NETTALI.COM - C’est fou la vitesse supersonique à laquelle nos hommes politiques se brouillent et se congratulent. Wade et Macky à nouveau ensemble, qui l’aurait cru ! C’est un feuilleton pour lequel, l’on a toujours pensé qu’il n’y aurait plus de nouvel épisode.

Mais qu’est-ce qu’il est interminable ce feuilleton ! C’est aussi cet effet rebondissement qui tient en haleine, les téléspectateurs qui ne manquent d’ailleurs pas d’applaudir et de s’émerveiller du génie des acteurs. A la surprise générale, les deux ont raccroché les wagons. Le fils Macky tout sage, a accueilli le père dans ce qui fut son ancienne demeure. Une manière de faire un pas de plus dans ce qu’il est convenu d’appeler les retrouvailles de Colobane ou plus exactement le protocole de Colobane. Les gladiateurs sont devenus des colombes. En atteste l’adoption du blanc subitement devenu la couleur tendance depuis les retrouvailles.

Mais qu’est-ce que nos pauvres oreilles ont sifflé, suite aux agressions verbales de l’un et de l’autre. De l’eau a coulé sous les ponts depuis. On a désormais affaire à des échanges d’amabilités, de propos empreints de douceur, l’entente cordiale quoi ! Mais le problème, c’est qu’ils ne veulent même plus que nos oreilles indiscrètes entendent ce qu’ils se sont murmuré dans le palais de la République. Ils ont préféré se fendre d’un communiqué bien laconique aux phrases si empreintes de diplomatie pour révéler la teneur de leurs discussions. Jeu de cache-cache ou ruse de lièvres. Ndiombor a en tout cas subitement baissé d’un ton sur le pétrole et le gaz. Celui qui traitait, il y a quelque temps, le gouvernement de corrompu, suite au reportage de la BBC, a adopté un ton bienveillant, un ton de conseiller. Il a quand même demandé à Macky Sall, la préservation des intérêts des Sénégalais. Quand même !

Très inspiré ce cher Thierno Alassane Sall, ministre démissionnaire, il a vite fait de livrer un commentaire sur ce feuilleton qu'on évoquait tantôt. Dans un texte court intitulé « Dallas au Palais » et publié sur facebook, l’ex-ministre de l’Energie dénonce : « Les 2 acteurs principaux des deux contrats illégaux de Petrotim ont parlé de pétrole. Non pas pour s’amender et aider à retrouver les deniers publics, mais sûrement pour effacer les traces de leurs forfaits. Et on nous demande de saluer ces retrouvailles ». Et le sujet Karim dans tout cela ? Il a bel et bien été abordé. L’on nous apprend qu’Abdoulaye Wade a effectivement plaidé en sa faveur et veut le voir rentrer au bercail. Et même si Macky Sall ne lui a pas servi une réponse claire sur la question, il ne s’est pas non plus montré fermé sur le sujet. La question est maintenant de trouver la meilleure manière de concrétiser tout cela sans que le peuple ne pense que les deux hommes ont «dealé» sur le dos des contribuables sénégalais.

Me Wade semble en tout cas être dans toutes les dispositions possibles et imaginables pour ressusciter son fils. A-t-il seulement les moyens de faire autrement ? Il aura en tout cas tout essayé et ne semble plus avoir la force d’ouvrir de nouvelles hostilités. La question est dès lors de savoir jusqu’où ira Macky Sall dans les concessions ? Comment habillera-t-il une éventuelle amnistie si d’aventure il devait la faire ? La Crei serait-elle obligée de signer son acte de décès ? Comment les Sénégalais recouvreraient-ils leurs138 milliards ? Un duel Wade-Macky en tout cas riche en enseignements et qui montre à quel point la politique est une histoire de rapports de force à construire, organiser et dynamiser ; et non une affaire de buzz permanent.

Pour l’heure, ce sont les alliés et opposants engagés avec lui dans un compagnonnage et dans un dialogue national qui commencent à se poser des questions. Le spectacle qui se joue sous leurs yeux, leur paraît tout d’un coup flou et ambigu. A qui va revenir le statut de chef de l’opposition ? A Idrissa Seck ? Au PDS ? Va-t-on vers un gouvernement d’union nationale ? Va-t-on rebattre les cartes ? Autant de questions qui attendent aujourd’hui de trouver des réponses.

Macky Sall, en homme lucide et en fin politique, a vite fait de rassurer ses partisans au lendemain de sa rencontre avec Me Abdoulaye Wade. Au cours d’un séminaire avec les communicants de sa majorité, il  a lancé  : « Cette ouverture ne se fait contre personne ». Mieux, a-t-il dit « rien ne se fera contre les intérêts de la nation » Revenant sur le sens du dialogue, il s’est certes gardé de citer des noms, mais il a tenu à faire une précision de taille : « Cette ouverture, je l’ai voulue dès ma réélection parce que nous sortions d’une grande victoire. Vu le contexte, il faut élargir le cercle, il faut apaiser dans tous les domaines »

Mais le Président Sall ne compte pas pour autant baisser les bras et se laisser déborder. Il compte poursuivre son action. Aux communicants de sa majorité, il dira : « Ceci ne veut pas dire qu’il ne faut plus débattre. Il faut continuer à défendre le bilan.» Il les incite d’ailleurs à être plus agressifs. « Il faut anticiper, il ne faut plus attendre qu’on nous attaque pour réagir », a recommandé celui-ci. Le chef de l’Etat a également conseillé aux cadres de Benno d’investir davantage le numérique.

Sauf que dans cette éclaircie du moment qui n’arrange en grande partie que Macky Sall et Me Wade, l’euphorie sera de courte durée. Ce trouble-fête de Sonko s’est invité au banquet. L’affaire des 94 milliards a repris son cours et le brouhaha médiatique d’avant la présidentielle, vient perturber la tranquillité de cette paix libérale ? Elle nous replonge dans une vraie époque de grisaille et d’opacité totale. Voilà une affaire dans laquelle, on sort groggy, tant les explications obtenues par ci par là, sont affolantes. Ousmane Sonko, un opposant politique qui a fait de son fonds de commerce, les révélations sur ce qu’il appelle des scandales. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a été limogé de son poste d’inspecteur des impôts et domaines. Mais comme la recette porte ses fruits, il a continué à en créer. Une manière sans doute d’occuper l’actualité et de gagner la sympathie des citoyens qui ne voient que du feu dans cette brume bien épaisse de la gouvernance version sénégalaise. Entre accusations, attaques, contre-attaques, le jeune député a réussi à tenir en haleine le landerneau politique. Mamour Diallo, le principal mis en cause dans l’affaire, a même, un temps voulu ester en justice pour régler son compte à ce petit impertinent de Sonko, mais il devait attendre les conclusions de la commission d’enquête parlementaire. 94 milliards, un montant bien gros qui donne le tournis au galérien qui peine à assurer le petit déjeuner. C’est un sacré gros magot en effet ! Il est vrai que beaucoup se sont mis à se demander comment ceux-là-à supposer que ce soit vrai- ont pu encaisser tout cet argent sous le dos du contribuable ? Les gens ont du mal à s’imaginer que cela soit possible sous nos cieux ! Elle est quand même bien grosse cette affaire ! Et si c’était vrai ? Nos vaillants fonctionnaires de l’administration, même si ce n’est pas le cas de tout le monde, ne sont pas en effet les personnes les plus honnêtes au monde. L’écheveau est tout de même difficile à démêler.

En tout cas, une convocation de Sonko à l’Assemblée nationale fut agitée un temps avant la présidentielle avant d’être stoppée. L’élection passée, une fois la frénésie de l’affaire du pétrole et du gaz, s’estompe, Ousmane Sonko dépoussière le dossier pour le remettre sur la table. Il adressera à cet effet une plainte au procureur qui ne connaîtra d’ailleurs pas de suite. Le député ne s’avouera pas pour autant vaincu puisqu’il passera cette fois par le juge d’instruction, ignorant sans doute que celui-ci  s’en ouvrira au procureur qui devra se prononcer, sans toutefois être lié par un quelconque délai.

Mais bien avant la publication du fameux rapport de la commission d’enquête parlementaire, le sieur Sonko avait déclenché les hostilités, criant au complot avant l’heure. «Que tout le monde soit prêt, le combat vient de commencer», avait déclaré celui-ci le  week-end du 8 octobre lors de l’inauguration de la permanence de son parti à Pikine. «Leur volonté est de détruire mon casier judiciaire. Ils veulent m’empêcher de participer à des élections. Si ce pouvoir pouvait m’ôter la vie, il n’hésiterait pas. Nous ne sommes pas en face d’adversaires politiques, mais plutôt d’ennemis

Me El Hadji Diouf sentant l’occupation du terrain par le redoutable opposant, a mené la contre-offensive. Il n’avait plus lâché le sieur Sonko. L’avocat avait fait le tour de tous les plateaux télé pour accabler le député, démonter ses arguments. La suite, on la connaît, le bâtonnier interdira même une conférence de presse des avocats de Sonko.

L’ex-inspecteur des impôts avait même laissé entendre à la permanence de son parti : “Actuellement tout ce qu’il veulent c’est me coller une infraction sur le dos. Ils ont fouillé partout. Aux impôts et domaines avec leurs experts pour m’envoyer en prison, mais en vain. Ils ne pourront rien contre moi. Le plus grand rêve de Macky, c’est de me voir en prison. Mais il ne me verra jamais là-bas“.

Des propos d’Ousmane Sonko qui semblent cacher un malaise chez l’opposant le plus radical au régime de Macky Sall. En fait, pour la première fois, il semble perdre la main dans ce long feuilleton autour des 94 milliards du Titre foncier 1451/R.

Sonko a-t-il tout d’un coup peur des agissements du pouvoir ? En tout cas le teigneux opposant fait feu de tout bois. Il ouvre des fronts, attaque tous ceux qui semblent faire obstacle à sa progression. Le candidat arrivé 3e à l’issue de la présidentielle de 2019, croit savoir que les notaires ont été manipulés dans cette histoire de 94 milliards. « Je leur ai servi une citation directe », révélera-t-il. Poursuivant son argumentaire, il accusera même le bâtonnier d’être aussi manipulé. « Dans ce dossier, on y manipule le bâtonnat du Sénégal. Depuis combien de mois un avocaillon est en train de trimbaler et de m’insulter, sans que le bâtonnat ne réagisse ? Mais il a fallu que mes avocats veuillent organiser une conférence de presse pour que le bâtonnier sorte », dira Ousmane Sonko.

Mais c’était sans compter avec la détermination de la commission d’enquête  parlementaire qui livrera son rapport et tirera des conclusions en plusieurs points résumés :

Dans sa conclusion n°1, elle a ainsi attesté de l’absence de détournement de deniers publics et l’inexistence d’un quelconque comportement répréhensible de Mamadou Mamour DIALLO expliquant que dans l’Affaire dite des 94 Milliards, la seule personne habilitée à procéder aux paiements, est le chef du Bureau des domaines de Ngor-Almadies qui émet des chèques du Trésor dont il est l’unique signataire.

Dans sa conclusion n°2, elle a  fait savoir que dans le Contentieux sur le rachat de créances des héritiers par les sociétés SOFICO et CFU, Seydou dit Tahirou SARR, gérant des deux établissements, a déjà̀ dépensé́ plus de trois (3) milliards de FCFA dans ce dossier et les paiements qu’il a reçus jusqu’ici, ne couvrent même pas les sommes qu’il a avancées (on est très loin des 46 milliards régulièrement annoncés par Monsieur le Député Ousmane Sonko).  Les seuls montants qui sont sortis de la caisse du Trésor, à savoir les 2 845 875 000 FCFA, ont été́ payés à partir d’un compte de dépôt du Trésor dont le Receveur de Ngor Almadies Meïssa NDIAYE est le gérant exclusif.

Dans une Conclusion n°3, la commission a pointé du doigt l’existence de quelques dysfonctionnements dans l’organisation des services de l’Etat en matière d’expropriation, expliquant que la Commission d’Enquête a constaté́, pour le déplorer, que les délais de traitement des dossiers et d’attente des familles avant d’être indemnisées, sont trop longs.

 Et enfin dans sa conclusion n°4, elle a relevé la violation de la loi par le député́ Ousmane Sonko qui a joué un rôle d’intermédiaire pour le compte de certains des héritiers, en utilisant des prête-noms

Réponse du berger à la bergère, Ousmane Sonko, de démonter en pièces, le fameux rapport en ces termes : « D’abord, Mamour Diallo a validé une créance qui n’existe pas parce que l’expropriation de la famille Ndoye n’a jamais eu lieu. Le tribunal a refusé d’homologuer la cession de créance en faveur de Seydou Sarr. C’est donc sur la base d’une créance fictive qu’ils ont voulu payer 94 milliards. C’est extrêmement grave. » Pis, à l’en croire, la famille Ndoye ne possède qu’une partie du terrain en question. Le leader de Pastef-Les patriotes, de poursuivre son argumentaire en dénonçant une surévaluation de l’indemnisation à verser aux héritiers Ndoye.

En tentant de blanchir Mamour Diallo, a ajouté celui-ci, “l’Assemblée nationale a menti. Ils ont tenté de salir Ousmane Sonko. Rien ne me lie à la famille Ndoye que j’ai rencontrée trois mois après ma première plainte”. Selon l’ancien inspecteur des impôts devenu expert fiscaliste, son associé Ismaëla Ba a son propre cabinet créé en 2014 et c’est ce cabinet qui défend les intérêts de la famille Ndoye.

Ousmane Sonko a par ailleurs mis en garde contre toute tentative de l’emprisonner. « S’ils veulent brûler ce pays, ils n’ont qu’à essayer. Nous ne serons pas les agneaux que Macky Sall va sacrifier », a-t-il prévenu. Avant d’appeler la Casamance et tout le Sénégal à se lever pour dire non. « Ce ne sont pas des menaces ni un appel à l’insurrection, mais on ne peut plus laisser Macky Sall agir comme si le Sénégal était sa propriété », a-t-il laissé entendre.

Un feuilleton qui est en tout cas loin de connaître son épilogue puisque les avocats de Mamour Diallo ont annoncé le dépôt d'une plainte pour le mardi 15 octobre au moment où nous publions cette chronique. Ils viseront la diffamation.