NETTALI.COM - Elle a fini par être une vraie épine dans le pied du président Sall. Elle hante tellement le sommeil de ce dernier qu’elle a fini de vilipender jusqu’en France, à un point tel que même des dignitaires de Benno ne ratent plus d’occasions pour s’en prendre à elle. Des actes qui se font à coups de menaces, d’intimidations, comme s’ils s’étaient passés le mot. Ce sont les mêmes termes qui sont utilisés à chaque intervention comme s’ils cherchaient à rendre crédibles le risque couru par l’ancienne PM en continuant à braver leur patron, de manière à pouvoir le moment venu, passer à l’acte sans qu’aucun Sénégalais ne soit vraiment surpris.

Déjà dimanche 2 octobre, au  «Grand Jury » de la RFM, Me Oumar Youm, président du groupe parlementaire Benno avait prévenu que si elle pose certains actes, elle sera considérée comme démissionnaire. Traitée de « grande frustrée » par El Hadji Oumar Youm, Aminata Touré qui n'a pas sa langue dans la poche, avait activé son service de communication pour répondre sèchement. Ce dernier avait ainsi rendu public un communiqué à travers lequel, il était demandé à Oumar Youm de s'en tenir à sa déclaration déjà faite sur le 3e mandat. "Qu'Oumar Youm ait le courage de dire à Macky Sall de renoncer à un troisième mandat juridiquement et moralement inacceptable », pouvait-on lire dans la note des collaborateurs d'Aminata Touré. "Voilà que devenu président du groupe parlementaire de Benno Bokk Yaakaar, Me Youm se sent  obligé de donner des gages au Président Macky Sall avec l’inélégante et l’excès d’un repenti", avait ajouté le document.

Dimanche 9 octobre, invité de l’émission « Jury Dimanche » sur I-radio-I-TV, Ismaël Madior Fall, le ministre de la Justice, a abondé dans le même qu’Oumar Youm. « Si Mme Aminata Touré se considère comme non inscrite et qu’elle décide par son comportement, par son attitude, par son discours et par son vote de se dresser contre la majorité, elle ne fait plus partie de la majorité. Autrement dit, si elle cumule un comportement par le discours, par l’attitude, par le positionnement, par le vote comme quelqu’un qui ne fait pas partie de la majorité, elle sera démise de son mandat de député", a-t-il soutenu. Selon lui, la Constitution est claire : « Tout député qui démissionne de son parti, sera automatiquement déchu de son mandat. Maintenant, ce n’est pas seulement l’acte formel de démissionner. Mais on peut, à partir de son comportement, de son attitude, de son discours, montrer qu’on a démissionné. Je considère qu’elle est de bonne foi et qu’elle est toujours de la majorité même si elle est non inscrite», laisse-t-il entendre.

Difficile en effet de savoir si dans la conception de ces membres de la majorité, le député est un député du peuple ou d’une majorité ? En réalité dans la logique du législateur, il représente le peuple et non une majorité. Et cela, le professeur agrégé de droit constitutionnel qu’est Madior Fall, tout comme l’avocat qu’est Youm, savent qu’il n’existe pas de mandat impératif qui implique que le député doive obéir à une ligne de groupe. Ce qui veut dire, en d’autres termes, qu’Aminata Touré n’est nullement tenue de suivre aveuglément la loi de sa majorité qui lui dicterait de voter pour ou contre tel projet ou proposition de loi. Dans ce cas d’espèce, cette dernière ayant déposé sa démission de la majorité pour devenir députée non inscrite, a opté ni plus, ni moins pour la liberté.

C’est donc une volonté de la punir et de lui faire perdre son mandat, si d’aventure elle venait à poser certains actes qui feraient penser qu’elle a démissionné. La question à se poser est dès lors de savoir à partir de quel niveau de défiance, elle pourrait être considérée comme démissionnaire de son parti. Une posture qui ne semble au finish relever que d’une appréciation purement subjective.

N'est-ce pas Me Oumar Youm qui déclarait récemment à l’hémicycle, qu’il refuserait de voter toute loi promouvant l’homosexualité ? Pourquoi les autres députés n’auraient-ils pas eux aussi la liberté de refuser de voter tout projet ou proposition de loi qui irait à l’encontre de ses principes ?

La jurisprudence Mbaye Ndiaye et Cissé Lo, en question

Mais, en interrogeant la jurisprudence Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lo, députés de la Coalition Sopi et non du PDS qui n’avaient pas hésité à prendre fait et cause pour Macky Sall qui venait, en 2008, de quitter le PDS pour créer l’Alliance pour la République, l’histoire nous apprend qu’ils avaient été au finish exclus, ainsi que le soutenait à l’époque Doudou Wade, président du groupe parlementaire libéral :  « le fait est là. Par leur comportement politique, Moustapha Cissé Lô et Mbaye Ndiaye se sont placés hors du PDS. Leur attitude expresse est de faire du PDS un parti d’opposition. Ils travaillent avec les ressources politiques dont ils disposent, à la défaite du parti aux prochaines élections locales (prévue le 22 mars prochain ».

En revisitant les archives, l’on se rend bien compte que Mbaye Ndiaye en 2008 dans « Jeune Afrique» développait les mêmes arguments qu’Aminata Touré, en ces termes : « on m’a arraché mon poste de vice-président à l’Assemblée nationale, on m’a arraché mon poste de maire des Parcelles Assainies, il restait le mandat de député à l’Assemblée nationale. Mais, ce n’est pas eux qui peuvent m’empêcher d’être député à l’Assemblée. Je n’ai pas démissionné du PDS, personne ne peut me faire perdre mon mandat à partir de mon exclusion du PDS », soutenait ainsi l’ancien ministre de l’Intérieur.

Une manière de demander si au finish, la subjectivité et l’arbitraire ne pourraient pas avoir raison de la détermination de Mimi Touré à reprendre sa liberté et en faisant le choix de sortir du groupe parlementaire.

Le journal Enquête, dans un article qu’il consacre au sujet, ce lundi 10 octobre, cite l’ancien député Alioune Souaré qui considère que cette interprétation des dispositions de l’article 60 de la Constitution et 7 du Règlement intérieur, est complètement erronée. La loi, selon le parlementaire, est formelle. Elle vise bien les députés élus sur la base d’un Parti et qui démissionnent en cours de législature. M. Souaré, d’ailleurs dans les colonnes du journal d’investigation, invoque la « jurisprudence » récente de Déthié Fall pour justifier son propos, faisant ainsi savoir qu’en mars 2021, ce dernier avait, en effet, créé son parti et démissionné de fait de Rewmi. Pour autant, souligne-t-il, il n’avait pas perdu son poste jusqu’à la fin de la législature. Cela n’avait, selon lui, soulevé une quelconque polémique. Mais, à l’époque, la voix d’un député n’était pas aussi prépondérante dans une Assemblée nationale où le camp présidentiel disposait d’une large et confortable majorité dite mécanique. Mais aujourd’hui, la donne a bien changé, la coalition majoritaire disposant d’une majorité précaire, il serait bien risqué de laisser Aminata continuer à jouer les électrons libres.

Toujours est-il qu’Alioune Souaré estime que ce serait « un forcing », si le régime s’emploie dans cette dynamique. « Je le répète, juridiquement, aucune loi ne prévoit la déchéance de celui qui démissionne de son Groupe parlementaire. Seul le cas du député élu sur la liste d’un Parti et qui démissionne de son parti est concerné. Et dans la présente législature, ils sont tous élus sur la base d’une coalition », souligne-t-il.

Mais de l’avis de l’ancien proche collaborateur de président de la République, même si rien ne lui impose de quitter l’Assemblée nationale, Aminata Touré se devait « moralement » de renoncer à ce poste acquis grâce à l’Alliance pour la République, puisqu’investie en raison de son appartenance au Parti présidentiel. Il cite l’exemple de Macky Sall qui, en 2008, avait préféré, contrairement à Cissé Lo et Mbaye Ndiaye, se décharger de tous ses postes électifs acquis grâce au PDS. Il disait : « Je décide de démissionner du Parti démocratique sénégalais. Aux termes des dispositions de la Constitution, en son article 60, cette démission de mon parti emporte la démission de mon mandat de député. J’ai en outre décidé de rendre mon mandat de Conseiller municipal de Fatick ; cette décision entrainant ma démission de mes fonctions en tant que maire de Fatick. Vous aurez sans doute remarqué que j’ai choisi de me défaire de toutes les fonctions obtenues sous les couleurs du PDS, consécutivement à ma démission de ce Parti… Bien-sûr que j’ai pris l’exacte mesure de ces actes et les ai posés en toute responsabilité. »

Un argumentaire que l’on peut juger logique et même cohérent, sauf que le cas de Macky Sall est différent puisqu’il avait créé son parti. Ce qui n’est point le cas d’Aminata Touré.

Mais l’on osera croire toutefois que Macky Sall n’ira pas jusqu’à vouloir déchoir Mimi Touré de son mandat, étant entendu qu’à l’époque, il avait trouvé cette exclusion de Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lo injuste et illégale. Surtout qu’il avait en plus, à l’époque, une fois au pouvoir, indemnisé les deux députés à coups de dizaines de millions.

L’ancien premier ministre, Abdoul Mbaye, lui, ne supporte pas du tout les menaces qui pèsent sur Aminata Touré. Aussi, à la suite de la sortie du ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, qui a accentué les intimidations, M. Mbaye est sorti de son silence pour dénoncer "une position imbécile qui consisterait à démettre de son mandat un député votant contre les consignes de son parti". "Une large publicité doit être faite à l’international sur cette position imbécile exprimée qui consisterait à démettre de son mandat un député votant contre les consignes de son parti. Notre Sénégal est définitivement une république bananière avec de tels individus à sa tête!", a ainsi tweeté Abdoul Mbaye.

Mimi, Abdoul Mbaye et Abdourakhmane Diouf s'en prennent à Ismaël Madior Fall

Réponse de la bergère au berger, à la suite de la sortie du Garde des sceaux, ministre de la Justice, Mimi Touré, via sa cellule de communication, a aussitôt apporté la réplique. L’ancienne Premier ministre met en garde le constitutionnaliste. "Le Ministre de la Justice, Ismaïla Madior Sall, dans une sortie honteuse pour un professeur de Droit vivant dans un pays où règne l’état de droit, s’est lancé dans des menaces de toute nature en direction de Mme Aminata Touré qui n’a pas affaire à lui non plus et il le sait. Lui qu’elle a recruté en 2012 comme consultant lorsqu’elle était Garde des Sceaux et a présenté au Président Macky Sall qui ne le connaissait ni d’Adam ni d’Eve", a réagi la Cellule Communication de Mimi 2024.

"Que Ismaïla Madior Fall qui ne connaît visiblement pas la reconnaissance du ventre, se le tienne pour dit : non seulement ses menaces n’ont aucun effet sur la détermination de Mme Aminata Touré à poursuivre ses activités de député au service exclusif du Peuple sénégalais mais surtout qu’il sache que lui Ismaïla Madior Fall qui se vante d’être un tailleur de Constitution de luxe, sera poursuivi devant la Cour Pénale Internationale pour instigation et complicité de crimes contre l’humanité, si des pertes en vie humaine intervenaient à l’occasion d’un troisième mandat juridiquement et moralement inacceptable du Président Macky Sall", ajoute-t-elle.

A titre de prévention, notent Mimi Touré et Cie, "ladite Cour sera saisie ainsi que le Conseil des Droits de l’Homme afin que notre pays ne revive pas la situation de 2012 où onze de nos compatriotes ont perdu la vie lors des manifestations contre le troisième mandat du Président Abdoulaye Wade". 

Ainsi va la politique sous nos cieux. Elle se drape de textes de lois pour donner les apparences d’état de droit, mais à l’épreuve de la politique politicienne, beaucoup de textes sont bafoués et des lois foulées au pied.

A l’émission « Jury du Dimanche, Isamaïla Madior a, en tout  cas, assumé ironiquement le sobriquet de « tailleur constitutionnel de haute couture » comme pour dire à ses détracteurs qu’il se fout royalement de leurs moqueries. L’on a eu, en effet droit à des pirouettes que le professeur agrégé de droit si rôdé à la rhétorique nous a servies. Comme lorsqu’il nous dit que " la Constitution est déjà écrite » et qu’ « on ne va pas la réécrire. Et, même si on voulait la réécrire pour faire un 3e mandat, on n’a pas de majorité qualifiée à l’Assemblée nationale pour faire passer le texte. Donc, ça n’a aucun sens qu’on vienne dire qu’il est revenu pour la question du 3e mandat. Je ne suis pas non plus une instance habilitée à me prononcer sur le 3e mandat. Je ne suis pas en mission commandée pour un 3e mandat. Non pas du tout" ! Ou qu’une révision de procès pourrait aggraver les choses (entendons peines de Karim Wade ) ; eu encore que « la doctrine n’est pas une source du droit. »

Sur ce dernier point d’ailleurs, Abdourahmane Diouf d’Awalé s’en est pris au constitutionnaliste qui veut minimiser ses propos d’hier sur la possibilité ou non par Macky Sall de faire un 3e mandat. "Merci de rappeler au Ministre Ismaïla Madior Fall que quand il répétait que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs, ce n'est pas le juriste doctrinaire qui parlait comme il le soutient. Mais plutôt la plume du Président, Constituant, Initiateur et Rédacteur", a écrit celui-ci sur ses plateformes numériques. Avant d’ajouter : "nous espérons qu'il n'ira pas demander au juge constitutionnel de lui interpréter ses propres mots, phrases et virgules. Un peu de pitié pour le Droit constitutionnel !".

Ismaïla nous a, en tout cas, appris à ses détracteurs qu’il n’est pas en mission commandée et qu’il n’est pas non plus nommé pour le 3ème mandat, mais qu’il est plutôt là pour accompagner le président dans son rôle de garant de la constitution.

La pirouette Mimi

Mais alors qu’on ne s’y attendait pas du tout, Aminata touré, la désormais députée non inscrite a trouvé sa pirouette à elle, façon Ismaël Madior Fall. Elle a ainsi écrit au Président de l'Assemblée nationale, Amadou Mame Diop, pour faire une proposition de loi limitant l'exercice de fonctions et responsabilités dans les Institutions de la République en rapport avec l'existence de liens familiaux avec le Président de la République.

Sa proposition de loi vise en effet à renforcer, selon elle, le dispositif de promotion de la bonne gouvernance au Sénégal en garantissant les principes et règles.

Ainsi, conformément aux dispositions de l'article 60 du Règlement intérieur de l'Assemblée nationale, elle indique « le Sénégal est l'un des pays précurseurs en matière de législation de la promotion de la bonne gouvernance en Afrique. C'est à ce titre, que la République du Sénégal a adopté la loi n°81-53 du 10 juillet 1981 relative à la répression de l'enrichissement illicite, la loi n°81-54 créant une Cour de répression de l'enrichissement illicite, 22 ans avant la répression de l'enrichissement illicite par la communauté internationale, à travers la convention des Nations-Unies contre la corruption ». Par conséquent, la bonne gouvernance constitue, un des principes théoriquement érigés en règle par les autorités publiques face à une exigence citoyenne de plus en plus forte. Cependant, il convient de renforcer davantage le dispositif législatif en vue de respecter dans les faits le principe d'égalité des citoyens excluant toute volonté d'accaparement, de népotisme ou de préférence familiale.

Dans ce sens, Mimi Touré est d’avis que « l'existence de liens de parenté ou d'alliance avec le Président de la République, est incompatible avec l'exercice des fonctions de : Président d'Institution, Premier ministre, ministre, secrétaire d'Etat, Chef d'état-major des Armées, directeur ou directeur général d'un établissement public ou d'une société où l'Etat dispose d'une part majoritaire des actions, ambassadeur, consul ».

Dans l'Article 2 de sa proposition de loi, elle précise que les incompatibilités et interdictions devraient concerne les ascendants du Président de la République et/ou ceux de son conjoint; les descendants du président de la République et/ou ceux de son conjoint ; les frères et soeurs du président de la République et/ou ceux de son conjoint ; les descendants des frères et soeurs du président de la République et/ou ceux de son conjoint”.

Dans ses articles 3 et 4 , la proposition de loi de l’ancienne président Conseil économique, social et environnement stipulent que « les conditions d'application de la présente loi seront définies et précisées par décret. La présente loi abroge toutes dispositions contraires”. En outre, Mimi Touré est convaincu qu’une telle loi constituerait une avancée significative dans le cadre de l'amélioration de notre système de gouvernance ».

Une proposition de loi qu’on ne devrait en principe nullement considérée comme défiant la discipline de la majorité car quoi que l’on en dise ou l'on en pense, cette proposition de loi rétablit des principes qui interdisent que le népotisme soit érigé en règle au cœur de la gestion des affaires publiques. N’est-ce pas une gestion vertueuse que l'on a toujours vendue avec le régime de Macky Sall, à savoir ne pas nommer sa famille en république ? Wade et Macky devront certainement répondre à cette question.

Mais pour l'heure Aminata Touré qui n'en a fini avec le président, montre qu'elle a plus d'un tour dans son sac. Et elle risque de constituer avec le temps, une empêcheuse de tourner en rond redoutable. C'est certainement la raison pour laquelle, les menaces ne cessent de s'abattre sur elle depuis lors. Affaire à suivre.