall et karim Wade recouvrent leurs droits. Cela l’arrange-t-il vraiment ou s’agit-il juste d’un discours de communication ? Et si Macky Sall le prenait au mot ? Une bonne question. Une revendication qui pourrait bien inspirer le président Sall, si jamais, il décidait d’abdiquer, question de compliquer davantage le jeu politique. Une chose est sûre, en politique, il ne faut jamais dire jamais.