NETTALI.COM - Le constat est quasi général. La production dans les médias devient de plus en plus destructrice. De moins en moins constructive. Il ne se passe plus une seule semaine sans qu’on entende parler de règlements de comptes privés à travers les médias. Et de plus en plus, on assiste à des déballages médiatiques, soit entre actionnaires d’une même entreprise qui ne s’entendent plus ; soit entre un homme d’affaires et une banque de la place ; ou même entre politiciens en situation d’opposition voire de rivalité. Il y a bien sûr d’autres types de problèmes traités par les médias.
Un traitement de plus en plus dévoyé d’actualités et un phénomène en tout cas plus observables dans les sites d’informations en ligne et la presse écrite mais amplifiés par les revues de presse des radios et télévisions. C’est à croire qu’il y a des actions orchestrées, coordonnées et planifiées. Une sorte de monde à l’envers. Tant le journaliste est instrumentalisé dans un combat qui, pourtant, n’est pas forcément le sien et qui pouvait rester dans le domaine privé ou se régler au tribunal.
Tenez par exemple, cet homme d’affaires bien connu de la place qui décide de poursuivre une banque qui a financé ses activités et qui, au finish, estime ne plus rien devoir à la banque. Non seulement, il ne se limite pas à porter l’affaire devant les tribunaux, mais celle-ci atterrit dans un journal de la place. Puis, il s’en suivit des reprises de l’article dans des sites d’informations avant que celui-ci ne soit relayé par les revues de presse, aussi bien à la radio qu’à la télé. Nulle part, on aura vu, ni senti la version de la banque. Bizarre comme procédé tout de même ! Et de fil en aiguille, l’opinion s’en saisit, les banquiers du microcosme dakarois aussi. On en discute dans les restaurants à l’heure du déjeuner, l’homme de la rue en parle naïvement reprenant les termes agrémentés de la revue de presse comme si ce qu’il a entendu à travers les radios ou télés, est forcément une bible ou un Coran. Les médias ont cette force, celle de fabriquer des images, mais aussi de les détruire.
Il en est ainsi de ce nouveau fléau qui a envahi les médias et que le chanteur Youssou Ndour avait fini par dénommer «porter presse» dans une de ses chansons pour désigner le phénomène du déballage médiatique dont il s’estimait victime dans le conflit qui l’opposa, en début des années 2000, à ses coactionnaires du groupe Com7, notamment Bara Tall. A l’époque, le journal Le Populaire dirigé à l’époque par Yaxam Mbaye, actuel directeur général du quotidien Le Soleil, avait pris fait et cause pour l’une des parties, celle de Bara Tall en l’occurrence. Et le «roi du mbalax» en avait fortement souffert.
Et au regard de toute cette mécanique décrite, on peut dès lors s’interroger sur l’intérêt du journaliste d’être impliqué dans une telle logique de manipulation de l’information ?
Au finish dans cette affaire, l’on se rend finalement compte qu’une décision de justice est rendue et la banque obtient gain de cause face à cet homme d’affaires qui avait déployé beaucoup d’efforts et d’énergie pour la dénigrer sur la place publique. Bien évidemment les voies de recours n’étant pas épuisées, l’homme d’affaires peut toujours faire appel de cette décision. Mais on serait tenté de dire : «Tout ça pour ça !» Et le journaliste dans tout cela ? Comment réagit-il face à la décision de justice ? En rend-il compte ? Non ? Revient-il sur l’information avec force de précisions ? Non. Au contraire, ce sont d’autres sites d’informations en ligne qui n’avaient rien à voir dans l’affaire initiale qui ont rapporté la décision du juge! Il a fait comme si de rien n’était !
Une question à se poser toutefois, est celle de comprendre la nécessité de s’adresser à la presse lorsqu’on estime avoir raison dans un différend ? Et le pourquoi de ne pas se limiter au règlement judiciaire ? On peut bien sûr parfois comprendre que des individus, face à des institutions ou une personnalité puissante, puissent être tentés de recourir à ce procédé pour alerter l’opinion sur une injustice dont ils pourraient être victimes au regard de celui à qui ils ont affaire. Celui qui choisit en effet de porter une affaire devant la justice et qui, par la même occasion, choisit la voie médiatique, pourrait aussi d’un autre côté, avoir des choses à se reprocher ? Il pourrait vouloir anticiper une défaite et pour mieux se victimiser, utiliser cette voie ? Il pourrait également chercher à gagner du temps, utilisant le temps long de la justice pour ne pas avoir à honorer ses obligations à date échue ?
Cette affaire qui a fait les choux gras d’une certaine presse est choisie comme exemple juste pour montrer à quel point le lynchage médiatique peut être néfaste pour l’image d’une institution, d’un homme dès lors qu’ils sont jetés en pâture. Qu’est ce que c’est difficile de réparer un préjudice : réécrire un article, changer la première opinion de tous ceux qui ont déjà digéré l’information et qui ne seront pas forcément au courant de la décision de justice qui vient rétablir les faits, la vérité. Qu’est-ce que c’est dur de remonter une pente ! Certains lecteurs sont si naïfs qu’ils croient tout ce qu’ils boivent dans les médias. Ils en arrivent même à épiloguer sur des sujets sur lesquels ils n’ont pas la moindre once de vérité, sinon la subjectivité du journaliste auteur. Loin de dire que les institutions bancaires sont exemplaires à tout point de vue, il demeure que des problèmes de ce genre, peuvent être réglés soit à l’amiable, et à défaut en justice si les positions deviennent irréconciliables.
Une information comportant un aspect privé peut bien sûr être traitée par la presse parce que l’affaire intéresse le public et que le journaliste qui prend en charge celle-ci, n’est pas à la solde de l’instigateur et qu’il n’ait autre objectif que la production d’une information équilibrée, non téléguidée et de surcroît d’utilité publique. Utilité publique pourrait s’entendre par la confiance que des clients ou le public devraient pouvoir continuer à placer en une institution ou en son dirigeant voire en sa gestion.
Combien de fois a-t-on vu des articles tendancieux évoquer des problèmes privés sur la place publique ? Combien de fois a-t-on vu des articles à charge contre une institution ou son dirigeant sans la version de celui-ci ou de son représentant ? Bien souvent, lorsque le journaliste prend sa décision de charger un dirigeant donné, futé qu’il est, il va tenter de prendre la version de la partie incriminée. Qu’il arrive ou pas à la recueillir, lorsque l’auteur d’un article a décidé de manipuler l’information, on verra toujours transparaître sa subjectivité, suivant la teneur du texte et des écrits ; et lorsqu’il n’a pas recueilli la version de l’autre partie, ce sont des phrases stéréotypées du genre : «nous avons tenté en vain de le joindre, mais…» ou «nos colonnes vous sont ouvertes si jamais vous décidez de…», qui vont faire le reste. Et si l’homme ou l’incriminé décide enfin de répondre, il va générer davantage d’informations, ce qui fera bien les affaires de celui qui a suscité l’article car ce procédé permet tout simplement d’amplifier l’affaire.
L’équilibre et le prétexte sont en cela des piliers de la production d’une information. Qu’est-ce qui peut motiver la production si soudaine d’une information ? Qu’est-ce qui peut pousser le journaliste à décider qu’une information puisse être orientée dans un seul sens ? Même au tribunal, lorsqu’il y a un litige, le juge prend la peine d’écouter les différentes parties en présence. C’est quand même une règle élémentaire de résolution de conflits ou de différends par la justice et même dans la société traditionnelle pour pacifier les relations sociales. Pourquoi le journaliste qui décide de rédiger un article de presse, devrait-il passer outre cette règle pourtant si évidente dans toute production d’informations à partir du moment où il met en opposition des personnes ou des intérêts divergents ?
Ce phénomène d’équilibre doit en tout cas être appliqué à tous les domaines, y compris politiques où les journalistes sont bien souvent attaqués à tort ou à raison sur le traitement des faits. Dans ce cadre-là, c’est une nécessité impérieuse par exemple que de donner la parole à l’opposition et au pouvoir, à la société civile, aux syndicats… pour entendre différents sons de cloche, selon les cas en présence. D’ailleurs, certains lecteurs ou membres de partis politiques ne se gênent point pour qualifier tel ou tel ou autre journal de pro-opposition ou pro-pouvoir, selon qu’il sont de l’opposition ou du pouvoir. Mais il semble bien que les journalistes soient assez «carapacés» et savent, comme des grands, gérer ces manipulations de politiciens.
Il en sera toujours ainsi dans le traitement de l’information, qu’elle soit liée aux affaires politiques, financières, économiques, sociales… que dans le prétexte qui va guider sa production. Mais heureusement que ces travers du métier ne concernent pas la majorité des journalistes. Il importe juste que le journaliste ait une plus grande conscience quant à la sensibilité de la profession qu’il exerce et se rende juste compte qu’il détient en soit, une arme qui peut être destructrice pour un honnête homme, une belle institution. Il peut faire, défaire et même ruiner des carrières. Ce n’est en rien fortuit si la presse est appelée quatrième pouvoir. Un vrai pouvoir qui ne devrait pas être laissé entre les mains de n’importe qui.