NETTALI.COM - "Un besoin de clarifications et aujourd'hui, tout est clair", c’est ce qu’avait déclaré le Premier ministre devant les députés, avant de conclure en ces termes : "tout se passe bien entre nous, il n'y a aucun problème. Chacun peut avoir sa démarche politique." Des phrases prononcées lors de la dernière séance de questions d’actualités des députés. Mais il sera tout de même bien difficile de nous faire croire qu’il n’y a aucun nuage entre eux et que les deux émettent sur les mêmes fréquences.
Pour Ousmane Sonko ces phrases prononcées étaient certainement une manière de reprendre l’initiative, alors que, suite à ses injonctions, lors du Téra meeting, le président Diomaye Faye n’avait fait aucune concession. C’est du moins ce que nous a appris le tonitruant député Bara Ndiaye sur sa page facebook qui relatait ainsi les résultats de la mission de médiation du bureau politique du Pastef, au palais.
Au-delà de ce qui apparaît comme une entente de façade, difficile de comprendre pourquoi Ousmane Sonko ressent un tel besoin de nous préciser qu’il "ne travaille pas pour le Président Bassirou Diomaye Faye, mais pour le Sénégal", ajoutant même qu’il "est sous sa tutelle, et que tous ses actes seront attribués à son mandat". Il y a en effet chez lui, comme une position de premier ministre qu’il vit mal pour le leader charismatique du Pastef qu’il est et qui devrait même dicter la ligne de la gouvernance via le parti.
Des questions d’actualités à l’hémicycle qui ont d’ailleurs été interprétées par certains observateurs comme une volonté d’offrir une tribune à Ousmane Sonko, dans le but de lui permettre d’opérer une remontada, après la claque reçue de Diomaye relative à l’après 8 novembre. Le président de la république a non seulement confirmé Aminata Touré comme superviseur de la coalition Diomaye, mais a, en plus démonté les accusations contre elle et Abdourahmane Diouf.
Et lors de l’examen du budget du ministère de l’Environnement du mardi 2 décembre, les attaques contre Abdourakhmane Diouf - qui avait commis le seul pêché d’avoir prôné la réconciliation nationale et prévenu contre toute justice des vainqueurs-, se sont poursuivies avec des propos particulièrement acerbes du député Bara Ndiaye. Surtout que ce n’est plus un secret que le député défend par-dessus tout, le Premier ministre.
Face à ce dernier, le parlementaire a senti le besoin de lui faire savoir que " tous ceux qui sont dans la salle sont en colère " contre le ministre. Le député ne s’est pas arrêté là puisqu’il a inscrit son intervention dans un cadre politique plus large, évoquant l’autorité du Premier ministre Ousmane Sonko, estimant au passage que "c’est sa parole et sa crédibilité qui ont fait de nous des députés, et de Bassirou Diomaye Faye un chef d’État." Bara Ndiaye a d’ailleurs accusé le ministre de ne pas accorder au Premier ministre le respect qui lui est dû. " Si vous ne le respectez pas, nous ne pouvons pas vous apprécier. Ousmane Sonko n’est pas une marionnette. Si vous voulez cheminer avec lui, appliquez ses instructions à la lettre.", en étendant au passage cet avertissement aux plus hautes autorités : "Cela concerne même le Président Faye. ", a-t-il ajouté.
On croit rêver ! Comment un député peut-il s’autoriser un tel niveau de liberté de ton au point de parler de cette manière-là du président de la République ? Abdourahmane Diouf avec le bon sens de la répartie qu’on lui connaît, ne le suivra pas sur le terrain de la polémique, il lui assènera juste une petite phrase bien sèche : "dilatons les cœurs et travaillons pour l’intérêt du Sénégal".
Non seulement le député était hors sujet, puisque le ministre n’était non seulement pas là pour parler de politique politicienne, mais plutôt pour évoquer le budget 2026 de son ministère. Et en aucun cas de rapports personnels. Mais c’était sans compter avec le ministre des finances Cheikh Diba qui l’a félicité et n’a pas tari d’éloges à l’endroit du ministre de l’environnement. "Il est brillant. Il est organisé et sait ce qu’il fait, où il va et comment y aller, et il a des équipes brillantes qui savent ce qu’il faut faire… "
De quoi corriger le député dont on se demande s’il connaît encore la raison de sa présence à l’hémicycle. L’on devrait tout de même s'arrêter et s’interroger sur les travers qu’emprunte notre assemblée nationale avec un tradipraticien, fabricant de ceinture anti prison (ayant pourtant fait la prison : Ndlr), élu député et qui fait la pluie et le beau temps dans l'hémicycle en se permettant n'importe quelle sorte de déclaration. La représentation nationale mérite quand même bien mieux que ce que l’on offre aux citoyens. De l’honorabilité et de la retenue attachées à la dignité de la fonction.
Une dissonance de plus en plus notée au sommet
Au-delà du différend noté, la dissonance au sommet de l’Etat, est de plus en plus manifeste et s’étend même jusqu’à l’intérieur du gouvernement. L’affaire Embalo est venue nous confirmer cet état de fait. Répondant à l’Assemblée nationale, à la question du député Abdoulaye Tall de Pastef, lors de la séance de questions au gouvernement, le Premier ministre Ousmane Sonko nous a fait savoir que le coup d'Etat qui a renversé Umaro Sissoko Embalo n'en est pas un, estimant que "tout le monde sait que ce qui s’est passé en Guinée-Bissau est une combine" et que "le processus electoral doit aboutir", avant de demander la libération des leaders politiques arrêtés par les militaires. Un commentaire qui vient contredire l’acte posé par le président Diomaye Faye, alors qu’un communiqué du ministère de l’Intégration africaine, des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur datant du jeudi 27 novembre, venait d’annoncer la nouvelle selon laquelle, "un aéronef a été affrété par le gouvernement Sénégalais pour se rendre à Bissau, afin de contribuer à cette opération de rapatriement", jeudi ?
La même source a d’ailleurs rendu compte d'échanges entre chefs d'Etat de la sous-région portant sur la libération du président Embalò et de certains de ses compagnons, de tous les acteurs politiques arrêtés, ainsi que la réouverture des frontières pour faciliter l'exfiltration et le rapatriement, y compris des membres des différentes missions d'observation électorales. "Cela a permis l'arrivée au Sénégal sain et sauf du président Umaro Sissoko Embalo", a informé le gouvernement sénégalais. Ce qui témoigne d’une double discours au sommet de l’Etat et qui décrédibilise non seulement notre diplomatie et décrédibilise l’autorité du chef de l’Etat dont la diplomatie sénégalaise relève.
Mais quelle mauvaise idée que celle d’avoir communiqué sur cette dette dite cachée ? Les commentaires des ministres de l’économie et de celui des finances qui surviennent bien tard, confirment d’ailleurs que ce débat entretenu par le Premier ministre n’aurait jamais dû atterrir sur la place publique, surtout que les deux en sont venus à le contredire sur ce qui avait fait l’effet d’une bombe dans le monde entier, avec à la clef, la note du Sénégal entraînée dans un cycle infernal de baisse.
Le ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération, Abdourahmane Sarr, a en tout cas fermement rejeté, vendredi à l’Assemblée nationale, les accusations faisant état d’une prétendue « dette cachée » de l’État. Interpellé lors de la séance de questions d’actualité présidée par le Premier ministre Ousmane Sonko, le ministre a balayé la controverse d’un revers de main, estimant que le débat repose sur une incompréhension des mécanismes de gestion de la dette publique, affirmant qu’aucune dette ne peut être qualifiée de " cachée " si l’État en assure régulièrement le remboursement. Selon lui, la polémique n’a " aucun fondement " puisque les engagements incriminés étaient bel et bien connus de l’administration, même si les données les concernant n’étaient pas correctement consolidées dans les statistiques officielles.
Abdourahmane Sarr explique que la différence entre les 75 % de dette initialement annoncés et les 119 % identifiés après correction provient d’« erreurs de remontée de données » et non d’une dissimulation délibérée. " Si vous savez qu’une dette existe et que vous la payez, elle n’est pas cachée. La révision des chiffres relève d’un processus normal d’assainissement ", a-t-il insisté. Le ministre a ainsi appelé à dépasser les polémiques pour se concentrer sur la mise en œuvre de réformes structurelles destinées à assainir durablement les finances publiques et renforcer la transparence dans la gestion des engagements de l’État.
Même son de cloche chez le ministre des Finances et du Budget, Cheikh Diba qui a, à son tour, fermement écarté, samedi à l’Assemblée nationale, les accusations persistantes autour d’une supposée « dette cachée » de l’État. Face aux députés réunis pour l’ouverture du marathon budgétaire, il a qualifié ce débat de « stérile », « dépassé » et désormais sans fondement. Il a rappelé que les interrogations sur un éventuel écart entre les chiffres de la dette transmis aux partenaires internationaux — notamment le Fonds Monétaire International (FMI) — et ceux détenus en interne, avaient été soulevées dès l’arrivée de la nouvelle administration. Toutefois, il estime que le traitement rigoureux du dossier rend désormais caduc tout soupçon de dissimulation.
A la vérité, ils n’auraient jamais dû laisser le premier ministre prospérer sur ce terrain de la dette dite cachée. Une posture des deux ministre toutefois appréciée par Ali Ngouille Ndiaye, invité de Maïmouna Ndour Faye sur la 7 TV, qui pense que le premier ministre n’aurait jamais dû parler de cette histoire de "dette cachée " et qu’il faille " classer cette affaire de dette cachée ". Celui-ci estime d’ailleurs qu’El Aminou LO, en tant que secrétaire général du gouvernement et ancien directeur national de la banque centrale, connaît bien la question de la dette bancaire et sa mise en œuvre. Selon l’ancien ministre sous Macky Sall et ancien directeur du crédit à la BHS, si l’ex-SG du gouvernement avait expliqué au PM la réalité des choses, celui-ci n’aurait certainement pas considéré qu’avec la dette bancaire, qu'on a affaire à de la dette cachée. Il n’aurait, selon lui, jamais dû laisser le PM communiquer dessus, étant entendu que tout passe chez le secrétaire général pour aboutir chez le premier ministre. Ali Ngouille précise d’ailleurs que les banques ont un niveau d’engagement pour chaque client qu’elles ne peuvent dépasser, étant entendu que la Bceao connaît les fonds propres de chaque banque. Ce qui veut en d’autres termes dire que si l’Etat emprunte, cela apparaît dans les fonds propres de la banque et que si cela dépasse 25%, la banque centrale va demander la raison.
Et même sur la question de la dette, les deux ont une posture différente, Ousmane Sonko veut se départir du FMI et ne veut point entendre parler de restructuration de la dette, comme annoncé lors de son meeting ; à l’opposé Diomaye Faye, le président de la république tente toujours de raccrocher les wagons avec l’institution, surtout qu’on apprend à travers certains médias que le président Ouattara est entré en scène dans le but d’intercéder en faveur du Sénégal.
De même sur la question de l’extradition de Madiambal, même si le président n’a pas été entendu, le PM lui s’est arrogé un rôle qui n’est pas le sien en brandissant la réciprocité, soutenant que si la France ne s’exécute pas (dans l’affaire Madiambal Diagne), il ne va pas non plus extrader aucun français réclamé par son pays. Il ignore peut être qu’au Sénégal, en aucun moment, le Premier ministre n’intervient dans le processus d’extradition. Dans notre législation, après l’avis favorable de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar, c’est le Président de la République qui signe un décret d’extradition et non le Premier ministre (comme en France).
Aminata Touré, la femme à abattre !
Dans la relation Diomaye-Sonko, il n’ y a en effet que les naïfs pour croire qu’il n’ y a point de nuages. Et l’obsession d’Ousmane Sonko à vouloir accabler par tous les moyens, Aminata Touré, alors que le président lui-même a estimé qu’il n’ y a pas de quoi fouetter un chat, est manifeste. Le fait qu’il embraie à nouveau sur le rapport du Conseil économique, Social et environnemental, lors de son passage à l’Assemblée nationale, est en effet loin d’être fortuit.
" Ce rapport-là, c’est le régime précédent qui l’a fait et pas nous. Le président précédent a écrit lu et approuvé, sauf la recommandation N°2... Le premier ministre de l’époque Amadou Ba avait commencé à exécuter le rapport. Il avait écrit au ministre des finances, Moustapha Ba, à Abdoulaye Daouda Diallo, le président du Conseil économique et social de l’époque, il l’avait transmis à la présidente sortante. Il avait écrit pour qu’on saisisse la justice. Tout cela a été écrit le 3 juillet 2023. Donc, il n’est pas question de tergiverser sur la question de savoir si le rapport sera exécuté ou pas. Moi je ne connais que la continuité de l’Etat, c’est pourquoi quand je suis arrivé, j’ai fait ce que je devais faire. Ce qui devait aller en justice, je l’ai transmis ; ce qui devait aller ailleurs aussi parce que cela doit se passer comme les autres rapports. Je ne sais pas qui est coupable ou pas cependant… "
Toujours est-il que dans la procédure, les rapports de l’Inspection générale d’Etat (Ige) sont exclusivement réservés au président de la République. Pour qu’il y ait une suite judiciaire, il faut que le chef de l’Etat prenne un décret de déclassification du rapport, comme ce fut le cas dans l’affaire des chantiers de Thiès. Or, jusqu’à présent, un tel décret n’existe dans l’affaire Mimi Touré.
La question aujourd'hui, est plutôt de savoir si Ousmane Sonko aurait eu la même posture si Diomaye Président n’avait pas été confié à Aminata Touré. Que l’on sache, il est Premier ministre depuis l’avènement du nouveau régime et on ne l’a jamais entendu évoquer ce dossier.
Toujours est-il que le président de la république n’a suivi aucune des injonctions du chef du parti Pastef, mais a confirmé Aminata Touré à la tête de sa coalition. La très combattive trotskyste n’est pas en effet une novice en politique puisqu’elle a une bonne expérience politique et de terrain : de chez Landing Savané en 1993 qu’elle a rejoint après avoir été sa directrice de campagne, à ses postes de ministre de la justice, Premier ministre, envoyée spéciale, Présidente du Conseil économique, social et environnemental, directrice de campagne sous Macky Sall, jusqu’à son soutien public en plein meeting du Pastef durant les périodes d’opposition, au terrain d’Acapes alors qu’elle venait à peine de quitter l’aéroport et son rôle actuelle de Haute représentante du PR et également coordonnatrice de la coalition « Diomaye président ».
Ce n’est donc pas un hasard si Ayib Daffé, le Secrétaire général de Pastef et président du groupe parlementaire, la décrit comme un « facteur de division parce qu'elle n'a pas de bons rapports avec Pastef", là où ce cher Waly Diouf Bodiang qui ne doit pas trop être préoccupé par son gros challenge au Port, l’a poursuivie avec ses railleries sur les réseaux sociaux. Il lui prédit d’ailleurs une mort prochaine, une fois "sa pêche aux crabes contaminés " parce que son "machin mort-né " sera "neutralisé ", sans forcer leur talent.
Le chef de cabinet du président Basirou Diomaye Faye, Barro est sorti de l’ombre pour réclamer le respect du au président de la république alors qu’au même moment cheikh Bara Ndiaye est sur tous les fronts pour le critiquer, au point où le CNRA a d’ailleurs récemment rappelé la chaîne de télévision où il s’exprimait et le député à l’ordre, suite à la diffusion de propos jugés irrespectueux et irrévérencieux à l'endroit du Président de la République.
Retourner à l'orthodoxie
La montagne de l’après 8 novembre tel que scénarisé par Ousmane Sonko, en avant, pendant et après 8 novembre, n’aura finalement accouché que d’une douche bien glaciale et un retour très rapide du PM à la table du conseil des ministres. Une situation que le chroniqueur Ibou Fall a d’ailleurs interprété comme une capitulation. Un affrontement à distance qui aura en somme, donné un gros coup de frayeur à tous ces pro-Sonko, nommés grâce à la signature du président de la république et qui se souciaient bien plus, en ces moments de suspens, plutôt de leur fromage que du don de soi, car ayant à peine commencé à goûter aux délices du pouvoir. Le suspens qu’ont vécu les Pastéfens fut en tout cas bien plus long que le cours d’un fleuve à remonter !
Au-delà, cette dissonance et cette dualité au sommet du pouvoir sont en effet loin d’être tenables qu’il faille vite retourner vite à l’orthodoxie dans l’exercice du pouvoir, avec un Premier ministre qui ne peut être que sous l’autorité du chef de l’Etat, tout en étant en même temps son fusible. Ce qui se donne à voir en termes de signaux contradictoires jusque même au sein du gouvernement chez les ministres dont certains sont qualifiés de pro président et d’autres de pro premier ministre, au moment où 2 à 3 quotidiens du 5 décembre, évoquent un « premier ministre super fort », l’on est bien étonnés car, l’on avait affaire au fond que d’une réorganisation de la primature dans une logique de cohérence et davantage d’efficacité. Et l'on est bien tenté de se demander si un « PM super fort » cohabiterait avec un ministre dont il a demandé le limogeage après des accusations et qui est maintenu dans un gouvernement ? Ou des ministres qui en arrivent à émettre sur des fréquences différentes du chef du gouvernement ?
Le temps passe et le premier ministre Ousmane Sonko continue à déployer le même style et le même ton offensif et accusateur . D'ailleurs, à Atravers des propos repris par le journal le journal "Le Quotidien" à sa Une du lundi 8 décembre, l'on peut noter une volonté d'Ousmane Sonko, de souffler le chaud et le froid en évoquant de ses rapports avec le président : "il y a un réel différend (avec Diomaye), mais il ne doit pas nous diviser", "quand nous étions dans l'épreuve, sa position a été constante et déterminée", tout en se promettant déjà sur 2029, estimant que personne ne peut l'empêcher d'être candidat et qu'il faille selon les propos repris par Le Point actu "nettoyer" la justice même s'il concède l'existence de "juges justes, intègres et patriotes".
Il y a finalement comme un exécutif à deux têtes, ou plus exactement deux forces qui s’opposent à travers une orientation politique et économique différente. La question, c’est jusqu’à quand ? Car tout cela au fond, se fait au détriment de la gouvernance et le décrédibilise gravement.






