NETTALI.COM - La semaine dernière a été marquée par une ferveur particulière liée à l’inauguration de la Mosquée Massalikoul Djinaan. Toute l’actualité a été occupée par ce grand évènement. Une aubaine pour la presse puisque les médias si friands de ce genre de rendez-vous, avaient déployé une armée de journalistes, de prédicateurs religieux et de communicateurs traditionnels, sur le terrain. Ceux-là comme à l’accoutumée, ont rivalisé de reportages, d’interviews, de débats et d’infos croustillantes.

Il a en tout cas régné une atmosphère de veille de Magal : entre la ferveur des talibés en sueurs marchant à pieds sur les routes, les berndel (occasion de distribution de mets en abondance pour les invités) et l’affluence sur le site de la mosquée.

Mais une fois la couverture de l’inauguration dans son aspect religieux épuisée, le sujet qui a surtout intéressé les médias, c’est bien évidemment la politique qui a étendu ses tentacules au cœur de l’évènement et jusqu’à l’intérieur même de la mosquée. Les retrouvailles entre Me Wade et Macky Sall ont été au cœur de tous les débats, la question de leur issue aussi. Allaient-ils s’ignorer ? Allaient-ils se parler ? La question était en tout cas sur toutes les lèvres. Et ce que beaucoup de supports écrits, radios et sites d’infos prévoyaient, a eu lieu. A l’intérieur de la mosquée, l’on a vu un Abdoulaye Wade installé sur une chaire, le Khalife placé entre lui et Macky Sall. Me Wade, on le sentait visiblement déjà dans la projection de cette réconciliation cuisinée et planifiée en coulisses. Macky Sall avait la tête tournée dans le sens opposé de Wade en direction de Serigne Bass Abdou Khadr, installé à sa droite, évitant sans doute, sur  le moment, le regard du redoutable Pape du Sopi. Il devait lui aussi être plongé dans la manière d'aborder cette réconciliation.

Mais à partir du moment où le khalife a pris la parole dans cette majestueuse enceinte de Massalikoul Djinaan, l’heure n’était plus aux calculs. Les jeux étaient déjà faits. Qui pouvait, à la face du monde, refuser, le sage conseil du Khalife ? Celui-ci a en effet laissé entendre que Me Wade devait se comporter en père et Macky en fils. Le tout sous le regard approbateur de ce dernier. Serigne Mountakha avait d’ailleurs ajouté qu’il ne peut régner que l’entente entre les deux. « Tous les deux doivent rendre grâce à Dieu qui leur a donné tous les honneurs mais également on attend de vous, que vous soyez endurants car il y va de la stabilité du pays. Tout ce qui vous arrive est de la volonté divine», a conclu le marabout. Qu’ajouter d’autre une fois que le marabout a  tout dit ?

Après, c’est le temps des actes, Macky Sall s’est levé en bon fils pour donner la main à Me Wade. On croit rêver ! L’on a vu l’ancien président et Macky Sall main dans la main, marchant ensemble ; le Pape du Sopi et le Président Sall se chuchotant à l’oreille également !  L'ancien Premier ministre de Wade raccompagnera le Pape du Sopi en voiture jusqu’à sa résidence. Qui l'aurait cru ? Pour le grand public, ce fut le régal. Mais, et après, est-on tenté de se demander ? En tout cas la mission de Serigne Mountakha a été accomplie pendant un jour aussi symbolique.

Mais nous devons à la vérité de reconnaître que les bases de la réconciliation étaient déjà bien ancrées. Au lendemain de la fête de l’Aïd El Kebir, une information avait en effet circulé selon laquelle une visite avait été rendue par le président Macky Sall à Me Abdoulaye Wade. Une information à l'époque vite démentie par les services de communication de la présidence de la République. Cheikh Tidiane Seck, Secrétaire général adjoint du Parti démocratique sénégalais (Pds) en charge des cadres avait vendu la mèche.  Une véracité des faits que nettali.com est aujourd'hui en mesure de confirmer.

Mais déjà bien avant cette rencontre, les ponts avaient déjà été établis, au moins, depuis le fameux déplacement de Me Abdoulaye Wade à Conakry. Le Président Alpha Condé et Me Wade avaient en effet évoqué l’épineux dossier Karim Wade. Un accord en tout cas verbal, avait d'ailleurs été esquissé mi-février 2019 à Conakry afin que Wade-fils bénéficiât d'une amnistie. Pour rappel Me Wade avait menacé d'appeler à la violence en brûlant les bureaux et bulletins de vote. La suite, on la connaît. Il se ravisera et ne participera pas à la présidentielle. C’est ce que d'ailleurs ce que certaines sources bien informées appelleront "Protocole de Conakry".

La rencontre de Me Wade avec Ousmane Sonko, opposant irréductible de Macky Sall, le 28 juillet 2019, viendra mettre un peu de sable dans le couscous. Ce qui n'empêchera toutefois pas le contact de se renouer entre le pape du Sopi et son ancien Premier ministre après l’élection présidentielle, mais dans la plus grande discrétion, pour enfin connaître une accélération ces deux derniers mois.

Réconciliation stratégique ou vraie réconciliation ? Une  question que beaucoup se sont posé puisque la seule vraie préoccupation de l’heure pour Me Wade, c’est l’amnistie de son fils, Karim Wade encore enfermé dans sa prison dorée du Qatar. A tel point que l’on ne peut manquer de s’interroger sur la portée et l’utilité de l’acte posé devant les Sénégalais.

Mais à peine, avons-nous fini d’évoquer ces retrouvailles qu’une grâce présidentielle est accordée, deux jours après celles de Massalikoul Djinaan, à Khalifa Sall. Une décision inattendue de la part du Président Sall qui s’était récemment fendu de propos très acerbes au sujet de la libération de l’ex-maire. Il le ferait quand cela lui chanterait, avait fait savoir celui-ci, soulevant ainsi une clameur d'indignation. Dans la cas de Khalifa Sall, la vérité aussi était que Macky Sall gardait une attention particulière au dossier  pendant qu'il traitait l'histoire Karim avec son père. Aussi, s'est-il engouffré dans la brèche d’une lettre de demande de grâce de Me Khassimou Touré, avocat et non moins frère de Mbaye Touré, un des co-prévenus de Khakifa Sall, pour agir. Le Président a ainsi considéré qu’il pouvait, à partir de ce moment, donner une suite favorable à celle-ci, en libérant en même temps Khalifa Sall, emprisonné dans le cadre de la même affaire. De sources bien informées, la lettre avait été traitée et un avis positif du patron avait été émis. Que s’était-il donc passé entre temps pour que la grâce qui devait intervenir à la fête de l’Aïd El Kebir, d’ailleurs fuitée dans la presse, n’ait pas eu lieu ? Le mystère de cette affaire est sans doute à chercher dans le décès de l’ancien secrétaire général du Parti socialiste (Ps) et des tractations qui s’en sont suivies par rapport aux positionnements des uns et des autres. Me Khassimou revendiquera d'ailleurs cette grâce avec une polémique à la clef. Les avocats de l'ex-maire de Dakar tout comme ses partisans politiques, Moussa Taye et Bamba Fall, ont fini de dire à qui veut le savoir que Khalifa Sall n'a été demandeur d'une quelconque grâce.

La politique a en effet bien repris ses droits dans le camp des Khalifistes. Après avoir été bloqué à la porte de Rebeuss par une foule immense, il fera un tour du côté de la Médina, suivi d’une longue procession. Après c’est un passage obligé à la nouvelle mosquée Massalikoul Djinaan devenue un haut lieu symbolique où il a été accueilli par une foule impressionnante. Ce fut l'étape Grand Yoff puis Parcelles où habite sa mère.

Tout cela augure en tout cas d’un combat politique qui ne fait que commencer. Mais attention, Khalifa Ababacar Sall ne bénéficie que d’une remise de peine sur la peine principale de 5 ans de prison. Sur le reste, c’est-à-dire l’amende de 5 millions et les dommages et intérêts d’1 milliard 800 000 F, le Président ne peut rien faire sauf à le pousser à les payer par la voie de la contrainte par corps. Epée de Damoclès ou pas ? Macky Sall pouvait choisir la voie de l’amnistie en introduisant un projet de loi ou une proposition de loi via sa majorité parlementaire. Mais il est e maître du jeu. La jurisprudence Karim Wade l’a bien inspiré. Mais toujours est-il que dans le cas de Khalifa Sall, l'enjeu est le même, obtenir une amnistie pour laquelle il devra lutter.

Des événements politiques successifs finalement révélateurs d’une volonté de décrispation du champ politique caractérisé par des foyers de tension allumés ça et là. Des actes politiques qui tombent à un moment où on prête à Macky Sall, l’intention de briguer un 3ème mandat. Et si ces actes posés étaient une manière pour lui de s’attirer la sympathie de tous les camps politiques en présence dans un contexte de gouvernance marquée par des tensions de trésorerie, d’une économie sous la coupe de sociétés étrangères et surtout de suspicion sur le gaz et le pétrole sénégalais ?  Une manière de gérer pacifiquement le temps qui lui reste au pouvoir et faire oublier les rancœurs ? Si ce n'est pas le cas, ça y ressemble beaucoup. Mais n'allons pas trop vite en besogne.

En définitive beaucoup d'éléments d'un puzzle politique à dénouer et qui préfigurent une reconfiguration du jeu politique sénégalais. Mais, tout cela, pour le bénéfice de qui ?

Au-delà de la personne de Karim Wade, la motivation centrale de cette réconciliation, se pose la question de la posture future de Oumar Sarr, Babacar Gaye, Me El Hadji Amadou Sall qui ont encore un pied dans le Pds et dont on a fini d’évoquer le rapprochement avec Macky Sall. Quid de celle des autres dissidents du Pds tels que Me Madické Niang, Modou Diagne Fada, etc ?

Nous ne saurions ne pas évoquer le dialogue politique à l’arrêt en ce moment pour nous interroger sur la future position du Pds ? Il est évident qu’en tant que lieu de dialogue et de négociation par excellence, le parti de Wade pourrait être tenté de l’utiliser comme tribune. La question du statut du chef de l’opposition qui semble être un point de divergence quant à son futur bénéficiaire, se pose également. Si d’aucuns pensent qu’il devrait revenir à la 2ème force à l’Assemblée comme dans les pays de tradition parlementaire ; d’autres pensent qu’Idrissa Seck, sorti deuxième à l’élection présidentielle dernière, devrait en bénéficier. Tiens tiens, ce cher Idrissa Seck, il était assis dans la deuxième rangée derrière Macky Sall et Abdoulaye Wade. Bien aphone ces derniers temps de supposés scandales sur  pétrole et de gaz, il se murmure qu’il a une promesse de sucette préparée pour lui. Barthélémy Dias est passé par là. Cheikh Yérim encore lui et toujours sur la 7 TV dans cette même émission, nous apprend que lui et Macky s’entendent. Quid de sa position si jamais Me Wade venait à se réconcilier dans la durée avec Macky Sall ?

Le Parti socialiste, avec la disparition d’Ousmane Tanor Dieng, devra de toute façon combler son absence de leader digne de ce nom dans un contexte de transition assurée par Aminata Mbengue Ndiaye. Elle devra surtout se réorganiser et sceller l’union sacrée. La réapparition de Khalifa Sall ne sera de toute façon pas pour simplifier les choses. Mais que de chemin à faire pour Khalifa Sall.

Dans le cas de Me Wade, ce que l’on peut affirmer sans risque de se tromper, c’est que ce dernier mène l’ultime combat de sa vie pour ramener son fils dans le jeu politique sénégalais. Mais, son rejeton saura-t-il pour autant se hisser au niveau où son pater l’attend, arriver à conquérir le pouvoir ? Beaucoup d’observateurs pensent en réalité que non, ce d’autant plus qu’après la situation de victime dont il a bénéficié, suite à son emprisonnement, Karim Wade devra se battre pour mériter un soutien des Sénégalais. C’est ce que Cheikh Seck des cadres libéraux s’est tué à conseiller à son père. Une question tout de même, que deviennent les deniers que Karim Wade doit aux Sénégalais ? Rappelons que la Crei a tenu le Sénégal en haleine, des mois durant et  aux frais du contribuable ? Va t-on passer cela par pertes et profits les 138 milliards dont il a été question ? Karim a été gracié, mais a-t-on seulement retrouvé les traces d’un quelconque argent planqué quelque part ? Peut-être que Mimi Touré pourrait nous en dire un peu plus. Et même si la réconciliation a pour le moment eu lieu, elle ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt des autres équations non encore résolues. Après la réconciliation symbolique à la face du monde, il reste l’étape de la négociation qui fera ou non perdurer les retrouvailles. Macky Sall, tout comme Wade, sont des hommes politiques froids calculateurs, leurs intérêts réciproques primeront sur tout.

Il y a en tout cas une grande perdante dans cette histoire, la justice sénégalaise. Elle voit ses décisions qu'elles s'évertuent à rendre avec force de motivations, anéanties par les politiques. La raison pour laquelle, elle doit se dépêcher de trouver les moyens de son indépendance (même si beaucoup d'entre eux font correctement leur travail), afin de ne plus être un jouet à la disposition du pouvoir exécutif.

Mais pour l’heure, Me Wade, le dernier des Mohicans, suite à la disparition d’Amath Dansokho, est sorti bien requinqué de cette histoire. Il est redevenu sympathique. Même la RTS s’est réconciliée avec lui. Elle l’a gracié. Il a commencé à réapparaître à l’écran du contribuable depuis le moment où il a serré la main de Macky Sall. Sacrée Rts, elle n’arrêtera jamais de nous surprendre. Et c’est le contribuable qui trinquera toujours.