NETTALICOM - Après que l’Institut de l’Emergence a publié le deuxième classement annuel des pays africains concernant l’émergence économique, Moubarack Lô a été interrogé, par le quotidien EnQuête, sur la 12e place qu’occupe le Sénégal.
« L’émergence, explique-t-il, est un concept multidimensionnel. Et aujourd’hui, il n’y a pas de consensus sur ses caractéristiques. Nous, depuis 20ans, nous travaillons sur ce concept. L’expérience accumulée et La revue de la littérature nous permettent de dire que l’émergence peut être résumée en 4 dimensions principales. La première, c’est la richesse inclusive. Si c’est une richesse dont ne profite pas la population, pour nous, ce n’est pas de l’émergence. Celle-ci doit, en effet, être ressentie par la population, en termes d’amélioration de sa qualité de vie.
Le deuxième élément, c’est le dynamisme économique. C’est-à-dire, il faut que la création de richesses à un rythme élevé soit maintenue dans la durée, de manière rapide et saine.
La troisième dimension, c’est la transformation sociale. Pas d’émergence sans transformation structurelle. Pour ce faire, il faut, d’abord, une agriculture beaucoup plus productive, avec des rendements élevés et des méthodes culturales modernes. Aussi, il faut l’industrialisation. L’émergence suppose l’industrialisation. Pas nécessairement la manufacture qui, cependant, est très importante pour un pays qui doit créer beaucoup d’emplois comme le Sénégal. Mais ce n’est pas indispensable pour tout le monde.
La quatrième dimension concerne l’insertion dans l’économie mondiale. Il est économiquement démontré que les pays ouverts font plus de croissance que ceux qui sont fermés. En plus, il est même impossible d’évoluer dans ce contexte en vivant en autarcie. Les pays qui aspirent à l’émergence doivent pouvoir arriver à secréter des produits adaptés à la demande mondiale. Mais également de produits transformés et à contenus technologiques.
Ce sont ces 4 dimensions combinées selon des méthodes statistiques robustes qui permettent de pouvoir mesurer de manière rigoureuse et non contestable le degré d’émergence d’un pays (ce classement est effectué sur la base de l’Indice synthétique d’émergence économique [Iseme] initié par l’Institut de l’émergence :Ndlr) ».
Moubarack Lô d’ajouter : « Il faut d’abord souligner que c’est une bonne place. En Afrique de l’Ouest, le Sénégal est deuxième derrière la Côte d’ivoire…Justement, est-ce que ça ne pose pas problème que le Sénégal soit classé devant des pays comme le Nigeria, le Ghana et même au-delà de l’Afrique de l’Ouest, le Kenya ? Parce que le Sénégal, comparé au Nigeria et au Ghana, est premier en termes de transformation. La quasi-totalité des exportations nigérianes ne sont pas transformées. C’est du pétrole brut. Or, vous ne pouvez pas émerger, si vous ne transformez pas. La transformation est au cœur du dispositif d’émergence. C’est ce qui a handicapé le Nigeria. Et puis, n’oubliez pas que sa croissance a beaucoup fléchi, à cause de la baisse des prix du pétrole ces dernières années. Pour le Ghana également, c’est un problème de transformation ».
L’économiste croit savoir que « le Sénégal exporte beaucoup de produits transformés ». « Pratiquement, tous nos grands produits sont transformés. Si vous prenez le phosphate, on exporte surtout de l’acide phosphorique. Au niveau de l’arachide aussi, on exporte de l’huile transformée, même si on ne va pas jusqu’au bout dans cette transformation de l’arachide. Pour ce qui est de l’industrialisation, si vous regardez l’indice, vous allez voir que la dimension sur laquelle le Sénégal progresse le moins, c’est celle relative à la transformation industrielle. C’est là un des plus grands défis du Sénégal. Il faut accélérer ce processus d’industrialisation. Cela lui permettrait d’améliorer davantage son classement », exhorte-t-il.
Le Sénégal devant le Kenya
A la question de savoir comment le Sénégal peut-il être devant le Kenya, il déclare : « Pour le Kenya, j’ai tous les éléments, mais je ne les ai pas encore étudiés de près pour pouvoir répondre de manière rigoureuse. Mais, effectivement, c’est un cas qu’il faudra étudier. En ce qui concerne la dimension intégration dans l’économie mondiale, n’y a-t-il pas aussi un problème, si l’on sait que notre balance commerciale est constamment très déficitaire ? Disons que la balance commerciale n’est pas intégrée, ici. C’est d’abord une Dimension macroéconomique. On l’a inté- grée dans un dynamisme économique sain. C’est là où la balance joue son rôle. Ce qu’il faut noter, c’est aussi qu’en général, les pays qui commencent leur processus d’émergence ont une balance commerciale déficitaire parce qu’ils importent beaucoup de biens d’équipements. Ce qui est important dans la balance commerciale, c’est surtout de voir la nature des biens importés ».
Pour en revenir au classement publié par financialafrik, sur les 45 pays africains étudiés, 41 ont connu une amélioration de leur situation d’émergence sur la période 2005-2017, deux ont connu une régression et deux n’ont fait aucun progrès. Les pays ayant connu la progression la plus importante sur la période sont : Malawi, Mozambique, République du Congo, Zambie, Madagascar, Rwanda, Guinée, Niger, Sierra Léone, Botswana, Gabon, Cote d’Ivoire, Zimbabwe. Les pays ayant connu une régression sont l’Egypte et le Soudan.
Le Sénégal se positionne, en 2017, au 12ème rang sur 45 pays en Afrique. Il se classe dans la catégorie des pays potentiellement émergeants. Son score global s’est accéléré entre 2010 et 2017 comparée à la période 2005-2010. Durant toute la période de 2005 à 2017, le pays réalise relativement à son rang global sa meilleure performance dans la dimension dynamisme économique. Toutefois, à partir de 2010, il enregistre ses meilleures progressions dans les dimensions « richesse inclusive » et « bonne insertion dans l’économie mondiale ».