NETTALI.COM - Dans un entretien accordé au quotidien Le Témoin et diffusé ce samedi, la célèbre styliste Oumou Sy est revenue sur le scandale des mannequins convoyés vers la Lybie et qui avait défrayé la chronique au début des années 2000. Apportant sa part de vérité près de vingt ans après, elle déclare qu’il s’agit d’une histoire cousue de fil blanc à l’effet de permettre au président Abdoulaye Wade d’entrer dans les bonnes grâces des Etats-Unis d’Amérique, qui ne voyaient pas d’un œil ses connexions avec Mouhammar Kadhafi.

« C’est très simple ! Le Sénégal était invité d’honneur. Le président Wade allait être empêché, car il devait être à Durban tout en nous disant qu’il fallait que le pays montre les facettes de sa culture. En ce moment, il y avait un problème très politique entre le Sénégal et les Etats-Unis. Colin Powell (secrétaire d’état de Georges W. bush) avait fait le tour de l’Afrique sans poser le pied au Sénégal. Bush s’est justifié par le fait que c’est Kadhafi, qu’il considérait comme un terroriste, qui avait financé la campagne de Wade (présidentielle 2000). Il fallait un incident diplomatique pour faire les yeux doux aux Etats-Unis et c’est tombé sur moi. J’ai servi de bouc-émissaire et jusqu’à présent, je n’ai été réhabilitée ni moralement ni financièrement », raconte Oumy Sy.

Mais ce récit est truffé d’incongruités, frisant l’anachronisme.

Question : si le pape du Sopi était financé par un aussi riche parrain que Kadhafi, est-ce qu’il sentirait le besoin de mener sa campagne de 2000 à travers une « marche bleue » ? Ceux qui ne sont pas nés de la dernière pluie en politique savent que Wade était dans une sorte de dèche à l’époque et qu’il fallût, selon une opinion répandue, le soutien financier de Moustapha Niasse pour qu’il bâtît campagne à l’entre-deux-tours de cette présidentielle-là. L’actuel président de l’Assemblée nationale lui-même fera même des révélations croustillantes à ce sujet, au lendemain de la présidentielle de 2007.

Il est vrai qu’à l’époque, devant le désir de vengeance d’une Amérique frappée par les attentats du 11 septembre, la Libye était une cible qui figurait en bonne place dans « l’axe du Mal ». On sait également qu’il est intervenu un réchauffement momentané dans les relations polaires depuis l‘ère Reagan entre Tripoli et l’Occident, concomitamment au rapprochement entre Wade et le Guide de la Jamahiriya, que l’on situerait après le 11 septembre 2001. George Bush visitera même Dakar en 2003.

Cependant, l’explication qui est fournie par plusieurs sources, concernant l’implication de Abdoulaye Wade dans le jeu des puissances, serait reliée aux causes lointaines de ce qu’on appela « Protocole de Reubeuss », dont les principaux protagonistes sont l’ancien président de la République et Idrissa Seck

En clair, dans un article publié en 2011, le site d’informations tchadien Zoomtchad.com explique dans l’extrait qui suit :

« Durant son long séjour dans l’opposition sénégalaise, Wade a tenté maintes fois, de rencontrer Kadhafi sans succès, il lui est même arrivé de rester un mois à l’hôtel dans l’attente d’une audience selon les dires d’un grand connaisseur de la Libye, Ahmet Khalifa Niasse, homme d’affaires sénégalais chargé de l’introduire auprès de Kadhafi (précisons que le sieur Niasse faisait partie de l’état-major libyen installé à Faya pendant l’occupation libyenne, en appui aux forces de Goukouni et consorts, il avait créé lui-même un front de libération du Sénégal en Libye, il l’a d’ailleurs reconnu lui-même lors d’une émission). Toutefois, dès son arrivée au pouvoir, tout cela changera du tout au tout, en moins de 2 ans, Wade totalisera 12 séjours à Tripoli, visites sans raison officielle et sans compte rendu. De ses multiples tractations en Libye, le journal JA dira : « Wade ne peut conclure un entretien avec Kadhafi sans évoquer l’affaire Hissein Habré ». C’est lors de la crise ouverte entre Wade et son Premier Ministre Idrissa Seck au sujet d’une somme de 70 milliards de francs cfa reçue de la Libye, que désormais le doute n’est plus permis : Hissein Habré coûte 70 milliards. Idrissa Seck alors premier ministre de Wade était chargé de placer à l’étranger, et de faire fructifier l’argent reçu de Kadhafi. Seulement, quelque temps après, malgré plusieurs relances, l’ancien Premier Ministre refusa de rendre le pactole offert par Kadhafi ; c’est la crise ouverte entre les deux hommes, elle conduisit M. Seck en prison pour 9 mois, aux termes desquels un accord notarié fut signé par les deux hommes prévoyant la restitution de l’argent offert par Kadhafi. Tout ceci de manière officielle, puisque leurs avocats respectifs l’ont annoncé à la presse. Idrissa Seck fut libéré, blanchi de toutes les accusations brandies contre lui et, par conséquent, restitua une partie de l’argent en attendant l’exécution des autres conditions dudit accord pour rendre le reste. L’origine libyenne de l’argent de la discorde entre Wade et Seck fut confirmée récemment par un ancien de la DST française dans un livre intitulé « Allez y, on vous couvre ! ». Voilà la clé principale pour comprendre ce qui fait courir Wade derrière Hissein Habré 10 années durant sans relâche. Un pactole de 70 milliards de F CFA pour laver l’affront infligé par Hissein Habré à l’armée libyenne ».

Curieusement, lorsque l’affaire a rebondi en 2016, Samuel Sarr, l’ex-conseiller de Wade, parlera de 74 milliards. « Idrissa Seck est un affabulateur international. Il ment. Il parle de deal, c’est lui le dealer. C’est lui aussi le voleur. Il a volé 74 milliards de FCfa dans un compte qu’il a manipulé avant de le clôturer. Je pèse bien mes mots : il a volé 74 milliards de FCfa avant de fermer le compte bancaire », accuse l’ancien ministre de l’Energie.

Oumou Sy, en croyant trouver la bonne piste sur les complexes relations entre Abdoulaye Wade et Kadhafi, ne s’est-elle pas perdue dans un jeu de haute diplomatie dont elle ne maitrise ni la trame, ni les codes secrets ?