NETTALI.COM - La reddition des comptes n’est pas vraiment une nouveauté sous nos cieux. Et le fait que chaque nouveau régime cherche à scruter à la loupe la gestion du précédent régime, a pour conséquence de faire naître des clivages partisans, mais surtout des postures défensives.

Conséquence, des dignitaires ou hommes d'affaires proches de l'ancien régime, se sachant dans le collimateur des nouveaux gouvernants, se sont dès les premiers mois du changement de régime, établis à l’étranger où ils ont trouvé refuge afin d’éviter d’être à la portée de la justice sénégalaise. De deux choses l’une, soit ils ont des choses à se reprocher ; soit, ils se disent que la justice sera de toute façon instrumentalisée par la voie d’un parquet qui n’a aucun moyen d’esquiver les réquisitions écrites de sa hiérarchie directe qu’est le ministre de la justice.

Madiambal disparaît des radars et livre sa version des faits

Amadou Macky Sall, le fils de l’ex-président, au centre d’un dossier de la Centif, a quitté le territoire national depuis belle lurette. Le cas le plus récent, celui de Madiambal Diagne qui a disparu des radars de la police, suite à son interdiction de sortie du territoire depuis l’aéroport de Dakar, où il voulait embarquer, est certainement à mettre sur ce compte-là. Il aura emporté avec lui, deux commissaires de police, El Hadji Baytir Sène et Waly Camara, respectivement patron de la Division des investigations criminelles (Dic) et commissaire spécial de l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD).

Y’aurait-il eu un problème dans la procédure de notification des interdictions de sortie du territoire qui aurait incité le journaliste à emprunter une autre voie pour sortir du territoire ?

Dans un texte publié dans "Le Quotidien", qu’il a lui-même fondé, le journaliste, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, a livré sa version des faits. Le journaliste affirme en effet avoir quitté le Sénégal en toute légalité avant que ne s’emballe la machine policière. Il a raconté qu’il devait embarquer sur un vol d’Air Sénégal à destination de la France, après avoir accompli toutes les formalités de police à l’aéroport de Dakar. « L’agent de police avait fini de contrôler mes données biométriques, d’apposer le cachet “Départ” sur mon passeport et ma carte d’embarquement. Un agent me lança même : Bon voyage Monsieur Diagne », relate-t-il.

‎Mais selon son récit, les choses auraient basculé au moment de franchir le scanner. « Un policier confisqua mon passeport et mon téléphone portable, puis m’intima l’ordre de le suivre », écrit-il. Conduit dans les bureaux de police de l’aéroport, il dit avoir attendu de longues heures, jusqu’à voir son vol décoller sans lui. ‎« J’ai compris que c’était un stratagème pour m’empêcher de voyager, alors qu’il n’y avait aucune opposition formelle à ma sortie du pays », affirme-t-il. Son passeport lui aurait été restitué, accompagné d’une convocation pour le lendemain à la Division des investigations criminelles (DIC).

‎Craignant une arrestation, le journaliste a affirmé avoir immédiatement élaboré un plan pour quitter le territoire. « Je voulais éviter d’être pris de court, car il me fallait préparer ma défense face à un complot bien ourdi », a-t-il expliqué.

‎Il soutient être rentré brièvement à son domicile avant de repartir aussitôt. Le 25 septembre 2025, il dit être arrivé en France, pendant que la police sénégalaise « s’emballait derrière lui ». Selon lui, les forces de l’ordre auraient interpellé sa famille « pour le forcer à revenir ».

‎Dans son texte, Madiambal Diagne conteste avec vigueur la version officielle du ministre de l’Intérieur, Mouhamadou Bamba Cissé qui a affirmé qu’il faisait déjà l’objet de recherches policières. « Si tel était le cas, j’aurais été arrêté depuis plusieurs jours à mon domicile », écrit-il, ajoutant qu’il vivait normalement à Dakar avant son voyage.

Rappelons que Mansour Faye avait fait l’amère expérience d'être éconduit à l'aéroport Blaise Diagne, avant de saisir la Cour suprême par un recours pour excès de pouvoir et puis d’obtenir gain de cause.

L’histoire de notre pays foisonne en effet de cas de personnes qui ont bravé des interdictions de sortie du territoire, voire d’entrer sur le territoire ou encore de déférer à une convocation de la police et de la justice. Un cas Madiambal Diagne qui a beaucoup fait réagir dans les réseaux sociaux. Aussi sont postées des images de Ngagne Demba Touré sur la fameuse pirogue ; la photo de l’avocat Juan Branco, interdit d’entrer dans le territoire et qui a réapparu, sans oublier cette incursion dans une conférence de presse d’avocats d’Ousmane Sonko, où il avait d'ailleurs, ironie de l'histoire, été annoncé par l’actuel ministre de l’intérieur, Bamba Cissé, avant de filer à l’anglaise et d’être interpellé à Rosso en Mauritanie ; de même qu'est évoqué le cas Oumar Sarr (ex-PDS), sous le régime de Macky Sall, qui avait traversé le fleuve Sénégal en pirogue pour se retrouver en territoire mauritanien. Même l’épisode pendant lequel Ousmane Sonko était allée se barricader en Casamance avant de refuser de déférer à la convocation de la justice, a été remis au goût du jour par certainement les défenseurs du camp Madiambal.

Elle est en tout cas bien impitoyable cette VAR ! Et elle a sacrément le don de rappeler les bons souvenirs comme pour justifier des situations actuelles, voire pour créer de l’embarras. Et elle fonctionne à plein régime.

Des dossiers judiciaires et des fortunes diverses

Tout ce tintamarre-là évidemment n’empêche pas la gestion des dossiers judiciaires de suivre son cours. Le fils d’Amadou Ba, Ibrahima, (arrêté en même temps que son chauffeur, Cheikh Tidiane Seck), a été placé sous mandat de dépôt, pour avoir été cité dans la gestion d’une SCI baptisée CTS, créée avec Amadou Sall, fils de l'ex-président, pour un projet immobilier (mais aujourd’hui soupçonnée d’être une société écran de blanchiment).

Le chanteur Waly Seck a dû cautionner pour un montant de 210 millions dans une affaire de voiture vendue à Amadou Macky Sall pour échapper à la prison. Mais, que n’a-t-on pas dit sur son cas, sur les plateaux des web Tv et internet ? Pourtant beaucoup pariaient sur son emprisonnement aussitôt qu’il aurait foulé le sol sénégalais. Ah ces Sénégalais, ils sont spécialistes de tout, le droit y compris. Ils veulent souvent prendre leurs désirs pour des textes de loi. Et même si Waly Seck s’était livré tantôt à une communication, pas des plus brillantes, dans le but de se dédouaner, avant de fouler le sol sénégalais, cela ne faisait forcément pas de lui, un "blanchisseur d'argent" parce qu'il aurait l'habitude de rouler des carrosses.

Khadim Diop, ce « chroniqueur » sorti de nulle part et désormais invité sur les plateaux web Tv et autres, a par exemple affirmé et de manière péremptoire que Waly Seck n’était pas uniquement poursuivi pour cette affaire de véhicule. Les deux avocats du chanteur, en conférence de presse, l’avaient non pas directement démenti, mais avaient clairement précisé qu’il n’était poursuivi que pour cette affaire de véhicule pour 210 millions.

Que penser de la récente libération de Mansour Faye ? Même si elle ne confirme pas de manière définitive l’innocence de ce dernier, elle montre tout simplement que dans notre système judiciaire, les inculpations via la Haute cour de justice sur la base de rapports, ne sont pas sans soulever des interrogations. Ce dossier est en effet passé par l’Assemblée nationale, où la majorité mécanique a joué à plein régime dans la mise en accusation du maire de Saint-Louis. La suite est connue, les avocats de Mansour Faye ont contesté la base juridique retenue par la Cour des comptes, affirmant que l’arrêté invoqué était caduc et que l’État aurait même réalisé des économies. Sur la base de ces "contestations sérieuses", la commission d'instruction de la haute Cour de justice, composée de cinq magistrats (le premier président de la Cour d’Appel de Dakar et 4 magistrats du siège de la Cour d’appel) a accordé la liberté provisoire à Mansour Faye.

Quid du dossier de Madiambal Diagne ? Le parquet financier a rendu public un réquisitoire introductif accablant dans l’affaire. L’ancien patron de presse, actuellement en France, son épouse Mame Bineta Diaby, deux de ses enfants et son marabout Serigne Mor Mbaye, sont soupçonnés d’avoir participé à un vaste montage contractuel et financier. Les accusations portent sur escroquerie sur des deniers publics, blanchiment de capitaux en bande organisée et complicité. Les enquêteurs pointent plus de 12 milliards FCFA de flux suspects et demandent la saisie conservatoire des biens au Sénégal et à l’étranger.

À l’origine de cette procédure, un rapport transmis le 1er août 2025 par la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) au parquet du pool judiciaire financier. Le document met en lumière de graves anomalies dans l’exécution du Programme de modernisation et de construction d’infrastructures judiciaires (PMCIJ), un marché public-privé estimé à 250 milliards FCFA. Avant même la signature du contrat principal, une convention de sous-traitance anticipée de 20,33 milliards FCFA avait été conclue, dès février 2020, entre Ellipse Projects et la SCI Pharaon, société familiale détenue par Madiambal Diagne, son épouse et leurs six enfants. Problème : cette société, créée en 2016 avec un capital d’1 million FCFA, ne justifie d’aucune compétence technique en BTP.

Les enquêteurs estiment que Madiambal Diagne a joué un rôle pivot dans l’introduction et la valorisation d’Ellipse Projects auprès des autorités. La signature anticipée du contrat de sous-traitance et la surfacturation constatée, sont interprétées comme les indices d’un montage planifié pour détourner une partie des fonds publics mobilisés.

Dans son réquisitoire, le procureur financier vise Madiambal Diagne, Mohamed Diagne et les responsables d’Ellipse Projects (Alex Alizé, Olivier Picard, Arnaud Cudel) pour association de malfaiteurs, escroquerie sur des deniers publics et blanchiment de capitaux en bande organisée ; Mame Bineta Diaby pour complicité de blanchiment de capitaux ; son marabout, Serigne Mor Mbaye, pour association de malfaiteurs.

L'on n’est en tout cas pas sortis de l’auberge avec ces web TV, chaînes Youtube, Facebook, Tiktok et ces « chroniqueurs » et présentateurs, pour la plupart de parfaits anonymes sans background journalistique aucun, ni expertise donnée, essentiellement guidées par le côté spectaculaire des convocations devant la justice et qui se permettent tout et n’importe et quoi. La plupart d’entre eux, n’a aucune source crédible, ne sait pas comment recouper une information, l’essentiel étant d’avoir du contenu et du buzz, sans toutefois se soucier de la fiabilité de celui-ci. L'on est en en effet loin de se rendre compte à quel point, beaucoup de ces "chroniqueurs" bafouent la présomption d'innocence des personnes convoquées ou juste citées dans des rapports, en se lançant dans des spéculations tous azimuts et dans l'amplification de rumeurs. Ce qui a pour conséquence de sceller des destins avant l'heure.

Mais heureusement que la presse quotidienne veille et mène des investigations sérieuses en nous servant des faits bien recoupés sur ces dossiers.

L'équation des délits d'opinion

Au-delà de la reddition des comptes, tous ceux qui interviennent dans le champ politique et l'espace public, semblent être sous surveillance, qu'ils soient journalistes, activistes, hommes politiques. Les militants des partis veillent pour débusquer le moindre écart de propos chez l’adversaire, susceptible de constituer une infraction. De même que les structures publiques qui n’hésitent pas à porter plainte contre des citoyens pour n’importe quelle maladresse.

Tout se passe comme s'il y a une volonté de judiciarisation de l'espace politique et public, avec deux partis politique qui se livrent à un affrontement continu : le régime actuel et celui précédent. Le procédé qu'ils utilisent, consiste à orchestrer une cabale contre le (les) mis en cause, afin de demander au procureur de s’auto-saisir ou de passer par la voie d’une plainte contre le supposé fautif. Pape Mahawa Diouf, cadre de l’APR est actuellement placé en garde à vue, suite à une plainte de l’Aser qui s’est estimé diffamée, après qu’il a accusé l’Agence sénégalaise d’électrification rurale d’un détournement présumé de 37 milliards.

De même que Manoumbé Diop, plus connu sous le nom de Lamignou Darou, placé en garde à vue, le mardi 30 septembre à la Division spéciale de la cybersécurité (DSC). Selon des sources, il est poursuivi pour « discours contraire aux bonnes mœurs » après avoir proféré des insultes à l’endroit de participants à la marche pacifique organisée par le collectif Rappel à l’ordre. Le procureur de la République qui s’est autosaisi du dossier, a ordonné sa convocation et son audition par la DSC. Rappelons aussi que l’activiste Assane Diouf avait tantôt, dans un live, adressé un ultimatum au président de la république, afin que ces personnes soient traduites en justice.

Une situation qui n'a pas semblé agréer Alioune Tine, qui à travers un post sur X, a réagi, estimant que le placement en garde à vue de Lamignou Darou, Boy Dakar et Pape Mahawa Diouf, ne devaient pas avoir lieu. Il a ainsi demandé leur "libération sans condition".  Le membre de la société civile a en effet estimé qu'"on ne doit pas aller en prison pour une insulte. On doit trouver une solution autre que la prison, une amende ou un travail d'intérêt public et pour diffusion de fausses nouvelles".

Une affaire qui défraie en ce moment la chronique en ce moment, concerne la "chroniqueuse" Ngoné Saliou Diop, réputée proche du pouvoir et qui a insulté Macky Sall et la communauté pulaar. Ce qui a créé une levée de boucliers et un concert d'indignations. A tel point que le chroniqueur Abdou Diallo a été amené à lister, sur Sen TV, un certain nombre d'affaires jugées à son avis légères et pour lesquelles, le procureur s'est autosaisi. Une manière d'observer son attitude.

Dans un article datant du mercredi 1Er octobre, le quotidien "Enquête" livre son analyse en ces termes : "pour un oui ou un non, un citoyen peut désormais facilement se retrouver devant la Division spéciale de cybersécurité (DSC), antichambre de l’hôtel zéro étoile pour tous ceux qui s’expriment dans l’espace public. Journalistes, activistes, hommes politiques : nul ne semble à l’abri de cette charge aussi facile à brandir devant les autorités judiciaires. Si certaines convocations peuvent être justifiées en raison de leur caractère particulièrement grave et attentatoire aux moeurs et à l’ordre public, d’autres paraissent tellement farfelues. L’un des cas les plus emblématiques reste à ce jour celui de l’opposant politique Moustapha Diakhaté, poursuivi juste pour avoir utilisé “gougnafier” en parlant du président de la République et de son Premier ministre".

Et le journal, de rappeler, que  "face à la représentation nationale, le PM avait en effet averti : “… On m’accuse de beaucoup de choses, de la mise en prison de certains opposants, alors que je n’y suis pour rien. Je vais vous dire une chose : sur ces questions-là, à partir d’aujourd’hui, j’assume. D’abord nous allons régler rapidement le cas de ces jeunes qui vont sur les plateaux pour insulter… Après avoir effacé ces jeunes, nous espérons que les opposants milliardaires qui les paient pour insulter vont avoir le courage de sortir et d’assumer.”" , estimant que depuis lors, la chasse aux insulteurs a été lancée, tout en mettant un bémol : "seulement, aujourd’hui, n’importe quel écart – même des plus insignifiants – peut mener son auteur en taule. Peu importe qu’il soit récidiviste ou non, peu importe qu’il soit de bonne foi ou non. La jurisprudence a pu juger offensant le simple fait d’utiliser le mot “gougnafier”."

Poursuivant son analyse, le quotidien d'affirmer que la diffamation est l’autre arme fatale contre les intervenants dans l’espace public. Aujourd’hui, même un petit lapsus peut valoir la prison, que l’on soit journaliste, activiste ou homme politique. Et ce sont des responsables politiques de premier plan qui n’hésitent pas à ester en justice pour des déclarations parfois futiles, pour lesquelles un simple démenti ou une mise au point aurait pu suffire.

Le quotidien d'investigation ne manque pas aussi de rappeler que durant les périodes troubles également, entre 2021 et 2024 sous Macky Sall, il a été noté et dénoncé une politique hautement répressive contre la liberté d’expression. D’ailleurs, sur les centaines de détenus appartenant à Pastef, une bonne partie était poursuivie pour des délits d’opinion avant de bénéficier de l’amnistie. Lors des assises nationales de la justice, des propositions avaient été faites pour enlever certaines incriminations de nature à étouffer la parole publique même responsable des citoyens. Un voeu resté encore pieux.

Des recommandations des Assises à appliquer pour rénover le système judiciaire

Que cela soit dans le cas de la reddition des comptes ou dans un autres domaine, notre système judiciaire a cette faille majeure, celle de fonctionner sur la base d'indices pour inculper. Peut-être que si l'on changeait de perspectives en nous mettant à chercher d'abord des preuves avant d’inculper, sans doute qu’on aurait évité de mettre inutilement des personnes en prison.

L’autre grand inconvénient de notre système judiciaire, est que sous tous les régimes, le parquet, la voie par laquelle sont menées les poursuites, est sous l’autorité directe du ministre de la justice qui lui adresse des réquisitions écrites, sans qu’il puisse refuser de poursuivre (Articles 25 et 28 du Code de procédure pénale). Si seulement le gouvernement actuel s’était empressé d’appliquer les recommandations issues des Assises de la justice, peut-être qu’on n’en serait pas là.

D’ailleurs, le caractère très problématique de la justice qui implique des affaires et hommes politiques, pourtant très faible en termes de part dans le contentieux global, ne s’explique nullement. Et la solution pourrait être trouvée dans ce qui précède.