NETTALI.COM - "Notre démocratie est en danger". Une phrase souvent entendue surtout en ces temps d'arrestations, de manifestations, de saccages et de violences tous azimuts. Un monsieur bien inspiré a posé une question bien simple : «quand avions-nous été une démocratie ?».Une question intéressante à poser puisque cette démocratie sénégalaise a souvent été vantée et présentée comme une vitrine en Afrique.

Est-ce parce que nous avons connu des  alternances au bout de deux, trois mandats de présidents, une presse jugée libre dans le temps grâce à un certain pluralisme, un faible niveau d’embastillement de journalistes et quelques manifestations autorisées sur la voie publique ?

La démocratie est une quête perpétuelle, c’est sûr, mais qu’est-ce qu’il nous reste de chemin à parcourir avant d’espérer figurer au rang de grande démocratie, même si nous sommes une jeune nation. Dans ces pays-là qu’on cite volontiers comme des références, beaucoup de choses que nous cherchons à conquérir, y sont déjà des acquis. A l’opposée, nous en sommes encore à débattre de fichier électoral, de dialogue politique, d’un ministre de l’intérieur organisateur ou non d’élections, de parrainage, de référendum, d’inscription sur les listes électorales, de manifestations autorisées ou non, de nouveau code de la presse voté depuis 2017 et dont on attend toujours l’application complète. Bref d’énormes progrès restent à accomplir et de grands bonds à opérer.

Mais pour l’heure, ce qui se donne à lire, n’est guère rassurant. Cette presse, un des piliers de notre démocratie, aussi imparfaite soit-elle, a été attaquée dans ses fondements. Le groupe Futurs médias (Tfm, RFM et l’Observateur), a été pris d’assaut, les véhicules de ses employés saccagés, les immeubles de la Médina et des Almadies caillassés. Même sort pour « Le Soleil » et « dakaractu ». Ils ont tous été victimes d’attaques. De l’autre côté, c’est le signal de Sen TV et de Walf TV qui a été coupé par le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (Cnra) qui leur reproche un traitement tendancieux.

                                                            Médias pris dans l’étau des agressions et de l’auto-censure

Deux logiques s’affrontent ainsi dans cette histoire de couverture médiatique entre ceux qui seraient pro et anti Sonko. Devrions-nous en arriver à ces extrémités ? Assurément non. Loin de dire que le travail journalistique dans ce dossier est parfait. Dieu sait, considéré dans sa globalité, qu’il y a des manquements. Des hommes de médias qui se plaisent à faire leur travail au gré de leurs intérêts et de leur subjectivité, peuplent aussi ce métier et sont tout simplement sur le registre de l’opinion et loin des faits. Certains prennent parti, et cela est visible. Ils sont loin de leur rôle ceux-là. Que diable un journaliste fait-il sur les réseaux pour animer des tribunes ? C’est pour détenir la sienne et prendre la parole comme cela lui plairait ?

Certains d’entre eux foulent tout simplement au pied, l’éthique et la déontologie du métier considéré par ailleurs comme un 4ème pouvoir et un des derniers remparts de notre démocratie très imparfaite. Ceux-là, quelle que soit par ailleurs la tribune qu’ils occupent, sont déjà estampillés journalistes et ne sauraient se débarrasser de cet habit. Ils seront toujours vus comme tel. Mais ces journalistes qui ne représentent pas la majorité dans leurs rédactions, ne doivent toutefois pas laisser penser que la presse est globalement tendancieuse au point d’aboutir à une solution aussi extrême qui est de couper des signaux. Des médias d’Etat sont pourtant coutumiers de ce traitement tendancieux de l’information, leur a-t-on déjà coupé le signal ?

Le Cnra doit se montrer plus raisonnable et s’évertuer à mieux assumer son rôle et éviter de tomber dans de tels travers. Il a souvent eu maille à partir avec la Sen TV. Et loin de nous toute idée de dire que cette chaîne fait toujours bien les choses. Mais un fait est que dans les mises en garde qu’elle adresse, aucune efficacité n’est relevée car ce ne sont que des généralités qu’on y note et des réactions bien tardives. Le Cnra va certainement se muer en Harca et acquérir plus de pouvoir entre autres, celui de veiller à l’application effective des cahiers de charges signés et si besoin retirer des fréquences ou couper un signal. Un acte qui doit toutefois être appliqué avec discernement plutôt que dans une logique coercitive ou de bâillonnement.

A l’opposée le tribunal des pairs semble bien plus efficace car il cite nommément les organes en cause et ses décisions sont en plus motivées.  Il peut suspendre un journaliste coupable de manquement à ses obligations éthique et déontologie et peut demander à la Commission de la carte nationale de la presse le retrait momentanée ou définitif de la carte qui était délivré au «condamné». D’ailleurs, c’est un principe : le journaliste ne reconnaît que la juridiction de ses pairs.

Un signal coupé est toujours mal interprété au regard surtout d’un contexte aussi sensible et confus. Cet acte laisse même planer la vague impression d’un état qui pose des actes sans vouloir être gêné par des sons de cloche contraires.

Les médias ont permis d’informer les citoyens et participent au quotidien à la formation de l’opinion, dans les rangs des pro comme anti Sonko. L’on doit se rendre compte que ces organes ont permis d’informer sur les détails du dossier, ils ont permis que les circonstances soient reconstituées. Bref si ce n’était pas eux, ils ne seraient certainement pas là aujourd’hui en train de manifester parce que les médias relaient les communiqués, les positions des avocats, d’Ousmane Sonko et de ses partisans, de l’Etat, du ministre de l’Intérieur, etc. Il ne faut donc nullement considérer la presse comme une alliée de circonstances. Et il faut surtout la respecter quand bien même il y aurait des brebis galeuses en son sein (comme dans toutes les autres corporations d’ailleurs). Mais heureusement d’ailleurs que le pluralisme de la presse permet toujours de déceler le vrai du faux parce que quoi que l’on fasse, il existe des titres équilibrés et très attachés aux faits.

                                                                                               Une justice prise au piège

Mais le sort que subissent les médias à l’heure actuelle, est un fait qui vient s’ajouter à cette impression de soumission de la justice à l’exécutif dans notre pays. L’impression que la justice n’est pas indépendante est réelle. C’est une perception qui ne correspond pas à la réalité dans certains cas, même si des faits têtus sont là pour prouver que les Sénégalais ont des raisons de douter dans certaines circonstances, en général politiques, de la justice. Comment comprendre par exemple que dans son communiqué pour dénoncer  « les attaques dirigées contre l’institution judiciaire, notamment le tribunal de Pikine-Guédiawaye“, l’Union des Magistrats du Sénégal ait invité avec insistance ses collègues « à faire preuve, conformément à leur serment, de neutralité et d’impartialité et à ne céder à aucune pression, d’où qu’elle vienne » et « en appelle au sens des responsabilités de tous, pour le bien de la Justice, qui est le dernier rempart de la société ». M. Téliko et l’Ums au-delà, sont bien conscients de cas de partialité et de pressions qui peuvent exister. N’est-ce pas le sens de son combat de tous les jours, lorsque par exemple, il demande avec insistance que le président de la République et le ministre de la Justice ne puissent plus siéger au Conseil supérieur de la magistrature et ne soient plus responsables de la carrière des magistrats ?

Au-delà, dans ce dossier de viols, l'acte qui étonne, c'est le dessaisissement du juge d’instruction Mamadou Seck au profit de son collègue Samba Sall, Doyen des juges. Ce qui a fait dire à Me Bamba Cissé qu'il s'agit là d’un « effondrement de notre système judiciaire » constatant qu’ « un juge d’instruction, dans une affaire pour laquelle il a refusé de prendre des instructions, a décidé de se dessaisir. C’est un acte historique. Je n’en ai jamais vu. Peut-être d’autres l’ont vécu, mais pas moi », a-t-il fait remarquer. Le fait que Sonko ne soit pas encore inculpé dans aucun des dossiers, est toutefois de bonne augure. un fait qui peut bénéficier à leur client dans un contexte où des médiations tous azimuts sont entreprises par les familles religieuses, des membres de la société civile, des bonnes volontés et un apaisement demandé. Et en fait d'apaisement, la garde à vue du leader de Pastef pour trouble à l'ordre public, a été levée, et le doyen des juges l'a inculpé et placé sous contrôle judiciaire dans l'affaire de viol, ce lundi 8 mars, suite à un mandat d'amener décerné.

Toujours est-il que l’attitude du juge d’instruction du 8e cabinet Mamadou Seck, dans l’affaire Sweet Beauté, a obligé le Procureur de la République à changer ses plans en jouant la carte trouble à l’ordre public. En effet, si Ndèye Khady Ndiaye, la propriétaire du salon de massage a été inculpée, mais placée sous contrôle judiciaire, cela veut tout simplement dire que le juge d’instruction Mamadou Seck n’a pas suivi le procureur qui avait requis le mandat de dépôt. Suffisant donc pour que ce dernier ait changé de fusil d’épaule. En se basant sur les évènements survenus ce mercredi 3 février, il a tout simplement ordonné à la gendarmerie de procéder à l’arrestation du leader de Pastef pour «trouble à l’ordre public» et obtenir ainsi la garantie qu’Ousmane Sonko ira en prison dans tous les cas. En effet, le leader de Pastef est arrêté sous le régime du flagrant délit. Ce qui coupe l’herbe sous les pieds de l’opposition dont les députés ont déposé un recours pour obtenir l’annulation de la levée de l’immunité parlementaire d’Ousmane Sonko. «L’ingéniosité» du Procureur de la République. En visant le délit de «trouble à l’ordre public» prévu par l’article 80 du Code pénal, il obtient la garantie que n’importe quel juge d’instruction à qui il confiera le dossier, sera dans l’obligation d’envoyer Ousmane Sonko en prison. Sauf bien sûr retournement de dernière minute. En effet, l’article 139 du Code de procédure pénale dispose que lorsque le procureur vise les articles 56 à 100 et l’article 255 du Code pénal, le juge à qui le dossier est confié est tenu de placer la personne inculpée sous mandat de dépôt.

D’ailleurs, ce que tous les opposants politiques de toutes les époques ont toujours dénoncé, eh bien ce sont ces articles jugés liberticides. Mais une fois au pouvoir, ils oublient qu’ils avaient contesté ces lois qui leur servent purement et simplement à bâillonner de l’opposant. Ironie de l’histoire, retournés dans l’opposition, ils se remettent à dénoncer ce qu’ils avaient permis. C’est parce que simplement, dans le code pénal, il n’y a pas de délit politique. Aussi, pour museler l’opposition, les gouvernants ne peuvent se rabattre que sur ces articles liberticides qui répriment l’appel à l’insurrection, le trouble à l’ordre public, l’offense au chef de l’Etat, la diffusion de fausses nouvelles, etc.

Des lois en tout cas dénoncées puisqu’elles lient n’importe quel juge d’instruction, aussi libre et indépendant soit-il.

C’est là aussi que se trouve l’erreur qui consiste pour le grand public à accuser certains juges d’être instrumentalisés en leur reprochant de ne pas être indépendants, alors qu’ils sont tout simplement obligés d’aller dans le sens du réquisitoire du procureur. Ce qui pose évidemment la question de la disparition de ces articles 56 à 100 et  255 du code pénal tant demandée.

Là ne sont pas les seuls reproches faits au fonctionnement de la justice. Il y a aussi ces affectations déguisées de juges du siège dénoncées par l’Union des Magistrats du Sénégal (Ums) et pourtant protégés par le principe de l’inamovibilité. Ils sont parfois mutés au titre d’intérimaire (qui devient définitif) à des postes de conseillers pour combler des vacances de postes, alors que l’objectif visé selon le syndicat est tout juste de procéder à des affectations sans en donner l’air. La toute-puissance du procureur de la République est tout aussi dénoncée. N’est-ce pas la motivation de l’une des sorties du ministre de la Justice qui dénonçait tantôt les nombreux mandats de dépôts. Ailleurs sous d’autres cieux, c’est un juge des libertés qui statue sur l’opportunité ou non de placer les mis en cause en détention. La question de la liberté provisoire au Sénégal qui finit par devenir une sorte d’épée de Damoclès sur la tête des opposants, est un autre sujet de préoccupations. Elle finit même par être vue comme une règle.

Il ne s’agit en tout cas nullement ici de faire le procès de la justice, mais il s’agit plutôt de relever, que dans la justice comme dans la presse, ne pas faire son travail suivant les règles qui gouvernent les deux métiers, conduit inéluctablement vers des sentiers dangereux. Loin de dire qu’il s’agit là de cela, il convient de noter qu’il y a une confusion telle qu’il est difficile de distinguer le vrai du faux dans ce dossier. La procédure à l’Assemblée nationale, à la gendarmerie et désormais devant la justice, est tellement chahutée que la mise en œuvre des lois, devient incompréhensible et injustifiée aux yeux de certains qui ne manquent  pas d’y voir un règlement de compte politique. L’histoire du viol semble ne plus prospérer aux yeux de certains puisque selon une certaine opinion, il ne s’agit plus, ni plus, ni moins que d’un duel Macky-Sonko.

Est-il nécessaire d’évoquer le cas de l’Assemblée nationale ? Elle est comme dans toutes les démocraties, guidée sous nos cieux par le principe de la majorité mécanique. Sauf qu’ailleurs, des députés peuvent être indépendants et être dépositaires d’un mandat impératif et défendre d’abord en priorité l’intérêt de leur électeur. Ici, ils ne représentent purement et simplement que le président de la République avant tout autre groupe d’intérêt, personne ou cause.

                                                                       Une bombe sociale qui explose, la sortie de Macky exigée

La perception d’une justice aux ordres produit inéluctablement cette conséquence qui est ces manifestations tous azimuts des partisans de Sonko. Et pas seulement d’ailleurs. Il y a dans ces foules, un concentré de frustrés qui trouvent un terreau fertile pour se défouler et manifester leur colère, leurs insatisfactions. Mais aussi des délinquants et des voleurs. Des scènes que l’on ne voyait qu’à la télé et à l’étranger  apparaissent subitement dans nos murs, alors que l’on avait fini de croire que cela n’arrivait qu’aux autres. Oups pardon, nous oublions les évènements Sénégal-Mauritanie ! Cette foule de jeunes qui ne semble pas voir un avenir tracé et un horizon clair, semble tous converger vers des revendications qui n’ont rien à voir avec cette affaire.

Mais au fond, on est devant une bombe sociale qui explose à travers ces manifestations, et surtout à cette époque de galère avec la pandémie pendant laquelle la bonne femme ne peut plus vendre son couscous du soir, ses sandwichs ou son « ndambé », enfermée qu’elle est par un couvre-feu dont on s’interroge finalement sur ses motivations et son efficacité. Si on ajoute à cela la question de l’organisation de la campagne de vaccination avec ces autorités qui, sous couvert d’exemplarité, s’approprient des vaccins destinés en priorité aux personnels de santé de première ligne et aux personnes atteintes de comorbidité. C’est tout simplement désespérant.

Les attaques perpétrées contre les enseignes françaises sont à déplorer. Saccagées, incendiées, détruites, pillées, ces manifestations violentes, organisées et planifiées ou pas, sont insensées. Leurs conséquences, c’est la destruction de nombreux emplois de Sénégalais, mais aussi de franchises tenues par des Sénégalais. Mais au-delà, cela pose notre rapport à la France qui doit être plus équilibrée et ne pas se résumer à une sorte de chasse gardée où le Sénégal est considéré juste comme une part de marchés. Il y  a longtemps que la colonisation est révolue et nos chef d’Etat doivent davantage raisonner en termes d’intérêts de Sénégalais, Ivoiriens, Béninois, maliens, etc

Cette situation qui se donne à lire, n’augure rien de bon : sang versé, blessés, morts d’hommes, saccages, incendies et pillages de stations, de magasins, de banques, d’agences téléphonique, de bâtiments administratifs, peur de se déplacer, angoisses, violence etc. Il est plus que temps de sortir de cette impasse au risque d’allumer un grand brasier dont l’ampleur ne peut être mesurée. La grenade est dégoupillée, mais qui pour la désamorcer ?

L’on s’attendait à un discours d’apaisement du ministre de l’Intérieur, mais son ton a été martial, le contenu sentencieux. ‘ « Conspirations », « actes de terrorisme qui relèvent du grand banditisme organisés’ », « les personnes impliquées seront traquées et traduites en justice», le discours, volontairement guerrier de Félix Antoine Diome, vient rappeler sa fonction de procureur d’antan. Il ne sied pas au contexte et ne contribue qu’à mettre de l’huile sur le feu. A y regarder de près, il aurait mieux fait de se taire. Tout comme Idrissa Seck. Son discours volontairement maladroit et vicieux, n’amène rien de constructif au débat. Il le ridiculise même. La communication pour être audible, a besoin d’être portée par des gens crédibles dont l’autorité morale est sans conteste. Celui qui est plutôt attendu, c’est bien le président de la République qui ne devrait regarder le pays qu’il gouverne, brûler et sombrer dans un tel chaos. Jugé par beaucoup comme un homme intransigeant dont les concessions sont difficiles à obtenir, il semble bien revenu à de meilleurs sentiments car cette atmosphère de chaos l'y oblige. Il semble même ne plus avoir le choix car cette situation qui se déroule sous les yeux des Sénégalais et du monde entier, il ne l'attendait pas.

Des images de saccages et de destruction d’une rare violence pire que le 23 juin, mais ô combien dévastatrices pour l’image du Sénégal à l’étranger. Cette horde de jeunes que l’on a vu déferler dans les rues dans une sorte de guérilla urbaine qui ne dit pas son nom, affiche la détermination et est difficile à contenir par ces forces de l’ordre bien éreintées et dépassées par ces évènements. Sinon y aurait-il autant de casses ?

Le président devait s’adresser à la nation, produire un discours d’apaisement et poser des actes de dégel, au moment où les familles religieuse, des hommes de bonne volonté et des acteurs de la société civile lui ont balisé le terrain et tendu une perche. D’autres l’ont tout simplement sermonné en lui rappelant un certain jour où il était convoqué à la Sûreté urbaine.