NETTALI.COM - Le Fonds monétaire international (Fmi) a publié ses conclusions au terme de sa dernière mission au Sénégal. Agrégé en sciences économiques, le Professeur Abou Kane décrypte les conclusions de la mission dirigée par Edward Gemayel. La mission met en relief la situation critique de l’endettement, les marges de manœuvre limitées du Sénégal, ainsi que l’importance d’un partenariat renforcé avec le FMI, tout en soulignant les enjeux de gouvernance et de transparence.

Le Fonds monétaire international (FMI) a récemment publié les conclusions de sa mission au Sénégal, dirigée par Edward Gemayel. Ce rapport met en lumière plusieurs éléments majeurs concernant la gestion de la dette et les perspectives économiques du pays.

1. Responsabilité du FMI et transparence sur la dette

Le FMI a pris soin de dégager sa responsabilité dans l’affaire de la « dette cachée » qui a été révélée par le gouvernement sénégalais en septembre 2024. L’institution parle d’un « traitement erroné des informations » plutôt que de dette falsifiée, soulignant un effort de transparence du Sénégal mais sans préciser les montants cachés par année.

2. Possibilité d’un nouveau programme de réformes

Après l’arrêt brutal du précédent programme triennal, le FMI laisse entrevoir la mise en place d’un nouveau cadre de coopération. Ce programme devrait s’aligner sur la stratégie nationale de développement et pourrait ouvrir la voie à de nouveaux financements, en échange de réformes structurelles.

3. Explosion du ratio dette/PIB

Les chiffres publiés révèlent un écart considérable avec les statistiques officielles. Alors que le gouvernement parlait de 74,4 % en 2023, l’audit de Forvis Mazars et les données validées par le FMI situent le ratio dette/PIB à 111 % fin 2023 et 118,8 % fin 2024. Ce niveau confirme la vulnérabilité financière du pays et la nécessité de mesures urgentes.

4. Croissance et dynamique économique

Malgré cette situation préoccupante, le FMI reconnaît que l’économie sénégalaise conserve une dynamique positive, soutenue par la croissance et surtout par le démarrage de la production d’hydrocarbures.

5. Solutions envisagées pour la dette

Deux principales pistes se dessinent :

  • La restructuration de la dette, consistant à négocier des conditions de remboursement plus favorables. Cette option reste délicate car elle pourrait entacher la crédibilité du Sénégal auprès des investisseurs.

  • La mobilisation de nouveaux financements, combinée à des réformes économiques et à une meilleure gestion des finances publiques, ce qui apparaît comme l’option privilégiée par les autorités sénégalaises.

6. Prudence du FMI dans son vocabulaire

L’institution évite soigneusement les termes de « dette cachée » ou de « falsification », préférant l’expression « erreur de déclaration ». Ce choix vise à rester dans un registre technique plutôt que judiciaire et à éviter toute remise en cause directe de ses propres mécanismes de surveillance.

7. Mesures correctives préconisées

Le FMI a recommandé six actions correctives :

  • centralisation des fonctions de gestion de la dette ;

  • renforcement du comité national de la dette publique ;

  • achèvement de l’audit des arriérés de paiement ;

  • création d’une base de données centralisée sur la dette ;

  • contrôle accru des engagements budgétaires ;

  • consolidation progressive des comptes bancaires dans le cadre du compte unique du Trésor.

Ces mesures visent à réduire l’opacité et à améliorer la gouvernance financière, même si leur efficacité dépendra de la volonté politique et de la rigueur des responsables concernés.

8. Subventions et ajustements budgétaires

Contrairement aux craintes initiales, le FMI n’a pas évoqué la suppression immédiate des subventions sur l’électricité ou d’autres secteurs. Toutefois, dans la perspective d’un nouveau programme, des mesures de rationalisation budgétaire pourraient être exigées.

9. Crédibilité internationale du Sénégal

La transparence affichée par le gouvernement a été saluée par le FMI. Cela ne change pas directement l’évaluation des agences de notation, qui se fondent uniquement sur les chiffres. En revanche, cette attitude pourrait rassurer certains bailleurs, surtout avec la garantie de suivi du FMI.

10. Controverse sur la dette « odieuse »

Certaines voix, comme celle du député Guy Marius Sagna, appellent à refuser le paiement de la dette jugée « odieuse ». Toutefois, une telle option risquerait de placer le Sénégal sur la liste rouge des pays non crédibles aux yeux des marchés financiers. La voie privilégiée reste donc de sanctionner les responsables des irrégularités, tout en honorant les engagements de l’État.